VII. AUDITION DE M. DIDIER SICARD, PRÉSIDENT DU
COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D'ÉTHIQUE POUR LES SCIENCES DE LA VIE
ET DE LA SANTÉ
(MERCREDI 9 MARS 2005)
Réunie le mercredi 9 mars 2005 , sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'audition de M. Didier Sicard , président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé , suivie d'une table ronde sur le thème « Fin de vie et droit pénal : faut-il légiférer ? »
Soulignant combien la fin de vie est une question difficile, placée à la croisée de la médecine, de l'éthique, du droit et de la morale, M. Nicolas About, président, a constaté qu'elle met parfois en conflit deux positions pas toujours conciliables : le respect de la volonté du malade et l'obligation de soin du médecin. Il a souhaité connaître l'avis du comité consultatif national d'éthique sur la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, après son examen en première lecture par l'Assemblée nationale.
M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé que soient rappelées les grandes étapes de l'évolution de la pensée du comité d'éthique sur la fin de vie et précisées les notions d'« exception d'euthanasie » et d'« engagement solidaire ». Rappelant ensuite que l'association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) réclame, au nom de ce principe, le droit pour chaque personne de choisir le moment de sa mort, il a sollicité l'avis de M. Didier Sicard sur cette notion même de dignité. Enfin, revenant sur le texte adopté par l'Assemblée nationale, il a souhaité connaître la manière dont il accueille l'introduction, dans le droit de la santé publique, des notions de « refus d'obstination déraisonnable » ou de « directives anticipées » et son opinion sur la possibilité de donner au patient la liberté de refuser des soins, y compris d'alimentation.
M. Didier Sicard a rappelé qu'en 1999, date de son accession à la tête du comité national d'éthique, deux visions radicalement opposées s'affrontaient au sein de cette institution : d'un côté, les tenants de la liberté de mourir, menés par M. Henri Cavaillet, de l'autre, les défenseurs du caractère sacré de la vie comme valeur transcendantale de la société. L'embarras des juristes sur cette question fondamentale explique que certains médecins, confrontés à des situations douloureuses, aient été amenés à y répondre dans la mesure de leurs possibilités en l'absence de cadre légal clairement établi.
Il a néanmoins fait valoir que le progrès médical a conduit à une gestion extrêmement médicalisée de la fin de vie, prolongeant celle-ci au-delà de ce qui était imaginable et que, parallèlement, l'incapacité de notre société à faire face à la vieillesse et à ses angoisses l'a conduite à modifier sa vision de la mort et à remettre en question le prolongement, coûte que coûte, de la vie à travers la notion de « deuil anticipé ».
Il a relevé qu'aujourd'hui la société a pris conscience du fait que l'acharnement thérapeutique est porteur de violence. Il a toutefois regretté que certains soins, qui auraient pu devenir une alternative utile à l'acharnement thérapeutique, n'aient pas dépassé la dimension humanitaire. Cet état de fait est, selon lui, imputable d'une part à l'Université, qui n'a toujours pas accepté les soins palliatifs comme un enseignement à part entière, d'autre part aux médias, qui ont accrédité l'idée que le développement des soins palliatifs ouvrirait la voie à l'euthanasie.
M. Didier Sicard a précisé que le comité consultatif national d'éthique n'ayant pas de compétence en matière de droit, il n'a jamais plaidé pour une dépénalisation de l'euthanasie, mais simplement souligné qu'au-delà d'un certain temps, il est des soins qui ne peuvent plus être considérés comme thérapeutiques.
Concernant le droit des malades à mourir dans la dignité, il a prévenu contre toute tentative d'utilisation abusive de ces mots, la dignité étant une notion très personnelle, qui ne peut être jugée de l'extérieur par un tiers. Il a souligné, dans le même temps, la nécessité de respecter la liberté des personnes qui ne veulent plus être obligées de vivre, la médecine ne devant pas être exclusivement dépositaire de la vie d'autrui.
A cet égard, il s'est félicité de la grande qualité des débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale, lors de la première lecture de la proposition de loi. Evitant les positions tranchées, les députés ont démontré, selon lui, leur capacité à écouter sereinement les positions contradictoires et à réfléchir, de manière responsable, aux enjeux de la fin de la vie.
Pour ce qui concerne les directives anticipées, M. Didier Sicard a exprimé ses réserves sur l'utilisation de ce document comme référent exclusif dans la prise de décision finale. Face au refus de l'alimentation, attitude que le comité a pu observer chez certains malades, la solution n'est certainement pas de les obliger à se nourrir, une telle attitude pouvant s'apparenter à une violence et à une intrusion dans la liberté d'autrui.
M. Nicolas About, président, a demandé si certaines améliorations peuvent être introduites au texte issu des débats de l'Assemblée nationale.
Préférant livrer son avis en tant que citoyen, M. Didier Sicard s'est dit frappé par l'unanimité des députés autour d'un texte dont la haute valeur honore le Parlement. Dans ces conditions, sa modification, au détour d'un amendement, ferait courir un risque important de déséquilibre de l'économie générale du dispositif législatif, certes susceptible d'évoluer dans les prochaines années en fonction de l'état de la société, mais pour l'instant solide. Il a porté sa seule réserve sur le fait que, soucieux de limiter les inquiétudes liées aux risques de poursuites judiciaires, les députés ont sans doute voulu protéger un peu trop les médecins.
Mme Isabelle Debré a exprimé de sérieux doutes sur la place, trop importante selon elle, accordée par l'article 7 de la proposition de loi au testament de fin de vie dans la décision d'interruption des traitements. Elle s'est émue, en particulier, de la règle fixant la période de validité de ce testament jusqu'à trois ans avant le moment de la décision qu'il conviendra de prendre en présence d'un état d'inconscience du malade.
M. Didier Sicard a précisé que le recours à ce testament sera une faculté, et non une contrainte. Il permet au médecin d'orienter sa réflexion, mais en aucun cas il ne revêt un caractère exclusif dans la prise de décision. Par ailleurs, le choix de fixer sa durée de validité à trois ans n'a d'autre objet que de préserver la pertinence de ce testament, qui doit être suffisamment récent pour constituer une référence fiable. A contrario, l'absence de directive anticipée aurait introduit une difficulté supplémentaire pour les proches et les médecins, confrontés à la situation du malade en phase terminale.
M. Nicolas About, président, a confirmé cette analyse, ajoutant que le testament de fin de vie n'aura qu'une valeur d'information.
Relatant son expérience en la matière à l'occasion d'un drame personnel douloureusement vécu, Mme Sylvie Desmarescaux a douté de la pertinence des directives anticipées, expliquant que le patient arrivé effectivement en fin de vie peut, dans un ultime désir de vivre, changer d'avis par rapport à l'opinion qu'il avait précédemment exprimée dans un tout autre contexte.
A contrario, M. Jean-Pierre Godefroy a plaidé pour la défense du dispositif des directives anticipées, arguant de leur importance dans la prise de décision, en particulier pour les familles confrontées à la souffrance de leurs proches.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, a souhaité qu'on ne fasse pas preuve d'angélisme en idéalisant les relations familiales, les documents pouvant être parfois instrumentalisés au sein d'une famille au nom de considérations bien étrangères à la compassion.
Mme Bernadette Dupont a contesté l'usage de l'expression de « directives anticipées », qui prend mal en compte la situation de certains malades, notamment les personnes handicapées mentales, quelquefois incapables d'exprimer leur volonté.
Manifestant sa solidarité avec Mme Sylvie Desmarescaux, M. Nicolas About, président, a souligné l'importance du rôle de l'entourage familial dans l'accompagnement du parent en fin de vie.
Saluant la grande qualité des propos tenus par M. Didier Sicard, M. André Vézinhet a plaidé pour un débat parlementaire nuancé et équilibré face à la complexité de la situation de fin de vie. Mais il a jugé qu'estimer que les travaux de l'Assemblée nationale ne pourraient pas être améliorés en l'état de la réflexion revient à douter de la capacité du Sénat à apporter une contribution de qualité à ce débat. Notamment, il a considéré que le texte gagnerait à mieux affirmer la reconnaissance des soins palliatifs.
M. Nicolas About, président, a confirmé l'appréciation portée sur le travail remarquable réalisé par l'Assemblée nationale, qu'il a qualifiée, en clin d'oeil, de suivi d'une « démarche quasi sénatoriale » éloignée de la pression médiatique et menée avec le recul nécessaire. Il a par ailleurs observé que la proposition de loi accorde déjà, en l'état, une reconnaissance législative incontestable aux soins palliatifs.
M. Jean-Claude Etienne s'est interrogé sur la portée de la procédure collégiale prévue à l'article 5 de la proposition de loi, se demandant si la décision d'interrompre la thérapie d'un patient ne devrait pas revenir à des personnes moins impliquées dans l'accompagnement de la fin de vie de celui-ci.
M. Didier Sicard a précisé que cette procédure collégiale n'interviendra qu'en cas d'impasse relationnelle et que les membres qui composent ce collège sont suffisamment nombreux pour que la confrontation des arguments des uns et des autres serve utilement à la prise de décision.
M. Nicolas About, président, a ajouté que cette procédure est simplement consultative et qu'elle préserve le pouvoir d'appréciation confié au médecin, lequel doit en assumer la décision finale.