3. Une multiplicité d'instruments de coopération
Les collectivités territoriales et leurs groupements disposent d'une large panoplie d'instruments juridiques pour les besoins de la coopération décentralisée. Certains trouvent leur fondement dans la loi, d'autres dans des accords internationaux ou des actes communautaires. La majorité d'entre eux a été créée pour répondre aux besoins de la coopération transfrontalière.
La loi n° 92-125 du 6 février 1992 d'orientation pour l'administration territoriale de la République a ainsi autorisé le recours à la société d'économie mixte locale (SEML) et au groupement d'intérêt public (GIP), personnalités morales de droit français soumises au contrôle du juge français.
La loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire a ensuite permis aux collectivités françaises d'adhérer à des structures de droit étranger.
L'utilisation du groupement européen d'intérêt économique (GEIE) comme support de la coopération transfrontalière n'a été envisagée que récemment.
Enfin, deux instruments spécifiques ont été créés pour les besoins de la coopération transfrontalière : le groupement local de coopération transfrontalière (GLCT) et le district européen.
• Les sociétés d'économie mixte locales
Tout en l'autorisant, la loi du 6 février 1992 avait soumis la participation d'une collectivité étrangère à une SEML à de nombreuses conditions qui se sont avérées dirimantes : les Etats concernés devaient avoir préalablement conclu un accord ; cet accord devait prévoir des conditions de réciprocité au profit des collectivités territoriales françaises ; l'objet social de la société d'économie mixte était limité à l'exploitation de services publics d'intérêt commun ; les collectivités locales françaises et leurs groupements devaient détenir à eux seuls la majorité du capital social et des voix dans les organes délibérants de la société.
L'article 2 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains a assoupli ce dispositif contraignant. Ont été expressément visés non seulement les collectivités territoriales étrangères mais également leurs groupements. L'objet de la société d'économie mixte avec participation étrangère a été étendu à toutes les activités de droit commun prévues par l'article L. 1521-1 du code général des collectivités territoriales, c'est-à-dire à la réalisation d'« opérations d'aménagement, de construction », à l'exploitation de « services publics à caractère industriel et commercial » et à « toute autre activité d'intérêt général ». L'obligation d'un accord préalable entre Etats a été maintenue mais la condition de réciprocité au profit des collectivités françaises supprimée. Enfin, la participation des collectivités étrangères a été comptabilisée dans la part des collectivités locales françaises et de leurs groupements, ces derniers devant cependant toujours détenir plus de la moitié du capital et des voix dans les organes délibérants.
L'article 11 de la loi n° 2002-1 du 2 janvier 2002 tendant à moderniser le statut des sociétés d'économie mixte locales a ensuite supprimé l'obligation d'un accord préalable entre Etats pour qu'une collectivité appartenant à l'un des pays membres de l'Union européenne puisse participer au capital de sociétés d'économie mixte locales françaises 12 ( * ) .
L'interdiction faite aux collectivités étrangères de détenir plus de la moitié du capital relativise leur intérêt pour ce type de structures . Aussi les exemples de sociétés d'économie mixte locales à participation étrangère sont-ils rares :
- à la frontière espagnole, la commune aragonaise de Bielsa a pris une participation de 1 % au capital de la SEML d'Aragnouet-Piau-Engaly (Hautes-Pyrénées) qui exploite notamment les remonte-pentes de la station de Piau-Engaly ;
- à la frontière allemande, le Land de Sarre participe à la société d'économie mixte d'Amneville, créée en avril 2005 pour gérer, par délégation de service public, un casino ;
- à la frontière belge, l'intercommunale de développement économique de Tournai-Ath (Belgique) détient 3 % des parts de la société d'économie mixte du parc scientifique de la Haute-Borne qui se trouve à Villeneuve-d'Ascq (Nord).
• Les groupements d'intérêt public
Des groupements d'intérêt public peuvent être créés avec des collectivités territoriales appartenant à des Etats membres de l'Union européenne « pour exercer, pendant une durée déterminée, des activités contribuant à l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques concertées de développement social urbain 13 ( * ) » ou « pour mettre en oeuvre et gérer ensemble, pendant une durée déterminée, toutes les actions requises par les projets et programmes de coopération interrégionale et transfrontalière intéressant des collectivités locales appartenant à des Etats membres de l'Union européenne 14 ( * ) ».
Ces dispositions avaient initialement pour objet de mettre en place une structure juridique chargée de gérer les crédits communautaires de la coopération transfrontalière, dans le cadre du programme Interreg.
Les règles d'organisation et de fonctionnement de ces groupements d'intérêt public sont fixées par un décret n° 93-571 du 27 mars 1993 et précisées par une circulaire du 16 juin 1994.
Cette structure n'a, elle non plus, guère été utilisée en raison de la situation inégalitaire faite aux collectivités locales étrangères , de nombreux contrôles administratifs et de la présence d'un commissaire du Gouvernement ainsi que d'un contrôleur financier en cas d'adhésion de l'Etat. Seuls deux groupements ont été institués :
- le GIP Transalpes, créé le 15 janvier 1996 pour une durée de quatre ans, conduit des études et des actions liées au projet de liaisons ferroviaires voyageurs et fret Lyon-Turin et sillon alpin ;
- le GIP Autorités d'Interreg III (A) Saarland-Moselle-Westpfalz, créé le 9 novembre 2004 pour une durée de cinq ans, assume les fonctions d'autorité de gestion et d'autorité de paiement pour la mise en oeuvre du programme INTERREG III (A) Saarland-Moselle-Westpfalz sur le territoire de ses membres.
• Les organismes de droit public étranger et les personnes morales de droit étranger
Depuis la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, les collectivités françaises peuvent, dans le cadre de la coopération transfrontalière, « adhérer à un organisme public de droit étranger » ou « participer au capital d'une personne morale de droit étranger », auquel adhère ou participe au moins une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales d'un Etat européen frontalier ou d'un Etat membre de l'Union européenne 15 ( * ) .
A l'origine, l'objet social de cet organisme était l'exploitation d'un service public ou la réalisation d'un équipement local. Cette restriction a disparu avec la loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement durable du territoire.
A l'origine également, cette adhésion ou cette participation était subordonnée à une autorisation donnée par décret en Conseil d'Etat. Cette formalité alourdissait considérablement la procédure. Aussi l'article 137 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales lui a-t-il substitué, à compter du 1 er janvier 2005, une autorisation délivrée par arrêté du préfet de région .
Seuls deux organismes de droit étranger auxquels appartiennent des collectivités territoriales françaises sont actuellement recensés , tous deux à la frontière espagnole :
- un consorcio « Bidasoa-Txingudi » a été constitué le 30 juillet 1999, entre les communes d'Hendaye, de Fontarrabie et d'Irun pour mener à bien différents projets dans les domaines du développement économique, de la culture, de l'environnement et de l'éducation (sa création a été autorisée par décret en Conseil d'Etat) ;
- un consorcio a également été créé le 21 mars 2005 entre Bourg-Madame (Pyrénées-Orientales) et Puigcerda (Catalogne) pour permettre la réalisation de différents projets de coopération dans les domaines de l'aménagement urbain, de l'action culturelle et du tourisme (sa création a été autorisée par un arrêté du préfet de la région Languedoc-Roussillon).
• Le groupement d'intérêt économique européen (GEIE)
Régi par le règlement communautaire n° 2137/85 du Conseil du 25 juillet 1985 et les articles L. 252-1 à L. 252-13 du code de commerce, le groupement d'intérêt économique européen (GEIE) correspond à l'adaptation au plan communautaire du groupement d'intérêt économique français (GIE). Celui-ci, créé par l'ordonnance n° 67-281 du 23 septembre 1967, constitue une technique contractuelle de droit privé intermédiaire entre la société civile ou commerciale et l'association.
Le GEIE, organisme de droit privé , doit avoir pour objet de faciliter ou de développer les activités économiques de ses membres par la mise en commun de ressources, d'activités et de compétences. Il peut être constitué par des sociétés de droit privé et toute personne morale de droit public. Sa vocation essentiellement économique ne correspond pas tout à fait aux objectifs traditionnels de la coopération décentralisée : programmes d'intérêt public, politique d'aménagement du territoire ou toute autre action qui relèverait par nature de la compétence de collectivités territoriales. En outre, le GEIE implique une responsabilité financière illimitée de ses membres . Ces caractéristiques expliquent la réticence de l'administration à le considérer comme un instrument de coopération transfrontalière.
Sa souplesse d'utilisation - mise en place rapide sans autorisation préalable, possibilité d'adapter les statuts à chaque situation particulière et de constituer le GEIE avec ou sans capital - en fait toutefois l' instrument privilégié pour porter des projets à vocation économique , d'autant que l'utilisation de cette structure par des collectivités les rend éligibles aux fonds structurels européens encourageant la coopération transfrontalière (Interreg III notamment).
Un observatoire transfrontalier a ainsi été créé le 24 février 1997, sous la forme d'un groupement européen d'intérêt économique, dans le cadre de « l'Eurocité basque Bayonne/San Sebastian ». Il est chargé de mener différentes études concernant la coopération transfrontalière entre les Pyrénées Atlantiques et le pays basque espagnol entre Bayonne et San Sebastian.
On peut également citer le GEIE Sud Mont-Blanc ou le GEIE « Artisanat transfrontalier » entre le département de la Haute-Corse et la province de Livourne.
• Les groupements locaux de coopération transfrontalière
Jusqu'à l'accord de Karlsruhe, les traités signés par la France dans le domaine de la coopération transfrontalière demeuraient d'une portée limitée.
Ainsi, la convention franco-italienne de Rome du 26 novembre 1993 ne prévoit pas expressément la création ou la participation des collectivités territoriales françaises et italiennes à des organismes de coopération transfrontalière, dès lors que le droit italien n'offre pas une telle possibilité à ses propres collectivités. Le traité franco-espagnol de Bayonne du 10 mars 1995 a quelque peu innové en prévoyant que les collectivités territoriales françaises et espagnoles peuvent passer des conventions pour, d'une part, créer et gérer des équipements ou des services publics et coordonner leurs décisions dans des domaines d'intérêt commun, d'autre part, créer ou participer à des organismes de coopération existants, dotés ou non de la personnalité juridique.
L'accord de Karlsruhe du 23 janvier 1996, qui lie la France à l'Allemagne, au Luxembourg et à la Suisse, et l'accord signé avec la Belgique le 16 septembre 2002 à Bruxelles prévoient la création d'un instrument spécifique de coopération transfrontalière , le groupement local de coopération transfrontalière (GLCT). Doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière, le groupement est soumis au droit interne applicable aux établissements publics de coopération intercommunale de la partie où il a son siège. L'outil le plus adapté en droit français est le régime juridique du syndicat mixte ouvert qui a pour caractéristique de permettre l'organisation souple de partenariats entre des collectivités de niveaux différents et d'associer à la coopération décentralisée transfrontalière des organismes publics locaux : centres d'action sociale, hôpitaux, collèges ou lycées, offices de tourisme, chambres de commerce...
Conformément au droit commun régissant les groupements de collectivités territoriales, lorsque le GLCT a son siège en France, il ne peut être créé que par arrêté du préfet du département se prononçant sur la convention de coopération, transmise dans le cadre du contrôle de légalité. Lorsque le siège du GLCT se trouve à l'étranger, l'adhésion de la collectivité française doit être autorisée par le préfet de région, depuis le 1 er janvier 2005 et en application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, alors qu'un décret en Conseil d'Etat était nécessaire jusqu'alors. Le choix du préfet de région pour délivrer cette autorisation, qui crée une asymétrie de compétence selon que le GLCT a son siège en France ou à l'étranger, doit être interprété comme un signe du renforcement de son rôle de pilote de la coopération transfrontalière.
A ce jour, six GLCT ont été créés :
- le GLCT Centre Hardt-Rhin supérieur, par arrêté du 22 octobre 1998, qui a pour objet l'aménagement spatial (notamment la construction d'un pont sur le Rhin) et la création d'un réseau commun de structures de loisirs et de tourisme ;
- le GLCT Wissembourg-Bad-Bergzabern, par décret du 28 mars 2001, afin d'exploiter une nappe phréatique et de réaliser un réseau d'alimentation en eau potable ;
- le GLCT Institut pour la coopération transfrontalière/Euro-Institut, par décret du 3 janvier 2003, qui remplace le GEIE « Euro Institut de Kehl », créé en 1995 et associant des collectivités d'Alsace à la ville de Kehl pour promouvoir la coopération transfrontalière par la formation continue appliquée à des agents et élus des organismes publics ;
- le GLCT Régio Pamina, par arrêté du 22 janvier 2003, afin de soutenir et coordonner la coopération transfrontalière dans les domaines relevant de sa compétence ;
- le GLCT Eurozone Sarrebruck-Forbach, par décret du 24 juin 2003, pour créer des zones industrielles et commerciales ;
- le GLCT « Vis-à-vis Ernstein-Obernai/Lahr-Kinzigtal » pour exploiter un bus « vis-à-vis » qui assure la liaison entre l'Alsace et le pays de Bade et la construction d'un pont sur le Rhin.
D'autres GLCT seraient en projet, notamment avec des collectivités locales suisses.
• Le district européen
A l'initiative du Sénat et de notre collègue M. Pierre Mauroy, la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a créé un nouvel instrument de coopération transfrontalière : le district européen .
Ce faisant, elle a étendu à toutes les frontières françaises la possibilité offerte par les accords de Karlsruhe et de Bruxelles de recourir à un groupement local de coopération transfrontalière. Le district européen est ainsi qualifié par la loi de groupement local de coopération transfrontalière. Lui sont applicables les dispositions du code général des collectivités territoriales relatives au syndicat mixte ouvert . Un syndicat mixte ouvert existant peut également se transformer en district européen par l'intégration d'une collectivité étrangère.
Aucun district européen n'a encore été créé mais deux projets sont à l'étude à la frontière italienne . Le premier, dit de l'« Espace Mont-Blanc », concerne des collectivités françaises, italiennes et suisses et s'inscrit dans une démarche de développement durable transfrontalier visant à maintenir un équilibre entre la promotion des activités socio-économiques et la protection des milieux naturels. Le second concerne la région de la Riviera franco-italienne et a pour objet une coopération accrue en matière de développement économique, d'aménagement du territoire ainsi qu'en matière de gestion des services publics locaux de proximité.
Plusieurs évolutions sont en cours .
Le protocole additionnel n°2 à la convention de Madrid ouvre d'ores et déjà la possibilité aux collectivités locales de créer des organismes ayant l'autonomie juridique avec des collectivités locales européennes, y compris dans le cadre de leur coopération inter-régionale, et non pas seulement transfrontalière. Comme le souligne M. Antoine Joly, délégué pour l'action extérieure des collectivités locales dans son rapport pour 2004, cette ratification suppose l'adaptation de notre droit interne , cette faculté n'étant aujourd'hui accordée que dans le cadre transfrontalier.
Le Conseil de l'Europe s'est également engagé dans l'élaboration d'un troisième protocole additionnel à la convention de Madrid afin de permettre la création d'organismes transfrontaliers sur toutes les frontières de ses Etats membres.
En parallèle, dans le contexte de la réforme de la politique régionale pour 2007-2013, la Commission européenne prévoit de constituer un « objectif 3 » sans zonage consacré à la coopération transfrontalière et interrégionale, à laquelle 13,5 milliards d'euros seraient dédiés. Elle a également entrepris l'élaboration d'un instrument juridique spécifique à la coopération transfrontalière : le groupement européen de coopération transfrontalière (GECT).
Il importera de veiller à la mise en cohérence de ces différents instruments juridiques et à leur articulation avec la législation française.
• La possibilité de financer sur les budgets annexes de l'eau et de l'assainissement des actions de coopération décentralisée, des aides d'urgence et des actions de solidarité internationale dans les domaines de l'eau et de l'assainissement
La loi n° 2005-95 du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l'eau dans les domaines de l'alimentation en eau et de l'assainissement n'a pas, à proprement parler, créé de nouvel instrument de coopération.
En revanche, au nom du principe selon lequel « l'eau doit financer l'eau », elle a autorisé le financement des actions de coopération décentralisée, d'aide d'urgence ou de solidarité dans les domaines de l'eau et de l'assainissement conduites par les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes chargés des services publics de distribution d'eau potable et d'assainissement sur le budget de ces services, et non plus sur leur budget général , dans la limite de 1 % des ressources qui y sont affectées 16 ( * ) .
Ce bilan de l'action extérieure des collectivités territoriales montre tout à la fois l'utilité des initiatives locales et la nécessité de leur donner un cadre juridique plus sûr.
* 12 Toutes ces dispositions figurent aujourd'hui à l'article L. 1522-1 du code général des collectivités territoriales.
* 13 Article L. 1511-3 du code général des collectivités territoriales.
* 14 Article L. 1511-2 du code général des collectivités territoriales.
* 15 Article L. 1115-4 du code général des collectivités territoriales.
* 16 Article L. 1115-1-1 dans le code général des collectivités territoriales.