II. LE PROJET DE LOI : ENTRE CONTINUITÉ ET RUPTURE
A. CONSOLIDER LA MAÎTRISE DES FLUX ET LE PROCESSUS D'INTÉGRATION
1. La lutte contre l'immigration irrégulière
La loi du 26 novembre 2003 a profondément rénové la législation applicable au contrôle des entrées en France et aux mesures d'éloignement. Le projet de loi ne bouleverse pas l'équilibre trouvé en matière de rétention et de maintien en zone d'attente. En revanche, il ouvre deux nouveaux chantiers .
? En matière de régularisation, l'article 24 du projet de loi supprime la régularisation automatique des étrangers en situation irrégulière justifiant de dix années de résidence habituelle ininterrompue en France. Le caractère automatique des régularisations peut être à l'origine d'un appel d'air en faisant miroiter l'espoir d'une régularisation de droit, sorte de prime à la persévérance dans la clandestinité. L'article 24 bis du projet de loi, introduit à l'Assemblée nationale à la suite d'un amendement présenté par le gouvernement, remplace ce mécanisme de régularisation automatique par une procédure d'admission exceptionnelle au séjour. Cette procédure au champ d'application plus large que les seuls étrangers résidant en France depuis dix ans repose en revanche sur un examen au cas par cas.
Concernant les mineurs isolés, l'article 24 du projet de loi permet la délivrance d'une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à l'étranger qui a été confié depuis l'âge de seize ans au service social de l'aide à l'enfance sous réserve qu'il ait suivi une formation sérieuse et qu'il ait fait la preuve d'une volonté d'insertion dans la société française. Cette disposition devrait régler une partie du problème des mineurs isolés qui sont pris en charge par les conseils généraux pendant leur minorité avant d'être éloignés à leur majorité.
? Le titre III du projet de loi (articles 33 à 58 ter ) est consacré aux mesures d'éloignement. Les procédures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière sont simplifiées pour tenir compte de l'accroissement considérable du contentieux administratif en matière de droit des étrangers ces dernières années.
La commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine indique dans son rapport que le contentieux des étrangers dans son ensemble (recours contre les APRF, les refus de séjour, les mesures d'expulsion, référé) représente désormais plus du quart des affaires enregistrées chaque année dans les tribunaux administratifs, trois tribunaux -Paris, Cergy-Pontoise et Marseille- totalisant à eux seuls la moitié des affaires jugées. Selon M. Patrick Mindu, président du tribunal administratif de Paris, le tribunal administratif de Paris a enregistré 10.312 requêtes concernant les étrangers en 2005 soit, sur un volume global d'entrées d'à peine plus de 20.000 requêtes, 51 % des affaires nouvelles.
Pour simplifier ce contentieux et rendre plus efficace les procédures d'éloignement sans porter atteinte aux garanties offertes aux étrangers, les articles 36 et 41 du projet de loi propose de coupler dorénavant les décisions concernant le refus d'un titre de séjour avec une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Il existe actuellement deux décisions distinctes : la première concernant le refus de titre qui est assortie d'une simple invitation à quitter le territoire français sans valeur contraignante (IQTF), la deuxième imposant la reconduite à la frontière. Dans la mesure où les personnes qui se voient refuser le droit au séjour ont vocation à quitter le territoire, la procédure actuelle n'apporte aucune garantie supplémentaire à l'étranger mais rend le dispositif extrêmement complexe. Avec la réforme proposée une seule et même décision indiquerait à l'étranger que celui-ci ne dispose d'aucun droit au séjour et qu'il doit, en conséquence, quitter le territoire français. L'OQTF remplacerait l'arrêté préfectoral de reconduite à la frontière.
Pour autant, le nouveau mécanisme ne retirerait aucun droit à l'étranger. En effet, son droit au recours est entièrement préservé tout en simplifiant les procédures pour les préfectures et les tribunaux administratifs.
La commission d'enquête du Sénat avait exprimé certaines réserves sur la capacité de cette réforme à simplifier sensiblement le contentieux, estimant que faute de supprimer la pratique des APRF notifiés par voie postale, les effets sur le volume du contentieux resteraient fragiles.
Ce contentieux est principalement nourri par la pratique des APRF notifiés par voie postale, qui représentent 80 % de l'ensemble des arrêtés. Or, faute d'interpellations consécutives à la prise des APRF notifiés par voie postale, le taux d'exécution est inférieur à 3 %. En outre, la loi du 26 novembre 2003, prenant acte de la jurisprudence du Conseil d'Etat, a prévu qu'un étranger ne pouvait être placé en rétention sur la base d'un APRF édicté depuis plus d'un an. Les magistrats administratifs sont donc saisis de recours contre des décisions qui ne seront quasiment jamais appliquées.
Or, l'article 42 du projet de loi, modifié par un amendement du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, tend à supprimer la possibilité de prendre des APRF notifiés par voie postale. Seuls les APRF notifiés par voie administrative, c'est-à-dire à la suite d'une interpellation, subsisteraient.
D'autres dispositions visent également à assouplir l'organisation du travail dans les juridictions. L'article 58 du projet de loi ouvre la possibilité de désigner des magistrats administratifs honoraires pour statuer sur les litiges relatifs aux arrêtés de reconduite à la frontière.
? D'autres mesures concourent également à lutter contre l'immigration irrégulière.
Ainsi, la lutte contre le travail illégal est renforcée en ciblant particulièrement les employeurs. Les articles 13 et 13 bis autorisent l'échange de données entre les différentes administrations chargés de lutter contre le travail illégal. L'article 15 bis autorise les agents chargés de contrôler le respect de la réglementation du travail à faire appel à des interprètes assermentés à l'occasion de leur contrôle. L'article 14 oblige les employeurs à s'assurer auprès des administrations compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France. Les articles 11, 15 et 15 ter aggravent les sanctions à l'encontre des employeurs, notamment récidivistes, ainsi que la responsabilité des donneurs d'ordre.