B. L'ÎLE AUX MUSÉES D'ABOU DABI : UN AMBITIEUX PROJET AU SERVICE DU DIALOGUE ENTRE LES CULTURES
L'Émirat d'Abou Dabi a pour ambition de devenir le coeur de la région du Golfe pour l'enseignement supérieur et la culture et le lieu de rencontre et d'échanges entre les civilisations, au carrefour des continents.
Pour ce faire, l'Émirat d'Abou Dabi a lancé sur l'île de Saadiyat, située en face de la capitale émirienne, un projet de district culturel d'envergure mondiale, qui comprendrait plusieurs musées, dont un musée des arts islamiques, un musée maritime et un musée d'art moderne construit en partenariat avec la Fondation Guggenheim.
Après s'être tourné une première fois vers l'expertise française en matière d'enseignement supérieur, avec l'installation, à l'automne 2006, d'une antenne de la Sorbonne, Abou Dabi a demandé l'aide de la France et du musée du Louvre pour l'aider à réaliser et à développer un autre musée dans sa capitale.
Au départ, les autorités d'Abou Dabi souhaitaient que ce nouveau musée soit exclusivement consacré à l'art classique et constitue une antenne du Louvre, sur le modèle des musées Guggenheim. Toutefois, les négociateurs français sont parvenus à faire évoluer cette demande vers un concept de musée universel, qui serait ouvert à toutes les techniques, à toutes les civilisations et à toutes les époques, y compris la période contemporaine.
En effet, les autorités françaises étaient soucieuses de mettre en valeur la richesse des collections françaises et de transmettre, à travers ce musée, les conceptions de l'époque des Lumières qui ont inspiré la transformation du Palais du Louvre en musée en 1793.
Enfin, afin de souligner de façon visible l'ambition universelle de ce projet, la France a accepté que ce nouveau musée porte le nom de « Louvre Abou Dabi ».
C. UN PROJET QUI A SUSCITÉ DES CRITIQUES ET DES INTERROGATIONS, NOTAMMENT DE LA PART DE CERTAINS CONSERVATEURS
Dès le stade des négociations, ce projet a suscité une controverse, notamment de la part de certains conservateurs de musées. Ainsi, plusieurs conservateurs, dont Mme Françoise Cachin, ancien directeur des Musées de France, ont dénoncé fortement ce projet. 1 ( * )
Cette controverse n'est pas sans rappeler la polémique suscitée en 1962 par le prêt de la Joconde aux Etats-Unis. André Malraux, ministre de la culture, s'était, en effet, heurté à l'époque à l'opposition des conservateurs du musée du Louvre et il avait dû obtenir l'accord du général de Gaulle pour cette opération.
Votre Rapporteur regrette toutefois que, sur un sujet de cette importance, le gouvernement n'ait pas pris la peine d'informer le Parlement du lancement et du déroulement des négociations, ce qui aurait sans doute permis de désamorcer certaines critiques. Il aurait été aussi plus correct, par égard envers la communauté scientifique concernée, de l'associer à la réflexion et à la définition des caractéristiques du projet.
Votre Rapporteur tient à cet égard à souligner le rôle joué par la commission des affaires culturelles de notre assemblée, qui, dès le mois de janvier, a procédé aux auditions de Mme Mariani-Ducray, directrice des musées de France, de M. Henri Loyrette, président directeur de l'établissement public du musée du Louvre, ainsi que de Mme Françoise Cachin, directrice honoraire des musées de France.
Trois principaux reproches ont été formulés à l'encontre de ce projet.
Tout d'abord, le choix d'Abou Dabi pour accueillir le futur musée a fait l'objet d'interrogations. Certains ont estimé que ce choix résultait davantage de considérations politiques et diplomatiques que culturelles et n'ont pas hésité à comparer Abou Dabi à une sorte de ville pour milliardaires comparable à Las Vegas.
Ensuite, d'autres observateurs se sont inquiétés du nombre d'oeuvres d'art des collections françaises qui devraient faire l'objet de prêts au musée d'Abou Dabi, privant ainsi le public français et les touristes étrangers présents dans la capitale de ces oeuvres pour une période plus ou moins longue.
Enfin, certains conservateurs ont dénoncé la remise en cause du principe de la gratuité du prêt des oeuvres d'art au profit d'une logique commerciale.
Tout en comprenant les inquiétudes qui ont pu s'exprimer autour de ce projet chez certains conservateurs, votre Rapporteur ne partage pas ces craintes. Pour fondées que soient certaines d'entre elles, l'évolution du projet puis sa mise en oeuvre doivent éviter les écueils annoncés.
En ce qui concerne, tout d'abord, l'emplacement du futur musée, votre Rapporteur tient à souligner que c'est l'Émirat d'Abou Dabi qui a sollicité l'aide de la France pour construire ce nouveau musée.
Ce projet n'est d'ailleurs pas en contradiction avec d'autres types de coopérations avec des institutions culturelles étrangères. Le musée du Louvre a ainsi développé plusieurs actions de partenariat avec des musées étrangers, notamment aux Etats-Unis, en particulier avec le High Museum d'Atlanta, au Japon, avec plusieurs expositions prestigieuses, ou en Chine.
Ensuite, votre rapporteur tient à rappeler que le nombre d'oeuvres d'art qui feront l'objet de prêts au musée d'Abou Dabi reste limité, de l'ordre de 300 par an les premières années, au regard des quelques 30 000 oeuvres d'art que la France prête chaque année.
Enfin, votre Rapporteur tient à rappeler que la pratique des contreparties en matière d'échange des oeuvres d'art n'est pas un phénomène nouveau.
En effet, si les grands musées qui disposent de riches collections fonctionnent habituellement par le jeu d'échanges mutuels et gratuits de prêts et d'emprunt d'oeuvres pour leurs expositions temporaires, c'est dans l'intérêt bien compris d'une réciprocité.
Cela ne concerne toutefois pas les musées éloignés des circuits internationaux ou qui ont des collections relativement réduites.
Ainsi, de nombreux musées japonais, américains, canadiens et australiens sollicitent des expositions pour lesquelles ils offrent des contreparties financières, le plus souvent sous la forme de financements versés à l'établissement prêteur par des mécènes, qui peuvent être des individus ou des sociétés.
Le musée du Louvre a ainsi été sollicité par le High Museum d'Atlanta pour organiser huit expositions temporaires retraçant l'histoire des collections du musée du Louvre, de sa création en 1793 à nos jours. Chacune des expositions comprend de 50 à 80 oeuvres, prêtées pour une période de 3 à 11 mois.
En 2006, lors de la première année du partenariat, les expositions présentées dans ce cadre ont attiré quelque 400 000 visiteurs.
Cette opération est entièrement financée par des mécènes américains, pour un montant global de 18 millions d'euros. Deux tiers de cette somme correspondent aux frais de l'organisation logistique des expositions, ainsi qu'à la programmation. Le dernier tiers, soit 5,4 millions d'euros, sera versé par les mécènes américains au musée du Louvre afin de contribuer au financement de la rénovation des salles de mobilier du XVIIIème siècle du département des objets d'art.
Le prêt gratuit, fondé sur l'échange entre partenaires de niveau équivalent, n'est pas appelé à disparaître. Mais le prêt avec compensation financière a le mérite d'offrir à des publics privés de l'accès aux grands musées, des oeuvres de premier plan auxquelles ils n'auraient jamais eu accès dans le cadre des échanges traditionnels.
Avec la création ex-nihilo du musée Louvre Abou Dabi, la conception de la coopération muséographique passe à une toute autre dimension que les évolutions des 30 dernières années avaient préparées.
* 1 Voir notamment l' article intitulé « Les musées ne sont pas à vendre », publiée par le journal Le Monde daté du 13 décembre 2006.