B. UN PÉRIMÈTRE Á REVOIR AVEC PRÉCAUTION
A l'issue de l'audition publique pour « suite à donner » du 3 octobre 2007, plusieurs pistes de réformes ont été évoquées. Cependant, dans son rapport d'information 11 ( * ) , votre rapporteure spéciale estime nécessaire d'aborder la question du changement de périmètre de la mission avec prudence . Il convient, en effet d' instruire préalablement toutes les conséquences budgétaires et juridiques que pourrait engendrer une restructuration d'envergure de la mission, afin d'éviter qu'un changement précipité ne se fasse au détriment de la lisibilité et du pouvoir de contrôle du Parlement .
1. Considérer les dépenses « techniques » comme des « atténuations de recettes » : des conséquences budgétaires non négligeables
Faisant suite aux observations de la Cour des comptes, M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, dans la lettre, précitée, qu'il a adressée à notre collègue, Jean Arthuis, président de votre commission des finances, propose d'étudier le rattachement aux recettes correspondantes, en tant que « moindre recettes » , des dépenses techniques, c'est-à-dire les dépenses liées aux modalités de recouvrement de certains impôts (remboursement de crédits de TVA, restitution d'excédents de versements sur acomptes d'impôt sur les sociétés).
En effet, selon l'analyse développée par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, « les flux de trésorerie en question ne sont pas des dépenses mais des décaissements constitutifs de la recette brute , au même titre que les encaissements correspondants - acomptes et soldes d'impôt sur les sociétés ou TVA encaissée ». Dans l'éventualité de la réforme envisagée, « ces crédits ne seraient plus présentés comme des dépenses budgétaires mais comme des éléments constitutifs des recettes venant en atténuation de celles-ci » ; « elles seraient dès lors intégrées dans la présentation de ces dernières dans l'état A du projet de loi de finances et dans le document budgétaire relatif aux voies et moyens 12 ( * ) ».
Votre rapporteure spéciale s'interroge sur les conséquences budgétaires et juridiques de cette proposition . En effet, considérer ces dépenses comme des « atténuations de recettes » soulève plusieurs questions :
- cette proposition se heurte, tout d'abord, à un obstacle juridique, l'article 10 de la LOLF 13 ( * ) posant le principe d'une traduction des remboursements et dégrèvements dans les programmes budgétaires ;
- elle aurait également un effet majeur sur le budget de l'Etat dont elle contracterait le volume, à hauteur d'environ 50 milliards d'euros et, comme tout dispositif de contraction dépenses/recettes, elle affaiblirait la lisibilité d'ensemble de ces dépenses ;
- enfin se pose, dans ce cadre, la question du « sort réservé » à la mesure de la performance des décaissements « techniques » . Aujourd'hui, en effet, le seul « axe de performance » de la mission porte précisément sur ces dépenses « techniques » ( cf. infra ).
2. Ventiler les crédits relatifs aux dispositifs fiscaux servant une politique publique : des écueils à éviter
Votre commission des finances s'est prononcée, dès l'origine, pour une ventilation, au sein de leur mission de rattachement « naturel » , des dispositifs fiscaux mis en place pour servir une politique publique déterminée (crédits d'impôt d'Etat, dégrèvements d'impôts locaux). Cette répartition existe déjà s'agissant des dépenses fiscales, présentées dans l'annexe budgétaire relative aux voies et moyens ; elle devrait par conséquent s'avérer relativement aisée pour les remboursements et dégrèvements.
La Cour des comptes, tout en estimant souhaitable une telle ventilation, souligne néanmoins quelles en seraient les limites. A cet égard, elle met en avant trois principales difficultés :
- un risque d'émiettement en plusieurs nouveaux programmes . En effet, les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements » sont des crédits évaluatifs. Conformément à l'article 10 de la LOLF, il est impératif de les isoler dans des programmes spécifiques. Cette nécessité risque donc d'entraîner un certain émiettement des crédits dans de nouveaux programmes et pose la question du devenir des dispositifs de taille insuffisante pour constituer des programmes à part entière ;
- la nécessité de concevoir de nouvelles modalités de pilotage, conciliant le rôle de l'administration fiscale et celui du responsable de programme . En dépit de leur rattachement à des missions spécifiques, les dispositifs de remboursements et dégrèvements continueraient en effet à se trouver gérés, par les administrations fiscales, dans le cadre des impôts de référence, ce qui limiterait le rôle des responsables de programme ;
- le choix des missions d'accueil . Certains dispositifs, notamment les dégrèvements législatifs d'impôts locaux, répondent à plusieurs objectifs. Aussi leur mission d'accueil ne revêt pas un caractère « évident ». Quant à l'hypothèse d'un rattachement global des crédits du programme « Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux » à la mission « Relations avec les collectivités territoriales » , elle ne serait pas sans conséquence sur cette dernière. La Cour des comptes, en effet, met en évidence le faible poids financier de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (2,2 milliards d'euros prévus pour 2008) par rapport aux dégrèvements d'impôts locaux (16,03 milliards d'euros prévus pour 2008), ainsi que le caractère contraint de la gestion des dispositifs actuels de cette mission qui, pour l'essentiel, retrace des dotations de décentralisation ou d'aide à l'investissement public local.
Votre rapporteure spéciale entend les réserves de la Cour des comptes. C'est pourquoi, dans l'immédiat, elle n' estime souhaitable que le rattachement de quelques dispositifs, de taille suffisante, et dont la nature et la « mission d'accueil » sont clairement identifiées. Deux dispositifs pourraient ainsi être concernés : la prime pour l'emploi et le crédit d'impôt recherche. Votre rapporteure spéciale vous proposera un amendement en ce sens ( cf. infra ).
Quant à l'argumentaire développé par le gouvernement, pour justifier son opposition à une telle ventilation, il ne paraît pas pouvoir emporter l'adhésion .
Le gouvernement fait valoir des arguments déjà développés lors de l'examen des projets de loi de finances initiale pour 2006 et pour 2007 : d'une part, le caractère non souhaitable de la coexistence, au sein d'une même mission, des crédits limitatifs et des crédits évaluatifs ; d'autre part, la possible non conformité d'un tel redécoupage avec les dispositions de l'article 40 de la Constitution en ce qui concerne l'exercice du droit d'amendement parlementaire . Selon cette analyse, il conviendrait d'isoler les crédits évaluatifs des crédits limitatifs, afin d'éviter que les parlementaires ne proposent, par voie d'amendement, d'accroître les crédits limitatifs d'un programme à partir d'un programme constitué de crédits évaluatifs.
Votre rapporteure spéciale tient à souligner que :
- d'une part, il n'appartient pas au gouvernement de préjuger de l'exercice du droit parlementaire d'amendement , eu égard aux prérogatives des commissions des finances des deux assemblées et du Conseil constitutionnel en matière de recevabilité financière des amendements ;
- d'autre part, force est de constater que la seule autre mission budgétaire à comporter des crédits évaluatifs, la mission « Engagements financiers de l'Etat », comprend également des crédits limitatifs . La seule exigence organique, en la matière, consiste dans « l'isolement » des crédits évaluatifs en programmes distincts des programmes dotés de crédits limitatifs 14 ( * ) .
3. Le devenir du programme « Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux» : un choix ouvert
Les crédits correspondant à ce programme peuvent être considérés à la fois comme une aide individuelle accordée à certains contribuables et comme un soutien de l'Etat aux collectivités territoriales .
Aussi, deux solutions peuvent être envisagées :
- soit ventiler les crédits correspondant à ces dispositifs entre les différentes missions concernées au sein du budget de l'Etat ;
- soit rattacher le programme à la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
Il convient de noter que la première solution risque de se heurter à la taille restreinte de certains dispositifs, ainsi qu'à la multiplicité des objectifs auxquels contribuent certains dégrèvements et remboursements d'impôts locaux. Toutefois, afin de contribuer utilement à nourrir le débat, votre rapporteure spéciale présentera un amendement « d'appel » au gouvernement en ce sens .
* 11 Rapport d'information n° 8 (2006-2007).
* 12 Les remboursements et dégrèvements font déjà l'objet d'une présentation dans l'annexe « Evaluation des voies et moyens » de chaque projet de loi de finances.
* 13 Article 10 de la LOLF : « Les crédits relatifs aux charges de la dette de l'Etat, aux remboursements, restitutions et dégrèvements et à la mise en jeu des garanties accordées par l'Etat ont un caractère évaluatif. Ils sont ouverts sur des programmes distincts des programmes dotés de crédits limitatifs. ».
* 14 Cette analyse a déjà été développée, en détail, dans les précédents rapports spéciaux relatifs à la présente mission. Cf. rapport général n° 99 (2005-2006), tome III, annexe 24 ; rapport général n° 78 (2006-2007), tome III, annexe 24 ; rapport n° 393 (2006-2007), tome II.