III. LA PRÉSENTATION DU PROJET DE LOI
Le présent projet de loi tend à compléter en quelque sorte le « puzzle » législatif constitué de la loi n°2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information (dite loi DADVSI) et de la loi n° 2009-669 favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet du 12 juin 2009, dite aussi loi « HADOPI », afin de rendre l'ensemble du dispositif de lutte contre le « piratage » sur Internet à la fois pédagogique et dissuasif, tout en prenant en compte la récente décision du Conseil constitutionnel.
En effet, le régime de protection des droits des auteurs, des artistes et des producteurs qui reposait exclusivement, jusqu'à la loi « HADOPI », sur l'incrimination délictuelle, s'est avéré peu adapté au « piratage ordinaire ». Ainsi que le précise l'étude d'impact communiqué par le Gouvernement :
« Conçu pour favoriser la création intellectuelle en réservant à l'auteur un monopole d'exploitation sur son oeuvre, les droits de propriété littéraire et artistique ne sont en aucune façon limités par la nature du support de diffusion. En effet, une oeuvre est protégée du seul fait de la création d'une forme originale . L'originalité s'entend comme le reflet de la personnalité de l'auteur mais la formalisation implique que l'oeuvre soit perceptible (ce qui exclut les simples idées), le mode d'extériorisation ou de matérialisation étant indifférent (écrit, oral, analogique, numérique).
Ainsi, les oeuvres présentes sur les réseaux numériques, qu'elles soient proposées à titre onéreux ou gratuit, bénéficient pleinement de la protection que leur confère le code de la propriété intellectuelle : la méconnaissance du droit d'auteur ou des droits voisins est constitutive des délits de contrefaçon, punis de 3 ans d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende, auxquels s'ajoutent les dommages-intérêts susceptibles d'être accordés à la victime sur le plan civil.
Les sanctions pénales s'appliquent aussi bien à la personne qui propose le téléchargement en ligne de films captés à partir d'une caméra numérique en salle qu'à l'internaute qui transmet à un tiers, par messagerie électronique, un titre qu'il a téléchargé sur un site commercial licite. Elles trouvent application, en toute rigueur, aussi bien à l'égard de celui qui met à disposition un contenu culturel à destination de tiers que de celui qui viendra télécharger ce fichier. Il faut rappeler à cet égard que si les délits de contrefaçon supposent un élément intentionnel, la jurisprudence fait naître une présomption de la matérialité de l'agissement de contrefaçon (lecture ou enregistrement du fichier en l'espèce).
Ces sanctions rigoureuses, bien adaptées à des comportements de contrefaçon accomplis sur grande échelle, à des fins lucratives ou non, par un nombre limité de personnes, paraissent moins adéquates pour les actes accomplis régulièrement par plusieurs millions d'individus, pour quelques dizaines ou quelques centaines de titres musiques ou de films.
Cette inadaptation n'est pas étrangère au fait que les poursuites, et a fortiori les condamnations, rapportées à la masse des infractions, restent rares et le sont d'autant plus restées que depuis l'été 2007, l'engagement du processus ayant débouché sur les accords de l'Élysée et la loi du 12 juin 2009 a conduit les ayants droit à différer toute poursuite contre les pirates « ordinaires ».
Si la loi DADVSI a renforcé les moyens dont disposent les ayants droit à l'encontre des comportements les plus graves, elle n'a en revanche pas apporté de réponse à la question du piratage « ordinaire », la décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006 du Conseil constitutionnel ayant censuré une partie du dispositif.
Comme il sera précisé ci-après, la loi HADOPI prévoit un dispositif de « réponse graduée », que le présent projet de loi vient compléter pour ce qui concerne les sanctions applicables.
Afin de tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel, le projet de loi apporte de nouvelles garanties au regard des sanctions et il consacre le principe selon lequel seul le juge peut suspendre temporairement le droit d'un abonné d'accéder au réseau Internet en cas de téléchargements illégaux.
L' article 1 er du texte confère aux membres de la commission de protection des droits de la Haute autorité et à certains de ses agents, habilités et assermentés à cette fin, des prérogatives de police judicaire leur permettant de constater les infractions et de recueillir les observations des personnes mises en cause.
L' article 2 prévoit la possibilité d'un recours à la procédure du juge unique et aux ordonnances pénales en matière de délits de contrefaçon. L'action des parquets sera guidée par une circulaire du ministre de la justice et des libertés, afin de préciser l'opportunité et les conditions d'utilisation des ordonnances pénales.
L' article 3 du projet de loi, qui introduit au code de la propriété intellectuelle un nouvel article L. 335-7, confie au juge, lorsque les infractions portant sur les droits d'auteur et les droits voisins sont commises au moyen d'un service de communication au public en ligne ou de communications électroniques, la possibilité de prononcer à l'encontre de leurs auteurs une suspension de l'accès au service pour une durée maximale d'un an, assortie de l'interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur. Cette suspension de l'accès sera une « peine complémentaire », sachant que cette dernière peut toujours être prononcée par le juge au titre de la peine principale.
Le juge pourra être saisi, soit par les ayants droit directement, soit par la Haute autorité, à partir des éléments rassemblés dans le cadre des procédures préalables que cette dernière conduira.
L'article 3 prévoit aussi que le fournisseur d'accès sera tenu, sous peine d'une amende délictuelle de 3 750 euros, d'assurer dans les meilleurs délais la mise en oeuvre de la décision judiciaire.
Enfin, il prévoit la possibilité pour le pouvoir réglementaire de recourir à la suspension de l'accès à Internet, comme peine complémentaire d'une éventuelle contravention (amende de 5 e classe).
L' article 4 vise à sanctionner la violation, par l'abonné condamné, de l'interdiction de souscrire un nouvel abonnement pendant la durée de suspension qui lui est imposée. Il prévoit, à cet effet, un renvoi à l'article 434-41 du code pénal, qui réprime d'une peine de 2 ans de prison et 30 000 euros d'amende les atteintes à l'autorité de la justice pénale lorsque celles-ci prennent la forme d'un non-respect de certaines peines.
Enfin, l' article 5 précise que la loi sera applicable sur l'ensemble du territoire de la République, à l'exception de la Polynésie française.