B. LA DOUBLE PEINE DES OFFRES INDÉCENTES
Le sentiment de colère et d'injustice est d'autant plus fort lorsque l'employeur propose des offres de reclassement à l'étranger sur des postes dont la rémunération est parfois inférieure à une centaine d'euros.
Les salariés sont alors soumis, pour reprendre la percutante expression de Philippe Folliot, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, à « une double peine » : peur d'être licencié et dévalorisation professionnelle.
Les exemples récents de ce type de situation ne manquent pas :
- en mars 2008, des salariés de l'entreprise Staf, filiale du groupe italien Sinterama, se sont vu proposer des offres de reclassement au Brésil pour 315 euros et en Turquie pour 230 euros mensuels ;
- en juin 2009, l'entreprise de textile Carreman, à Castres, a transmis à ses ouvriers menacés de licenciement économique des propositions de reclassement en Inde sur des postes rémunérés 69 euros par mois ;
- en mars 2010, les salariés de l'usine Continental de Clairoix ont reçu des offres de reclassement en Tunisie assortis d'une rémunération de 137 euros mensuels.
Les employeurs eux-mêmes, dans l'immense majorité des cas, ne se soumettent à l'obligation légale de présenter aux salariés l'ensemble des propositions de reclassement disponibles dans le groupe qu'à contrecoeur car la médiatisation des offres indécentes ne peut que nuire gravement à l'image de l'entreprise.
C. L'AMBIGUÏTÉ D'UNE OBLIGATION SANS PRÉREQUIS
Imposée à l'origine par la Cour de cassation dans les années quatre-vingt-dix, l'obligation mondiale et inconditionnelle de reclassement visait essentiellement à empêcher certains grands groupes internationaux de délaisser leurs cadres devenus moins rentables : un manager dont l'entreprise avait encouragé la mobilité internationale devait pouvoir bénéficier de la totalité des offres du groupe, dans l'ensemble des pays hébergeant un établissement ou une filiale, avant d'être éventuellement licencié.
Avec le temps, l'obligation a pu apparaître ensuite comme un moyen de pression donné aux salariés en cas de licenciement économique : difficile à mettre en oeuvre 1 ( * ) , elle a souvent placé l'employeur en situation de fragilité juridique et permis aux salariés de contester avec succès la procédure de licenciement.
Présentée comme un encouragement au reclassement des salariés dans une économie mondialisée, la loi a donc plutôt fonctionné comme un outil de sanction indirecte des entreprises recourant aux délocalisations.
* 1 Par exemple, on imagine la difficulté, si ce n'est l'impossibilité, pour un directeur des ressources humaines d'un établissement de l'entreprise Siemens situé en France à recenser les offres d'emploi disponibles, au moment du licenciement, dans les 1 224 filiales du groupe.