C. DES PERSPECTIVES PRÉOCCUPANTES POUR LA ZONE EURO
Au-delà de la situation particulière des Etats dits « périphériques », les perspectives sont préoccupantes pour l'ensemble de la zone euro. Elles sont d'ailleurs renforcées par la faiblesse dont les Etats membres ont fait preuve à l'égard de l'Irlande.
1. Les doutes des marchés sur la viabilité de la zone euro
Certes, comme on l'a indiqué ci-avant, les 750 milliards d'euros du mécanisme européen de stabilisation et du FMI devraient permettre de couvrir le besoin de financement de l'Irlande, du Portugal et de l'Espagne pour les trois prochaines années, de l'ordre de 400 millions d'euros selon Natixis 6 ( * ) .
Cependant, le fond du problème est que les marchés tendent à douter de la viabilité à long terme de la zone euro. Contrairement par exemple aux Etats-Unis, la zone euro n'est pas une « zone monétaire optimale ». En effet, les Etats victimes d'un choc asymétrique, qui ont perdu la capacité de dévaluer, ne bénéficient pas de transferts budgétaires significatifs de la part des autres Etats membres, alors que la mobilité de la population active est très faible au sein de l'Union.
Comme la crise du système européen en 1992-93, la crise actuelle comprend une forte composante autoréalisatrice. Plus les marchés estiment qu'un Etat risque de faire défaut, plus ils tendent à exiger de sa part des taux d'intérêt élevés, aggravant le risque de défaut. Elle rappelle la crise du SME en 1992 et 1993, qui trouvait son origine dans la conviction des marchés que certains Etats avaient intérêt à en sortir.
Par ailleurs, l'appartenance à la zone euro, qui jusqu'alors avait joué un rôle protecteur, voire anesthésiant, devient désormais un facteur de fragilisation pour certains Etats. En effet, alors que le risque de change a disparu, il devient pour les marchés rationnel de donner au risque souverain, aussi faible soit-il a priori , une importance prépondérante. Dans ces conditions, deux Etats dans des situations budgétaires voisines peuvent connaître des conditions de financement très différentes. Ainsi, le Portugal, dont la croissance, le déficit public et la dette publique fin 2009 étaient analogues à ceux de la France, a vu ses conditions de financement se dégrader de manière spectaculaire, l'obligeant à des efforts budgétaires considérables, aggravant sa situation économique. Il est vrai que les structures économiques et le potentiel de croissance de la France et du Portugal ne sont pas comparables.
2. Le maintien de la crédibilité de la France exigera des efforts importants
Certes, la France dispose d'un marché de dette publique plus important et plus liquide, ce qui lui permet, toutes choses égales par ailleurs, de disposer de meilleures conditions de financement qu'un pays comme le Portugal. Par ailleurs, les investisseurs ont besoin d'acquérir des titres en euros, de sorte qu'une crise de la dette généralisée à l'ensemble de la zone euro ne paraît pas possible.
Il n'en est pas moins nécessaire que la France mette tout en oeuvre pour continuer à demeurer du « bon côté de la barrière ». Les déclarations fracassantes de certains commentateurs 7 ( * ) montrent que la confiance dans la capacité de la France à rétablir la soutenabilité de ses finances publiques ne va pas de soi.
De ce point de vue, les perspectives à moyen terme des finances publiques françaises sont préoccupantes. Avec une croissance du PIB en valeur de 4 % et un déficit de 6 points de PIB, la dette publique se stabilise à 150 points de PIB, ce qui ne serait de toute évidence pas soutenable. Il importe donc que la France montre qu'elle est capable de ramener rapidement son déficit en deçà de 4 points de PIB, niveau lui permettant de stabiliser sa dette à 100 points de PIB.
Or, comme votre rapporteur général l'a souvent souligné, il n'est pas impossible que le déficit public français demeure de l'ordre de 6 points de PIB pendant encore plusieurs années. Ainsi, la Commission européenne prévoit pour 2012 un déficit de 5,8 points de PIB, comme le montre le tableau ci-après.
Les prévisions de solde public par la Commission européenne
(en points de PIB)
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
|
Belgique |
0,2 |
-0,3 |
-1,3 |
-6 |
-4,8 |
-4,6 |
-4,7 |
Allemagne |
-1,6 |
0,3 |
0,1 |
-3 |
-3,7 |
-2,7 |
-1,8 |
Estonie |
2,4 |
2,5 |
-2,8 |
-1,7 |
-1 |
-1,9 |
-2,7 |
Irlande |
2,9 |
0 |
-7,3 |
-14,4 |
-32,3 |
-10,3 |
-9,1 |
Grèce |
-5,7 |
-6,4 |
-9,4 |
-15,4 |
-9,6 |
-7,4 |
-7,6 |
Espagne |
2 |
1,9 |
-4,2 |
-11,1 |
-9,3 |
-6,4 |
-5,5 |
France |
-2,3 |
-2,7 |
-3,3 |
-7,5 |
-7,7 |
-6,3 |
-5,8 |
Italie |
-3,4 |
-1,5 |
-2,7 |
-5,3 |
-5 |
-4,3 |
-3,5 |
Chypre |
-1,2 |
3,4 |
0,9 |
-6 |
-5,9 |
-5,7 |
-5,7 |
Luxembourg |
1,4 |
3,7 |
3 |
-0,7 |
-1,8 |
-1,3 |
-1,2 |
Malte |
-2,7 |
-2,3 |
-4,8 |
-3,8 |
-4,2 |
-3 |
-3,3 |
Pays-Bas |
0,5 |
0,2 |
0,6 |
-5,4 |
-5,8 |
-3,9 |
-2,8 |
Autriche |
-1,5 |
-0,4 |
-0,5 |
-3,5 |
-4,3 |
-3,6 |
-3,3 |
Portugal |
-4,1 |
-2,8 |
-2,9 |
-9,3 |
-7,3 |
-4,9 |
-5,1 |
Slovénie |
-1,3 |
0 |
-1,8 |
-5,8 |
-5,8 |
-5,3 |
-4,7 |
Slovaquie |
-3,2 |
-1,8 |
-2,1 |
-7,9 |
-8,2 |
-5,3 |
-5 |
Finlande |
4 |
5,2 |
4,2 |
-2,5 |
-3,1 |
-1,6 |
-1,2 |
Zone euro |
-1,4 |
-0,6 |
-2 |
-6,3 |
-6,3 |
-4,6 |
-3,9 |
Bulgarie |
1,9 |
1,1 |
1,7 |
-4,7 |
-3,8 |
-2,9 |
-1,8 |
République tchèque |
-2,6 |
-0,7 |
-2,7 |
-5,8 |
-5,2 |
-4,6 |
-4,2 |
Danemark |
5,2 |
4,8 |
3,2 |
-2,7 |
-5,1 |
-4,3 |
-3,5 |
Lettonie |
-0,5 |
-0,3 |
-4,2 |
-10,2 |
-7,7 |
-7,9 |
-7,3 |
Lituanie |
-0,4 |
-1 |
-3,3 |
-9,2 |
-8,4 |
-7 |
-6,9 |
Hongrie |
-9,3 |
-5 |
-3,7 |
-4,4 |
-3,8 |
-4,7 |
-6,2 |
Pologne |
-3,6 |
-1,9 |
-3,7 |
-7,2 |
-7,9 |
-6,6 |
-6 |
Roumanie |
-2,2 |
-2,6 |
-5,7 |
-8,6 |
-7,3 |
-4,9 |
-3,5 |
Suède |
2,3 |
3,6 |
2,2 |
-0,9 |
-0,9 |
-0,1 |
1 |
Royaume-Uni |
-2,7 |
-2,7 |
-5 |
-11,4 |
-10,5 |
-8,6 |
-6,4 |
Union européenne |
-1,5 |
-0,9 |
-2,3 |
-6,8 |
-6,8 |
-5,1 |
-4,2 |
Etats-Unis |
-2 |
-2,8 |
-6,2 |
-11,2 |
-11,3 |
-8,9 |
-7,9 |
Japon |
-1,6 |
-2,4 |
-2,1 |
-6,3 |
-6,5 |
-6,4 |
-6,3 |
Source : Commission européenne, prévisions économiques de l'automne 2010, 29 novembre 2010
Le déficit de la France serait alors supérieur non seulement à celui de la zone euro (de 3,9 points de PIB), mais aussi à celui des autres grands Etats : Allemagne (1,8 point de PIB), Italie (3,5 points de PIB), Espagne (5,5 points de PIB).
Dans ces conditions, le risque que la France se retrouve classée par les marchés parmi les « mauvais élèves » de la zone euro ne peut être écarté a priori .
Un premier facteur déterminant sera l'évolution de la situation économique. Si la croissance des dépenses publiques était de 1 % par an en volume (ce qui est supérieur à l'objectif du Gouvernement, de 0,6 %, mais plus de deux fois inférieur à la tendance observée depuis le début des années 2000), le déficit se réduirait de 0,5 point par an avec une croissance de 2 %, mais ne se réduirait plus avec une croissance de 1 % par an (hors mesures sur les recettes). Si la zone euro devait connaître une croissance de l'ordre de 1 % par an pendant plusieurs années, la réduction du déficit pourrait donc être très difficile, voire impossible.
Un deuxième facteur déterminant sera la politique de finances publiques. Il convient de trouver un juste milieu entre une rigueur excessive qui casserait la croissance et ne serait pas crédible, et le laxisme auquel notre pays est habitué.
La commission des finances s'est efforcée de contribuer à la définition d'une telle voie moyenne, à l'occasion de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014. Elle a en effet obtenu que soit inscrit dans le rapport annexé l'engagement du Gouvernement de prendre les mesures supplémentaires nécessaires pour ramener le déficit à 3 points de PIB en 2013 si la croissance du PIB était de seulement 2 % à partir de 2012 8 ( * ) . Certes, la croissance risque d'être inférieure à 2 % mais cet engagement en termes d'effort structurel présente l'intérêt d'être réaliste, ce qui n'est pas le cas d'un objectif intangible de fin du déficit excessif en 2013, quelles que soient les conditions économiques.
L'année 2012 constituera, à n'en pas douter, un rendez-vous décisif.
* 6 Natixis, Eco Hebdo n°44, 3 décembre 2010.
* 7 On peut citer en particulier celles de l'économiste américain Nouriel Roubini, qui, le 19 novembre 2010, a estimé, lors d'un entretien télévisé, que les finances publiques de la France n'étaient pas « en bien meilleur état » que celles de pays surendettés de la zone euro comme la Grèce ou l'Irlande (Le Monde, 19 novembre 2010).
* 8 Lors de sa réunion du 27 octobre 2010, elle a inséré au texte un scénario alternatif, reposant sur l'hypothèse d'une croissance du PIB de 2 % de 2011 à 2014 (contre 2,5 % selon le Gouvernement), qui aboutissait à un déficit de 3,8 points de PIB en 2013, la fin du déficit excessif étant repoussée à 2014. Ce scénario alternatif avait pour objet d'inciter le Gouvernement à préciser dans la loi ses intentions au cas où croissance serait inférieure à ses hypothèses. Conformément à l'engagement pris par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique lors de l'examen du texte par votre commission des finances, le Gouvernement a présenté en séance publique, le 3 novembre 2010, un amendement, adopté par le Sénat avec un avis favorable de votre commission des finances, indiquant dans le rapport annexé que si la croissance était inférieure de 0,5 point aux hypothèses du projet de loi, le Gouvernement réaliserait un effort supplémentaire de 4 à 6 milliards d'euros par an, voire davantage en cas d'« évolution moins favorable du taux de chômage » ou d'« élasticité des prélèvements obligatoires au PIB moins élevée ». Le texte précise que cet effort reposerait sur « des mesures d'économies supplémentaires sur les dépenses et les niches fiscales ou sociales ». Votre commission des finances a ensuite, par coordination, donné un avis favorable à l'amendement du Gouvernement supprimant ce scénario alternatif.