B. UNE PREMIÈRE OPTION : DÉNIER, PAR PRINCIPE, TOUT INTÉRÊT À AGIR AUX PARLEMENTAIRES EN CETTE SEULE QUALITÉ
Sous des dehors techniques, la présente proposition de loi pose des questions essentielles , tant en ce qui concerne les moyens d'action des députés et sénateurs pour la défense des prérogatives du Parlement que sur le rôle et la place du Conseil d'Etat.
Une première option consiste à dénier, par principe, tout intérêt à agir aux parlementaires en cette seule qualité, afin d'éviter une dénaturation tant de la fonction parlementaire que de la fonction juridictionnelle du Conseil d'Etat.
1. Une dénaturation de la fonction parlementaire
En premier lieu, certaines personnes entendues par votre rapporteur considèrent que la présente proposition de loi conduit à une dénaturation de la fonction parlementaire.
C'est également la position de M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement. Ce dernier, lors du débat sur l'édiction des mesures règlementaires d'application des lois, organisé au Sénat le 12 janvier 2011, s'est exprimé sur la présente proposition de loi.
Il a craint qu'une telle initiative n'« instaure une confusion des rôles ». Il a ajouté que cela correspondrait, selon lui, « à un renoncement au pouvoir du Parlement en la matière. La Constitution donne en effet aux parlementaires, notamment aux sénateurs, la possibilité de s'engager dans le contrôle de l'application des lois. Le ministre chargé des relations avec le Parlement vous le dit : vous ne devez pas renoncer à ce pouvoir au bénéfice des tribunaux. Ils ne sont pas là pour cela. C'est votre rôle ! »
Autrement dit, le parlementaire n'aurait pas, selon lui, vocation à agir sur le terrain judiciaire pour défendre les droits du Parlement, mais uniquement sur le terrain politique et ce par les moyens reconnus aux parlementaires par la Constitution et les règlements des assemblées (motion de censure, questions écrites et orales, rapports...).
En paraphrasant Clausewitz, on pourrait résumer ainsi cette position :
« Le recours pour excès de pouvoir n'a pas pour finalité la continuation, par d'autres moyens, du débat parlementaire ».
2. Un dévoiement de la fonction juridictionnelle
En second lieu, certaines personnes entendues redoutent que la présente proposition de loi ne conduise à un afflux de litiges et à une dénaturation de la fonction juridictionnelle du Conseil d'Etat.
C'est le second point qui a suscité le plus d'interrogations lors des auditions : le dispositif proposé est-il conforme à l'office du juge administratif ? Pourrait-il conduire le prétoire du Conseil d'Etat à se trouver arbitrer entre des parlementaires et le Gouvernement ? Le Conseil d'Etat n'exercerait-il pas alors une fonction politique plus que juridique ? N'y a-t-il pas un risque d'instrumentalisation de la haute juridiction ? de dérive vers un « gouvernement des juges » ?
Comme le soulignent très justement M. Thierry Rambaud et Mme Agnès Roblot-Troizier dans la note précitée 17 ( * ) , le Conseil d'Etat « entend ne pas faire figure d'arbitre entre les pouvoirs publics, sanctionnant, sur demande d'un parlementaire, l'empiètement du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif. Car, lorsque, saisi par un requérant lambda, le juge administratif annule un décret qui empiète sur la compétence législative, il est le censeur d'un acte pris par une autorité administrative et contesté par un administré. Si le requérant se prévaut de sa qualité de parlementaire et invoque l'atteinte aux prérogatives du Parlement, ce n'est plus l'administré qui est protégé mais le Parlement, ce n'est plus l'autorité administrative qui est sanctionnée mais le pouvoir exécutif. Bien sûr, la réalité juridique est parfaitement identique et cette différence n'est que symbolique, mais admettre l'intérêt à agir des parlementaires en cette qualité, c'est prendre le risque d'apparaître comme une juridiction exerçant une fonction politique ».
Par ailleurs, comme l'a relevé, lors de son audition, M. Bernard Stirn, président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le dispositif envisagé par la proposition de loi revient à créer pour les parlementaires un recours sui generis dont la recevabilité est appréciée au regard, non de la nature de l'acte, mais de la nature des moyens soulevés, ce qui constituerait une innovation forte en matière de procédure administrative contentieuse. Autrement dit, le recours du parlementaire ne serait recevable que si le Conseil d'Etat estime que le moyen invoqué est bien tiré d'une atteinte aux prérogatives du Parlement.
* 17 RFDA, 2010, p. 996.