B. 2000, LA LUTTE CONTRE LES PARADIS FISCAUX PAR LA VOIE DU BILATÉRALISME
1. La prise de conscience internationale face à l'évasion fiscale transfrontalière
La révision de la Convention s'inscrit dans le contexte de lutte contre les paradis fiscaux, initiée dès 1998 par l'OCDE.
Dans un rapport intitulé « Concurrence fiscale dommageable : un problème mondial », l'Organisation a analysé les pratiques anticoncurrentielles visant à favoriser l'évasion fiscale transfrontalière. Quatre critères tendant à définir la notion de « paradis fiscal » ont alors été fixés :
- des impôts directs insignifiants ou inexistants ;
- l'absence de transparence sur le régime fiscal ;
- la rareté d'activités économiques substantielles ;
- enfin, l'absence de transmission d'informations de nature fiscale aux autorités fiscales des autres pays.
2. La concrétisation : un Forum, deux accords, trois listes sous surveillance
a) Le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements en matière fiscale
La définition des critères ci-dessus a conduit dans un premier temps l'OCDE à publier en 2000 une liste de trente-cinq Etats ou territoires qualifiés d'Etats et territoires non coopératifs.
Afin de favoriser la mise en oeuvre des recommandations de l'Organisation en matière de transparence, cette dernière a mis en place la même année en son sein un « Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales ». Ce dernier constitue le coeur du dispositif multilatéral des réflexions et des cycles de négociation des accords. Il réunit actuellement 102 membres , considérés sur un pied d'égalité. On compte parmi eux les Etats du G 20, les Etats membres de l'OCDE et l'ensemble des « juridictions » extraterritoriales.
b) Deux accords
Le cadre bilatéral d'échange de renseignements sur demande établi par l'OCDE connaît une double déclinaison : le modèle de convention de double imposition concernant le revenu et la fortune , d'une part, et l'« accord sur l'échange de renseignements en matière fiscale » ( Tax information exchange agreement ou TIEA) , d'autre part.
Si la convention de suppression de doubles impositions 7 ( * ) a pour objectif d'éviter toute perte financière liée au risque de doubles impositions, elle contient un article 26 qui prévoit l'échange de renseignements sur demande entre les parties à la convention.
Non contraignant, ce modèle a servi de cadre de référence à plus de 3 000 conventions fiscales dans le monde. Révisé régulièrement par le Comité des affaires fiscales, la modification de 2005 constitue une avancée primordiale en matière d'assistance fiscale. Au terme de l'ajout de deux nouveaux paragraphes 8 ( * ) , l'Etat requis doit répondre à la demande de renseignements sans pouvoir invoquer le secret bancaire, ni même l'absence d'un intérêt fiscal national.
S'agissant de l'accord cadre d'échange de renseignements de l'OCDE ( TIEA ), élaboré en 2002 dans l'enceinte du Forum mondial 9 ( * ) , il a pour objet la promotion de l'assistance fiscale internationale par la voie de l'échange de renseignements.
Cet instrument tend à combattre les comportements fiscaux dommageables issus de la disparité des pratiques, dans un contexte de concurrence financière exacerbée. Ainsi que le souligne l'Organisation dans l'introduction de l'accord cadre : « [...] il est essentiel que les centres financiers du monde entier se conforment aux normes d'échange de renseignements fixées dans le présent document. Il faudrait encourager autant d'économies que possible à coopérer à cette importante initiative ».
Ces standards qui sont dépourvus de force juridique contraignante, prévoient que :
L'échange est effectué sur la demande d'une partie à l'accord. Il concerne des informations de toute nature 10 ( * ) « vraisemblablement pertinentes pour l'application de la législation interne de l'Etat requérant » ;
Cet échange ne peut être restreint par le secret bancaire ou l'absence d'intérêt fiscal national ;
La transmission des informations doit être réalisée dans le respect des droits des contribuables afin de garantir un juste équilibre entre la protection de la vie privée, d'une part, et la nécessité pour les Etats de faire respecter leur législation fiscale, d'autre part.
L'enjeu de la conclusion d'un accord TIEA réside pour l'Etat signataire dans les conséquences qu'en tire l'OCDE sur le plan de la qualification de « paradis fiscal ».
c) Trois listes
En effet, un Etat est considéré comme « coopératif » s'il a signé au moins douze accords d'échange de renseignements . Il figure alors sur la « liste blanche ».
En revanche, la « liste noire », rassemble les Etats qui n'ont pris aucun engagement en termes d'échange de renseignements alors qu'une liste dite « grise » regroupe ceux qui, tout en s'étant engagés à respecter les standards de l'OCDE, n'ont pas encore signé le nombre minimal de douze accords.
L'établissement des trois listes, le 2 avril 2009, a eu pour objet de donner un nouvel élan à l'échange de renseignements en l'absence, dans un premier temps, d'une volonté politique internationale suffisamment forte. Seuls vingt-trois accords d'échange de renseignements fiscaux avaient été conclus à la fin de l'année 2007.
La prise de conscience internationale de la nécessité de mettre fin à l'opacité fiscale s'est exprimée lors du sommet du G 20 de Washington (novembre 2008). Elle se manifesta plus concrètement lors du sommet du G 20 de Londres (avril 2009) et de Pittsburgh (septembre 2009) qui ont conçu le système d'identification des paradis ainsi que leur surveillance.
La publication de la liste noire a eu, pour conséquence immédiate, d'obtenir l'engagement des quatre Etats non coopératifs qui y figuraient, de conclure les douze accords nécessaires à leur retrait de la liste. Il s'agit du Costa Rica, des Philippines, de l'Uruguay et de la Malaisie.
Quant à la liste grise, trente-trois des trente-huit Etats initialement inscrits sont parvenus à signer au moins douze accords depuis 2009. Au total plus de 700 accords TIEAS ou amendements aux conventions de suppression de double imposition ont ainsi été signés depuis fin 2008.
Rapport d'étape sur la mise en oeuvre de la norme fiscale internationale par les juridictions examinées par le Forum mondial de l'OCDE au 14 septembre 2011
Juridictions qui ont effectivement appliqué la norme fiscale internationale |
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Andorre Anguilla Antigua et Barbuda Argentine Aruba Australie Autriche Bahamas Bahreïn Barbade Belgique Belize Bermudes Brésil Brunei Iles Vierges britanniques Canada Iles Caïmans Chili Chine Chypre Iles Cook |
Costa Rica Curaçao République tchèque Danemark Dominique Estonie Finlande France Allemagne Gibraltar Grèce Grenade Guernesey Hong Kong Hongrie Islande Inde Indonésie Irlande Ile de Man Israël Italie Japon |
Jersey Corée Libéria Liechtenstein Luxembourg Macao Malaisie Malte Iles Marshall Ile Maurice Mexique Monaco Pays-Bas Nouvelle-Zélande Norvège Panama Philippines Pologne Portugal Qatar Russie Saint-Christophe-et-Niévès |
Sainte-Lucie Saint-Vincent-et-les-Grenadines Samoa Saint-Marin Seychelles Singapour Saint-Martin République slovaque Slovénie Afrique du Sud Espagne Suède Suisse Turquie Iles Turques et Caïques Emirats Arabes Unis Royaume-Uni Etats-Unis Iles Vierges américaines Vanuatu |
Source : OCDE
Juridictions qui ont pris l'engagement de respecter la norme fiscale internationale mais ne l'ont pas encore réellement mis en oeuvre |
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Juridiction |
Année de l'engagement |
Nombre d'accords |
Juridiction |
Année de l'engagement |
Nombre d'accords |
Paradis fiscaux 1 |
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Montserrat Nauru |
2002 2003 |
(11) (0) |
Nioué |
2002 |
(0) |
Autres centres financiers |
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Guatemala |
2009 |
(0) |
Uruguay |
2009 |
(10) |
Juridictions qui ne se sont pas engagées à respecter la norme fiscale internationale |
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Juridiction |
Nombre d'accords |
Juridiction |
Nombre d'accords |
Toutes les juridictions examinées par le Forum mondial se sont désormais engagées à respecter la norme fiscale internationale |
1. Ces juridictions ont été identifiées en 2000 comme répondant aux critères des paradis fiscaux tels qu'ils sont définis dans le rapport de 1998 de l'OCDE.
Source : OCDE
Afin de donner une pleine effectivité aux accords ainsi conclus, un mécanisme de contrôle a été mis en place dans le cadre du Forum mondial.
d) La mise en oeuvre de la surveillance des engagements des Etats en matière de transparence fiscale
Le Forum mondial a été restructuré et mandaté en 2009 afin de mettre en oeuvre un programme d'évaluation de la transparence et de l'échange de renseignements en matière fiscale sur trois ans .
Il convient de souligner que ce contrôle peut également porter sur des Etats ou territoires non membres du Forum mondial mais jugés comme nécessitant une attention particulière en matière de coopération fiscale.
L'évaluation de cent deux Etats qui se déroule en deux temps, est conduite par les Pairs ( Peer review ), c'est-à-dire deux Etats assistés d'un membre du secrétariat du Forum mondial.
Le contrôle de la première phase porte sur l'analyse du dispositif législatif et réglementaire de l'Etat ainsi que sur la pertinence du réseau conventionnel . Le Forum a ainsi souhaité prévenir toute stratégie qui aurait conduit des Etats non coopératifs à conclure douze accords d'échange entre eux.
Le bilan quantitatif et qualitatif de la mise en application concrète de la norme OCDE est , quant à lui, réalisé lors de la seconde phase. L'effectivité de l'échange est appréciée à l'aune de dix éléments permettant d'évaluer la disponibilité, l'accès et l'échange des renseignements 11 ( * ) .
Chaque examen donne lieu à la remise d'un rapport qui est adopté par les membres du Forum mondial. Il comporte éventuellement des recommandations indiquant les éléments devant être améliorés afin de se conformer aux standards définis par l'OCDE. Le groupe des Pairs a procédé à l'examen de quarante-six Etats et territoires au 12 septembre 2011.
Les huit premiers rapports publiés lors de la réunion du Forum mondial du 30 septembre 2010 ont concerné les Bermudes, le Botswana, les îles Caïmans, l'Inde, la Jamaïque, Monaco, le Panama et le Qatar. Seuls le Panama et le Botswana ont fait l'objet de recommandations conditionnant leur passage à la phase 2.
La deuxième réunion du Forum mondial s'est tenue le 28 janvier 2011 . Si les rapports consacrés à Guernesey, à l'Australie, au Danemark, à l'Irlande et à la Norvège ont été favorables, des recommandations ont été formulées à l'encontre de la Barbade, de Trinidad-et-Tobago, de Saint-Marin, des Seychelles et de l'Île Maurice.
De nombreux progrès ont été soulignés lors de la troisième réunion du Forum mondial le 14 avril 2011 . Ont été adoptés les rapports relatifs au Canada, à l'Allemagne ainsi que sous réserve de recommandations, ceux concernant Aruba, les Bahamas, le Ghana, l'Estonie et la Belgique.
Le Forum qui s'est tenu les 31 mai et 1 er juin 2011 a adopté les rapports concernant l'Italie, l'Île de Man, la Nouvelle Zélande, les Etats-Unis, la France, la Hongrie, les Philippines, Singapour et la Suisse. Sous réserve de délais jugés trop longs dans les réponses aux demandes adressées à la France, cette dernière a été jugée comme satisfaisant à l'ensemble des éléments de conformité à la norme OCDE. Le Forum a en outre salué l'étendue de son réseau conventionnel.
Votre rapporteure relève que s'agissant de la Suisse , certains des dix éléments permettant de qualifier l'effectivité de l'accès et de la disponibilité des échanges ne sont pas encore mis en oeuvre. Ainsi, les mécanismes d'identification d'actions au porteur ne sont pas totalement conformes aux standards. De surcroît, l'information bancaire n'est pas totalement disponible, s'agissant des demandes formulées dans le cadre d'accords entrés en vigueur avant le 1 er octobre 2010, sous réserve des cas de fraude.
Les conclusions sur Jersey n'ont pu être adoptées lors du Forum du 1 er juin , en raison d'une objection soulevée par la Norvège qui a été par la suite levée. Le rapport sera soumis pour approbation lors du prochain Forum qui se tiendra les 25 et 26 octobre 2011.
Votre commission des Finances sera particulièrement vigilante quant aux résultats de cet examen. Lors de l'audition du sénateur Terry le Sueur, Premier ministre de Jersey, devant votre commission le 1 er juin 2011, ce dernier a contesté la qualification de « paradis fiscal ». Il a illustré sa volonté de coopérer en matière fiscale en précisant que lors d'une demande de renseignement, « Si l'identification du compte bancaire n'est pas obligatoire, elle est, en pratique, bienvenue en raison du grand nombre de banques présentes sur l'île (plus d'une quarantaine). En l'absence d'une telle indication, les autorités de Jersey font face à des difficultés pour obtenir les informations requises dans les délais prévus. Le manque de précision, notamment, quant à l'identité de l'institution financière, ne conduit pas à un refus de notre part. Cependant, dans un tel cas, la recherche d'informations peut s'avérer longue. Nous n'exigeons pas d'avoir toutes les informations, contrairement à certains territoires. »
Douze rapports supplémentaires ont été adoptés dans le cadre d'une procédure écrite le 12 septembre 2009 . Deux Etats n'ont pas été admis en seconde phase, il s'agit des Îles Vierges britanniques et des îles Turques et Caïques. En dépit des progrès constatés, afin d'améliorer le cadre légal et règlementaire de l'échange de renseignements, la revue des Pairs a jugé que leur système d'information comptable ne permettait pas un échange effectif.
Dix autres Etats ont fait l'objet de conclusions favorables sous réserve d'apporter quelques modifications à leur législation. Ainsi, le Royaume-Uni, l'Autriche et le Liechtenstein doivent notamment accroître les mécanismes d'identification de propriété de certains titres. Quant au Luxembourg, la revue des Pairs relève que le cadre juridique ne permet pas de garantir, en « toutes circonstances », l'accès à l'information sur la propriété des sociétés. De surcroît, la disponibilité de ses informations bancaires doit être renforcée. L'Andorre, Anguilla, Antigua et Barbuda, Bahreïn, Curaçao, Saint-Christophe et Nieves doivent améliorer l'identification des bénéficiaires des trusts et de toutes sociétés internationales implantées sur leurs territoires.
* 7 Une première version de cette convention a été élaborée en 1958. Le modèle final a été adopté en 1963, révisé en 1977, puis modifié sur une base annuelle depuis 1996 dans le cadre du Forum mondial réunissant les hauts fonctionnaires spécialisés dans le domaine des conventions fiscales.
* 8 Cf. paragraphes 4 et 5 du modèle de convention de suppression des doubles impositions de l'OCDE.
* 9 Le groupe de travail était composé de représentants des pays membres de l'OCDE ainsi que de délégués d'Aruba, des Bermudes, de Bahreïn, des Îles Caïmans, de Chypre, de l'Île de Man, de Malte, de l'Île Maurice, des Antilles néerlandaises, des Seychelles et de Saint-Marin.
* 10 Les renseignements peuvent être bancaires, fiduciaires, ou encore concerner la propriété de sociétés...
* 11 1. Les juridictions doivent s'assurer que leurs autorités compétentes ont à leur disposition des renseignements relatifs à la propriété et à l'identité pour l'ensemble des entités et arrangements pertinents.
2. Les juridictions doivent s'assurer que des registres comptables fiables sont tenus pour l'ensemble des entités et arrangements pertinents.
3. Les renseignements bancaires doivent être disponibles pour tous les titulaires de comptes.
4. Les autorités compétentes doivent avoir le pouvoir d'obtenir les informations faisant l'objet d'une demande au titre d'un accord d'échange de renseignements de toute personne relevant de leur compétence territoriale qui détient ou contrôle ces renseignements, et de communiquer ces mêmes renseignements.
5. Les droits et protections s'appliquant aux personnes relevant de la compétence territoriale doivent être compatibles avec un échange efficace de renseignements.
6. Les mécanismes d'échange de renseignements doivent permettre un échange efficace de renseignements.
7. Le réseau de mécanismes d'échange de renseignements des juridictions doit couvrir tous les partenaires concernés.
8. Les mécanismes d'échange de renseignements des juridictions doivent comporter des dispositions garantissant la confidentialité des renseignements reçus.
9. Les mécanismes d'échange de renseignements doivent respecter les droits et protections des contribuables et des tiers.
10. La juridiction doit fournir en temps opportun les renseignements demandés en vertu de son réseau de conventions.