II. LA PROPOSITION DE RÉVISION DE LA DIRECTIVE « MARCHÉS D'INSTRUMENTS FINANCIERS » (MIF II)
A. LE CALENDRIER DE LA DISCUSSION
La directive « marchés d'instruments financiers » (MIF) 2004/39/CE a été adoptée le 21 avril 2004 et est entrée en vigueur le 1 er novembre 2007. En juillet 2010, soit après un peu moins de trois ans d'application de la directive, la Commission européenne a lancé une consultation publique en vue de sa révision.
Elle a ainsi proposé, le 20 octobre 2011, un « paquet MIF II » comprenant à la fois une refonte complète de la directive de 2004 (proposition MIFID) et une proposition de règlement qui intègre certains éléments de la directive initiale, notamment s'agissant des questions de transparence pré-négociation.
Les deux textes ont été transmis au Parlement européen qui, à ce stade, a prévu de les examiner en commission le 9 juillet 2012 et en séance plénière le 11 septembre 2012. Les textes définitifs pourraient donc être publiés, au mieux, d'ici la fin de l'année 2012.
B. RÉVISER ET COMPLÉTER MIF I : UNE IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ
1. MIF I : un échec conceptuel
La directive MIF I a défini une nouvelle organisation des marchés des actions en supprimant, là où elle existait, la concentration des ordres en un lieu unique (la Bourse) et en promouvant la concurrence entre plates-formes de négociation pour favoriser l'innovation et la baisse des coûts d'exécution des transactions.
Ainsi, à coté des Bourses traditionnelles (appelées désormais « marchés réglementés »), sont apparus des « systèmes multilatéraux de négociation » (SMN ou MTF en anglais) ; ces deux catégories forment l'ensemble des « marchés régulés ».
Sur un marché devenu fragmenté, où il est désormais possible d'acheter une action « Renault » aussi bien à Paris, à Londres qu'à Budapest, l'enjeu de la directive MIF I était alors de préserver une équité dans la formation et la découverte des prix , qui doivent se réaliser dans la plus grande transparence.
a) MIF I n'a pas atteint les objectifs qu'elle s'était fixés
En 2004, l'ouverture à la concurrence des lieux de négociation des actions était parée de merveilleuses promesses : baisse des coûts, incitation à l'innovation, plus grande liquidité sur les marchés.
(1) Une baisse des coûts inégalement répercutée sur les investisseurs finaux
S'agissant tout d'abord des coûts de négociation, il est indéniable qu'ils ont effectivement baissé . Le rapport Fleuriot de février 2010 10 ( * ) rappelle que « d'après l'étude Oxera effectuée pour la Commission européenne, le coût moyen d'exécution d'un aller-retour durant les trois premiers trimestres de l'année 2008 s'établissait entre 0,25 et 0,30 point de base sur les MTF, tandis que les commissions de négociation des marchés réglementés se situaient entre 0,80 [Deutsche Börse, LSE, Euronext] et 2,90 [Grèce] points de base ».
L'apparition de la concurrence a conduit les plateformes traditionnelles à baisser drastiquement leurs coûts et à revoir leur modèle économique.
Toutefois, le même rapport relevait que la question des coûts globaux n'était pas tranchée. En particulier, la fragmentation des marchés a obligé les acteurs à investir dans de nouvelles technologies pour suivre l'évolution des cours sur plusieurs places.
Plus encore, ainsi que l'indique la Commission européenne dans l'exposé des motifs du paquet « MIF II », « les avantages de cette concurrence accrue n'ont pas profité de la même manière à tous les acteurs de marché et ne se sont pas toujours répercutés sur les investisseurs finaux, qu'ils soient professionnels ou de détail ».
Le rapport Fleuriot estime pour sa part que « la diminution des coûts pour l'investisseur final n'est pas démontrée, notamment pour les investisseurs non professionnels ».
(2) Un impact sur la liquidité très difficile à mesurer
La directive MIF devait également accroître la liquidité disponible sur les marchés européens. De fait, la multiplication des plateformes de négociation doit logiquement permettre à un plus grand nombre d'investisseurs de se rencontrer. Mais, dans le même temps, du fait de la fragmentation des marchés, ils ne se rencontrent pas sur un lieu unique.
Si l'apport de liquidité, du fait de la MIF, est réel, alors l'écart des cours entre les prix proposés à l'achat et à la vente aurait dû se resserrer. Toutefois, la concomitance de la crise financière et de l'entrée en vigueur de la directive rend toute mesure scientifique bien incertaine .
Il convient enfin de souligner que l'apparition du trading haute fréquence est une réponse à la fragmentation puisqu'il permet d'arbitrer les cours entre les différentes places. A ce titre, il devrait être considéré comme un apporteur de la liquidité. Toutefois, en pratique, les stratégies des traders haute fréquence ne semblent guère être guidées par l'apport de liquidité, celle-ci ayant pu être qualifiée, notamment par l'Autorité des marchés financiers (AMF), de liquidité « artificielle », puisqu'elle peut se retirer quasiment immédiatement en cas d'événement de marché défavorable .
b) L'absence d'anticipation des nouvelles pratiques de marché
(1) Les trous noirs de la régulation : l'apparition des « crossing networks »
La directive MIF a également échoué à anticiper les nouvelles pratiques de marché qu'elle autorisait. Sont ainsi apparus les « crossing networks », systèmes d'appariement interne des ordres des clients d'un même prestataire de services d'investissement (PSI) ou d'un groupe de PSI.
Or, comme le rappelle le rapport de l'AMF de juin 2010 sur la révision de la directive MIF 11 ( * ) ils « opèrent dans un vide réglementaire, sans aucun statut, ni obligation de transparence pré-négociation imposée aux autres types de plateformes ».
Les « crossing networks » résultent donc d'un « trou noir » de la régulation. Leur existence est conforme à la lettre de la directive MIF mais ne saurait être fidèle à son esprit.
(2) Le développement de plateformes « opaques » : les « dark pools »
Une autre pratique de marché s'est développée dans le « sillage » de MIF I : les « dark pools » - ou, littéralement, « bassins opaques de liquidité ». Le rapport de l'AMF de juin 2010 constate que « la directive prévoit que sont exonérés de transparence pré-négociation les systèmes sur lesquels le prix est fixé sur la base d'un prix de référence importé d'un autre système sous réserve que ce prix soit largement diffusé et qu'il soit considéré comme fiable par les participants du marché. Cette dérogation est celle sur laquelle s'appuie le développement des dark pools . Même si les montants des volumes échangés sur ces systèmes de négociation dits "à prix de référence importés" restent encore faibles par rapport à ceux issus des autres exemptions, cette dérogation est celle qui suscite le plus de créativité de la part des plateformes de négociation et de divergences d'interprétation » parmi les régulateurs européens.
Il n'est guère aisé de disposer de chiffres exacts sur la part de marché détenue par ces « dark pools » 12 ( * ) . Néanmoins, cette pratique de marché se développe là encore en contradiction avec l'esprit de la directive initiale puisqu'une part non négligeable et potentiellement croissante de la liquidité échappe à l'obligation de transparence . L'AMF demande la suppression de cette dérogation.
c) La transparence pré-négociation : des exemptions qui ont prospéré
La directive de 2004 prévoit une obligation de transparence pré-négociation sur l'ensemble des plateformes de négociation. Ainsi, tout investisseur peut connaître en permanence les volumes et les prix proposés à l'achat et à la vente . Cette obligation est consubstantielle à l'ouverture à la concurrence. Sans transparence pré-négociation, l'investisseur ne sait pas sur quelle place il peut obtenir le meilleur prix ( cf. infra , principe de « meilleure exécution »).
Toutefois, il est apparu légitime de prévoir des dérogations à cette obligation de transparence. En effet, en cas d'échanges de « blocs » de titres, une telle obligation pourrait conduire à déstabiliser le marché (la vente d'un bloc devant logiquement conduire à une baisse massive des cours).
Le règlement d'exécution de la directive MIF 13 ( * ) prévoit quatre types de dérogations :
- en cas d'exécution sur la base d'un prix emprunté à d'autres plateformes ( prix importé ) ;
- en cas d'ordres de taille importante ;
- en cas de transactions négociées ;
- lorsque les ordres sont placés dans le système de gestion des ordres avant leur diffusion au marché ( iceberg orders , ordre à quantité cachée ).
En pratique, ce sont les autorités nationales de régulation qui accordent ces dérogations (appelées waivers ) aux plateformes de négociation. Il n'y a donc pas de supervision européenne, ce qui a probablement conduit à une multiplication des exemptions au principe de transparence pré-négociation ( cf. supra les dark pools ).
d) L'obligation de meilleure exécution et la transparence post-négociation demeurent des voeux pieux
A côté de la transparence pré-négociation, le législateur européen a créé deux autres obligations : le principe de « meilleure exécution » et la transparence post-négociation.
Le principe de « meilleure exécution » consiste à garantir à son client que son ordre sera passé sur la plateforme offrant le meilleur prix. Ainsi, un intermédiaire (un prestataire de services d'investissement) ne peut favoriser une plateforme au détriment d'une autre : il doit exécuter l'ordre là où les conditions sont les plus favorables, évitant ainsi les conflits d'intérêts.
Il convient toutefois de souligner que le principe de meilleure exécution revêt une signification un peu différente selon que les investisseurs sont professionnels ou non. Par exemple, pour un investisseur professionnel, le délai d'exécution constitue un critère qu'il convient de pondérer avec celui du prix. La « meilleure exécution » n'est donc pas un principe figé mais résulte d'une pondération pouvant d'ailleurs faire l'objet d'une négociation entre l'investisseur et son prestataire.
La transparence post-négociation figure parmi les éléments qui permettent à l'investisseur de vérifier que le principe de « meilleur exécution » a bien été respecté par son prestataire. Elle oblige toutes les plateformes à publier, en temps réel, les transactions effectuées (volume, prix) sur leur marché. En théorie, un investisseur devrait ainsi pouvoir comparer le prix qu'il a acquitté sur une place au regard de ceux pratiqués sur les autres places.
En pratique, il n'existe pas de vision consolidée de l'ensemble des transactions. La transparence post-négociation demeure un voeu pieux puisque les données sont aussi fragmentées que les marchés eux-mêmes, ce qui accroît le coût d'accès à l'information .
Le rapport Fleuriot relève également que « les émetteurs expriment leur insatisfaction face aux difficultés qu'ils rencontrent dans le suivi des transactions portant sur leurs propres titres ».
* 10 Pierre Fleuriot, Rapport au ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur la révision de la directive sur les marchés d'instruments financiers (MIF), février 2010.
* 11 Jean-Pierre Pinatton, Olivier Poupart-Lafarge, Rapport du groupe de travail sur la révision de la directive MIF, juin 2010.
* 12 Les « dark pools » effectueraient entre 1 % et 1,5 % des transactions sur le CAC 40.
* 13 Règlement n° 1287/2006 de la Commission.