CONCLUSION
Partisan résolu de la construction de l'Europe de la défense et convaincu du rôle moteur du couple franco-allemand, votre rapporteur estime que la célébration du cinquantième anniversaire du traité de l'Elysée, en janvier 2013, devrait se traduire par une relance de la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense, qui constituerait le socle d'un approfondissement de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne .
Le « fer de lance » de cette relance en matière militaire pourrait être le déploiement de la brigade franco-allemande sur un théâtre d'opération, à l'image du Kosovo .
C'est la raison pour laquelle votre rapporteur vous recommande l'adoption du projet de loi autorisant la ratification de cet accord.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires étrangères et de la défense a examiné le présent rapport lors de sa séance du 22 février 2012.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur . - Je ne reviendrai pas ici sur les difficultés mais aussi toute l'importance de la coopération franco-allemande en matière de défense. Le président de la commission, M. Jean-Louis Carrère, vous a, en effet, présenté récemment les principaux enseignements du déplacement que nous avions effectué à Berlin, le 18 janvier dernier, avec notre collègue M. Christian Cambon, et les entretiens très intéressants que nous avons eus, notamment avec les députés allemands du Bundestag, et avec le secrétaire d'Etat allemand à la défense, M. Christian Schmidt.
Je voudrais simplement rappeler que, malgré les désaccords apparus lors de l'intervention en Libye et les interrogations de nos amis allemands à propos des accords franco-britanniques de défense, le couple franco-allemand reste le véritable moteur de la construction européenne, comme on peut le constater avec la crise de l'euro, et que l'Allemagne est pour nous un partenaire de premier plan, y compris pour la construction de l'Europe de la défense. C'est d'ailleurs dans le cadre du « triangle de Weimar », qui associe la France, l'Allemagne et la Pologne, que nous avons fait des propositions concrètes pour relancer la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne et que nous envisageons la mise en place d'un groupement tactique.
Dans un contexte de diminution des budgets de la défense, et alors que l'Allemagne dispose d'une base industrielle de défense, la relance de la coopération franco-allemande en matière de défense s'impose comme une nécessité. Sans l'Allemagne, et sans le couple franco-allemand, l'Europe ne pourra pas avancer, et cela vaut aussi pour les questions de défense. C'est dans ce contexte que nous sommes appelés à nous prononcer sur un accord, qui porte sur l'organisation et le fonctionnement de la brigade franco-allemande.
Aussi curieux que cela puisse paraître, alors que la BFA existe depuis plus de vingt ans, c'est la première fois que le Parlement français est appelé à se prononcer sur son existence.
Symbole de la réconciliation franco-allemande, la BFA trouve son origine dans le traité de l'Élysée, signé entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, en 1963, dont nous célèbrerons le cinquantième anniversaire en janvier 2013, et qui prévoyait un volet consacré à la coopération militaire.
La brigade franco-allemande a été véritablement créée en 1989, grâce au Président François Mitterrand et au Chancelier Helmut Kohl.
Elle compte aujourd'hui environ 6000 hommes répartis sur cinq sites : Mullheim, Donaueschingen et Immendingen en Allemagne, Metz et Illkirch-Graffenstaden en France.
Il s'agit d'une brigade binationale, regroupant des unités nationales (quatre régiments allemands et deux régiments français), ainsi que des unités mixtes (un état-major et un bataillon mixte de commandement et de soutien).
Elle est alternativement commandée par un officier général français et allemand, étant entendu que le commandant en second est toujours de l'autre nationalité. Ainsi, je me suis entretenu, au cours d'un déjeuner lundi dernier à Mulhouse, avec le général allemand Gert-Johannes Hagemann, commandant la BFA, et son adjoint, le colonel français de Madre, sur la situation et les perspectives d'avenir de la BFA.
Je précise que je connais bien la BFA pour être moi-même colonel de la réserve opérationnelle de la brigade, affecté auprès de l'état-major, et pour avoir traité de ce dossier dans mes précédentes fonctions de Secrétaire d'Etat à la Défense.
Alors que certains s'interrogeaient, en France ou outre-Rhin sur son utilité, en 2009, le Président Nicolas Sarkozy et la chancelière Angela Merkel ont souhaité donner une nouvelle impulsion à la BFA, en prévoyant l'installation d'une unité de la Bundeswehr, le 291e régiment de chasseurs, à proximité de Strasbourg, à Illkirch-Graffenstaden.
Il s'agit là d'un symbole, puisque c'est la première fois depuis 1945, que des militaires allemands sont stationnés sur le territoire français, et -autre symbole - c'est l'Alsace qui a été choisie pour accueillir ce régiment allemand, qui a été parfaitement accepté par la population alsacienne.
La BFA se heurte aujourd'hui à trois types de difficultés.
La première difficulté est d'ordre financière et est en voie de règlement. En 2010, les dépenses annuelles pour la BFA atteignent 23 millions d'euros, hors dépenses de personnel qui relèvent de chaque Etat. Sur ces 23 millions d'euros, 10,3 millions sont à la charge de l'Allemagne et 12,8 millions à la charge de la France, la contribution française étant plus importante en raison de l'investissement réalisé pour l'aménagement de la caserne d'Illkirch-Graffenstaden, qui représente un effort de 9,3 millions d'euros sur trois ans (2010 à 2012).
Le principe sur lequel repose le financement de la brigade est que chaque pays supporte le coût de sa contribution, qu'il s'agisse des dépenses de personnel ou de fonctionnement et que le pays d'accueil met gracieusement à disposition les infrastructures nécessaires à la BFA. Les dépenses d'investissement sont, quant à elles, réparties entre les deux pays.
Si ces principes se sont révélés globalement satisfaisants, leur mise en oeuvre a fait apparaître des contentieux, notamment concernant les coûts de construction, le régime applicable en matière de TVA et sur les modalités de prise en compte des personnels civils de soutien. Ces contentieux ont été réglés en 2004 mais le présent accord permettra de consolider le régime financier et fiscal de la BFA et il prévoit également la création d'une commission commune chargée de régler les difficultés.
Une deuxième difficulté tient aux différences existantes en matière de règles d'engagement ou d'emploi du feu.
En ce qui concerne le premier point, l'engagement des forces armées allemandes est soumis à une autorisation parlementaire préalable, alors qu'en France c'est seulement au terme d'un délai de quatre mois que le Parlement se prononce sur la prolongation ou non de l'intervention, ce qui fait dire à certains que la Bundeswehr est « une armée parlementaire », alors que l'armée française est « une armée de l'exécutif ».
Sur le deuxième point, les conditions d'ouverture du feu ne sont pas identiques. Par exemple, les soldats allemands ne peuvent pas utiliser de gaz lacrymogènes, y compris dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre.
Enfin, le problème le plus sérieux tient aux interrogations qui demeurent sur son utilité réelle, compte tenu des difficultés rencontrées dans le déploiement de la BFA sur les théâtres d'opérations.
La BFA a été déployée au Kosovo, dans le cadre de la KFOR, en 1996 et en 2000. Certains de ses militaires ont également été projetés en Afghanistan en 2004, mais dans leurs zones nationales respectives.
Ces dernières années, le déploiement de la brigade a été évoqué à plusieurs reprises, notamment en Afghanistan, mais à chaque fois, il s'est heurté à des obstacles, tantôt en France, tantôt en Allemagne, les responsables des deux pays, au ministère de la défense ou à l'état-major, se renvoyant la responsabilité.
Certains se sont donc interrogés publiquement sur l'intérêt de conserver la brigade franco-allemande, surtout dans le contexte de la réforme des armées en Allemagne (avec la suppression de la conscription et la fermeture de nombreuses garnisons) et des réformes en France (avec la réduction des effectifs et la réforme du soutien).
Dans ses rapports publics de 2008 et 2011, la Cour des comptes s'est ainsi interrogée au sujet de la faible utilisation des corps militaires européens, à l'image du corps européen, de l'Eurocorps, d'Euromarfor ou de la BFA.
Certes, la BFA reste un symbole fort de l'amitié entre la France et l'Allemagne, comme en témoigne le fait qu'elle a défilé lors du 14 juillet sur les Champs-Élysées et participé aux cérémonies du 11 novembre. Mais, elle représente aussi et surtout une force opérationnelle disposant d'importantes capacités de combat.
Certaines de ces unités, comme le 291 e régiment de chasseurs allemand installé à Illkirch-Graffenstaden ou le 110 e régiment d'infanterie français sont des unités d'élite.
D'ailleurs, les unités qui la composent sont très souvent déployées sur différents théâtres d'opérations, comme le Kosovo ou l'Afghanistan, mais toujours dans un cadre national et non sous la bannière franco-allemande.
Or, le meilleur moyen de démontrer le bien-fondé de la brigade franco-allemande serait de la déployer en tant qu'unité binationale, en tout ou partie, sur un théâtre d'opération. A cet égard, le Kosovo me paraît être le meilleur théâtre envisageable pour un déploiement de la BFA car nos deux pays y déploient déjà des contingents dans le cadre de la KFOR.
Une telle décision pourrait par exemple intervenir lors de la célébration du cinquantenaire du traité de l'Elysée, qui, comme je l'espère, pourrait donner une forte impulsion à la relation franco-allemande, et notamment à notre coopération dans le domaine de la défense.
Compte tenu du fait que cet accord permettra de confirmer le soutien du Parlement à la brigade franco-allemande, je vous proposerai d'adopter ce projet de loi et je vous recommanderai une adoption selon la procédure simplifiée.
M. Jean-Pierre Chevènement . - Je me souviens avoir inauguré, avec le ministre allemand de la défense de l'époque, M. Gerhard Stoltenberg, la Brigade franco-allemande en 1989. J'avoue cependant que je m'interroge sur son utilité réelle, compte tenu de sa très faible utilisation. J'ai d'ailleurs le même sentiment à propos des autres structures européennes, comme le corps européen par exemple. La brigade franco-allemande aurait pu être ainsi déployée sur plusieurs théâtres d'opérations, à l'image de l'Afghanistan ou du Liban par exemple. En revanche, je ne suis pas certain que le Kosovo soit le théâtre le plus approprié pour un déploiement de cette brigade, compte tenu notamment des différences d'approches qui existent entre la France et l'Allemagne sur ce dossier. Peut être y aurait-il d'autres théâtres d'opérations qui seraient plus appropriés ?
En définitive, le principal intérêt de la brigade franco-allemande est peut-être de favoriser l'apprentissage mutuel de la langue française et de l'allemand ?
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. - Sur ce point, je dois malheureusement admettre que, comme j'ai pu moi-même le constater, pour l'essentiel les échanges entre les militaires du rang français et allemands de la brigade se font le plus souvent en anglais, même si les deux pays veillent à envoyer des officiers bilingues et généralement de très grande qualité au sein de l'état-major de la brigade.
Mme Hélène Conway Mouret. - Comme vous l'avez souligné dans votre intervention, la principale difficulté de la brigade franco-allemande tient au fait qu'elle n'est pas assez souvent utilisée et déployée en tant que brigade binationale, même si ses unités nationales sont, pour leur part, largement utilisées sur les théâtres d'opérations. C'est cela qui explique les interrogations sur son utilité réelle, au-delà du symbole de la réconciliation franco-allemande. A cet égard, savez-vous si les responsables politiques allemands ou l'état major allemand ont engagé une réflexion sur les perspectives d'intervention de la brigade franco-allemande à l'avenir ?
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. - Comme nous avons pu le constater lors de nos entretiens à Berlin, le 18 janvier dernier, avec le président M. Jean-Louis Carrère et notre collègue Christian Cambon, il existe des réflexions en Allemagne, parmi les responsables politiques et au sein de l'état-major allemand, sur une éventuelle évolution des règles d'engagement et une plus grande implication de l'Allemagne sur les questions de défense et de sécurité.
A la différence d'autres pays européens, qui ont réduit drastiquement leur effort de défense, l'Allemagne est un pays qui dispose encore de capacités militaires importantes et d'une solide industrie de défense, même si leur première priorité est aujourd'hui la réforme de leur politique de défense, avec la suppression de la conscription et la fermeture de nombreuses garnisons. L'Allemagne est donc un pays qui compte en matière de défense.
Par ailleurs, malgré les désaccords apparus lors de l'intervention en Libye, je rappelle que l'Allemagne est un pays qui reste engagé dans de nombreuses opérations, comme en Afghanistan dans le cadre de la FIAS ou au Kosovo dans le cadre de la KFOR, où elle dispose d'ailleurs du premier contingent.
M. Jean-Louis Carrère, président. - Lors de notre déplacement à Berlin, les responsables politiques allemands ont été très désireux de renforcer la coopération avec la France en matière de défense et nous avons proposé aux parlementaires allemands du Bundestag de nous réunir à intervalles réguliers pour échanger sur cette coopération et suivre les progrès réalisés dans ce domaine.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. - L'Allemagne reste un partenaire important en matière de défense et la brigade franco-allemande constitue un instrument utile pour favoriser ce rapprochement.
Je comprends vos interrogations concernant son utilité, étant donné qu'elle n'a pas été souvent déployée en tant qu'unité binationale, même si ses unités nationales sont très souvent déployées sur différents théâtres d'opérations, comme l'Afghanistan ou le Kosovo, et que la très grande qualité des hommes qui la compose n'est aucunement en cause. C'est d'ailleurs précisément la raison pour laquelle je considère qu'il est important d'étudier la possibilité de déployer la brigade franco-allemande sur différents théâtres, par exemple dans les Balkans ou en Afrique, et le Kosovo me paraît être un bon exemple car cela permettrait de souligner l'engagement de nos deux pays en faveur de la stabilité de ce pays et de la région des Balkans. Pourquoi ne pas étudier une telle hypothèse dans la perspective de la célébration du cinquantenaire du traité de l'Élysée au début de l'année prochaine ?
M. Jean Besson . - Vous avez mentionné le « triangle de Weimar » et je voudrais souligner tout l'intérêt d'associer étroitement la Pologne au couple franco-allemand. Après avoir été très « atlantiste » et alors que ce pays dispose de capacités non négligeables en matière militaire, la Pologne fait aujourd'hui partie des pays très en pointe sur l'Europe de la défense, comme nous avons pu le constater lors de sa présidence de l'Union européenne, au deuxième semestre de l'année 2011, et des propositions formulées par le « triangle de Weimar » concernant le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune de l'Union européenne.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur. - Je partage votre sentiment concernant l'intérêt d'associer la Pologne. La France, l'Allemagne et la Pologne projettent d'ailleurs la constitution d'un groupement tactique commun, même si cet instrument n'a pas donné tous les résultats escomptés et qu'il mériterait d'être renforcé. Plus généralement, lorsque je me souviens des priorités de la présidence française de l'Union européenne en 2008 concernant le renforcement de la politique de sécurité et de défense commune, j'avoue que je mesure le chemin qu'il reste à accomplir vers l'émergence d'une Europe de la défense, que je continue d'appeler de mes voeux.
M. Didier Boulaud. - Je reste, pour ma part, sceptique concernant l'intérêt de la brigade franco-allemande, qui, outre son rôle symbolique, n'a pas réellement démontré son utilité sur les théâtres d'opérations. Je partage également les doutes de notre collègue M. Jean-Pierre Chevènement concernant un éventuel déploiement de la brigade au Kosovo.
Par ailleurs, comme nous avons pu le constater lors des réunions de l'assemblée parlementaire de l'OTAN, l'Allemagne adopte des positions qui s'opposent souvent aux positions françaises, par exemple au sujet du rôle de la dissuasion nucléaire et du désarmement, dans le cadre de la revue de la posture de défense et de dissuasion de l'OTAN, ou bien encore au sujet des financements en commun, à l'image du programme AGS (« Alliance Ground Surveillance ») de l'OTAN, et ce pays reste très attaché à l'OTAN et à l'implication des Etats-Unis dans la sécurité de l'Europe.
A titre personnel, je m'abstiendrai sur ce projet de loi.
La commission adopte le projet de loi et propose son examen sous forme simplifiée en séance publique.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté le présent projet de loi et proposé qu'il fasse l'objet d'un examen en forme simplifiée en séance publique.