ANNEXE I - Implantation des différentes unités de la brigade franco-allemande
ANNEXE II - Compte rendu du déplacement à Berlin, le 18 janvier 2012
Lors de sa réunion du 31 janvier 2012, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a entendu une communication de son président M. Jean-Louis Carrère sur la réunion du 18 janvier 2012 avec le Bundestag.
M. Jean-Louis Carrère, président - Mes chers collègues, avec le chef d'état-major des armées, au mois d'octobre dernier, nous avons constaté que la coopération européenne en matière de sécurité et de défense était en état d'hibernation profonde. L'amiral Guillaud soulignait qu'il s'agissait d'une vision plutôt positive puisqu'on peut toujours sortir d'un état d'hibernation. Acceptons en l'augure.
Les initiatives de relance ne manquent pourtant pas, pour l'essentiel dans le cadre du triangle de Weimar, et des initiatives autour desquelles la France, l'Allemagne et la Pologne, auxquelles se sont jointes l'Espagne et l'Italie. Même si les politiques de défense relèvent des Etats, il faut convenir aussi qu'au niveau des institutions européennes on ne sent pas une volonté forte de promotion de l'Europe de la défense. Je pense notamment à l'inexistence de la Haut représentante sur les questions de défense, et aux difficultés du service commun à un être un outil performant au service d'une dynamique européenne.
Pourtant, et malgré l'aiguillon que devrait constituer la crise économique et financière qui se traduit par une baisse des budgets globaux - et donc aussi des budgets de défense, la nécessité impérieuse de mutualisation des capacités militaires qu'aucun pays n'est en mesure d'assumer seul continue à être très difficile à mettre en oeuvre dans une Europe à 27. Je ne parle pas de la « disparition de tout esprit de défense » chez la plupart de nos partenaires qui continuent à s'en remettre à l'OTAN et aux Etats-Unis au moment même où ceux-ci se désengagent. S'il n'y a pas un sursaut la mutualisation, l'harmonisation se fera par l'OTAN et par des matériels américains. C'est ce dont nous menacent la « smart defense », l'AGS (Alliance Ground Surveillance, que l'on peut traduire par « programme de capacité alliée de surveillance terrestre ») ou la DAMB (défense antimissile balistique).
C'est bien cette constatation de démission des pays et de panne de la construction européenne qui a conduit la France et le Royaume-Uni, dont on sait l'europhilie mesurée, à signer les traités de Lancaster House et à entreprendre une coopération bilatérale qui constitue une priorité majeure de notre politique sur le long terme.
Même si nous sommes amenés à distinguer l'Europe de la défense, que nous essayons de faire progresser en particulier avec l'Allemagne, de la défense de l'Europe qui s'inscrirait dans la relation bilatérale franco-britannique et dans l'OTAN, nous avons toujours dit - et je l'ai réaffirmé à Berlin le 18 janvier - que notre accord bilatéral n'était pas exclusif d'autres types de coopération et qu'il était par ailleurs ouvert à d'autres partenaires pour peu que l'on évite les dérives bien connues des programmes européens qui se caractérisent par l'empilement des exigences et un partage industriel qui tient assez peu compte des compétences.
Je n'ai donc jamais souscrit à cette idée simple que nous pouvions faire l'Europe de l'économie avec l'Allemagne et la défense de l'Europe avec le Royaume-Uni. Je dois dire que cette analyse est partagée par les deux ministres de la défense qui ont engagé, au niveau des exécutifs, un dialogue stratégique. Il était évident que ce dialogue entre les deux Etats ne pouvait faire abstraction d'un dialogue politique entre les parlements et entre les commissions chargées de la défense.
Dans ce cadre, avec l'Assemblée nationale, nous avions organisé une audition commune du ministre allemand de la défense M. Thomas de Maizière le 6 juillet dernier. Au mois de décembre, M. Gérard Longuet a lui-même été auditionné par la commission de la défense du Bundestag.
La réunion à laquelle j'ai participé avec Christian Cambon et Jean-Marie Bockel s'inscrit donc dans ce processus de concertation entre nos deux pays et entre nos assemblées. Nos collègues députés, M. Gilbert le Bris et Alain Marty, représentaient la commission de la défense.
Le Bundestag était représenté par Mmes Susanne Kästner (SPD) - qui est la présidente de la commission de la défense, Elke Hoff (FDP), et Katja Keul (die Grünen), et MM. Ernst-Reinhard Beck (CDU), Rainer Arnold (SPD), et Andreas Schockenhoff (CDU).
Notre ambassadeur, M. Maurice Gourdault-Montagne, les attachés de défense des deux pays ainsi que le directeur de la délégation aux affaires stratégiques du ministère de la défense, M. Michel Miraillet et son homologue M. Ulrich Schlie ainsi que M. Hans Dieter Lucas, directeur politique, étaient présents.
Cette réunion était organisée avec la fondation pour la recherche stratégique et son homologue allemand la Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP). Elle s'est tenue à Berlin le 18 janvier dernier. Nous avons pu profiter des analyses de leurs directeurs respectifs, M. Camille Grand et le docteur Volker Perthes.
Les sessions de travail, qui se sont tenues dans l'après midi, ont été suivies d'un dîner avec le secrétaire d'Etat du ministère de la Défense, Christian Schmidt.
Je retire de ces échanges deux constats principaux et une conclusion pratique.
1 - Le premier constat c'est l'évidente nécessité de relancer la coopération de défense franco-allemande.
Nos deux pays font face aux mêmes défis stratégiques - en particulier le retrait d'Afghanistan, l'évolution des Balkans, le Kosovo, les printemps arabes etc...- et aux mêmes contraintes budgétaires. L'importance de tirer les conséquences de l'évolution de la posture américaine en Europe a été soulignée.
Dans ce contexte, la France et l'Allemagne, dont nous allons fêter le cinquantième anniversaire du Traité de l'Elysée en janvier 2013, doivent jouer le traditionnel rôle moteur qu'elles assurent au sein de l'Union européenne, non seulement sur les questions économiques, mais également en faveur de la construction de l'Europe de la défense. Jean-Marie Bockel a souligné que la relation de défense franco-allemande était bâtie sur un acquis très important (en particulier la Brigade Franco-Allemande dont il est réserviste), mais qu'il fallait retrouver une dynamique opérationnelle. Pourtant force est en effet de constater que cette relation est en panne depuis 2008 et que la fréquence des échanges au sein d'un cadre institutionnel robuste n'a débouché sur presque rien depuis près de quatre ans. L'abstention allemande sur l'opération en Libye a fait contraste avec le bloc que nous avions constitué lors de l'intervention américaine en Irak. Elle a amené beaucoup d'interrogations sur la fiabilité d'un partenariat mais aussi sur les capacités de l'Allemagne à assumer ses responsabilités internationales.
Cette relance de l'Europe de la défense ou tout au moins de la coopération franco-allemande, nous savons que nous y sommes contraints par la crise économique et financière qui nous conduit à développer des solutions capacitaires partagées au bénéfice de l'Europe. C'est tout le sens du triangle de Weimar et de son volet défense qui pourrait être un exemple non institutionnel de coopération structurée permanente. De nombreuses pistes de coopération ont été citées, en particulier dans le domaine spatial les capacités ISR (renseignement, surveillance et reconnaissance) ou encore le ravitaillement en vol. Sur ce dernier point j'ai néanmoins fait observer qu'un partage éventuel d'une flotte de ravitailleurs devrait, bien sûr, englober le ravitaillement de la composante aérienne de notre force de dissuasion. J'ai également souligné l'importance de renforcer la base industrielle et de défense en Europe, surtout pour faire face à la concurrence américaine qui est déjà en ordre de bataille, qui a assoupli ses règles d'exportation de matériels militaires et qui est une menace très dangereuse pour l'industrie européenne de défense.
2 - Cette première évidence m'amène au second constat qui est de confirmer l'importance de débattre des différences de nos cultures stratégiques, en particulier sur l'emploi de la force.
Plusieurs intervenants, et notamment Christian Cambon, ont souligné le paradoxe de notre relation, institutionnellement extrêmement forte, mais qui repose aussi sur des différences et des divergences importantes qu'il faut rappeler et notamment les différences entre les cadres légaux et constitutionnels à l'égard de l'emploi de la force. Gilbert Le Bris a synthétisé ces remarques en considérant que la France disposait d'une « armée de l'exécutif » tandis que l'Allemagne avait une « armée parlementaire ».
La dissuasion nucléaire est l'élément le plus visible des différences entre nos deux pays, mais de manière peut-être plus profonde nous avons des conceptions très différentes de ce qu'est l'intérêt national et l'utilisation de la force armée comme outil de la politique. C'est pourtant le général von Clauzewitz qui a défini la guerre comme la continuation de la politique par d'autres moyens. Il est vrai que la deuxième guerre mondiale a conduit les alliés à encadrer étroitement tout retour du militarisme allemand en confiant aux parlementaires le contrôle de la défense et des engagements en les limitant à l'origine au territoire national. Certains ont pu définir l'Allemagne comme un pays pacifiste qui a une industrie d'armement.
Pourtant, et c'est sans doute l'un des éléments les plus intéressants de nos échanges, on sent une volonté allemande de mieux remplir les devoirs internationaux auxquels sa puissance politique l'oblige. Le fait d'évoquer l'intérêt national, qui avait conduit un Président de la République fédérale allemande à la démission il y a moins de deux ans, n'est plus un tabou. Les générations qui vont arriver aux responsabilités ne sont plus marquées par le rôle qu'a joué l'Allemagne nazie. À l'image du prédécesseur de M. de Maizière, M. Karl-Theodor zu Guttenberg, les responsables allemands seront de plus en plus décomplexés par rapport au passé.
La députée Elke Hoff a souligné la difficulté à conduire en Allemagne un débat public sur les questions de défense, et la difficulté des élus allemands à convaincre les électeurs de la pertinence des opérations militaires extérieures.
Beaucoup de chemin reste encore à faire et il est évident que la majorité de l'opinion publique allemande reste pacifiste, voire isolationniste. Néanmoins, il me paraît évident que la volonté politique qui s'exprime au niveau des ministres de la défense et des parlementaires est de faire progresser l'opinion publique vers l'acceptation de prises de responsabilité au niveau international au-delà des seules justifications humanitaires et avec des caveats importants qui brident l'emploi des forces de la Bundeswehr à l'étranger comme en Afghanistan par exemple. Sait on aussi que l'état major allemand ne peut programmer une opération à l'avance puisque celle-ci doit être auparavant autorisée par le Bundestag !
De ce point de vue, le dialogue parlementaire que nous engageons est clairement vu, par nos collègues allemands, comme un outil d'évolution des idées et des mentalités en Allemagne.
Avec Jean-Marie Bockel et Christian Cambon nous avons été frappés qu'au-delà de la relance des projets capacitaires, l'intérêt premier et majeur de nos collègues allemands porte sur un dialogue stratégique et l'analyse que nous pourrions partager des menaces et des principales évolutions que connaît le monde, notamment dans la sphère de responsabilité européenne. Comme nous, les parlementaires allemands sont bien conscients que le retrait inéluctable des États-Unis de l'Europe et de son voisinage implique une prise de responsabilité par l'Union européenne et, dans un premier temps, par les plus importants de ses pays. Mme Hoff ne proposait elle pas comme thème de réflexion la position que nous pourrions avoir en cas d'effondrement dans le chaos de la Syrie.
Dans ce contexte, l'opportunité de réflexions stratégiques partagées me paraît une évidence et une priorité que ce soit à travers la coopération pour l'élaboration des documents stratégiques nationaux comme notre Livre blanc ou par le biais d'une éventuelle révision de la stratégie européenne de sécurité. La députée verte Katja Keul a estimé que l'Allemagne devait se doter d'une nouvelle stratégie nationale. Son collègue du SPD, M. Arnold, est intervenu pour dire que la définition des objectifs et des intérêts communs ne serait pas difficile ; la difficulté serait de s'accorder sur les moyens à mettre en oeuvre et en particulier sur le rôle de l'outil militaire. Je ne suis pas sûr que cela soit si simple comme l'ont montré nos divergences sur le concept stratégique de l'Alliance Atlantique, mais cela conforte tout l'intérêt d'un débat entre nous.
3 - La conclusion de ces échanges, c'est qu'il existe de part et d'autre une volonté de mettre en place un dialogue régulier entre les commissions du Bundestag, de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Ce dialogue entre les Parlements contribuera au renforcement de la relation de défense franco-allemande, en rapprochant les analyses et les orientations stratégiques de nos deux pays - en parallèle des contacts entre les exécutifs et les administrations qui, je pense, ne doivent pas être laissées seules à réfléchir car ces questions sont essentiellement politiques. Plus nous les prendrons en amont, plus nous pourrons influer sur leur définition.
J'ai donc proposé que les commissions se réunissent désormais de manière régulière, autour d'un agenda défini en amont par leurs présidents, pour évoquer les principales questions stratégiques, y compris les plus difficiles. Si vous en êtes d'accord, j'écrirai à mon homologue du Bundestag pour lui proposer de nous réunir dès que possible. Je dis « dès que possible » parce qu'il est évident que nous ne disposerons pas d'une commission de la défense à l'Assemblée nationale avant la fin juin. Nous avons également évoqué la possibilité de visites conjointes sur des théâtres d'opération.
Je vous remercie.
M. Robert del Picchia - Je tiens à féliciter les participants à cette rencontre franco-allemande. Leur évaluation est tout à fait convaincante. J'avais à l'occasion d'une conversation avec le Président du Bundestag évoqué la position de l'Allemagne sur l'intervention en Libye et il m'avait d'emblée indiqué que cela ne passerait pas au Bundestag, qu'il l'avait dit à la chancelière Mme Merkel qui d'ailleurs s'est bien gardée de toute tentative en ce sens. L'expression d' « armée parlementaire » que vous avez utilisée est justifiée et il faut en tenir compte dans nos relations avec l'Allemagne.
M. Jean-Louis Carrère, président - Si la proposition est acceptée, il faudra que nous choisissions des membres au sein de la commission et je pense notamment aux « germanophones » de la commission.
M. Joël Guerriau - Je constate effectivement une différence importante dans le processus de prise de décision en matière de défense, ce faisant le dialogue a un véritable intérêt et je partage votre volonté d'un rapprochement sur les questions stratégiques.
M. Jean-Louis Carrère, président - Je pense que même du côté allemand, il y a une prise de conscience que leur mode de décision n'est plus adapté au niveau de puissance atteint par l'Allemagne. Il importe de ne pas brusquer les choses, mais on ne peut laisser les États-Unis se désengager en Europe avec toutes les conséquences qui vont s'ajouter à celles de la crise sans essayer de relancer le projet d'Europe de la défense.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam - Je me réjouis de cette initiative, mais je voudrais exprimer une petite inquiétude qui concerne la méfiance des Britanniques vis-à-vis du rapprochement entre la France et l'Allemagne sur le plan économique. La Grande-Bretagne est un allié solide en matière de défense. Avez-vous évoqué la possibilité d'établir une relation de travail tripartite avec les commissions parlementaires des trois pays et quelles ont été les réactions ?
M. Jean-Louis Carrère, président - J'ai clairement indiqué à nos interlocuteurs allemands que nous avions une coopération forte avec la Grande-Bretagne par les accords de Lancaster House, mais que cette relation n'est pas exclusive. Bien sûr, nous savons qu'ils n'allaient pas nous rejoindre sur le nucléaire mais qu'il y avait d'autres modalités et des avancées possibles. Nous n'avons en aucun cas l'intention de remettre en cause les accords de Lancaster House. Ce que nous savons, c'est que les Britanniques ne sont pas favorables à des discussions à trois.
M. Jacques Gautier - M'écartant du stratégique pour revenir à l'industriel, il y a une porte d'entrée actuellement, le remplacement dans les armées françaises et allemandes du fusil d'assaut. La France a identifié trois fournisseurs possibles : un Belge, un Allemand et un Espagnol. La France et l'Allemagne conduisent chacune des études. Je crois que nous avons l'opportunité de coopérer dans ce domaine, de rationnaliser et d'avoir un matériel commun.
M. Robert del Picchia - Les Britanniques seront sans doute plus enclins à s'associer avec les Allemands si les États-Unis sont moins impliqués en Europe.
M. Daniel Reiner - Je me réjouis de ce dialogue avec les Allemands, qui disposent d'une industrie de premier ordre et avec lesquels nous avons mis en place les jalons d'une coopération militaire par la création de la brigade franco-allemande qui fonctionne et qui a déjà été engagée dans les Balkans. Lors de l'accord avec les Britanniques, la crainte avait été émise qu'il ne se traduise par la mise en second rang du discours sur une coopération dans le cadre de l'Europe de la défense. Nous savons tous que la majorité au Royaume-Uni ne veut pas entendre parler d'Europe de la défense, de l'Agence européenne de défense, d'état-major européen de défense, ni de collaboration tripartite. La coopération avec l'Allemagne, force économique et militaire, se justifie pleinement. N'oublions pas que dans l'opération en Libye, les Allemands ne se sont pas engagés dans les actions de combat mais ils ont mis leurs avions de transport à la disposition de la coalition avec efficacité. Mais en créant les termes d'un second accord bilatéral avec les parlementaires allemands, il ne faudrait pas entrer dans une seringue d'accords bilatéraux successifs. Il faut que ce soit une pierre dans la construction de l'Europe de la défense. Je suis pour ma part très partisan d'une coopération avec les Allemands et à des échanges entre nos commissions. Dans le domaine industriel, il y a également des possibilités de coopération dans le domaine des blindés ou dans le domaine naval.
M. Jean-Louis Carrère, président - Je ne crois pas que nous allions vers la construction d'un nouvel accord bilatéral calé sur Lancaster House. Au niveau de nos commissions, nous souhaitons le début de discussions géostratégiques pour échanger et rapprocher nos analyses et nos points de vue dans un esprit de relance de l'Europe de la défense. Quand on voit l'incapacité de la plupart des Etats européens et l'imminence du retrait américain, on ne peut rester les bras ballants dans cette période de crise. C'est l'esprit de cette proposition.