N° 181
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 décembre 2012 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi de Mme Isabelle Debré et plusieurs de ses collègues visant à autoriser le cumul de l' allocation de solidarité aux personnes âgées avec des revenus professionnels ,
Par Mme Isabelle DEBRÉ,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Odette Duriez, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin . |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
555 (2011-2012) et 182 (2012-2013) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Créé en 1956, le minimum vieillesse est longtemps apparu comme un dispositif en voie d'extinction au regard de la baisse structurelle spectaculaire, en l'espace de cinq décennies, du nombre de titulaires de ce minimum social. Celui-ci a en effet été ramené de 2,5 millions en 1960 à moins de 600 000 au début des années 2000.
Cette évolution tendancielle est hélas arrivée à son terme et la décennie actuelle est davantage marquée par la stabilisation du nombre d'allocataires. L'inflexion intervenue témoigne du rôle cardinal que devrait continuer à jouer l'allocation de solidarité aux personnes âgées dans la couverture des personnes âgées les plus pauvres.
Les générations nombreuses de l'après-guerre arrivant à l'âge de la retraite après des parcours professionnels souvent moins favorables que les générations qui les ont précédées, il est même à craindre un accroissement du nombre de personnes âgées contraintes de recourir à l'aide de la solidarité nationale pour assurer leurs moyens d'existence.
Dans ces conditions, et alors que les marges de manoeuvre budgétaires sont particulièrement limitées, que le dispositif du cumul emploi-retraite a été intégralement libéralisé et que des mécanismes d'intéressement existent pour d'autres minima sociaux, il paraît aujourd'hui difficile d'admettre que les bénéficiaires du minimum vieillesse ne puissent, de fait, cumuler leur allocation avec des revenus d'activité.
En effet, le mode de calcul différentiel de cette allocation, qui réduit automatiquement le montant de la prestation servie à hauteur des revenus d'activité perçus, conduit à annuler le bénéfice financier d'une reprise d'activité professionnelle.
Cet état actuel du droit place les allocataires du minimum vieillesse dans une situation d'iniquité vis-à-vis des autres retraités éligibles, quant à eux, au cumul emploi-retraite.
Dans le cadre de ses tout premiers travaux, le Conseil d'orientation des retraites (Cor) faisait valoir que « le droit à la retraite ne prive pas les retraités d'un droit fondamental, le droit au travail » 1 ( * ) . En accord avec ce principe, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a ouvert la possibilité d'un cumul emploi-retraite illimité lorsque les retraites ont été liquidées à taux plein, y compris à l'aide de périodes assimilées financées par la solidarité nationale. Selon les estimations les plus récentes 2 ( * ) , environ un demi-million de personnes y recourent à l'heure actuelle.
Face aux règles de calcul de l'Aspa que d'aucuns qualifient d'« aberration juridique », la présente proposition de loi entend introduire davantage d'équité. Elle ouvre la possibilité aux titulaires du minimum vieillesse, lorsqu'ils souhaitent travailler et qu'ils sont en capacité de le faire, de cumuler leur allocation avec les revenus professionnels perçus sans être pénalisés parce qu'ils s'engagent dans cette voie.
I. LE MINIMUM VIEILLESSE : UN DISPOSITIF ESSENTIEL RÉCEMMENT MODIFIÉ
A travers le minimum vieillesse, la solidarité nationale garantit un revenu minimal aux personnes âgées d'au moins soixante-cinq ans dont les ressources sont inférieures à certains seuils.
Sans aller jusqu'à remettre en cause le caractère différentiel de l'allocation, les améliorations apportées au dispositif dans la période récente ont porté à la fois sur son architecture, qui a été simplifiée, et sur son montant, qui a été revalorisé pour l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) servie aux personnes seules.
Comme en témoigne la stabilisation du nombre d'allocataires depuis les années 2000, le minimum vieillesse continue aujourd'hui à jouer un rôle central dans la couverture vieillesse des personnes âgées. Ce rôle devrait même se renforcer à l'avenir avec l'arrivée à l'âge de la retraite des générations nombreuses de l'après-guerre, qui n'ont pas toujours eu des carrières aussi linéaires que les précédentes.
A. UN MINIMA SOCIAL DONT L'ARCHITECTURE A ÉTÉ SIMPLIFIÉE
1. Une prestation non contributive relevant de la solidarité nationale
Héritier de l'allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS) instituée en 1942, le dispositif du minimum vieillesse créé en 1956 3 ( * ) permet de garantir un niveau de ressources minimal aux personnes âgées de soixante-cinq ans ou plus n'ayant pas - ou n'ayant pas pu - suffisamment cotiser aux régimes de retraite au cours de leur carrière afin de bénéficier d'une pension de retraite supérieure à un certain seuil.
La condition d'âge est ramenée à l'âge légal de départ en retraite pour les personnes reconnues invalides ou inaptes au travail ainsi que pour d'autres catégories d'assurés mentionnées à l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale, en particulier certaines mères de famille ouvrières justifiant d'une durée minimum d'assurance et ayant élevé un nombre minimum d'enfants 4 ( * ) .
Le service de l'allocation est soumis à une condition de subsidiarité selon laquelle les intéressés doivent faire valoir en priorité l'ensemble de leurs droits en matière de pensions de retraite du ménage avant de pouvoir éventuellement bénéficier du minimum vieillesse.
Les bénéficiaires de l'Aspa sont, en outre, soumis à une condition de résidence stable et régulière en France qui s'entend comme le fait de séjourner en France pendant plus de six mois au cours de l'année de versement des prestations 5 ( * ) . Aucune condition de nationalité n'est requise.
Le minimum vieillesse est servi par les caisses de retraite lorsqu'il vient compléter un avantage vieillesse de base de droit direct ou indirect. Au 31 décembre 2011, environ 70 % des allocataires dépendaient de la Cnav ; ils représentent 3,2 % des retraités du régime général. Pour les bénéficiaires qui n'ont pas cotisé à un système de retraite, soit près de 12 % des allocataires, le versement de l'allocation relève du service de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Saspa) de la Caisse des dépôts et consignations.
Quant au financement du dispositif, il est assuré, s'agissant d'une prestation non contributive relevant de la solidarité nationale, par le fonds de solidarité vieillesse (FSV) dont il représentait en 2011 près de 13,6 % des dépenses, soit 3,031 milliards d'euros . Ce financement prend ainsi la forme d'un remboursement par le FSV aux vingt et un régimes de retraite concernés ou au Saspa des différentes allocations versées au titre du minimum vieillesse.
2. Un dispositif rendu plus lisible par la mise en place d'une prestation unique
Le dispositif du minimum vieillesse a fait l'objet d'une importante réforme visant à en simplifier l'architecture.
L'ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse a en effet remplacé les anciennes prestations constitutives du minimum vieillesse par l'allocation unique et différentielle que constitue l'Aspa.
L'ordonnance prévoyait une entrée en vigueur à compter du 1 er janvier 2006. Mais dans l'attente des décrets d'application du nouveau dispositif, les allocations du minimum vieillesse ont continué à être attribuées sous leur forme antérieure à l'ordonnance du 24 juin 2004 jusqu'au 31 décembre 2006.
Les dispositions réglementaires applicables à l'attribution de la nouvelle allocation ont été définies par les décrets n os 2007-56 et 2007-57 du 12 janvier 2007 simplifiant le minimum vieillesse et modifiant le code de la sécurité sociale.
Dans sa version antérieure à 2007, le minimum vieillesse résulte de la combinaison de plusieurs allocations articulées en deux niveaux. Le premier niveau comporte des allocations qui visent à compléter la pension de retraite de base ou à compenser l'absence de pension de base jusqu'au montant de l'allocation aux vieux travailleurs salariés (276,39 euros par mois) et dans la limite d'un plafond de ressources totales égal au minimum vieillesse (777,16 euros par mois). Il s'agit de huit prestations différentes résultant d'une sédimentation historique : - l'allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS) instituée en 1941, versée aux personnes âgées de soixante-cinq ans ou plus relevant d'un régime de base et prévue à l'ancien article L. 811-1 du code de la sécurité sociale ainsi que l'allocation aux vieux travailleurs non salariés (AVTNS) prévue à l'ancien article L. 812-1 du code de la sécurité sociale ; - la majoration de pension de l'ancien article L. 814-2 du code de la sécurité sociale, créée en 1972 pour compléter une pension de droit direct ou de réversion d'un régime de base afin de le porter au niveau de l'AVTS ; - l'allocation spéciale vieillesse également introduite en 1972 et prévue à l'ancien article L. 814-1 du code de la sécurité sociale ; elle est versée par la Caisse des dépôts et consignations aux personnes âgées de soixante-cinq ans et plus ne relevant d'aucun régime vieillesse de base ; - le secours viager accordé au conjoint d'un assuré décédé ou disparu, bénéficiaire ou susceptible de bénéficier de l'AVTS (ancien article L. 811-11 du code de la sécurité sociale) ; - l'allocation aux mères de famille , destinée aux femmes de salariés qui ont élevé au moins cinq enfants (ancien article L. 815-1 du code de la sécurité sociale) ; - l'allocation de vieillesse agricole instituée par la loi n° 52-799 du 10 juillet 1952 ; - et l'allocation viagère aux rapatriés âgés instituée en 1963. Le second niveau correspond à l'allocation supplémentaire vieillesse (ASV) créée en 1956 et prévue à l'ancien article L. 815-2 du code de la sécurité sociale. Son objet est de compléter les allocations du premier niveau pour porter les ressources de l'allocataire au niveau du minimum vieillesse. Qu'elles relèvent du premier ou du second niveau, ces allocations ne sont plus attribuées mais elles continuent d'être servies.
Fin 2006, le nombre de titulaires de l'ASV s'élevait
à 598 000 pour un nombre d'allocataires du premier niveau de
491 000 personnes.
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Ainsi depuis 2007, les bénéficiaires du minimum vieillesse regroupent les titulaires de l'une des deux allocations permettant d'atteindre le plafond du minimum vieillesse : soit l'ancienne ASV, soit la nouvelle Aspa. L'Aspa et les allocations de l'ancien dispositif du minimum vieillesse coexistent, la première ne se substituant aux secondes que pour les nouveaux bénéficiaires.
* 1 Premier rapport du Conseil d'orientation des retraites, « Retraites : renouveler le contrat social entre les générations », 6 décembre 2001.
* 2 Inspection générale des affaires sociales, « Evaluation du cumul emploi-retraite », juin 2012.
* 3 Loi n° 56-639 du 30 juin 1956 portant institution d'un fonds national de solidarité
* 4 Sont également visés à cet article les anciens combattants, les anciens déportés ou internés et les anciens prisonniers de guerre.
* 5 Pour les ressortissants communautaires ou assimilés, le bénéficiaire doit remplir les conditions exigées pour bénéficier d'un droit de séjour (c'est-à-dire disposer pour lui-même et pour les membres de sa famille d'une couverture maladie-maternité et de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour l'assistance sociale de l'Etat d'accueil au cours du séjour). Il doit également avoir résidé en France pendant les trois mois précédant la demande. Pour bénéficier de l'Aspa, les étrangers non communautaires (à l'exception des réfugiés, des apatrides, des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des anciens combattants) doivent, en application de l'article 94 de la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012, être titulaires depuis au moins dix ans d'un titre de séjour les autorisant à travailler.