Rapport n° 25 (2013-2014) de Mme Esther BENBASSA , fait au nom de la commission des lois, déposé le 2 octobre 2013
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LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
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EXPOSÉ GÉNÉRAL
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I. UN DROIT EN VIGUEUR DÉJÀ
TRÈS PROTECTEUR POUR LES VICTIMES
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II. LES ENJEUX DE LA PROPOSITION DE LOI :
APPORTER SÉCURITÉ JURIDIQUE ET RECONNAISSANCE SYMBOLIQUE AUX
VICTIMES DE PRISE D'OTAGES
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III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES
LOIS : L'ADOPTION SANS RÉSERVE DE LA PROPOSITION DE LOI
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I. UN DROIT EN VIGUEUR DÉJÀ
TRÈS PROTECTEUR POUR LES VICTIMES
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 25
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 octobre 2013 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de Mme Claudine LEPAGE et plusieurs de ses collègues visant à l' indemnisation des personnes victimes de prise d' otages ,
Par Mme Esther BENBASSA,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Sueur , président ; MM. Jean-Pierre Michel, Patrice Gélard, Mme Catherine Tasca, M. Bernard Saugey, Mme Esther Benbassa, MM. François Pillet, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Nicolas Alfonsi, Mlle Sophie Joissains , vice-présidents ; Mme Nicole Bonnefoy, MM. Christian Cointat, Christophe-André Frassa, Mme Virginie Klès , secrétaires ; MM. Alain Anziani, Philippe Bas, Christophe Béchu, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Cécile Cukierman, MM. Michel Delebarre, Félix Desplan, Christian Favier, Louis-Constant Fleming, René Garrec, Gaëtan Gorce, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Jacques Hyest, Philippe Kaltenbach, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, Antoine Lefèvre, Mme Hélène Lipietz, MM. Roger Madec, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Hugues Portelli, André Reichardt, Alain Richard, Simon Sutour, Mme Catherine Troendle, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto . |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
657 (2012-2013) et 26 (2013-2014) |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSIONLa commission des lois, réunie le mercredi 2 octobre 2013 sous la présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président , a examiné le rapport de Mme Esther Benbassa et établi le texte présenté par la commission sur la proposition de loi n° 657 (2012-2013), présentée par Mme Claudine Lepage et plusieurs de ses collèges, visant à l' indemnisation des personnes victimes de prises d'otages . La rapporteure a souligné la complexité actuelle des dispositifs d'indemnisation des victimes : lorsque la prise d'otages est qualifiée d'acte de terrorisme, ces dernières ont accès à la procédure instituée par la loi de lutte contre le terrorisme du 9 septembre 1986 ; dans le cas contraire, l'accès à l'indemnisation dépend de l'étendue du dommage subi. La proposition de loi vise à permettre à toutes les victimes de prises d'otages d'obtenir la réparation intégrale de leur préjudice auprès des commissions d'indemnisation des victimes (CIVI) lorsqu'elles ne relèvent pas du mécanisme institué par la loi de lutte contre le terrorisme de 1986. Elle assure ainsi une plus grande sécurité juridique aux victimes. Au-delà, la rapporteure a souligné la nécessité de mieux accompagner les victimes et leurs proches. Selon le ministère des affaires étrangères, une cinquantaine de ressortissants français ont été victimes d'une prise d'otages depuis 2009 - 35 dans le cadre d'un acte de terrorisme, 15 dans le cadre d'un acte de grand banditisme. La commission des lois a adopté deux amendements techniques présentés par la rapporteure, l'un visant à permettre l'application de la proposition de loi à Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, l'autre supprimant le « gage » - l'indemnisation des victimes d'infractions par les CIVI, assurée par un financement privé, ne soulevant pas de difficulté au regard de l'article 40 de la Constitution. Votre commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est invité à examiner la proposition de loi n°657 (2012-2013) de Mme Claudine Lepage, de quarante de ses collègues et des membres du groupe socialiste et apparentés visant à faciliter l'indemnisation des victimes de prise d'otages.
Comme le rappelle l'exposé des motifs de cette proposition de loi, les prises d'otages sont toujours des périodes de grandes souffrances, tant pour les personnes retenues que pour les membres de leurs familles. L'actualité nous montre - hélas trop souvent - que le fait d'être Français peut exposer certains de nos compatriotes présents à l'étranger à en être victimes, du seul fait de leur nationalité. Un effort de solidarité nationale tout particulier s'impose donc à l'égard de ces personnes et de leurs proches.
De fait, le droit actuel permet déjà, dans une très large mesure, d'indemniser les victimes de prise d'otages. La présente proposition de loi vise toutefois à apporter une sécurité juridique à ces victimes en reconnaissant explicitement ce droit à l'indemnisation et à la réparation intégrale de leur préjudice. Au-delà, elle marque l'attention particulière que le législateur souhaite accorder à nos compatriotes et à leurs familles.
Votre commission des lois ne peut que souscrire à ces objectifs et a adopté la présente proposition de loi, dont elle a, en outre, étendu le champ d'application aux territoires d'outre-mer soumis en matière pénale au principe de spécialité législative.
I. UN DROIT EN VIGUEUR DÉJÀ TRÈS PROTECTEUR POUR LES VICTIMES
Dans une large mesure, les dispositifs actuels d'indemnisation des victimes permettent d'ores et déjà d'indemniser le préjudice subi par les victimes de prises d'otages et leurs proches.
A. L'EXISTENCE DE PLUSIEURS DISPOSITIFS D'INDEMNISATION DES VICTIMES D'INFRACTIONS
Lorsqu'une personne est victime d'une infraction pénale, elle dispose de deux voies de droit lui permettant d'obtenir la réparation du dommage subi et l'indemnisation de son préjudice :
- soit elle se constitue partie civile devant la juridiction pénale chargée de juger l'auteur des faits, afin d'obtenir la condamnation de celui-ci à lui verser des dommages et intérêts ;
- soit, si elle ne peut ou ne souhaite agir contre l'auteur des faits au pénal, elle a la possibilité de saisir les juridictions civiles d'une demande de réparation, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile.
La mise en oeuvre de ces voies de droit peut toutefois se heurter à des difficultés, lorsque l'auteur est insolvable ou lorsque, pour un certain nombre de raisons, il ne peut comparaître devant la justice française (l'auteur des faits est inconnu, il est décédé, il a été reconnu pénalement irresponsable de ses actes, il se trouve sur le territoire d'un État qui refuse de l'extrader, etc.). Les victimes de prises d'otages commises à l'étranger sont fréquemment exposées à de telles situations - de tels faits ne donnant qu'exceptionnellement lieu à un procès sur le territoire français (seule, récemment, la prise d'otages du Ponant survenue en avril 2008 a donné lieu à une procédure judiciaire en France).
Dans une telle situation, afin d'éviter que, de façon choquante, une victime ne puisse obtenir la réparation de son préjudice, le législateur a progressivement mis en place, à partir de la loi du 3 janvier 1977, un système d'indemnisation des victimes reposant sur le principe de la solidarité nationale .
Plusieurs dispositifs, fondés soit sur la nature de l'infraction subie, soit sur la gravité du préjudice, ont été instaurés.
1. La réparation du préjudice subi par les victimes d'acte de terrorisme
C'est par la loi n°86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme qu'a été institué le régime d'indemnisation intégrale des dommages corporels résultant d'un acte de terrorisme .
Aux termes de l'article L. 126-1 du code des assurances, dont le champ a été étendu par la loi n°2006-64 du 23 janvier 2006, sont éligibles à ce dispositif les victimes d'actes de terrorisme 1 ( * ) commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes ainsi que leurs ayants droits, quelle que soit leur nationalité.
Cette procédure d'indemnisation est définie par les articles L. 422-1 à L. 422-3 du code des assurances, ainsi que par les dispositions réglementaires prises pour leur application.
Elle repose sur le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) . Ce fonds, doté de la personnalité civile, est alimenté par un prélèvement sur les contrats d'assurance de biens.
En matière de terrorisme, il est chargé d'assurer la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne - les atteintes aux biens étant pour leur part prises en charge par les compagnies d'assurances.
La procédure applicable devant le FGTI est une procédure administrative , qui se caractérise, en outre, par sa souplesse : non seulement la saisine du Fonds par la victime n'est soumise à aucun formalisme ni à aucune condition de délai, mais, en outre, il appartient au procureur de la République ou à l'autorité diplomatique ou consulaire compétente, dès la survenance d'un acte de terrorisme, d'informer sans délai le FGTI des circonstances de l'évènement et de l'identité des victimes, ce qui permet une mise en oeuvre rapide de la procédure.
Le Fonds est alors tenu de verser une ou plusieurs provisions dans un délai d'un mois à compter de la demande et de présenter à toute victime une offre d'indemnisation dans un délai de trois mois à compter du jour où il reçoit de celle-ci la justification de ses préjudices. La réparation peut toutefois être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.
Depuis 1986, 3 882 victimes de terrorisme ont ainsi été indemnisées par le FGTI, pour un montant total d'indemnités de 94,3 millions d'euros 2 ( * ) .
2. La procédure juridictionnelle d'indemnisation des victimes d'infractions pénales
Parallèlement à ce dispositif, le code de procédure pénale organise l'indemnisation des victimes de certaines infractions pénales graves ou se trouvant dans une situation particulièrement difficile.
À l'inverse de la procédure précédemment décrite, il s'agit ici d'une procédure juridictionnelle , faisant intervenir une commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) , juridiction civile instituée dans le ressort de chaque tribunal de grande instance (TGI) et composée de deux magistrats du siège du TGI ainsi que d'une personne majeure, de nationalité française, s'étant signalée par l'intérêt qu'elle porte aux problèmes des victimes.
La CIVI peut procéder à toute audition ou investigation utile. Si une procédure pénale a été ouverte, elle peut se prononcer sans attendre l'issue de cette dernière, ce qui permet à la victime d'obtenir une indemnisation dans un délai raisonnable, sans avoir à attendre le terme de la procédure.
Les indemnités allouées par la CIVI sont également versées par le FGTI qui peut, en outre, présenter directement à la victime une offre d'indemnisation qui, si elle est acceptée par cette dernière, doit être homologuée par le président de la CIVI.
Pour être éligible à cette procédure, la victime doit être de nationalité française ou les faits doivent avoir été commis sur le territoire national.
Comme en matière de terrorisme, la réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.
On distingue trois dispositifs :
1) L'article 706-3 du code de procédure pénale permet à une victime d'obtenir la réparation intégrale de dommages corporels résultant d'atteintes considérées comme particulièrement graves par le législateur. Il s'agit :
• soit d'infractions ayant entraîné
la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de
travail (ITT) personnel supérieure ou égale à un
mois ;
• soit d'une atteinte résultant de faits
constitutifs de viol ou d'agression sexuelle, de traite des êtres
humains, d'atteintes sexuelles sur mineurs, ou, depuis l'entrée en
vigueur de la loi n°2013-711 du 5 août 2013, d'esclavage ou de
travail forcé.
2) Pour les victimes ne relevant pas de ce dispositif, l'article 706-14 du code de procédure pénale permet, sous certaines conditions plus restrictives, d'indemniser les victimes d'une atteinte à la personne ou de certaines atteintes aux biens (vol, escroquerie, abus de confiance, extorsion de fonds, destruction, dégradation ou détérioration d'un bien). À l'inverse du dispositif prévu par l'article 706-3 précité, il appartient à la victime de démontrer qu'elle « ne peut obtenir à un titre quelconque une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice », qu'elle « se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave » et que ses ressources sont inférieures au plafond de l'aide juridictionnelle partielle. En outre, l'indemnité allouée sur le fondement de cet article 706-14 est au maximum égale au triple du montant mensuel de ce plafond de ressources.
3) L'article 706-14-1 du code de procédure pénale assouplit toutefois ces conditions s'agissant des victimes de la destruction par incendie de leur véhicule.
Ces dispositifs ne sont pas applicables lorsqu'existe un mécanisme spécial d'indemnisation, ce qui est le cas en matière de terrorisme (voir supra ), mais également lorsque l'intéressé relève de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation, lorsque le dommage a été causé par une exposition à l'amiante ou lorsqu'il a pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux nuisibles. Sous certaines conditions, les accidents du travail et les accidents de service sont également exclus.
En 2012, le FGTI a ouvert 17 017 dossiers d'indemnisation sur le fondement de ces dispositions et versé 265,9 millions d'euros aux victimes 3 ( * ) .
B. UNE INDEMNISATION DES VICTIMES DE PRISES D'OTAGES FRAGMENTÉE
La notion de « prise d'otages » ne constitue pas en droit pénal une infraction spécifique mais une circonstance aggravante de l'infraction d'enlèvement et de séquestration .
L'article 224-4 du code pénal dispose ainsi que « si la personne arrêtée, enlevée, détenue ou séquestrée l'a été comme otage soit pour préparer ou faciliter la commission d'un crime ou d'un délit, soit pour favoriser la fuite ou assurer l'impunité de l'auteur ou du complice d'un crime ou d'un délit, soit pour obtenir l'exécution d'un ordre ou d'une condition, notamment le versement d'une rançon, l'infraction prévue par l'article 224-1 [le crime d'enlèvement et de séquestration] est punie de trente ans de réclusion criminelle ».
Cette peine est portée à la réclusion criminelle à perpétuité si les faits sont commis à l'encontre d'un mineur de quinze ans ou en bande organisée (dans ce dernier cas, la peine de réclusion s'accompagne également d'une amende d'un million d'euros) (articles 224-5 et 224-5-2 du code pénal).
Toutefois, aux termes du troisième alinéa de l'article 224-4 précité, sauf si « la victime a subi une mutilation ou une infirmité permanente provoquée volontairement ou résultant soit des conditions de détention, soit d'une privation d'aliments ou de soins », « la peine est de dix ans d'emprisonnement si la personne prise en otage [...] est libérée volontairement avant le septième jour accompli depuis celui de son appréhension, sans que l'ordre ou la condition ait été exécuté ».
L'article 421-1 du code pénal prévoit par ailleurs que de tels faits peuvent être qualifiés d'actes de terrorisme dès lors qu'ils sont « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».
Il résulte de ce qui précède que la victime d'une prise d'otages est susceptible de relever, pour l'indemnisation de son préjudice, de trois situations différentes :
- si la prise d'otages constitue un acte de terrorisme, elle bénéficie de la procédure instaurée par la loi du 9 septembre 1986 précitée ;
- si la prise d'otages ne constitue pas un acte de terrorisme mais qu'elle a entraîné la mort de la victime, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, la victime peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice auprès de la CIVI, sur le fondement de l'article 706-3 du code de procédure pénale précité ;
- dans le cas contraire, la victime ne peut prétendre à une indemnisation auprès de la CIVI que si, victime d'une atteinte à la personne, elle ne peut obtenir à un titre quelconque une réparation ou une indemnisation effective et suffisante de son préjudice, qu'elle se trouve de ce fait dans une situation matérielle ou psychologique grave et que ses ressources sont inférieures au plafond prévu pour l'aide juridictionnelle partielle (conditions posées par l'article 706-14 du code de procédure pénale).
II. LES ENJEUX DE LA PROPOSITION DE LOI : APPORTER SÉCURITÉ JURIDIQUE ET RECONNAISSANCE SYMBOLIQUE AUX VICTIMES DE PRISE D'OTAGES
A. GARANTIR L'INDEMNISATION DE TOUTES LES VICTIMES
Forte de ces constats, la présente proposition de loi propose de compléter l'article 706-3 du code de procédure pénale afin d'y insérer la référence à l'article 224-4 du code pénal précité, de sorte que, dès lors que la prise d'otages ne constitue pas un acte de terrorisme, la victime puisse obtenir une réparation intégrale de son préjudice auprès de la CIVI. L'ensemble des victimes de prise d'otages seraient ainsi désormais assurées d'obtenir la réparation intégrale de leur préjudice, soit à travers la procédure ad hoc prévue en matière de terrorisme, soit à travers la procédure juridictionnelle instituée par l'article 706-3 du code de procédure pénale .
Une telle extension ne devrait considérer en réalité qu'un nombre marginal de personnes . En effet, selon Mme Françoise Rudetzki et M. Stéphane Gicquel, représentants de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (FENVAC), il est très rare qu'une victime de prise d'otages, lorsqu'elle n'entre pas dans le champ du dispositif d'indemnisation propre aux victimes d'actes de terrorisme, ne se voit pas reconnaître une incapacité permanente ou une ITT supérieure ou égale à un mois, ce qui lui permet de fait d'être éligible à l'article 706-3 du code de procédure pénale. À leur connaissance, aucune victime de prise d'otages n'a, à ce jour, été confrontée à des difficultés en matière d'indemnisation.
M. François Werner et Mme Nathalie Faussat, représentants du FGTI, ont pour leur part confirmé que les modifications apportées par la proposition de loi ne bénéficieraient sans doute qu'à un nombre restreint de personnes, mais ils ont estimé opportun d'y procéder, dans un souci de cohérence de l'indemnisation des victimes de prise d'otages. Ainsi, ces dernières n'auront plus à prouver l'existence d'une incapacité permanente ou d'une ITT d'au moins un mois pour voir leur demande d'indemnisation jugée recevable par la CIVI et leur permettre, ainsi, d'obtenir la réparation intégrale de leur préjudice.
Votre rapporteure attire l'attention sur le fait que ce dispositif ne s'adressera pas exclusivement aux victimes de prises d'otages commises à l'étranger : les juridictions françaises (tribunaux correctionnels et cours d'assises) condamnent en moyenne une cinquantaine de personnes chaque année sur le fondement de l'article 224-4 du code pénal 4 ( * ) .
Par ailleurs, si, d'après l'association Otages du monde, il est difficile de connaître exactement le nombre de nos compatriotes victimes de tels faits à l'étranger, le ministère des affaires étrangères évalue à une cinquantaine le nombre de Français retenus en otages à l'étranger entre 2009 et 2013 (35 dans le cadre d'un acte de terrorisme, tandis qu'une quinzaine étaient victimes d'un enlèvement dit « crapuleux »).
B. UNE RÉPONSE PARTIELLE AU BESOIN DE MIEUX ACCOMPAGNER LES VICTIMES DE PRISE D'OTAGES ET LEURS FAMILLES
Comme l'ont souligné les personnes entendues par votre rapporteure, cette proposition de loi vise, au-delà de la seule question de l'indemnisation du préjudice, à attirer l'attention sur la nécessité de mieux accompagner les victimes de prises d'otages et leurs familles.
Tant les représentants de la FENVAC que ceux d'Otages du monde ont en effet fait part à votre rapporteure de la solitude des familles et des difficultés de réinsertion sociale des victimes après leur libération. Ils ont appelé de leurs voeux une mobilisation de la représentation nationale pour tenter de mieux appréhender ces situations douloureuses et apporter aux anciens otages et à leurs proches le soutien dont ils ont besoin.
III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : L'ADOPTION SANS RÉSERVE DE LA PROPOSITION DE LOI
Votre commission ne peut qu'approuver les objectifs poursuivis par la présente proposition de loi, qu'elle a par conséquent adoptée après lui avoir apporté, à l'initiative de votre rapporteure, deux modifications techniques :
- d'une part, elle a étendu le champ d'application de la proposition de loi à Wallis et Futuna, à la Polynésie française et à la Nouvelle Calédonie - trois territoires d'outre-mer soumis, en matière pénale, au principe de spécialité législative ;
- d'autre part, elle a supprimé l'article 2 de la proposition de loi, qui « gageait » les éventuelles charges résultant de son application par une taxe additionnelle sur les tabacs. En effet, l'extension du champ de l'article 706-3 du code de procédure pénale ne soulève pas de difficulté au regard de l'article 40 de la Constitution, car le FGTI, chargé de verser les sommes allouées à la victime par la CIVI, est alimenté par un prélèvement sur les contrats d'assurance de biens (fixé par voie réglementaire à 3,30 euros par contrat), et non par un financement public.
Au-delà, votre commission rappelle son attachement au droit pour toute victime d'infraction pénale d'obtenir la réparation de son préjudice, raison pour laquelle elle a souhaité confier à nos collègues Philippe Kaltenbach et Christophe Béchu le soin de dresser un bilan des multiples dispositifs existants et, le cas échéant, de formuler des propositions susceptibles de les améliorer. Leur rapport d'information devrait être prochainement remis.
* *
*
Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.
EXAMEN EN COMMISSION
Mme Esther Benbassa , rapporteure . - Nous examinons la proposition de loi déposée par Mme Claudine Lepage et plusieurs de ses collègues visant à l'indemnisation des personnes victimes de prises d'otages. Le code pénal prévoit que le fait d'arrêter, d'enlever, de détenir ou de séquestrer une personne est puni de vingt ans de réclusion criminelle. Si la séquestration vise à obtenir une rançon ou à permettre la fuite de l'auteur, la peine est portée à trente ans. La prise d'otages est donc considérée comme une circonstance aggravante de la séquestration ou de l'enlèvement.
L'indemnisation des otages varie selon les circonstances. Si la prise d'otages est liée à une action terroriste, elle relève du régime de la loi du 9 septembre 1986. Si la prise d'otage n'est pas liée au terrorisme mais qu'elle a entraîné la mort de la victime, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois, l'indemnisation du préjudice est accordée sur le fondement de l'article 706-3 du code de procédure pénale, par la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi). Enfin, dans les autres cas, la victime peut prétendre à une indemnisation de la Civi mais seulement si elle ne peut obtenir par ailleurs une réparation de son préjudice, et qu'elle se trouve dans une situation matérielle ou psychologique délicate, avec des ressources inférieures à l'aide juridictionnelle partielle.
L'objet de la proposition de loi est donc limité car dans tous les cas les victimes sont déjà indemnisées. L'essentiel est la reconnaissance symbolique du statut d'otage. En outre, le texte vise une homogénéisation, le régime d'indemnisation étant aligné sur celui des victimes d'atteintes graves à la personne lorsque la victime ne relève pas de la loi de 1986. On compte 50 prises d'otages à l'étranger entre 2009 et 2013, environ 35 liées au terrorisme, les autres crapuleuses. Je proposerai par ailleurs de supprimer l'article 2 car cette indemnisation, qui est versée par le Fonds de garantie (FGTI), est assurée par un prélèvement sur les contrats d'assurance et ne pose pas de difficulté au regard de l'article 40 de la Constitution.
M. Alain Richard . - L'irrecevabilité financière est appliquée différemment dans chacune des deux assemblées. Cependant, selon l'usage, la première assemblée saisie décide si l'article 40 est opposable à une proposition de loi, et l'autre assemblée s'y rallie, même si son interprétation n'est pas identique.
Sur le fond, la question en l'occurrence est celle-ci. Le fonds d'indemnisation est doté de crédits évaluatifs, éventuellement corrigés selon les dépenses. L'ajout d'une catégorie d'infraction, de nature à augmenter les demandes d'indemnisation, et en conséquence les dépenses du fonds, est-elle susceptible de constituer une irrecevabilité financière ? Le Sénat, dans le passé, a considéré que non, mais l'examen de l'article 2 est l'occasion de préciser notre interprétation de l'article 40. En supprimant l'article, nous estimons que la proposition de loi échappe à la censure de l'article 40, car la dotation budgétaire évaluative n'aurait pas à être augmentée.
M. Patrice Gélard . - Je ne suis pas convaincu de l'intérêt de cette proposition de loi : les victimes sont déjà indemnisées.
M. Alain Richard . - Par qui ? Par les auteurs ?
M. Patrice Gélard . - Non, par l'État.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Je crois au contraire ce texte bienvenu. Il est bon d'homogénéiser les modalités d'indemnisation des victimes.
M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je partage cet avis. Le code pénal définit le terrorisme comme un acte ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. Une prise d'otage n'est-elle pas, de fait, un acte de terrorisme ?
M. Alain Richard . - Il convient de prouver que l'intention était de troubler l'ordre public sinon le tribunal estimera qu'il s'agit d'un acte crapuleux. En droit pénal les incriminations sont d'interprétation stricte.
M. Patrice Gélard . - La séquestration d'un patron n'est pas un acte de terrorisme !
Mme Esther Benbassa , rapporteure . - L'article 2 de la proposition de loi n'est pas nécessaire : il n'y a pas lieu de prévoir un gage lorsque l'indemnisation est assurée par un financement privé. En outre la commission des finances s'est déjà, dans le passé, prononcée sur le sujet à plusieurs reprises.
Il est bon d'homogénéiser le régime d'indemnisation des victimes et de reconnaître le statut de celles-ci. Quant à la qualification de terrorisme, elle est soumise à l'appréciation du parquet de Paris.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article additionnel après l'article 1 er
Mme Esther Benbassa , rapporteure . - L'amendement n° 1 permet l'application de la proposition de loi aux trois territoires d'outre-mer soumis en matière pénale au principe de spécialité législative.
L'amendement n° 1 est adopté et devient l'article 1 er bis.
Mme Esther Benbassa , rapporteure . - L'amendement n° 2 supprime le « gage », qui n'a pas lieu d'être en l'espèce.
L'amendement n° 2 est adopté et l'article 2 est supprimé.
La commission adopte la proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Article(s) additionnel(s) après Article 1er |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Mme BENBASSA, rapporteure |
1 |
Application outre-mer |
Adopté |
Article 2
|
|||
Mme BENBASSA, rapporteure |
2 |
Suppression du gage |
Adopté |
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Mme Claudine Lepage , auteure de la proposition de loi
Tribunal de grande instance de Paris - commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI)
Mme Catherine Patoux Guerber , magistrat en charge de la CIVI
Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI)
M. François Werner , directeur général du fonds de garantie des assurances
Mme Nathalie Faussat , directeur du FGTI
Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (FENVAC)
M. Stéphane Gicquel , secrétaire général
Mme Françoise Rudetzki , déléguée au terrorisme
Otages du monde
M. Jean-Louis Normandin , président
Mme Catherine Gauffeny , co-fondatrice et ancienne secrétaire générale
Mme Patricia Philibert , secrétaire générale
* 1 L'article 421-1 du code pénal dispose à cet égard que « constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les infractions suivantes :
« 1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, définis par le livre II du présent code ;
« 2° Les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique définis par le livre III du présent code ;
« 3° Les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous définies par les articles 431-13 à 431-17 et les infractions définies par les articles 434-6 et 441-2 à 441-5 ;
« 4° Les infractions en matière d'armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires définies par le I de l'article L. 1333-9, les articles L. 1333-11 et L. 1333-13-2, le II des articles L. 1333-13-3 et L. 1333-13-4, les articles L. 1333-13-6, L. 2339-2, L. 2339-5, L. 2339-8 et L. 2339-9 à l'exception des armes de la catégorie D définies par décret en Conseil d'État, L. 2339-14, L. 2339-16, L. 2341-1, L. 2341-4, L. 2341-5, L. 2342-57 à L. 2342-62, L. 2353-4, le 1° de l'article L. 2353-5 et l'article L. 2353-13 du code de la défense ;
« 5° Le recel du produit de l'une des infractions prévues aux 1° à 4° ci-dessus ;
« 6° Les infractions de blanchiment prévues au chapitre IV du titre II du livre III du présent code ;
« 7° Les délits d'initié prévus à l'article L. 465-1 du code monétaire et financier ».
* 2 FGTI, rapport annuel pour 2012, page 14.
* 3 FGTI, rapport annuel pour 2012, page 14.
* 4 Source : casier judiciaire national.