B. LE RISQUE PERSISTANT D'UNE POLITIQUE À COURTE VUE
1. Des ventes à vil prix ?
Une surévaluation des recettes pourrait aussi suggérer - et c'est plus grave - une vente de certains biens à un prix inférieur à leur valeur réelle , afin de réaliser des économies budgétaires immédiates.
Vos rapporteurs spéciaux, qui déplorent que très peu d'informations pertinentes soient disponibles pour juger du bien-fondé d'un prix de cession, s'inquiètent particulièrement de ce risque dans le contexte actuel. Or la nécessité de contribuer au désendettement ne doit pas conduire l'Etat à céder ses biens à vil prix .
Cette préoccupation de vos rapporteurs spéciaux vaut d'abord pour l'immobilier de prestige , et notamment les immeubles historiques situés au centre de Paris. L'Etat a par exemple annoncé la vente de l'ensemble de Penthemont , soit 12 438 m² occupés par le ministère de la défense jusqu'en 2016 et composés d'un ancien couvent et d'un ancien bâtiment militaire, entre la rue de Bellechasse et la rue de Grenelle dans le 7 ème arrondissement de Paris. Vos rapporteurs spéciaux seront très vigilants quant aux conditions de cessions d'un ensemble de ce type . Les mêmes questions se posent, par exemple, pour la vente de l'Hôtel de Brienne prévue - mais reportée - depuis plusieurs années.
2. Des recettes immédiates contre des charges permanentes ?
Plus fondamentalement, vos rapporteurs spéciaux s'interrogent sur les fondements mêmes de la politique immobilière de l'Etat . Celle-ci apparaît en effet de plus en plus victime d'une logique à courte vue , consistant pour à vendre pour générer des recettes immédiates, quitte à supporter des charges locatives pérennes par la suite.
Le cas de l'immobilier du ministère des affaires étrangères , auquel s'est récemment intéressée votre commission des finances 49 ( * ) , en fournit un exemple éclairant. Ainsi, la vente de la résidence du consul de France à Hong Kong a rapporté 52 millions d'euros en juin 2011, dont 18 millions d'euros réinvesti dans l'achat d'un immeuble à Shanghai. Mais l'achat d'une nouvelle résidence à Hong Kong étant apparu trop onéreux dans le contexte actuel, le ministère s'est résolu à louer... la même résidence qu'il venait de céder ! De propriétaire, l'administration est devenue locataire du même lieu pour deux années, dans une ville où les loyers ne sont de surcroît pas garantis.
La mise en vente de la résidence de l'ambassadeur de France auprès de l'ONU à New York , à un prix estimé à 30 millions d'euros, débouchera-t-elle sur une même erreur ?
3. Le désendettement et la construction de logements sociaux : deux politiques contradictoires
Enfin, vos rapporteurs spéciaux estiment que la volonté de faire contribuer les cessions immobilières au désendettement de l'Etat se heurte frontalement aux objectifs poursuivis par la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement 50 ( * ) . En effet, l'Etat est autorisé à céder des terrains de son domaine privé à un prix inférieur à leur valeur vénale, lorsque ces terrains sont en partie destinés à la construction de logements 51 ( * ) . Or l'article 3 de la loi du 18 janvier 2013 prévoit que « pour la part du programme destinée aux logements sociaux [...] , la décote ainsi consentie peut atteindre 100 % de la valeur vénale du terrain ». En d'autres termes, la cession peut aller jusqu'à la gratuité s'il s'agit de construire des logements sociaux. Parmi les biens concernés figure par exemple la caserne de Reuilly, cédée à la ville de Paris le 9 juillet 2013 pour 40 millions d'euros, contre une estimation précédente de 64,5 millions d'euros. Entre 400 et 500 logements sociaux devraient être construits.
Vos rapporteurs spéciaux voient là une contradiction majeure entre deux volets de la politique actuellement menée par le Gouvernement , entre lesquels il importe de choisir au plus vite, au risque de n'obtenir des résultats dans aucun des deux.
* 49 Cf. audition de Nathalie Morin, chef du service France Domaine, et de Yves Saint-Geours, directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères, le 5 juin 2013, par la commission des finances du Sénat.
* 50 Loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.
* 51 Article L. 3211-7 du code général de la propriété des personnes publiques.