II. ... QUI PÈSE SUR LES PERSPECTIVES DE CROISSANCE DE L'UNION EUROPÉENNE
La faiblesse de l'investissement au cours des années passées est de nature à affecter la croissance potentielle de l'Union européenne par plusieurs canaux 6 ( * ) ; en effet, elle peut réduire aussi bien la quantité que la qualité du capital productif disponible. Tout d'abord, l'insuffisance de l'investissement a une incidence sur le rythme d'accumulation du capital , favorisant une destruction du capital existant par le biais des faillites et des fermetures d'unités de production qui les accompagnent ; de même, elle limite le renouvellement du capital productif et entraîne un accroissement de son obsolescence. Sur ce dernier point, il convient de relever qu'une récente étude publiée par la Banque de France a fait apparaître que le vieillissement de l'appareil productif, consécutif à la crise économique, dans les principales économies de la zone euro avait eu un impact significatif sur la productivité globale des facteurs (PGF) 7 ( * ) et, donc, sur la croissance potentielle de ces économies 8 ( * ) .
En outre, les études empiriques semblent indiquer que les dépenses de recherche et développement (R&D) - porteuses à long terme du progrès technique - sont pro-cycliques 9 ( * ) , ce qui tend à indiquer que le ralentissement de l'investissement se serait accompagné d'une baisse des dépenses de R&D, venant, là encore, minorer la dynamique d'évolution de la productivité des facteurs.
Enfin, en raison, notamment, du recul de l'investissement public à la suite de la crise économique et de la persistance d'un faible niveau de la formation brute de capital fixe (FBCF) des administrations publiques dans un pays comme l'Allemagne (cf. supra ), se fait jour un déficit d'investissements dans les infrastructures . À cet égard, dans les seuls réseaux d'infrastructures de transport, d'énergie et de télécommunications, le besoin d'investissements pour la période allant jusqu'à 2020 a été estimé, l'an dernier, à 1 000 milliards d'euros par la Commission européenne 10 ( * ) . Or, l'analyse économique a mis en évidence l'incidence substantielle des investissements en infrastructures sur la croissance économique. Les infrastructures publiques sont en mesure de renforcer la productivité des facteurs de production, venant soutenir les activités des ménages et des entreprises ; par exemple, les infrastructures routières viennent réduire les coûts et la durée des transports 11 ( * ) . Un raisonnement similaire peut être tenu avec les infrastructures de télécommunication, d'énergie, etc. Par ailleurs, par l'intermédiaire de l'augmentation de la productivité des facteurs de production, les infrastructures peuvent entraîner une augmentation du rendement du capital et favoriser, par conséquent, une hausse de l'investissement privé 12 ( * ) . Certains auteurs ont même identifié des liens plus indirects entre les infrastructures publiques et la croissance ; ainsi, les infrastructures de transport peuvent encourager les échanges commerciaux et, de ce fait, l'activité économique 13 ( * ) . Dans ces conditions, le Fonds monétaire international (FMI) a estimé nécessaire, en octobre 2014, l'engagement de programmes d'investissement en infrastructures 14 ( * ) ; une telle préoccupation apparaît également dans le plan d'action défini lors de la réunion du G20 qui s'est déroulée à Brisbane en Australie en novembre 2014 , ce qui montre qu'une telle problématique dépasse les frontières de l'Union européenne.
Au total, l'Union européenne se trouve aujourd'hui dans
une situation paradoxale, marquée par un niveau d'investissement
insuffisant, qui obère une croissance potentielle déjà
limitée de l'Union européenne
- estimée à 0,8
et 0,9 % en 2014 et 2015 par la Commission
européenne
15
(
*
)
-, alors même que les liquidités
y ont rarement été aussi abondantes
, en particulier du
fait de la politique monétaire accommodante menée par la plupart
des banques centrales des pays industrialisés, et notamment par la
Federal Reserve américaine et la Banque centrale européenne
(BCE). Ceci vient parfaitement illustrer le discours de Mario Draghi,
président de la BCE, au symposium annuel des banques centrales à
Jackson Hole en août 2014, dans lequel il était rappelé que
la politique monétaire à elle seule ne pouvait constituer le seul
levier d'une reprise de l'activité économique en Europe.
* 6 La croissance potentielle correspond à l'évolution du niveau de production « soutenable », soit du PIB potentiel, qui désigne le produit intérieur brut pouvant être obtenu durablement, c'est-à-dire sans produire de déséquilibre sur les marchés des biens et du travail. Les notions de croissance potentielle et de PIB potentiel font l'objet d'une analyse approfondie dans le rapport n° 55 (2014-2015) sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat (p. 9-28).
* 7 La productivité globale des facteurs (PGF) désigne le « résidu » de croissance qui ne peut être expliqué par la quantité de travail et de capital disponible. Elle représente, en quelque sorte, l'efficacité de la combinaison du capital et du travail.
* 8 V. Chouard, D. Fuentes Castro, D. Irac et M. Lemoine, « Assessing the Losses in Euro Potential Productivity Due to the Financial Crisis », Document de travail de la Banque de France n° 468 , décembre 2013.
* 9 D. Comin et M. Gertler, « Medium-term business cycles », American Economic Review , vol. 96, n° 3, p. 523-551.
* 10 Communiqué de presse IP/14/320 de la Commission européenne du 27 mars 2014.
* 11 D. Aschauer, « Is Public Expenditure Productive? », Journal of Monetary Economics , vol. 23, n° 2, 1989, p. 177-200, et A. Munnell, « How Does Public Infrastructure Affect Regional Economic Performance? » in A. Munnell (éd.), Is There a Shortfall in Public Capital Investment? , 1990.
* 12 Cf. J. Albala-Bertrand et E. Mamatzakis, « The Impact of Public Infrastructure on the Productivity of the Chilean Economy », Review of Development Economics , vol. 8, n° 2 2004, p. 266-278.
* 13 Cf. S. Scandizzo et P. Sanguinetti, « Infrastructure in Latin America: Achieving High Impact Management », Discussion Draft 2009 Latin America Emerging Markets Forum , 2009.
* 14 Fonds monétaire international, World Economic Outlook. Legacies, Clouds, Uncertainties , octobre 2014.
* 15 Commission européenne, « European Economic Forecast. Winter 2015 », European Economy , 1/2015, février 2015.