EXAMEN EN COMMISSION
Audition de MM. Jean-Louis Deroussen, président
du conseil
d'administration, et Daniel Lenoir, directeur général,
de la
caisse nationale d'allocations familiales
Réunie le mercredi 7 octobre 2015, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'audition de MM. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration, et Daniel Lenoir, directeur général, de la caisse nationale d'allocations familiales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
M. Alain Milon, président . - Nous sommes heureux d'accueillir M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), et M. Daniel Lenoir, directeur général, dans le cadre de l'examen du PLFSS pour 2016, qui a été délibéré ce matin en conseil des ministres, et dont l'avant-projet avait été transmis il y a quelques jours aux caisses de sécurité sociale. Le conseil d'administration de la Caisse nationale d'allocations familiales lui a donné un avis défavorable le 30 septembre dernier. Nous souhaitons faire le point sur la situation de la branche « famille » et sur les évolutions envisagées à la lumière du projet que le Sénat examinera à partir du 9 novembre.
M. Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Cnaf . - Malgré son avis défavorable, le conseil d'administration a approuvé une grande part des mesures qui concernent la branche « famille », avec en premier lieu la généralisation de la garantie contre les impayés de pensions alimentaires (Gipa), expérimentée dans vingt départements avec des remontées très positives. La prise en charge par les caisses d'allocations familiales des prestations familiales assurées aux fonctionnaires des DOM rétablira l'égalité entre la métropole et l'outremer. Enfin, l'extension du complément de libre choix du mode de garde et de l'allocation de soutien familial (ASF) à l'archipel de Saint-Pierre et Miquelon a répondu aux besoins d'une population de 6 000 habitants. En revanche, des réserves se sont exprimées sur la modification de la date de revalorisation des prestations familiales. C'est une mesure de simplification qui se traduira par un décalage de la revalorisation en 2016. Il est vrai cependant que l'impact d'une telle mesure est atténué en période de faible inflation. Nous regrettons également le maintien d'un déficit structurel dans la branche, et cela même si la modulation des allocations familiales a contribué à le réduire d'environ 800 millions d'euros, alors qu'il avait atteint un peu plus de 3 milliards.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général . - L'article 15 du projet de loi prévoit que la prise en charge des majorations de pensions pour enfant ne transite plus par le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Quel sera l'effet d'une telle disposition sur la Cnaf ? À ce stade de la mise en oeuvre de la convention d'objectifs et de gestion, quel bilan tirez-vous ? À la suite de la modulation des allocations familiales et de l'établissement de la prime d'activité, à combien estimez-vous les besoins en ETP et en financement par rapport aux prévisions de la convention ?
M. Jean-Louis Deroussen . - Nous ne pouvons faire qu'un bilan intermédiaire de la convention d'objectifs et de gestion qui couvre les années 2013 à 2017. Une mission commune de l'Inspection générale des Affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale des Finances (IGF) a fait le point sur les charges de travail des caisses d'allocations familiales. Au moment de la signature de la convention, nous avions bénéficié de renforts temporaires, pour faire face à un pic d'activité difficile à assumer, soit 200 emplois de techniciens et 500 emplois d'avenir que nous devrons restituer en 2017 au plus tard, en y ajoutant 1 000 autres emplois, et sans doute 300 emplois supplémentaires en raison des propositions de simplification validées par les services de l'Etat.
La mission Igas-IGF a salué nos efforts de productivité, dus notamment à la mutualisation de l'accueil des allocataires, et grâce auxquels nous devrions, à activité inchangée, être en mesure de restituer ces 1 700 emplois. Elle a également noté que nous avions pu absorber la charge de travail dégagée par la modulation des allocations familiales, en juillet dernier, soit 300 ETP. En revanche, nous restons inquiets sur la charge de travail supplémentaire que nous devrons assumer au 1 er janvier prochain, avec la mise en place de la prime d'activité. La mission estime qu'il faudra sans doute prévoir 500 ETP en plus. Nous essayons d'anticiper et des négociations sont en cours pour obtenir les renforts nécessaires au passage de ce pic d'activité : 800 000 nouveaux bénéficiaires, dont 400 000 ne sont pas connus comme allocataires au titre d'une autre prestation. La restitution envisagée à iso-activité doit être réévaluée.
M. Daniel Lenoir, directeur général de la Cnaf . - Nos efforts ont porté : nous avons tenu le rendez-vous du 1 er juillet pour réaliser la modulation des allocations familiales, et nous avons absorbé la charge de travail supplémentaire qui a été légèrement inférieure à ce que nous avions pu prévoir. En effet, nous avons travaillé en liaison étroite avec la Direction générale des finances publiques (Dgfip), qui nous a communiqué les informations nécessaires, de sorte que nous n'avons eu que 80 000 ménages « non-trouvés », auxquels il a fallu demander le montant de leurs revenus. Les 300 ETP nécessaires ont été absorbés par les gains de productivité que nous avons réalisés ces dernières années.
La mise en place de la prime d'activité demandera des modifications importantes de notre logiciel. Nous mettrons en place à partir des télédéclarations un dispositif d'accueil numérique accessible à tous, et nous améliorerons notre couverture du territoire grâce à des partenariats avec la Poste, les associations, les centres communaux d'action sociale mais aussi en passant des accords avec les volontaires du service civique désireux de s'engager dans cette démarche d'accueil.
Nous inaugurerons également le 1 er novembre un simulateur grâce auquel les bénéficiaires du RSA activité et de la PPE pourront connaître le montant des indemnités auxquelles ils ont droit.
Le taux de recours à la prime d'activité apparaît comme une variable non négligeable pour calculer la charge de travail supplémentaire. Chacun espère qu'il sera important tout en ayant conscience que l'objectif des 100 % est difficilement atteignable. L'Igas et l'IGF ont proposé une estimation moyenne de 500 ETP. Nous souhaitons pouvoir ralentir la pente de restitution des emplois et prévoir une clause de revoyure. Des mesures de simplification sont indispensables pour gagner en productivité. Il faudra également préserver les emplois d'avenir, qui donnent aux jeunes une occasion de s'insérer dans un parcours professionnel.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général . - Au nom de Mme Cayeux, rapporteure pour la branche « famille », je voudrais rappeler qu'après la budgétisation des APL, l'année dernière, est prévu en 2016 le transfert de la Cnaf vers l'Etat du financement des allocations de logement familiales. Le RSA est quant à lui financé par les départements. Quelle est la charge supportée par la Cnaf du fait de la gestion de ces aides ? Les coûts de gestion associés sont-ils intégralement compensés ? Par ailleurs, l'objectif de création de classes d'accueil pour les jeunes enfants, fixé par la convention, avait pris un retard conséquent, l'année dernière. Où en est-on ? Pouvez-vous nous présenter l'évolution des ressources du Fonds national d'action sociale (Fnas) ?
M. Jean-Louis Deroussen . - Les nouvelles places d'accueil n'ont pas été créées au rythme prévu, de sorte que nous n'avions pas pu atteindre en 2013 l'objectif des 100 000 places supplémentaires. Le travail a pourtant été bien mené l'an dernier et continue à l'être. Si l'on considère les engagements que nous avons pris pour 2015 en partenariat avec les collectivités locales, et ceux que l'on voit naître pour l'année suivante, et compte tenu d'un taux d'occupation des berceaux en hausse (2,6 enfants par berceau), on peut espérer atteindre les 100 000 places d'accueil à la fin de la convention d'objectifs et de gestion. Quant aux places d'accueil chez les assistantes maternelles, c'est un dispositif que son caractère libéral rend difficile à maîtriser. D'autant qu'il subit une certaine désaffection de la part des parents qui n'y trouvent leur compte ni en termes d'heures de garde, ni en termes financiers.
M. Daniel Lenoir . - La sous-exécution du Fnas en 2013 s'explique par le trou d'air sur les créations de places. En 2014, le fonds a augmenté de 6,8 % pour une sous-exécution de 89 milliards d'euros par rapport aux prévisions, ce qui est tout à fait raisonnable sur un budget de 5 milliards. Il faut compter entre six mois et trois ans pour que la décision de créer des places en crèche se concrétise, d'où la reprise encore peu perceptible de 2014, qui se prolonge en 2015. Tous les indices donnent à penser que nous rattraperons notre retard d'ici la fin de l'année. Quant à l'évolution inquiétante du dispositif des assistantes maternelles, elle doit faire l'objet d'une étude économique dédiée.
L'autre priorité de la convention d'objectifs et de gestion est d'assurer le financement des activités périscolaires dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires. Nous finançons également des foyers de jeunes travailleurs, des vacances, etc. Après les attentats de janvier, nous avons engagé une réflexion sur les interventions que nous pourrions destiner aux jeunes, pré-adolescents ou jeunes adultes, afin de les prémunir contre la tentation de l'engagement djihadiste.
La Cnaf ne prend en charge qu'une partie de la gestion des aides. Aucun frais de gestion n'est prévu pour l'allocation aux adultes handicapés. On consacre 250 millions d'euros aux frais de gestion des allocations logement et 37 millions pour le RSA qui n'ont pas été actualisés. Le dispositif de coût complet n'est pas encore en place. Il le sera l'an prochain. On peut augurer sans trop prendre de risques que les coûts de gestion ne sont pas totalement couverts, notamment dans le cas du RSA. Cependant, comme nous faisons des efforts de productivité, les coûts diminuent.
Mme Laurence Cohen . - La modulation des allocations familiales a généré un gain de 800 millions d'euros. Nous y étions hostiles et nous le sommes encore. Quel est le déficit de la branche « famille » ? Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) et le pacte de responsabilité ont exonéré les entreprises de charges sociales, notamment des cotisations familiales, pour un montant élevé. Peut-on tirer un premier bilan de cette mesure ? Vous avez parlé de gains de productivité nécessaires. Il ne faudrait pas que cela dégrade les conditions de travail des salariés. Pouvez-vous étayer votre propos ?
M. Jean-Marie Morisset . - L'exercice n'est pas facile. On vous demande de simplifier et chaque année on ajoute de nouveaux dispositifs. Où en est-on pour les impayés des pensions alimentaires ? Combien de familles sur les 5 millions qui en bénéficient ont vu baisser leurs allocations familiales ? Les collectivités sont en attente de projets pour relancer les crèches ; qu'en pensez-vous ? Quel effet a eu votre gestion du RSA ? Les conseillers départementaux s'interrogent sur le bien-fondé du versement de certaines allocations. En se restructurant, vos services doivent fermer certains lieux d'écoute. Dans ces conditions, le dispositif d'accueil numérique est tout à fait utile.
M. Dominique Watrin . - Sur le terrain, on constate que les missions des caisses d'allocations familiales s'élargissent sans que leurs moyens de fonctionnement soient revalorisés. Cela ne peut que favoriser une déshumanisation de l'accueil et allonger la durée de traitement des dossiers. On ne peut pas manquer de faire le lien avec la diminution des recettes de la branche « famille » : les cotisations ont baissé de 1,8 point en 2015 jusqu'à 1,6 Smic et, pour le budget 2016, cette baisse s'appliquera jusqu'à 3,5 Smic. Autant de manque à gagner que les compensations de l'Etat et les transferts de dépenses sur d'autres budgets ne suffiront peut-être pas à combler. Les caisses d'allocations familiales peuvent récupérer en une fois des impayés qui sont plus souvent des indus que des fraudes. Cela provoque parfois la suppression de la totalité des allocations familiales. Même lorsqu'il y a un recours amiable, celui-ci n'est pas suspensif. Ne faudrait-il pas lancer une étude pour évaluer les conséquences de mesures aussi draconiennes ?
Mme Michelle Meunier . - Je me félicite de la généralisation de la garantie contre les impayés de pensions alimentaires car l'on sécurise ainsi de nombreuses familles monoparentales qui conservent leur pouvoir d'achat et peuvent continuer à assurer l'éducation des enfants. Cette généralisation au 1 er avril 2016 émane d'un rapport intermédiaire. Les rapports ne sont donc pas aussi inutiles qu'on le dit ! Le regroupement des assistantes maternelles en maisons est une piste à explorer, car les horaires plus larges répondent mieux à la demande des parents. Quant à votre initiative à destination des jeunes, elle est tout à fait bienvenue.
Mme Françoise Gatel . - La réforme des rythmes scolaires a généré un surcroît de dépenses pour la Cnaf. En ce qui concerne les modes de garde, la crèche est une réponse urbaine à une attente de plus en plus forte des parents. Les maisons d'assistantes maternelles comblent à la fois les besoins des assistantes maternelles qui souhaitent exercer en dehors de leur domicile et ceux des parents soucieux de sociabiliser leur enfant. C'est un excellent moyen de renforcer le maillage du territoire.
Présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général.
M. Jean-Louis Deroussen . - Une moindre dépense de 800 millions d'euros par rapport au budget prévu l'année précédente a réduit le déficit de la branche « famille » de 1,1 milliard. Il est prévu à 1,6 milliard en 2015, à 800 millions en 2016, avec un retour à l'équilibre en 2018. Nous partageons votre souci d'améliorer les conditions de travail des agents tout en évitant le risque d'un accueil déshumanisé, grâce aux guichets numériques. La généralisation de l'accueil sur rendez-vous est une facilité offerte à l'allocataire qui est pris en charge préalablement. Les agents sont moins soumis aux incivilités et travaillent dans de meilleures conditions. La durée de traitement des dossiers ne s'est pas allongée ; elle s'est au contraire améliorée. Les allocataires demandent à pouvoir gérer leur compte sur leur smartphone, à l'image de ce qui se fait en médecine avec le dispositif Ameli. Les points d'accueil numérique restent très utiles, notamment pour ceux qui ne sont pas équipés à leur domicile. Nous nous réjouissons d'avoir pu généraliser la garantie contre les impayés de pensions alimentaires, qui concerne un pourcentage important de femmes. Beaucoup de collectivités apportent une ouverture de grande qualité aux jeunes. Nous souhaitons que ces bonnes pratiques se diffusent. Quant à l'accueil individuel des jeunes enfants, nous avons beaucoup travaillé avec les relais d'assistantes maternelles pour repenser le dispositif.
M. Daniel Lenoir . - Une enquête auprès des allocataires a montré qu'on pouvait améliorer les délais d'attente dans les points d'accueil. En revanche, la télédéclaration sur www.caf.fr et l'accueil sur rendez-vous sont perçus comme des évolutions positives. J'ai eu l'occasion de dire, hier, alors que nous célébrions les 70 ans de la sécurité sociale, qu'il n'y avait rien de plus impersonnel qu'une file d'attente, d'où la multiplication des incivilités, inexcusables certes, mais qui peuvent s'expliquer. On pourrait diminuer les délais de traitement des dossiers en développant les télédéclarations avec un accompagnement personnalisé. Certaines caisses doivent encore faire des efforts. Celle du Pas-de-Calais, monsieur Watrin, est en pointe. Le dispositif d'accueil sur rendez-vous est un vrai succès. L'an dernier, nous avons organisé 163 000 rendez-vous de droits en trois mois alors même que toutes les caisses ne participaient pas à l'opération.
Les conditions de travail de nos agents sont un sujet qui nous préoccupe. Dans le cadre de l'instance nationale de concertation des caisses d'allocations familiales, nous avons engagé une expertise pour mesurer les répercussions de la modification des conditions de travail en termes de risques psychosociaux. Cette enquête a donné lieu à des recommandations que nous diffusons aussi largement que possible pour mieux gérer les évolutions du travail.
Enfin, si nous avons publié un rapport intermédiaire sur la garantie contre les impayés de pensions alimentaires, c'est que les éléments d'appréciation très positifs nous dispensaient d'attendre le rapport définitif. Ce dispositif garantit une pension alimentaire minimale, tout en se chargeant d'assurer le recouvrement auprès du débiteur. Grâce à la mutualisation, nous n'y avons affecté que 100 postes sur les 200 qui nous étaient alloués. Nous avons développé notre collaboration avec la justice pour améliorer notre connaissance des pensions à verser.
Nous réfléchissons pour que les maisons d'assistantes maternelles aient un statut juridique - ce qui est souvent le cas en zone rurale. Ce ne sont pas des micro-crèches mais des assistantes maternelles, et cela répond à des besoins. Familles rurales est un des principaux acteurs des crèches en milieu rural. Le modèle de la crèche peut se développer sur des bassins de vie suffisamment importants. Les ménages sont très demandeurs d'accueils collectifs car ils contribuent à l'apprentissage précoce du langage et à la socialisation.
L'allocation de logement familial est reprise dans le budget de l'Etat, avec des transferts de financement au FSV ou au budget de l'Etat. Le Gouvernement s'est engagé à compenser à l'euro près.
M. Jean-Louis Deroussen . - Les nouveaux rythmes éducatifs coûtent 250 millions d'euros en année pleine, qui n'ont pas été entièrement dépensés : c'est une des raisons de la sous-exécution du Fonds national d'action sociale. La modulation des allocations familiales concerne 10 % des allocataires, soit 500 000 personnes.
Mme Françoise Gatel . - Un complément : 250 millions d'euros pour les nouveaux rythmes scolaires, c'est un effort significatif de l'Etat - mais normal en tant que dépense obligatoire. Indépendamment de la qualité des activités proposées par les communes, ce sont des dépenses supplémentaires qui pèsent sur votre budget.
Des associations comme Familles rurales pourraient aussi créer des crèches en milieu rural. Les crèches ont un coût par enfant très élevé pour les collectivités. Les maisons d'assistantes maternelles seraient des solutions moins coûteuses permettant de garder davantage d'enfants en garde collective.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, président . - Les questions sont épuisées. Merci pour vos interventions.
M. Jean-Louis Deroussen . - Merci pour vos messages, que nous transmettrons à nos équipes ; elles y seront sensibles.