II. LES EFFETS DOMMAGEABLES D'UNE CONSTITUTIONNALISATION DES PRINCIPES DU TITRE IER DE LA LOI DE 1905
Selon une analyse juridique rigoureuse, votre rapporteur s'est attaché à apprécier ce que pourrait apporter la constitutionnalisation des principes du titre I er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, comme l'envisage la présente proposition de loi constitutionnelle, à quels principes serait alors conférée une valeur constitutionnelle et quelles pourraient en être les conséquences sur l'état du droit des cultes.
A. UNE LECTURE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ MOINS LARGE QUE LES PRINCIPES DE 1905
Selon l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi ».
Selon l'article 1 er de la Constitution, « la France est une République (...) laïque » 65 ( * ) . Elle « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction (...) de religion » et « respecte toutes les croyances ».
Ces deux dispositions constituent le fondement actuel du principe de laïcité, d'un point de vue constitutionnel, qui se distingue des énonciations à caractère législatif de la loi de 1905. Dans sa décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 66 ( * ) , le Conseil constitutionnel a clarifié les implications de ces deux dispositions, en explicitant le principe de laïcité.
Dans son cinquième considérant, cette décision précise ainsi :
« Considérant (...) que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il en résulte la neutralité de l'État ; qu'il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu'il implique que celle-ci ne salarie aucun culte ; »
Votre rapporteur rappelle que l'article 1 er de la loi de 1905 affirme la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, sous réserve des exigences de l'ordre public, tandis que l'article 2 énonce le triple principe selon lequel la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.
Selon le Conseil constitutionnel, il apparaît donc que le libre exercice des cultes possède bien une valeur constitutionnelle. Il en est de même pour les deux principes selon lesquels la République ne reconnaît et ne salarie aucun culte. En revanche, le principe selon lequel la République ne subventionne aucun culte, mentionné par l'article 2 de la loi de 1905, n'est pas retenu par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2013, de sorte qu'il n'a donc qu'une valeur législative et qu'il peut y être dérogé par la loi . L'interdiction de salarier un culte, c'est-à-dire de rémunérer les ministres d'un culte, doit être distinguée de l'interdiction de subventionner un culte, à laquelle le législateur n'est donc pas tenu.
En n'incluant pas le principe de non-subventionnement des cultes dans son explicitation du principe de laïcité, le Conseil constitutionnel a ainsi admis implicitement tant les particularismes locaux que les dispositions législatives, évoqués supra , qui permettent, de façon directe ou indirecte, de subventionner les cultes, contribuant ainsi à la préservation d'une situation pacifiée.
Au surplus, il était difficile au Conseil constitutionnel de reconnaître une valeur constitutionnelle au principe de non-subventionnement, dès lors que la loi de 1905 y déroge elle-même et que de nombreuses dispositions législatives postérieures à 1905 y ont aussi apporté des tempéraments et des dérogations. Il n'aurait pas été possible, par exemple, d'en faire un principe fondamental reconnu par les lois de la République, la législation de la III ème République n'étant pas uniforme en la matière 67 ( * ) .
Par conséquent, aucun principe de valeur constitutionnelle n'interdit le subventionnement, direct ou indirect, à un culte .
Votre rapporteur relève que cette décision se situe dans la continuité de l'arrêt du Conseil d'État du 16 mars 2005, selon lequel « le principe constitutionnel de laïcité qui (...) implique neutralité de l'État et des collectivités territoriales de la République et traitement égal des différents cultes, n'interdit pas, par lui-même, l'octroi dans l'intérêt général et dans les conditions définies par la loi, de certaines subventions à des activités ou des équipements dépendant des cultes » 68 ( * ) .
En outre, dans son sixième considérant, s'agissant du régime juridique propre à certains territoires en matière cultuelle, la décision du 21 février 2013 précitée indique :
« Considérant, toutefois, qu'il ressort tant des travaux préparatoires du projet de la Constitution du 27 octobre 1946 relatifs à son article 1 er que de ceux du projet de la Constitution du 4 octobre 1958 qui a repris la même disposition, qu'en proclamant que la France est une « République ... laïque », la Constitution n'a pas pour autant entendu remettre en cause les dispositions législatives ou réglementaires particulières applicables dans plusieurs parties du territoire de la République lors de l'entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l'organisation de certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte ; » 69 ( * )
Si l'invocation des travaux préparatoires des deux constitutions pour justifier cette décision, en raison de leur consistance ou de leur précision sur ce point, a pu être contestée par la doctrine, il n'en reste pas moins que le Conseil constitutionnel a jugé que les régimes propres à certaines parties du territoire de la République n'étaient pas contraires à la Constitution.
* 65 Il reprend ainsi, à l'identique, l'article 1 er de la Constitution de 1946.
* 66 Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013, Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité (traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle).
* 67 Au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, un principe fondamental reconnu par les lois de la République doit résulter d'une législation de la III ème République, constante et de portée générale, à l'instar de la liberté d'association, premier principe fondamental ainsi qualifié, par la décision du Conseil constitutionnel n° 71-44 DC du 16 juillet 1971.
* 68 Voir supra.
* 69 Le Conseil constitutionnel a ainsi repris le raisonnement tenu par le Conseil d'Etat dans son arrêt précité du 6 avril 2001.