Rapport n° 703 (2015-2016) de M. Jean-Pierre SUEUR , fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 juin 2016

Disponible au format PDF (836 Koctets)

Tableau comparatif au format PDF (193 Koctets)


N° 703

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 juin 2016

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi tendant à modifier le mode de scrutin pour l' élection du Conseil général de Mayotte ,

Par M. Jean-Pierre SUEUR,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir les numéros :

Sénat :

489 et 704 (2015-2016)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 22 juin 2016 sous la présidence de M. Philippe Bas, président , la commission a examiné le rapport de M. Jean-Pierre Sueur et établi son texte sur la proposition de loi n° 489 (2015-2016), présentée par M. Thani Mohamed Soilihi et plusieurs de ses collègues, tendant à modifier le mode de scrutin pour l'élection du Conseil général de Mayotte .

Après avoir rappelé que par une motion adoptée unanimement en 2014, les conseillers généraux de Mayotte avaient sollicité la réforme du mode de scrutin qui leur est applicable et l'augmentation du nombre d'élus de l'assemblée délibérante, il a indiqué que la proposition de loi traduisait ce souhait en proposant une élection à la représentation proportionnelle, dans le cadre de treize sections, reprenant les délimitations des cantons actuels, avec attribution d'une prime majoritaire, équivalente au tiers des sièges, à la liste arrivée en tête du scrutin au premier ou au second tour. Il a indiqué également qu'en comparaison de collectivités ultramarines ou métropolitaines, comparables en termes de population, Mayotte comptait un nombre particulièrement réduit d'élus, invitant à combler l'écart constaté avec la moyenne de ces autres collectivités.

Si un débat s'est engagé sur l'opportunité de discuter dès à présent de cette réforme qui, sur le fond, ne semble pas soulever d'objection de principe, la commission a retenu la proposition de son rapporteur d'adopter le texte afin d'engager la navette parlementaire sans préjudice de la poursuite d'une réflexion sur l'avenir institutionnel de cette collectivité unique menée localement. Elle a ainsi adopté deux amendements de son rapporteur ainsi qu' un sous-amendement du Gouvernement permettant d'élever de 26 à 39 le nombre de membres de la future « assemblée de Mayotte » qui se substituerait au conseil départemental, à compter de mars 2021.

La commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 22 décembre 1974, à la différence des suffrages exprimés dans les autres îles des Comores, Mayotte a manifesté son choix de demeurer un territoire français lorsque 63,82 % des suffrages exprimés sur l'île lors du référendum ont rejeté l'indépendance. À l'initiative du Sénat, il avait été décidé que la consultation concernerait « des populations » et non « la population », afin de permettre un décompte des suffrages île par île. Une nouvelle consultation, le 8 février 1976 a confirmé, à la majorité écrasante de 99,4 %, le souhait des Mahorais de demeurer au sein de la République française.

Cette même année, l'île de Mayotte a accédé à un statut juridique atypique qui, annoncé comme provisoire, a duré jusqu'en 2011. Aussi Mayotte, dont les habitants avaient rejeté en 1976 le statut de territoire d'outre-mer, toujours par référendum, n'a-t-elle pas accédé à celui de département d'outre-mer mais à un statut spécial de « collectivité territoriale de la République » sur le fondement de l'article 72 de la Constitution.

À la suite de longues négociations, une nouvelle consultation, le 2 juillet 2000, s'est traduite par l'approbation, à la majorité de 72,94 % des suffrages exprimés sur l'île, de l'accord de Paris qui a ouvert la voie à une « collectivité départementale ». Toutefois, la « départementalisation » de Mayotte n'a été entamée qu'une décennie plus tard. Le 29 mars 2009, à la question : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée Département, régie par l'article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et régions d'outre-mer ? » , les Mahorais ont répondu massivement « oui » à hauteur de 95,2 % des suffrages exprimés, avec un taux de participation de 61,37 % des électeurs inscrits.

Suivant ce vote de la population concernée, exprimé conformément aux termes de l'article 73 de la Constitution, le Parlement a tiré les conséquences de ce résultat et a posé le principe de la « départementalisation » de Mayotte par la loi du 3 août 2009 . C'est la première réunion du conseil général ayant suivi son renouvellement partiel, le 31 mars 2011, qui a marqué la naissance du Département de Mayotte, désormais collectivité unique régie par l'article 73 de la Constitution.

Ce rappel chronologique souligne combien les Mahorais, au fil des consultations successives, ont constamment affirmé un attachement à la France et à l'entrée de Mayotte dans le droit commun . Si la Cour des comptes a souligné, dans un rapport thématique publié en janvier 2016 1 ( * ) , les difficultés de la mise en place de la nouvelle collectivité mahoraise, évoquant même « une réforme mal préparée », cette création a marqué une étape décisive.

Le Département de Mayotte demeure néanmoins confronté à de lourdes difficultés : forte croissance démographique, immigration irrégulière massive, chômage important, etc. De manière évocatrice, notre collègue Félix Desplan, notre ancien collègue Christian Cointat et votre rapporteur avaient intitulé leur rapport d'information de juillet 2012, à la suite d'un déplacement sur l'île : « Mayotte : un nouveau département confronté à de lourds défis » 2 ( * ) . Les élus départementaux ne disposent pourtant pas de tous les moyens, y compris financiers, pour exercer toutes les compétences incombant au Département et relever ces défis.

I. LE DÉPARTEMENT DE MAYOTTE : UNE COLLECTIVITÉ UNIQUE AU NOMBRE RESTREINT D'ÉLUS

Malgré la « départementalisation », la collectivité mahoraise comporte encore deux particularités institutionnelles qui la distinguent des autres départements français.

D'une part, Mayotte est un département qui exerce les compétences d'une région : le conseil départemental délibère sur les affaires qui relèvent des compétences départementales et régionales. En 2011, Mayotte a ainsi été la première collectivité unique de l'article 73 de la Constitution avant que la Guyane et la Martinique ne soient dotées de ce statut en 2016, à la suite des consultations de leur population en janvier 2010.

D'autre part, l'assemblée délibérante compte un nombre d'élus particulièrement réduit si on le compare avec les autres collectivités de même strate. En comparaison de la Guyane, autre collectivité unique de l'article 73 de la Constitution, le rapport entre la population de la collectivité et l'effectif de l'assemblée délibérante est très différent à Mayotte. Ainsi, si la Guyane compte 51 élus pour une population de près de 385 000 habitants, Mayotte ne compte, pour 217 000 habitants, que de 26 conseillers départementaux. De même, en métropole, la Haute-Loire avec une population d'environ 228 000 habitants compte 38 conseillers départementaux, tandis que la Nièvre, les Hautes-Pyrénées et la Meuse, comptant une population équivalente, comptent 34 conseillers départementaux.

Le nombre d'élus a certes déjà été augmenté puisqu'il était de 19 avant 2014. Toutefois, l'écart entre le nombre d'habitants représentés et le nombre d'élus risque, à l'avenir, de croître par rapport aux autres départements d'autant plus rapidement que la démographie mahoraise est galopante. Ainsi, entre 2007 et 2012, et malgré une atténuation par rapport aux années précédentes, la croissance de la population s'est élevée, en moyenne, à + 2,7 % par an, faisant de Mayotte le département le plus jeune de France.

Effectif des assemblées délibérantes dans les collectivités ultramarines

Collectivité concernée

Nombre d'habitants

Nombre d'élus du conseil régional

Nombre d'élus du conseil départemental

Nombre d'élus de l'assemblée unique

Total

Collectivités régies par l'article 73 de la Constitution

Guadeloupe

402 119

41

42

-

83

La Réunion

835 103

45

50

-

95

Martinique

385 551

-

-

51

51

Guyane

244 118

-

-

51

51

Mayotte

217 091

-

26

-

26

Collectivités régies par l'article 74 de la Constitution

Polynésie Française

274 217

-

-

57

57

Saint-Pierre-et-Miquelon

6 286

-

-

19

19

Saint-Martin

36 457

-

-

23

23

Saint-Barthélemy

9 417

-

-

19

19

Îles Wallis et Futuna

12 867

-

-

20

20

En revanche, les modalités de désignation des conseillers départementaux de Mayotte relèvent du régime électoral de droit commun . Les modifications introduites par la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, s'y appliquent donc, sans disposition particulière.

Conformément au titre III du livre I er du code électoral, l'assemblée est ainsi renouvelée, de manière intégrale, tous les six ans selon un scrutin majoritaire à deux tours. Les treize cantons élisent chacun un binôme d'élus, composé d'un candidat et d'un remplaçant de chaque sexe.

L'évolution institutionnelle de l'île reste , parmi les nombreux sujets de réflexion, en cours de discussion localement afin de faire évoluer Mayotte vers le modèle de la Guyane et de la Martinique. Dans ce cadre, le document stratégique « Mayotte 2025 » qui, selon le voeu du chef de l'État, M. François Hollande, trace le cheminement du territoire vers le droit commun de la République, prévoit d'adapter le mode de scrutin et le nombre d'élus de cette collectivité.

Cette perspective a d'ailleurs été formalisée au sein d'une motion adoptée, à l'unanimité des membres présents et représentés - soit 17 des 19 conseillers généraux -, le 12 juin 2014. Les élus mahorais demandaient par cette motion que « les conseillers départementaux de Mayotte soient élus au scrutin proportionnel de liste à deux tours sur la base de circonscription unique lors du renouvellement de l'assemblée », sollicitant parallèlement que le nombre d'élus soit porté à 51.

II. UNE PROPOSITION DE RÉFORME DU SCRUTIN MAHORAIS CONCILIANT STABILITÉ ET PLURALISME

Notre collègue Thani Mohamed Soilihi a traduit ces demandes à travers le dépôt, le 23 mars 2016 :

- d'une proposition de loi tendant à modifier le mode de scrutin de l'assemblée délibérante du Département de Mayotte ;

- d'une résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, invitant à augmenter le nombre d'élus mahorais, de manière à l'aligner sur le nombre de représentants des collectivités comparables, après avoir « fait observer que la concentration des compétences sur les élus d'une collectivité unique accroît la charge qui est la leur et réduit leur capacité d'initiative » 3 ( * ) .

La proposition de loi que votre commission est appelée à examiner, s'inspire ainsi du mode de scrutin applicable aux élections régionales afin de l'adapter à Mayotte. Les élus seraient ainsi désignés au suffrage universel direct au scrutin de liste à deux tours. De manière classique, un second tour serait organisé si aucune liste n'a recueilli la majorité absolue des voix au premier tour.

Le mode de scrutin concilie plusieurs aspirations que notre collègue présente dans l'exposé des motifs : « stabilité des majorités, simplicité et lisibilité du vote, représentation des territoires, pluralisme des partis ».

La stabilité de la majorité serait assurée par l'attribution d'une prime majoritaire à la liste ayant recueilli le plus de suffrages au niveau de la collectivité. Cette liste obtientrait à ce titre un tiers des sièges.

La proximité avec les électeurs serait maintenue puisque les sièges restant, soit les deux tiers, seraient répartis au sein de chaque section à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne, entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés. Mayotte serait divisée en treize sections reprenant les délimitations actuelles des cantons 4 ( * ) . Chaque section disposerait du même nombre d'élus.

Enfin, l'assemblée délibérante deviendrait l'assemblée de Mayotte, sur le modèle de celle de Guyane ou de Martinique, ses membres étant appelés des « conseillers à l'assemblée de Mayotte ».

Il existe localement un consensus sur l'adoption d'un tel mode de scrutin . Toutefois, votre rapporteur a constaté des réserves sur l'opportunité d'en débattre dès à présent .

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : PROPOSER UN DISPOSITIF COMPLET ET ACCEPTER UNE AUGMENTATION DU NOMBRE D'ÉLUS

Sollicité par votre rapporteur, le président du conseil départemental de Mayotte lui a confirmé, par un courrier du 9 juin 2016, que le présent texte « traduit la volonté exprimée par les élus du Département », tout en sollicitant le report de son examen. En effet, sans s'opposer au fond des dispositions proposées, ce président rappelait qu'une réflexion plus globale était entamée, réflexion qui devait embrasser les différents sujets en cours de discussion, dont la réforme du mode de scrutin, indissociable à ses yeux du modèle institutionnel qui en résulterait. Par un courrier du 21 juin 2016, il a précisé sa position en invitant la ministre des outre-mer à la création du groupe de travail portant sur l'évolution institutionnelle de Mayotte afin que soient abordés, de front, la révision du code général des collectivités territoriales, le traitement du régime électoral et la question de l'exercice des compétences.

Votre commission a pris en considération ces remarques méthodologiques qui ne traduisent néanmoins aucune opposition de principe au mode de scrutin qui est proposé à l'examen du Sénat. Votre rapporteur a fait valoir que la navette parlementaire offrirait l'occasion d'approfondir et suivre les évolutions de la réflexion menée localement, en donnant, le moment venu, un support législatif aux conclusions de cette concertation. L'adoption de ce texte n'est donc en aucun cas incompatible avec la poursuite des discussions locales, d'autant plus que le mode de scrutin n'a vocation à s'appliquer qu'en mars 2021, lors du prochain renouvellement général du conseil départemental.

Il a ainsi proposé à votre commission, qui l'a suivi, d'adopter, à ce stade, le principe du mode de scrutin présenté ainsi que l'augmentation du nombre d'élus que le Gouvernement suggérait en réponse aux demandes locales.

Outre un amendement rédactionnel COM-2 portant sur l'intitulé, votre commission a donc adopté un amendement COM-1 de rédaction globale de l'article unique, présenté par son rapporteur , de manière à assurer une meilleure insertion du dispositif proposé au sein du code électoral.

Reprenant les caractéristiques du mode de scrutin, cet amendement insère ces règles au sein du livre VI bis du code électoral qui rassemble actuellement les règles applicables à l'élection des conseillers à l'assemblée de Guyane et à l'assemblée de Martinique, autres collectivités régies par l'article 73 de la Constitution. Par coordination, seraient supprimées les dispositions figurant au titre I er du chapitre VI, devenues inutiles.

Cet amendement fixe également, comme pour l'assemblée de la Guyane et celle de la Martinique, le tableau de répartition des sièges entre les sections .

Il procède en outre aux coordinations nécessaires afin de déterminer l'ensemble du régime électoral de l'assemblée de Mayotte, c'est-à-dire fixer :

- la durée du mandat à six ans, comme actuellement ;

- le rythme du renouvellement intégral, calé sur le renouvellement général des conseils régionaux ;

- les règles applicables à l'organisation de ces scrutins, regroupées au sein du titre III du livre VI bis et aujourd'hui communes aux scrutins en Guyane et en Martinique (conditions d'éligibilité et inéligibilités, incompatibilités, déclarations de candidature, propagande, opérations préparatoires au scrutin, opérations de vote, remplacement des conseillers, contentieux).

Si, compte tenu de l'irrecevabilité financière fondée sur l'article 40 de la Constitution, votre rapporteur ne pouvait que proposer le maintien du nombre des élus à son niveau actuel, ce qui aurait rendu la mise en oeuvre du mode de scrutin difficile, votre commission a adopté, avec son avis favorable, un sous-amendement COM-3 du Gouvernement élevant ce nombre de 26 à 39 .

En conséquence, chaque section comporterait trois élus , et non deux comme c'est le cas pour les cantons actuels. Par cohérence, l'attribution de la prime majoritaire permettrait à la liste arrivée en tête de remporter 13 sièges, soit le tiers de l'effectif complet. Pour attribuer cette prime majoritaire, un siège serait accordé sur chaque section à la liste qui l'a remportée. Ainsi, l'expression du pluralisme politique serait renforcée au niveau de chaque section car deux sièges seraient désormais répartis à la représentation proportionnelle et non plus un seul, permettant potentiellement la représentation de deux listes.

Votre rapporteur s'est assuré que la délimitation des sections et la répartition des sièges entre elles soient compatibles avec la jurisprudence constitutionnelle qui limite à 20 % l'écart de représentation tolérée entre des élus d'une même assemblée délibérante. En effet, le Conseil constitutionnel estime que « l'organe délibérant [...] doit être élu sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges et une délimitation des circonscriptions respectant au mieux l'égalité devant le suffrage » , ce qui implique « que, s'il ne s'ensuit pas que la répartition des sièges doive être nécessairement proportionnelle à la population de chaque [collectivité territoriale] ni qu'il ne puisse être tenu compte d'autres impératifs d'intérêt général, ces considérations ne peuvent toutefois intervenir que dans une mesure limitée » 5 ( * ) .

Sur les treize sections, onze se situeraient, compte tenu de leur population, dans l'écart de représentation admis par le juge constitutionnel. En l'état, il a paru à votre commission que les deux écarts - très limités -subsistant - l'un de sous-représentation, l'autre de surreprésentation -, qui existaient d'ores et déjà en raison de la délimitation des cantons, reposaient sur des motifs d'intérêt général justifiant une dérogation ponctuelle à l'écart imposée par la jurisprudence constitutionnelle.

Il faut enfin préciser que cette réforme entrerait en vigueur à compter du prochain renouvellement général du conseil départemental, soit en mars 2021 .

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

EXAMEN EN COMMISSION

_______

MERCREDI 22 JUIN 2016

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - La proposition de loi de notre collègue Thani Mohamed Soilihi reprend un voeu unanime du conseil général de Mayotte - qui est devenu conseil départemental - pour l'application à cette île du régime électoral en vigueur dans les régions, également appliqué en Martinique et en Guyane.

Le conseil départemental de Mayotte exerçant déjà les responsabilités d'un département et d'une région, le texte lui confère un statut conforme à la réalité en établissant une assemblée unique. C'est une disposition nécessaire.

Le président du conseil départemental m'a indiqué, dans une lettre, qu'il était favorable à cette réforme qui fait consensus, mais demandait un délai supplémentaire pour réfléchir à tout ce qui pourrait l'accompagner. Or une feuille de route sur l'avenir et le devenir de Mayotte comportant 250 points a déjà été adoptée ; je voudrais également faire valoir que la durée de la navette parlementaire laisserait quelques mois pour poursuivre la réflexion.

La proposition de loi déposée par notre collègue a la particularité de ne pas fixer le nombre de membres de l'assemblée et leur répartition entre les sections. Il est seulement jugé souhaitable de conserver les treize cantons, qui deviennent des sections élisant chacune un binôme, comme aujourd'hui, pour constituer une assemblée territoriale de 26 membres. Ainsi pourra être mis en oeuvre un scrutin régional, avec une prime de 30 % attribuée à la liste ayant recueilli la majorité absolue au premier tour ou arrivée en tête au deuxième.

Au vu du rapport entre nombre d'élus et population dans les autres collectivités ultramarines - Guadeloupe, La Réunion, Martinique et Guyane - nous avons estimé convenable, avec le ministre de l'intérieur et la ministre des outre-mer, d'attribuer trois élus à chaque section. L'assemblée passerait ainsi de 26 à 39 membres ; mais un tel amendement, si je le présentais, tomberait sous le coup de l'article 40 de la Constitution.

Nous avons par conséquent retenu, avec le Gouvernement, la solution suivante : j'ai rédigé un amendement fixant le nombre de membres de l'assemblée à 26 membres, et le Gouvernement propose un sous-amendement portant ce nombre de 26 à 39 membres.

M. Pierre-Yves Collombat . - C'est ce que l'on appelle le gouvernement éclairé !

M. Jean-Pierre Sueur . - Voilà le dispositif que je vous propose, qui met en place un scrutin à la fois départemental et régional, en réponse au voeu des élus de Mayotte.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je remercie le rapporteur d'avoir ainsi enrichi la proposition de loi. Le précédent rapporteur, Mathieu Darnaud, a évoqué une réforme consensuelle pour la Polynésie française. Je peux vous assurer que je n'ai déposé ce texte que parce que j'ai été saisi d'une motion unanime du conseil général en 2014 : c'est la volonté de toute la classe politique de Mayotte de voir le statut de département-région évoluer. Lors de la présentation du dernier avis budgétaire de la commission des lois, j'avais demandé que Mayotte bénéficie de la dotation générale de fonctionnement (DGF) attribuée aux régions. Vous aviez alors, monsieur le président, relayé cette demande - à laquelle M. Sueur et Mme Tasca s'étaient montrés sensibles. Vous avez été entendu puisque, le 26 avril, le Premier ministre a acté l'attribution, dans la prochaine loi de finances, de la DGF régionale à Mayotte, au prorata des missions régionales exercées par la collectivité.

Il était tout aussi nécessaire que, comme en Martinique et en Guyane dans le cadre de la collectivité unique, le nombre d'élus corresponde aux compétences exercées. Mayotte compte en effet 26 élus pour une population équivalente à celle de la Guyane, dotée de 51 élus. Même avec 39 élus, nous restons loin du compte, mais un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ! Comme l'a précisé le rapporteur, la procédure parlementaire ménage à la fois le temps de la réflexion et la possibilité d'amender le texte.

Après la création du département, au forceps, c'est une nouvelle étape dans le perfectionnement de l'organisation territoriale de Mayotte. J'ai agi - j'y insiste - sur la base d'une motion unanime du conseil général d'alors et j'ai transmis le texte de la proposition de loi à l'équipe actuelle du conseil départemental. Je vois dans l'absence de retour, positif ou négatif, de celle-ci le signe que ce texte va dans le bon sens.

Mme Catherine Tasca . - Votre texte, important et fondé, pose la question de la représentativité des institutions à Mayotte ; il nous est difficile de nous prononcer sur ce point tant notre connaissance des particularités mahoraises est parcellaire. Les évolutions dans l'île, dont l'intégration à la République est encore récente, ont été considérables, en particulier dans le domaine juridique où il a fallu ajuster dans le temps la coexistence de deux ordres. La complexité de la question de la représentativité s'explique aussi par la diversité de la société mahoraise. Sans nous arrêter aux questions juridiques et techniques, soyons conscients du chemin qui reste à parcourir pour cette société. L'élargissement de la base de représentation est une bonne réponse à cette complexité.

Mme Jacky Deromedi . - Je soutiens pleinement votre texte. Je connais bien la situation de l'île : c'est un territoire que nous devons aider !

M. Philippe Bas , président . - Avec l'accord unanime des représentants de Mayotte, ce texte se présentait sous les meilleurs auspices. Mais hier, le président du conseil départemental a adressé à la ministre des outre-mer une lettre où, sans marquer d'opposition sur le fond, il demande que soit traitée, en même temps que cette proposition de loi, la question de l'évolution des compétences de l'assemblée, sur le modèle d'autres collectivités ultramarines. Nous ne pouvons négliger d'en tenir compte. Je vous propose par conséquent d'examiner le rapport et les amendements et de nous assurer, avant l'examen en séance, que les feux sont au vert ; pour le moment, ils sont à l'orange clignotant, voire au rouge...

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je ne crois pas que ce texte aille à l'encontre de ce que souhaite le président du conseil départemental, que j'ai au demeurant informé de la proposition de loi dans un courriel daté du 30 mars. S'il y voyait des difficultés, j'aurais souhaité qu'il m'en fasse part ; j'aurais également aimé recevoir copie du courrier adressé à la ministre... La précédente équipe du conseil départemental et l'équipe actuelle ont été tenues informées. J'ai tenu une conférence de presse pour expliquer que notre département avait besoin de ce texte, sans susciter aucun son de cloche dissonant. J'assume mes responsabilités en déposant ce texte, et je demande à mes collègues de la commission de le faire aussi.

M. Philippe Bas , président . - Chacun connait votre sincérité. J'ai reçu copie du courrier que vous évoquez en arrivant ce matin. En voici la conclusion : « Au vu des enjeux conduisant à une telle réforme, vous comprendrez qu'il ne peut, à ce stade, être question que d'une simple révision de scrutin. Les élus de Mayotte demandent donc que soit ajourné l'examen de ce projet de loi et constitué le groupe de travail mentionné pour aboutir à une réforme globale institutionnelle pour Mayotte. » Nous ferons notre travail de législateur, mais voilà une difficulté politique que nous sommes tenus de prendre en compte, quelle que soit la manière dont nous trancherons.

M. Jean-Pierre Sueur , rapporteur . - Voici le texte de la motion adoptée à l'unanimité par le conseil départemental : « En cohérence avec la logique portée par la réforme territoriale et les autres collectivités territoriales uniques qui verront le jour en 2015 en Guyane et en Martinique, nous demandons l'application d'un mode de scrutin proportionnel de liste à deux tours sur la base d'une circonscription unique ». La proposition de loi a pour unique objet de répondre à cette demande. Il appartiendra à chacun de prendre ses responsabilités en séance si ce texte soulève quelque difficulté.

Dans son courrier, le président du conseil départemental demande que soient aussi traités la construction des collèges et lycées, la gestion des routes nationales, les mineurs isolés, le transport maritime entre Petite et Grande Terre ou la gestion du port de Longoni. Je ne m'oppose pas à ce que nous nous penchions sur ces sujets, mais ce texte n'est pas le cadre approprié. Ce n'est pas de bonne méthode que de tout traiter dans le même véhicule.

M. René Vandierendonck . - Je remercie le président Bas d'avoir porté ce courrier à notre connaissance. Je suggère que le président du conseil départemental reçoive notre rapporteur, si ses demandes n'ont été pas entendues...

EXAMEN DES AMENDEMENTS

M. Jean-Pierre Sueur . - Le sous-amendement n° 3 du Gouvernement, rendu nécessaire pour échapper à l'irrecevabilité financière, porte de 26 à 39 le nombre de membres de l'assemblée départementale et introduit en conséquence un tableau modifié de répartition des sièges entre sections. J'y suis favorable.

Le sous-amendement COM-3 est adopté.

L'amendement COM-1, ainsi sous-amendé, est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-2 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je remercie la commission des lois.

M. Philippe Bas , président . - Elle en prend acte.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. SUEUR, rapporteur

1

Insertion du dispositif au livre VI bis du code électoral
et coordinations nécessaires

Adopté

Le Gouvernement

3

Augmentation du nombre d'élus de 26 à 39

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

M. SUEUR, rapporteur

2

Rédactionnel

Adopté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

M. Thani Mohamed Soilihi , auteur de la proposition de loi

Ministère de l'intérieur

Mme Sylvie Calvès , chef du bureau des élections et des études politiques

M. Charles Barbier , adjoint au chef du bureau des élections et des études politiques

Ministère des outre-mer

Mme Brigitte Augier de Moussac , adjointe à la sous-directrice des affaires juridiques et institutionnelles

Mme Florence Duenas , chef du bureau du droit public et des affaires institutionnelles

ANNEXE - MOTION RELATIVE AU MODE DE SCRUTIN ET AU NOMBRE D'ÉLU DU DÉPARTEMENT DE MAYOTTE


* 1 Cour des comptes, La départementalisation de Mayotte : Une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire, 27 novembre 2015 .

* 2 Rapport d'information n° 675 (2011-2012) de MM. Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Félix Desplan, au nom de la commission des lois, 18 juillet 2012. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2011/r11-675-notice.html

* 3 Proposition de résolution n° 490 (2015-2016) de M. Thani Mohamed Soilihi et plusieurs de ses collègues, relative au nombre d'élus à l'assemblée de Mayotte : déposé au Sénat le 23 mars 2016. Cette proposition de résolution est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr15-490.html

* 4 Cette délimitation des cantons a été effectuée par le décret n° 2014-157 du 13 février 2014 portant délimitation des cantons dans le Département de Mayotte.

* 5 Conseil constitutionnel, 9 décembre 2010, n° 2010-618 DC.

Page mise à jour le

Partager cette page