B. AUDITIONS SUR LES MOYENS DE LA JUSTICE : AUDITIONS DES RESPONSABLES DES PROGRAMMES DE LA MISSION « JUSTICE » (8 JUIN 2016)
Réunie le mercredi 8 juin 2016, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'audition de M. Éric Lucas, secrétaire général du ministère de la justice, de Mme Marielle Thuau, directrice des services judiciaires, de M. Charles Giusti, chef de service, adjoint de la directrice de l'administration pénitentiaire, de M. Hugues Tranchant, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse adjoint, et de M. Philippe Lonné, sous-directeur, direction du budget.
Mme Michèle André , présidente de la commission des finances . - Avec la commission des lois, nous entamons ce matin un cycle d'auditions consacrées aux moyens de la justice : dans la perspective de l'examen du projet de loi de règlement et alors que les moyens, budgétaires et humains du ministère de la justice suscitent beaucoup de débat, il nous a paru utile d'entendre ceux qui gèrent, au quotidien, les crédits de ce ministère.
Ce sujet nous intéresse tout particulièrement : à la suite de l'audition d'Éliane Houlette, procureur de la République financier, notre rapporteur spécial, Antoine Lefèvre, notre rapporteur général, Albéric de Montgolfier et moi-même nous sommes rendus hier au parquet national financier, pour prendre la mesure concrète de ses besoins.
Nous accueillons les responsables de programme de la mission « Justice » ainsi que des représentants de la direction du budget. Il s'agit de dresser un premier bilan de l'exécution, en 2015, d'un budget de près de 8 milliards d'euros. Considérée comme prioritaire, la mission « Justice » connaît une augmentation régulière de ses crédits depuis dix ans. L'année 2015 a notamment été marquée par une ouverture importante de crédits en cours d'exercice, après les attentats de janvier contre Charlie Hebdo.
Nous poursuivrons nos travaux en écoutant, en fin de matinée, les présidents des conférences nationales qui représentent les magistrats qui gèrent, au quotidien, les juridictions judiciaires. Cette séquence se poursuivra, le mardi 14 juin, par une audition du garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas.
Je souhaite donc la bienvenue ce matin à Éric Lucas, secrétaire général du ministère de la justice et responsable des programmes « Accès au droit et à la justice » et « Conduite et pilotage de la politique de la justice » accompagné d'Anne Duclos-Grosier, son adjointe ; à Marielle Thuau, directrice des services judiciaires et responsable du programme « Justice judiciaire », accompagnée de Thomas Lesueur, son adjoint ; à Charles Giusti, chef de service, adjoint de la directrice de l'administration pénitentiaire qui est la responsable du programme « Administration pénitentiaire » ; à Hugues Tranchant, directeur-adjoint de la protection judiciaire de la jeunesse, pour le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » et, enfin, à Philippe Lonné, sous-directeur chargé notamment de la mission « Justice » à la direction du budget, accompagné de Sabine Deligne, cheffe du bureau « Justice et médias ».
Les responsables de programme sont chargés de trois missions principales : établir le projet annuel de performances dans lequel il leur est demandé de préciser les orientations stratégiques ainsi que les objectifs du programme et de justifier des crédits et des autorisations d'emplois demandés ; assurer le pilotage du programme dont ils ont la charge ; établir le rapport annuel de performances.
M. Philippe Bas , président de la commission des lois . - Cette audition conjointe à nos deux commissions montre la préoccupation du Sénat à l'égard de la justice : si ses moyens sont passés de 6,2 milliards à 8,2 milliards d'euros en dix ans, les lois se sont multipliées qui ont accru les charges de la justice sans que les impacts ne soient convenablement mesurés, et les contentieux ont explosé dans un certain nombre de domaines. Paradoxalement, nous avons constaté qu'un certain nombre de postes ouverts n'étaient pas pourvus et que les prévisions en matière de recrutement et de sortie des différents corps, notamment pour l'administration pénitentiaire, se sont révélées très éloignées de la réalité.
La question du bon fonctionnement du service de la justice est donc posée de façon plus aiguë que jamais.
Avec le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, je me suis rendu au tribunal de grande instance de Créteil et à la prison de Bois-d'Arcy pour constater les difficultés du service public judiciaire qui ne cessent de s'aggraver. Rompant avec plusieurs années de pratiques, l'actuel garde des Sceaux a pris la mesure de ces problèmes et il se donne les moyens d'y répondre convenablement.
Nous saisissons l'occasion de l'examen prochain de la loi de règlement pour procéder à ces diverses auditions : elles nous permettront de mieux définir nos orientations et de contribuer au redressement de la justice.
M. Antoine Lefèvre , rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice » . - Le projet de loi de règlement fait apparaître des taux d'exécution élevés par rapport aux crédits prévus par la loi de finances initiale en raison de l'ouverture de moyens supplémentaires en cours d'année à la suite des attentats contre Charlie Hebdo : pouvez-vous présenter le bilan des moyens mis en oeuvre dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste (PLAT) ? A-t-il apporté une bouffée d'oxygène ou bien n'a-t-il servi qu'à financer les moyens spécifiquement dédiés à la lutte contre le terrorisme ? À l'attention de la direction du budget : ces crédits ont-ils fait l'objet d'un suivi particulier ?
Selon la Cour des comptes, « l'augmentation très significative des crédits en loi de finances puis à l'occasion du PLAT peut sembler excessive au regard de la capacité du ministère à exécuter les crédits de T2. Celui-ci rencontre en effet d'importantes difficultés pour réaliser les recrutements et fidéliser ses effectifs ». Si les créations de postes en 2015 ont été significatives, on observe toutefois un nombre de sorties particulièrement important et qui dépasse les seuls départs en retraite : comment l'expliquer ? Outre les spots et les affiches en faveur des métiers de l'administration pénitentiaire, quelles mesures envisagez-vous pour augmenter l'attractivité du ministère de la justice ?
Le taux de mise en réserve peut atteindre jusqu'à 20 % des crédits prévus sur certaines briques de budgétisation : ainsi en est-il des moyens de fonctionnement du « secteur public intervention » de la protection judiciaire de la jeunesse. Quelles sont les conséquences en gestion ?
Comment, pratiquement, gérez-vous cette fin d'exercice et quelles dépenses priorisez-vous ?
Quelles mesures envisagez-vous pour diminuer les délais de paiement, évalués par la Cour des comptes à 43 jours contre 18 en moyenne pour les services de l'État ?
Cette question s'adresse au Secrétaire général : la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) n'a pas permis de réaliser les économies escomptées car elle n'est pas opérationnelle et les services enquêteurs ne veulent plus l'utiliser, d'où un recours aux prestataires externes : où en est-on ?
La direction des services judiciaires peut-elle faire le point sur le règlement des questions relatives au statut fiscal et social des collaborateurs occasionnels du service public de la justice (COSP) ?
Enfin, l'administration pénitentiaire peut-elle parler des difficultés de recrutement et de fidélisation des surveillants pénitentiaires et revenir sur le coût et la quantité des heures supplémentaires réalisées par les surveillants pénitentiaires ? Peut-elle enfin nous indiquer le nombre total de jours de congés dits « bonifiés » et la proportion de personnels en bénéficiant dans les établissements pénitentiaires d'Île-de-France ?
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Quelle est l'analyse de la direction du budget sur la fin de gestion 2015 ? Selon la Cour des comptes, les 54 millions d'euros de reports de crédits sur 2016 « témoignent de la persistance de l'artifice destiné à faire en sorte que la mission participe à atteindre la cible d'exécution du budget de l'État ; le montant des reports a été de surcroît aggravé cette année par la cessation par les comptables des validations de demandes de paiement, le 23 décembre, ce qui contrevient au principe d'annualité budgétaire ».
Comment expliquer la diminution du nombre de magistrats et comment améliorer la situation ? Par la loi de finances rectificative, le Parlement a autorisé la création de postes, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Peut-on disposer d'un bilan précis du nombre de postes pourvus ? Des mesures exceptionnelles sont-elles envisagées, comme la prolongation d'activité de certains magistrats devant partir à la retraite ou le recrutement d'avocats ?
Peut-on également disposer d'un bilan des postes créés dans l'administration pénitentiaire ? Le taux de vacance diminue-t-il ? En dehors des concours, est-il possible de recruter ?
M. Éric Lucas, secrétaire général du ministère de la justice . - L'exécution du budget 2015 est plus favorable que l'année précédente : les crédits dépensés s'élèvent à 7,85 milliards d'euros. L'exécution est ainsi en hausse de 2,5 % par rapport à 2014, en dépit des mesures d'annulation. Le PLAT a augmenté les crédits disponibles : nous avons consommé 80,54 % de la ressource en autorisations d'engagement et 75,45 % s'agissant des crédits de paiement. Cette consommation doit être saluée car nous avons mis en oeuvre de nouveaux projets en cours d'année et nous avons procédé à des recrutements supplémentaires. Nous sommes parvenus à créer tous les emplois prévus par la loi de finances initiale, soit 600 emplois, et par le PLAT. En revanche, du fait de recrutements tardifs, les dépenses de personnel ont été sous-exécutées.
La plateforme nationale des interceptions judiciaires, la PNIJ, fonctionne depuis octobre 2015. Elle s'est déployée à partir de cette date sur l'ensemble du territoire par zones de défense. Aujourd'hui, toutes les zones sont couvertes, y compris les départements d'outre-mer. En revanche, certaines zones de gendarmerie enregistrent encore des retards. La PNIJ représente aujourd'hui 65 % des prestations annexes demandées par les officiers de police judiciaire, les OPJ, et un tiers des interceptions judiciaires de tout type ; 65 % des réquisitions - identification de l'abonné, détail de trafic - faites aux opérateurs de communications téléphoniques sont traités par la PNIJ. Enfin, 80 % des demandes sont aujourd'hui automatisées. Il ne faut désormais plus que quelques minutes pour obtenir ce qui mettait plusieurs jours à l'être auparavant. Il s'agit donc d'un vrai confort pour les enquêteurs.
Le 24 mars, nous avions 3 000 interceptions judicaires simultanées, sur un total de 9 900. La PNIJ permet d'intercepter chaque jour 40 000 communications, 70 000 SMS et 700 MMS. Nous avons fourni 630 ordinateurs portables sécurisés au profit des traducteurs et nous en livrerons 600 supplémentaires ce mois-ci.
Les économies ne sont pas à la hauteur des ambitions puisque la PNIJ a été mise en place beaucoup plus tardivement que prévu. Sur la base des éléments fournis par la direction des services judiciaires, de janvier à avril 2016, par rapport aux mêmes mois de 2015, les économies s'élèvent à 2,7 millions d'euros, dont un peu plus d'un million pour le seul mois d'avril. Les économies commencent à être réalisées, ce qui se traduit d'ailleurs par une légère diminution des chiffres d'affaires des prestataires chaque mois depuis le début de l'année 2016. Il est vrai - et nous ne l'avons pas caché - que la PNIJ a connu des problèmes, notamment en mars, problèmes relatés par la presse. Ces difficultés étaient dues à l'augmentation des requêtes par les enquêteurs et à des capacités techniques et logicielles insuffisantes. Avec la société Thalès, nous résolvons ces problèmes : au 31 mars, 12 000 personnes pouvaient utiliser la plateforme et bientôt 4 000 interceptions simultanées seront possibles. D'ici la fin de l'année, nous devrions atteindre 12 000 interceptions simultanées.
Mme Marielle Thuau, directrice des services judiciaires . - Les moyens alloués dans le cadre du PLAT-1 en 2015 ont été principalement consacrés à la sécurisation des juridictions : contrôles d'entrée, vidéo-protection, alarme, gardiennage. En outre, l'information relative à la lutte anti-terroriste a été renforcée et des tablettes et des ordinateurs portables ont été attribués notamment au parquet pour assurer la mobilité des magistrats. Des greffiers supplémentaires ont été recrutés. Enfin, les juges anti-terroristes ont bénéficié de voitures plus adaptées à leurs besoins. Ces moyens ont été centrés sur Paris, juridiction consacrée à la lutte contre le terrorisme.
Dans le cadre du PLAT-2 de la fin de l'année 2015, nous avons élargi l'attribution des moyens afin d'améliorer le fonctionnement des juridictions : pour que les juges puissent davantage se consacrer au pénal, nous avons cherché à fluidifier l'ensemble de la chaîne juridictionnelle. Dans un certain nombre de juridictions, les magistrats ne font pas que du pénal : ils font aussi du civil.
Nous avons aussi fait en sorte que pour chaque personne arrivant au sein d'une juridiction, qu'il s'agisse d'un magistrat, d'un assistant de justice ou d'un vacataire, la juridiction d'accueil dispose de moyens supplémentaires. Nous avons appelé cela le « sac à dos », qui correspond au coût de fonctionnement d'un nouvel arrivant : il s'agit de ne pas aggraver le fonctionnement courant des juridictions par l'arrivée importante de personnel. Car plus de 1 150 équivalents temps plein (ETP) sont en cours de recrutement actuellement.
Vous m'avez interrogée sur les délais de paiement qui concernent principalement les frais de justice. Afin de contenir cette dépense, la direction des services judiciaires a pris diverses mesures. Ainsi, expérimentons le recrutement de 45 interprètes contractuels afin de les fidéliser et de les solliciter à temps plein plutôt que de recourir à des collaborateurs occasionnels qu'il est parfois difficile de mobiliser au bon moment et pour limiter la dépense.
Les charges à payer en matière de frais de justice ont diminué en 2015 : 141 millions d'euros contre 156,8 millions en 2014.
Parallèlement, nous avons enregistré 10 millions d'euros supplémentaires de charges à payer en fonctionnement courant. La maîtrise des frais de justice permet d'apurer l'arriéré mais les dotations en fonctionnement courant des juridictions sont sous-évaluées, ce qui entraîne une augmentation des charges à payer même si elle est contenue grâce aux mesures d'économies prises.
Pour réduire les délais de paiement, notamment pour les frais de justice, nous avons mis en place Chorus portail pro : le prestataire de frais de justice saisit sa dépense sur le site internet et il est remboursé par le trésor public. Ce site a été développé entre 2014 et 2015 : aujourd'hui, toutes les juridictions et tous les prestataires l'utilisent. Notre objectif est bien de réduire les délais de traitement des frais de justice.
Je tiens à souligner que le nombre de magistrats est totalement dépendant du nombre d'auditeurs de justice recrutés hier. Or, il faut trente-et-un mois pour former un auditeur de justice. La situation actuelle est donc liée à des baisses significatives de recrutement entre 2009 et 2011 : environ 135 postes étaient offerts par an à l'École nationale de la magistrature, l'ENM, et les étudiants en droit s'en étaient désengagés. En 2012, il a été décidé d'augmenter le nombre de postes offert au concours, mais la décision a été prise en mai pour un concours qui avait lieu en juin : le concours 2012 n'a pas fait le plein. Ce n'est qu'à partir de 2013 que les promotions d'auditeurs de justice ont été complètes.
Le garde des Sceaux tente à l'heure actuelle de réduire le nombre de contentieux portés devant les juridictions, mais, d'une manière générale, celui-ci est « alourdi » par l'effet des nouvelles lois. En outre, la durée des sessions d'assises a tendance à s'accroître du fait de la multiplication des demandes d'intervention de témoins, d'experts, ce qui se traduit par des besoins supplémentaires en ETP.
Nous ne connaissons plus de problèmes d'attractivité : les concours attirent un nombre suffisant de candidats, notamment pour les auditeurs de justice. Nous n'enregistrons pas non plus de hausse significative du nombre de départs : ces cinq dernières années, nous observons entre 300 et 350 départs annuels. En revanche, nous avons mis en place une procédure simplifiée de détachement judiciaire pour favoriser le détachement des magistrats administratifs ou de la Cour des comptes dans les services judiciaires. Il fallait dix-huit mois pour examiner ces demandes : il n'en faut plus que six.
Dans le cadre du projet de loi organique, un certain nombre de dispositions ont été validées par le Parlement, comme l'intervention des magistrats honoraires dans les procédures et le recrutement temporaire de magistrats.
M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Combien de postes de magistrats prévus par le Parlement sont-ils effectivement pourvus ?
Mme Marielle Thuau . - C'est compliqué car les vacances de poste sont en perpétuelle évolution. Globalement, nous avons 450 postes vacants.
Mme Michèle André , présidente . - Pourrez-vous nous transmettre des chiffres précis à une date déterminée ?
M. Thomas Lesueur, adjoint de Mme Thuau . - Au ministère, la notion de taux de vacance détermine l'écart entre les effectifs présents en juridiction et la circulaire de localisation des emplois. Cette circulaire n'est pas strictement ajustée sur les effectifs ouverts en loi de finances, notamment parce que le périmètre n'est pas identique. Il y a les emplois ouverts à l'ENM pour les auditeurs de justice, mais également ceux de l'administration centrale et de la Cour de cassation. Les 450 emplois correspondent aux vacances.
S'agissant des données budgétaires, le plafond d'emplois agrège plusieurs éléments : les effectifs de magistrats, qu'ils soient en formation ou en poste dans les juridictions ou dans l'administration centrale, mais aussi les assistants spécialisés et les juges de proximité. Il y a des mécanismes de conversion qui contribuent à consommer le plafond d'emplois même si ce ne sont pas stricto sensu des effectifs de magistrats. Cela explique l'écart entre le plafond d'emploi qui est fixé à 9 125 magistrats de l'ordre judiciaire et une réalisation significativement plus basse. Il est important de voir quels sont les effectifs de magistrats stricto sensu à l'ENM et dans les juridictions et le nombre de juges de proximité, qui ne représentent pas un ETP complet par personne physique, qui contribuent à consommer le plafond d'emplois et expliquent une partie de la sous-consommation.
Mme Marielle Thuau . - Le taux de vacances s'établissait au 1 er octobre 2015 à 5,15 %. Ce chiffre dépend du nombre de localisations. Pour 2016, le ministre a décidé de localiser 105 postes supplémentaires (juges d'application des peines, substituts, juges des enfants...). La circulaire de localisation qui a été publiée il y a quelques semaines a donc localisé ces 105 postes dans les juridictions, ce qui a mécaniquement augmenté la vacance. Tout dépend donc du nombre de postes localisés l'année N-1et du temps qu'il faut pour les pourvoir.
Mme Michèle André , présidente . - La mise en place du portail Chorus dans diverses administrations ne s'est pas toujours déroulée dans de bonnes conditions. Qu'en est-il pour la justice ?
M. Philippe Bas , président . - Vous avez de grandes difficultés pour recruter rapidement des magistrats qui doivent suivre une longue formation. Mais quand chaque année, nous votons un plafond d'emplois et qu'ils ne sont pourvus qu'à 95 %, nous sommes conduits à nous interroger sur les raisons de ce décalage. Je ne comprends pas les raisons de cet écart important pour un service public dont les difficultés sont très grandes. En outre, des membres de professions juridiques ont été intégrés dans le corps des magistrats, ce qui a permis de gagner du temps : pourquoi ne pas avoir privilégié cette voie ?
Mme Marielle Thuau . - Chorus portail pro n'a pas résolu tous les problèmes, mais les améliorations sont sensibles. Pour certaines cours, la situation est plus compliquée que pour d'autres. La mise en place de ce site a imposé une réorganisation des services en amont, d'autant que dans les juridictions, un service gérait les frais de justice au parquet, un autre les frais de justice au siège et une régie payait les mémoires. Il a donc fallu reporter le personnel vers le service centralisé des frais de justice qui traite tous les mémoires dématérialisés. Dans l'ensemble, les prestataires estiment que ce service a amélioré la situation. En cas de difficulté dans une juridiction, une équipe spécialisée au service judiciaire se déplace.
Il convient de distinguer le schéma d'emploi, lié à la masse salariale, du plafond d'emploi voté par les parlementaires. Nous prenons en compte la masse salariale globale pour recruter le personnel.
Les services sont favorables à l'intégration, notamment des avocats qui rejoignent la magistrature par dizaines chaque année. Les concours complémentaires permettent également de recruter : en juin, 60 personnes sortiront de ce concours. Nous essayons d'élargir l'intégration dans la magistrature et nous recrutons, dans le cadre du PLAT-2, des juristes-assistants dans le cadre de contrat de trois ans. Nous devrons sans doute continuer à recruter des magistrats mais aussi penser à une autre façon de travailler, comme l'ont déjà fait d'autres pays européens, afin que les magistrats se recentrent sur leur coeur de métier, à savoir trancher les litiges. C'est pourquoi nous recrutons des juristes-assistants et des greffiers pour constituer des équipes autour des magistrats.
M. Charles Giusti, chef de service, adjoint de la directrice de l'administration pénitentiaire . - Le PLAT est bien consacré à la lutte contre le terrorisme : dans quatre établissements, cinq unités dédiées contre la radicalisation ont été créées en début d'année, tant pour l'évaluation que la prise en charge des personnes détenues. Nous accordons beaucoup d'importance à cette expérimentation.
S'agissant du renseignement pénitentiaire, nous avons beaucoup recruté en 2015 et nous allons poursuivre en ce sens cette année pour tenir compte de la loi sur la criminalité organisée.
Nous avons aussi mis en place des mesures de prévention : nous avons fait appel à des chercheurs et des associations pour nous aider à définir les modalités d'actions concrètes pour les unités dédiées, mais aussi pour lutter contre la radicalisation des mineurs et pour mieux encadrer les personnes en milieu ouvert.
Nous avons créé des programmes pour les arrivants : tous les détenus qui entrent en détention suivent des stages de citoyenneté, ce qui permet d'identifier ceux qui rejettent le discours sur les valeurs républicaines.
Les crédits consacrés à l'aumônerie musulmane ont été doublés : nous avons recruté trente-neuf aumôniers l'an dernier et nous poursuivons l'effort cette année, en lien avec les préfectures, pour identifier les candidats idoines. En 2016, l'aumônerie musulmane disposera des crédits les plus importants parmi les aumôneries pénitentiaires.
Outre ces actions du PLAT, un deuxième ensemble d'initiatives a été pris pour sécuriser nos établissements. Nous luttons contre l'introduction de produits illicites et de téléphones portables. Les projections sont la plaie d'un certain nombre de nos établissements. Nous avons également amélioré l'équipement de nos surveillants pour plus de sécurité.
En matière de prévention, nous travaillons sur l'amélioration des conditions de détention afin de limiter les conséquences de la surpopulation carcérale et sur le développement des activités : en maison d'arrêt, les détenus passent parfois 22 heures sur 24 dans leurs cellules. Une offre d'activités plus large - enseignement, travail, activités socio-culturelles et sportives - permettrait de les sortir de cet enfermement et de travailler sur leurs projets.
Un troisième ensemble d'actions, dans le cadre du PLAT-2, vise à combler les vacances de postes dans nos établissements et à améliorer notre parc immobilier. Le programme de la mission pénitentiaire a bénéficié depuis plusieurs années d'augmentations significatives, de 17 % entre 2012 et 2016 et surtout, entre 2015 et 2016, de 78 millions d'euros en dépenses de personnel et 22 millions d'euros pour les autres dépenses.
Comme les autres programmes, nous connaissons des annulations et des gels de précaution qui limitent nos capacités d'exécution. Nous veillons à bénéficier au mieux des dégels pour compléter nos dépenses de fin d'année, notamment pour éviter les charges à payer qui, malgré tout, continuent à augmenter depuis 2012, soit 85 millions d'euros à l'heure où je vous parle.
Notre budget connaît diverses rigidités, notamment en ce qui concerne les partenariats public-privé (PPP), les gestions déléguées et les dépenses de santé : la dette vis-à-vis des maisons de santé s'élève à 54 millions d'euros. Il s'agit de dépenses sur lesquelles nous n'avons aucune prise.
Ces contraintes se reportent sur deux briques qui peuvent supporter des reports : l'immobilier et la gestion publique. Les dépenses d'entretien du parc existant en subissent les conséquences.
Le 6 juin, 1 419 postes de surveillants étaient vacants sur un effectif total de 26 000 agents. C'est ce corps qui concentre toutes les difficultés. Nous avons atteint un pic de 1 800 postes vacants en mai. L'année 2016 sera difficile et le comblement des vacances commencera début 2017. En mars 2018, nous devrions ne plus enregistrer que 300 vacances d'emplois.
Nous devions recruter 717 emplois nets de surveillants en 2015 et nous n'en avons recruté que 426, soit 291 emplois non pourvus. Nos prévisions de départs en retraite sont correctes. En revanche, nous avons plus de mal à anticiper les détachements et les réussites à d'autres concours. La police nationale, les polices municipales et la gendarmerie nous concurrencent directement. Nous avons pris des dispositions et avons recruté 82 contractuels administratifs ou techniques pour remplacer les surveillants qui occupent ces postes. Notre politique de recrutement est extrêmement dynamique : une promotion de 880 surveillants va entrer à l'École nationale d'administration pénitentiaire, l'ENAP, en juillet et un effectif identique y entrera en octobre prochain. Les années à venir seront aussi extrêmement dynamiques.
Le PLAT-2 a prévu des revalorisations indemnitaires pour le personnel de surveillance afin que ces emplois restent suffisamment attractifs par rapport à la police nationale. Pour fidéliser notre personnel, nous allons expérimenter un concours d'affectation régionale en Île-de-France qui concentre les vraies difficultés en termes de renouvellement d'effectifs. Nos établissements franciliens servent souvent de « déversoir » à nos élèves de l'ENAP qui, rapidement, essayent de rejoindre leur terre natale. La moyenne d'âge des surveillants s'élève à 29 ans.
Dans le cadre du PLAT-2, nous avons bénéficié de crédits pour instaurer une prime de fidélisation. Le premier versement de 20 % serait effectué dès l'arrivée dans les établissements structurellement déficitaires, 20 % seraient versés au bout de trois ans et les 60 % restants à l'issue de cinq ans d'affectation. Le montant de la prime serait d'environ 5 000 euros. En région parisienne et en PACA, les coûts de l'immobilier sont très élevés : nous devons développer une politique d'action sociale pour permettre aux surveillants et à leur famille de trouver à s'installer.
Nous avons beaucoup travaillé sur le métier de surveillant, notamment avec les organisations syndicales, qu'il s'agisse des surveillants en détention, des missions extérieures ou des modules de respect : le surveillant doit être davantage responsabilisé dans le parcours d'exécution de peine des détenus. Cette approche serait valorisante pour les surveillants. Il faut éviter que le surveillant n'apparaisse - à tort - que comme un tourneur de clés, sans autorité sur la population pénale.
Comme l'an dernier, nous avons lancé une campagne de recrutement autour de la fierté. Ce métier difficile doit être valorisé pour sortir de l'image du « maton ». N'oublions pas non plus la filière insertion-probation dont le travail est essentiel pour lutter contre le terrorisme. Nous sommes très fiers de pouvoir défiler le 14 juillet à Paris : cela démontrera que l'administration pénitentiaire fait partie des forces de sécurité qui concourent à la lutte contre le terrorisme.
Les heures supplémentaires coûtent de 60 millions à 65 millions d'euros, dont une grande partie est due aux heures « frictionnelles » : les surveillants pénitentiaires continuent en effet à travailler 39 heures par semaine, soit un surcoût de 40 millions à 45 millions d'euros. Les 15 millions d'euros restants concernent les heures supplémentaires réalisées en raison des vacances de postes.
En Île-de-France, 420 agents sont partis en congés bonifiés en 2015, sur 612 à l'échelle nationale, soit 27 300 jours de congés bonifiés dus au titre de l'outre-mer. En Île-de-France, 1 549 agents sont susceptibles de bénéficier de ces congés bonifiés.
M. Hugues Tranchant, directeur adjoint de la protection judiciaire de la jeunesse . - Le PLAT a attribué à la protection judiciaire de la jeunesse 163 ETP qui ont tous été recrutés dès le début de l'année.
Nous avons mis en place une mission nationale de veille et d'information qui s'appuie sur 69 référents laïcité-citoyenneté, soit un référent par direction interrégionale et un référent par direction territoriale, présent dans les cellules préfectorales, avec un rôle d'appui des professionnels et d'identification des situations. De plus, 76 psychologues et 18 éducateurs ont été recrutés dans le cadre du PLAT-1.
La consommation de la masse salariale a été un peu en-deçà de la cible car les recrutements ont débuté en mars.
Hors dépenses de personnel, une enveloppe est dévolue à la formation. L'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse a disposé de 2 millions d'euros pour former 3 630 agents de la protection judiciaire mais aussi du secteur associatif habilité par les conseils départementaux.
Sur l'enveloppe de 3,5 millions d'euros consacrée au stage laïcité, nous avons consommé 3,130 millions d'euros en autorisations d'engagement, ou AE, et 2,9 millions d'euros en crédits de paiement, ou CP. Nous avons également bénéficié d'une enveloppe pour financer la mise en place de projets nouveaux et de partenariats locaux destinés à favoriser l'initiation des jeunes aux valeurs de la République. De manière globale, nous consommons 80 % des AE.
Pour développer l'attractivité de nos métiers, nous avons mis en place une campagne de communication, à la hauteur de nos moyens modestes, qui a contribué à doubler le nombre de candidats au concours d'éducateur. Grâce à une réflexion plus fine, à un meilleur ciblage, et à un démarchage plus efficace, nous avons pu recruter davantage de candidats, avec des formations plus hétérogènes qu'auparavant, et pas seulement juridiques. Dans le cadre de la note d'orientation signée en 2014 par la directrice de la protection de la jeunesse, nous avons également travaillé sur le sens à donner au métier d'éducateur, notamment en milieu ouvert. Les rémunérations à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) restent en deçà de ce qui se pratique dans le secteur associatif habilité ou dans les conseils départementaux, ce qui explique une fuite assez importante du personnel vers les services de l'aide sociale à l'enfance. Nous avons lancé une réflexion sur le sujet dans le cadre du protocole « Parcours professionnels, carrières, rémunérations », dont nous aurons bientôt à débattre.
Nous avons fait le choix de moduler la mise en réserve de 8 %, car notre priorité est de faire tourner le secteur public et le secteur associatif habilité. Par conséquent, nous avons fait porter la réserve sur la subvention aux fédérations plutôt que sur ces deux blocs. Cela a contribué à préserver la dynamique vertueuse enclenchée en 2014, avec l'assèchement de la dette accumulée auprès du secteur associatif habilité : 30 millions d'euros de charges à payer, cette année-là contre 14 millions d'euros aujourd'hui.
Une analyse fine des dépenses effectuées au sein de la protection judiciaire de la jeunesse nous a conduits à mettre en place des cartes d'achat dans les services plutôt que de procéder selon la seule logique de marchés publics. Dans la mesure où le coût de traitement de la chaîne financière est d'environ 80 euros, il vaut mieux traiter les factures d'un montant inférieur en cartes d'achat.
M. Philippe Lonné, sous-directeur à la direction du Budget . - Nous suivons attentivement le PLAT, depuis qu'il a été conçu, en 2015. Nous le prenons en compte dans la construction du budget du ministère de la justice et nous en discutons à chaque étape de la procédure budgétaire avec le secrétariat général et les responsables des différents programmes. En 2015, le PLAT a représenté plus de la moitié de la progression prévue pour les effectifs du ministère de la justice, cette part relative devant atteindre 70 % en 2016. Aucun programme budgétaire spécifique n'existe pour le PLAT, de sorte qu'il n'y a pas de suivi direct possible dans les outils interministériels et notamment Chorus. Nous nous fondons sur des échanges d'informations avec le ministère de la justice et sur les outils de gestion de celui-ci. Sur les 108 millions d'euros ouverts par le décret d'avance de 2015, nous avons enregistré une sous-consommation de masse salariale, due à des recrutements plus tardifs que prévu.
Les charges à payer ont globalement diminué en 2015, avec 15 % en moins sur les frais de justice. Elles ont cependant augmenté sur le programme « Justice judiciaire », notamment au niveau des dépenses des cours d'appel. Les dettes vis-à-vis des fournisseurs restent stables et sont même en diminution sur le programme 310, à hauteur de 11 millions d'euros, en 2015.
Le taux de la mise en réserve est proposé par le Gouvernement dans le projet de loi de finances, selon une logique assurancielle qui consiste à intégrer les aléas dans le budget de l'État. Le taux interministériel, fixé à 8 % en 2015, s'applique au niveau du programme, mais l'imputation fine de cette mise en réserve est à la main des responsables de programmes dans les ministères, le rôle du ministère des finances étant d'apprécier en début d'année si la répartition de cette mise en réserve a un caractère soutenable ou non. Des ajustements sont apportés dans le cadre de la conférence de fin de gestion, avec la possibilité de lever les mises en réserve pour faire face aux dépenses obligatoires.
Je ne suis pas totalement à l'aise avec la citation de la Cour des comptes. Le respect de la cible d'exécution du budget de l'État est un impératif interministériel et impose des ajustements pour l'ensemble des ministères : des économies, un décalage ou un renoncement à certaines dépenses.
Depuis deux ans, en amont de la préparation du projet de loi de finances, nous nous réservons un temps de discussion avec les ministères, et notamment celui de la justice, pour déterminer la cible d'exécution des crédits pour l'année en cours. Cette cible prend en compte la trajectoire des finances publiques, mais aussi les impératifs fixés par la Commission européenne. Nous nous livrons à des arbitrages ministère par ministère. Plus qu'un artifice, les ajustements de gestion d'un exercice à l'autre sont la conséquence nécessaire de la fixation de cette cible, l'objectif restant bien entendu le respect de la norme d'exécution du budget de l'État.
Entre 2015 et 2016, le montant des reports de crédit du ministère de la justice a progressé, en partie en raison des moyens nouveaux développés au titre du PLAT qui ont mis du temps à être décaissés. Ce niveau de report reste inférieur à 2 % des moyens ouverts sur le ministère, ce qui est tout à fait correct. Dans la loi de finances pour 2016, seuls deux programmes ont été déplafonnés au titre des reports : le programme support du ministère de la justice et le programme du Conseil supérieur de la magistrature.
Enfin, il convient de relativiser les éventuels écarts entre les plafonds d'emplois et la réalité de leur exécution. En effet, la notion de plafond d'emplois prend en compte les flux d'arrivée physique des nouveaux recrutés, mais aussi la date à laquelle ils interviennent. Lorsque les recrutements sont décalés, même de deux mois, le décompte du ministère en équivalent temps plein travaillé (ETPT) varie. D'où l'importance de rester souples pour gérer ces aléas de gestion classiques, départs anticipés, recrutements tardifs, etc.
M. Yves Détraigne , rapporteur pour avis de la commission des lois . - On entend dire que la réforme des transfèrements judiciaires aurait eu des effets défavorables sur le ministère de la justice, avec des procédures fragilisées faute d'effectifs suffisants, et des déferrements retardés. Qu'en est-il ?
Jusqu'à récemment, on constatait une sous-consommation du plafond d'emplois, à hauteur de 300 emplois. Les entrées et les sorties sont mal prévues et les emplois localisés restent souvent non pourvus. Mme Thuau a rappelé que le taux de vacance d'emplois était de 5 % pour les magistrats et de 7 % pour les fonctionnaires. C'est considérable. Depuis quelques années, le ministère recourt à des vacataires. Savez-vous dans quelles proportions, en termes d'ETPT ?
Si l'on crée des emplois dans le cadre des deux PLAT, reste-t-il des marges de manoeuvre pour en créer dans d'autres domaines que la lutte contre le terrorisme ?
Enfin, indépendamment des événements et des urgences de ces derniers mois, un certain nombre de réformes récentes ont accru la charge de travail des magistrats. Les évaluations des études d'impact sont souvent minorées, en termes d'emplois. On nous garantissait que Cassiopée et Portalis résoudraient tout. À combien se chiffrent les mesures adoptées en 2015, en termes d'ETPT de magistrats et de fonctionnaires, et notamment la réforme du contentieux des étrangers ?
M. Hugues Portelli , rapporteur pour avis de la commission des lois. - Les candidats passent souvent plusieurs concours, de sorte que même s'ils sont reçus à celui de l'administration pénitentiaire, ils préfèrent souvent opter pour d'autres métiers de la fonction publique. Si l'on ajoute à cela que ceux qui s'engagent dans cette voie ne restent souvent que temporairement dans la fonction publique, ne faudrait-il pas introduire une autre voie de recrutement qui serait contractuelle ?
Il est rare que les fonctionnaires trouvent à se loger à proximité de la prison où ils travaillent. Les logements sont souvent chers et ils choisissent fréquemment la colocation, pour pouvoir rentrer chez eux plus facilement lorsqu'ils ne travaillent pas. Ne pourrait-on pas développer un partenariat avec les collectivités locales pour obtenir que ces fonctionnaires aient un contingent de places réservées dans les HLM ?
M. Charles Giusti . - L'arbitrage de 2010 prévoyait que nous bénéficiions, au titre des transfèrements judiciaires, d'un transfert de 800 emplois qui s'est très vite révélé insuffisant. Celui de novembre 2013, qui faisait suite à un rapport des inspections générales de la justice, de l'administration et des finances, définissait différentes cibles en termes de moyens, avec une fourchette basse à 1 200 emplois, intégrant une baisse du volume des extractions judiciaires, que nous n'avons pas constatée. Nous sommes au contraire en augmentation. Pour information, la fourchette haute était de 1 800 emplois. Dans le cadre du PLAT-2, nous avons obtenu la création de 450 emplois supplémentaires, dont 86 dès la fin de cette année, pour renforcer les pôles existants.
Une nouvelle mission des inspections générales de la justice et de l'administration devrait refaire un point sur les extractions judiciaires pour optimiser la charge de l'État tant dans les grands pôles urbains que dans les petites maisons d'arrêt isolées où il faut parfois faire des kilomètres pour une comparution qui dure quelques minutes. En tout état de cause, si l'administration pénitentiaire doit reprendre la mission qui lui a été attribuée, il y aura toujours une dose de subsidiarité par les forces de sécurité intérieure, car notre maillage territorial ne nous permet pas de faire face à tous les pics d'activité propres aux extractions judiciaires.
Mme Marielle Thuau . - En ce qui concerne le coût des vacataires, l'exécution 2014 était de l'ordre de 23 millions d'euros. Nous l'avons ramenée à 11,7 millions d'euros grâce aux deux PLAT, particulièrement celui de novembre 2015. Nous devrions retrouver le même niveau qu'en 2014, soit un volume de vacataires équivalant à 1 120 ETPT pour assurer un renfort dans les greffes.
Dans le cadre du PLAT-2, nous avions prévu des mesures pour renforcer toute la chaîne pénale, notamment les juridictions inter-régionales spécialisées (Jirs) et les parquets, et pas seulement les juridictions anti-terroristes. Nous avons affecté 105 postes supplémentaires par la localisation en 2016 et nous recrutons 300 assistants juristes qui interviendront au siège et au parquet dans toutes les cours d'appel.
En 2015, le plafond d'emplois des magistrats était fixé à 9 125. En septembre de la même année, nous en étions en fait à 8 553 magistrats, dont des magistrats en activité, des auditeurs de justice, des magistrats en maintien d'activité qui consomment des ETPT et des magistrats affectés à l'administration centrale du ministère. La différence recouvre les 450 magistrats à titre temporaire et ceux qui sont détachés ainsi que les 2 % à 3 % dits frictionnels. Cela signifie que nous sommes contenus par une masse salariale qui ne nous autorise pas à recruter plus que nous pouvons dépenser. Pour 2016, nous disposons de 366 auditeurs de justice et d'un concours complémentaire de 70 magistrats en formation. Nous avons également facilité les détachements judiciaires de sorte que nous pourrons augmenter nos effectifs de 100 ETPT supplémentaires : le taux frictionnel devrait diminuer et l'exécution être plus importante.
L'étude d'impact sur la réforme du contentieux des étrangers a prévu que la charge de travail supplémentaire représentait 24 ETPT de magistrats et 10 ETPT de greffiers sur l'ensemble du territoire. Cette loi doit s'appliquer à partir de novembre 2016, mais nous avons anticipé en affectant d'ores et déjà les auditeurs de justice qui sortiront de leur formation en septembre dans les juridictions particulièrement concernées, dans le Nord, ou à Bobigny, Toulouse ou Marseille. Les juges des libertés et de la détention devraient ainsi pouvoir se consacrer davantage au supplément de contentieux qui arrivera.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances . - Je rappelle que nos travaux portent sur la loi de règlement.
M. Éric Lucas . - La modernisation du ministère de la justice passe nécessairement par la dématérialisation et la numérisation. Nos effectifs ne sont pas suffisants pour répondre à toutes les évolutions nécessaires. Nous pourrons créer 94 emplois dans le cadre du PLAT-2, dont 64 cette année et 30 l'an prochain. Il s'agit d'une évolution historique, car nous n'avons jamais connu une telle hausse des effectifs au sein du secrétariat général, encore moins sur la fonction informatique. Nous avons également fait des demandes dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017 afin de renforcer le secrétariat général dans ses fonctions de synthèse et de support.
Le ministère de la justice ne dispose que de 2 000 logements à destination des surveillants de l'administration pénitentiaire. Le projet de loi de finances pour 2015 prévoyait 2 millions d'euros pour que nous puissions conventionner des logements, auxquels s'ajoute 1 million d'euros supplémentaires que nous avons dégagé en cours d'année, soit un total de 3 millions d'euros pour le logement. Cette année, les crédits sont en augmentation et nous faisons ce que nous pouvons pour consommer la totalité des crédits qui nous sont alloués.
Mme Michèle André , présidente de la commission des finances . - La Cour des comptes relève régulièrement l'insuffisance des moyens humains dont dispose le secrétariat général. Le fait que ce ministère soit essentiellement administré par des magistrats est-il la garantie d'une gestion optimale ?
M. Éric Lucas . - Votre analyse a certainement sa pertinence...
Mme Michèle André , présidente de la commission des finances . - Merci, ma question doit être prise dans un sens positif, comme un encouragement et nullement comme une critique à l'encontre des magistrats.
M. Éric Lucas . - Dans l'administration centrale, les fonctions de support et de synthèse sont en général tenues par des non-magistrats, à l'exception de quatre d'entre elles. Au secrétariat général, toutes les fonctions support sont occupées par des administrateurs civils ou des experts techniques. En même temps, je ne souhaite pas un secrétariat général sans magistrats en son sein.
M. Yves Détraigne , rapporteur pour avis de la commission des lois . - Tout à fait.
M. Antoine Lefèvre , rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice » . - Oui.
M. Éric Lucas . - Cela dit, la question de la professionnalisation des fonctions de gestion peut se poser dans les services déconcentrés.
M. Philippe Bas , président de la commission des lois . - La présidente André ne cherchait certainement pas à disqualifier les magistrats. Cependant, quand un magistrat accède aux fonctions de chef de cour, bénéficie-t-il d'une formation à la gestion ? On attend en général d'un magistrat qu'il soit bon juriste et qu'il fasse preuve de discernement humain. S'il est appelé à exercer des fonctions administratives, il doit aussi être bien préparé.
M. Éric Lucas . - C'est le cas. Il existe des formations permanentes. Les magistrats choisis comme présidents ou chefs de cour ont souvent exercé auparavant des fonctions de président de juridiction.
Mme Marielle Thuau . - Rassurez-vous : je suis la seule magistrate sur ces bancs ! Les nouveaux chefs de cour et chefs de juridiction sont systématiquement formés. On pourrait encore insister davantage sur leur formation en gestion, en ressources humaines et management. Nous y travaillons avec le futur directeur de l'École nationale de la magistrature. Le Conseil supérieur de la magistrature prend toujours en compte la carrière et la formation des magistrats lorsqu'il rend ses avis.
M. Charles Giusti . - On pourrait envisager la piste suggérée par le sénateur Portelli sur le recrutement de contractuels pour le personnel de surveillance. Dans ce domaine, nous sommes en concurrence avec le ministère de la défense, la gendarmerie, la police, mais aussi de plus en plus avec la sécurité privée. En plus de créer un vivier, nous devons veiller à la qualité du recrutement. Nous offrons une formation de huit mois à ceux que nous recrutons, et cet investissement de départ amoindrit l'intérêt d'un recrutement contractuel. D'autant que la contractualisation pourrait au contraire inciter le personnel à aller chercher une sécurité de l'emploi et un statut dans d'autres administrations.
M. Michel Bouvard . - J'entends vos explications sur les effectifs. Pour autant, en 2015, on compte moins de magistrats en activité qu'en 2012 : c'est un constat de la Cour des comptes. Je n'ai pas été convaincu par les raisonnements que j'ai entendus sur les mises en réserve. Il y a eu des sous-budgétisations notoires au moment de l'élaboration du budget : l'accès au droit et la médiation familiale ont été négligées, alors qu'on est à 12 % de mise en réserve pour l'aide aux victimes.
C'est une très bonne chose que de dégager des moyens supplémentaires pour la justice. Encore faut-il pouvoir en apprécier les résultats. La Cour des comptes demande depuis plusieurs années des indicateurs stables qui prennent en compte également le taux de récidive, le taux de réponse pénale et la valeur des confiscations en matière pénale. Le ministère a-t-il l'intention de mettre en place ces indicateurs dans le projet de loi de finances pour 2017 ?
Aujourd'hui, le ministère ne respecte pas les dispositions de l'article 8 de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, qui oblige dans le cas de partenariats public-privé à inscrire, au plus tard à la livraison de l'intégralité de l'opération, des autorisations d'engagement sur les opérations immobilières financées, avec un montant égal en AE et en CP, en fonctionnement et en investissement. Or, dans les programmes immobiliers pénitentiaires, on constate un écart de 154 millions d'euros entre les AE et les CP : ce n'est pas rien ! Comment comptez-vous remédier à cela ?
Enfin, j'aimerais connaître les conditions dans lesquelles le ministère a refusé l'opération de construction d'une extension de prison à Nanterre. Le terrain est en gardiennage depuis 2012, aux frais de l'État.
M. René Vandierendonck . - Les maires déplorent depuis longtemps le manque de moyens pour faciliter l'accès au droit. On manque de greffiers dans les maisons du droit, dans les maisons de services au public. Des vacataires ont été recrutés. Est-ce suffisant ?
Les élus regrettent également que dans les services départementaux, ceux qui doivent traiter des violences intrafamiliales sont souvent des gens inexpérimentés, en première affectation et sujets à l'absentéisme. Pourquoi les juges des enfants ne bénéficieraient-ils pas d'un aménagement de carrière avec des bonifications indiciaires qui assureraient leur fidélisation dans les territoires ?
M. Éric Lucas . - Les indicateurs sur le taux de récidive et le taux de réponse pénale sont difficiles à mettre en place, car nous ne disposons pas encore des données. Nous dépendons d'un système d'information décisionnelle qui croise les données de Cassiopée et d'Application des peines, probation et insertion (APPI). Nous avons mis en place la première version de ce système ; il faut attendre la deuxième pour que le croisement de ces données soit possible.
Mme Marielle Thuau . - Dans la mesure où les maisons de justice et du droit sont rattachées au tribunal de grande instance, le TGI, un greffier leur est systématiquement affecté. Ce n'est pas le cas dans les points d'accès au droit locaux ou maisons de services au public qui ne sont pas des lieux judiciaires.
En tant que magistrats du siège, les juges des enfants ont le droit de demander leur mutation. Ils ont également la possibilité d'évoluer dans leur fonction, en devenant vice-président ou premier vice-président par exemple. Dans le projet de loi organique, nous avons prévu des postes hors hiérarchie dans un certain nombre de tribunaux et de cours d'appel, pour favoriser la progression de carrière des magistrats tout en leur donnant la possibilité de rester spécialisés dans leur domaine. Il est difficile de fidéliser les juges sur un territoire. Nous y réfléchissons en lien avec les juridictions en difficulté.
M. Michel Bouvard . - Et sur le non-respect de l'article 8 de la LOLF et les 154 millions d'euros d'écart en AE et en CP ?
M. Charles Giusti . - Je vous enverrai une réponse écrite. En ce qui concerne l'extension de la prison sur le terrain de Nanterre, la construction d'un quartier de semi-liberté de 90 places devrait commencer en 2017.