B. UNE BAISSE DES PRÉLÈVEMENTS... QUI NE CONCERNE PAS LES MÉNAGES
Lors de son audition par la commission des finances le 15 juin dernier, le secrétaire d'État chargé du budget, Christian Eckert, a insisté sur le fait que « pour la première fois depuis 2000, le solde public s'[était] amélior[é], alors que les prélèvements obligatoires [avaient] diminu[é] ». En effet, au cours de l'exercice écoulé, le taux de prélèvements obligatoires s'est établi à 44,7 % du PIB, en recul de 0,1 point par rapport à 2014 . Selon l'Insee, cette diminution résulterait des mesures nouvelles entrées en application en 2015 : « il s'agit principalement des montées en charge du CICE et du Pacte de responsabilité et de solidarité, partiellement compensées par celle de la fiscalité écologique et par l'augmentation des cotisations d'assurance vieillesse, ainsi que par le rendement des mesures contre la fraude fiscale » 39 ( * ) .
Selon les données du programme de stabilité d'avril 2016, en 2015, les mesures nouvelles se sont élevées à - 1,8 milliard d'euros , grâce, notamment, au déploiement du CICE et du Pacte de responsabilité et de solidarité qui aurait permis une baisse des prélèvements de respectivement 5,3 milliards et 7,3 milliards d'euros. Inversement, une hausse des recettes publiques a résulté, au cours de l'année passée, de la réforme des retraites (0,6 milliard d'euros), de la revalorisation des taux de cotisation AGIRC-ARRCO (0,5 milliard d'euros), de l'augmentation des tarifs de la CSPE (1,1 milliard d'euros), de la création d'une composante carbone dans la TICPE (1,8 milliard d'euros), de même que de mesures comme la limitation de la déductibilité des charges financières (1,3 milliard d'euros), etc.
S'il y a lieu de se satisfaire d'un recul, même limité, du taux de prélèvements obligatoires, il est toutefois nécessaire de s'interroger sur les bénéficiaires de celui-ci. Or, il apparaît qu'il n'a aucunement profité aux ménages dont la charge fiscale a continué de progresser en 2015, passant de 16 % à 16,1 % du PIB (cf. graphique ci-après).
Graphique n° 15 : Évolution de la charge fiscale des ménages et des entreprises ainsi que du taux de prélèvements obligatoires (2005-2015)
(en % du PIB)
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)
En effet, l'examen des données les plus récentes de l'Insee vient confirmer les analyses développées par votre rapporteur général lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016, tendant à montrer qu' un transfert de la charge fiscale avait été opéré vers les ménages au cours de la période 2011-2015 .
Ceci indique, d'une part, que les ménages ont continué à supporter l'essentiel des efforts de redressement des comptes publics et d'autre part, que la décélération de la pression fiscale ne leur a pas véritablement profité - la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu, dont l'incidence est estimée à - 2,8 milliards d'euros, n'ayant que très partiellement compensé les hausses de prélèvements intervenues depuis 2011, d'autant que les ménages ont également eu à supporter des augmentations de la fiscalité indirecte, comme celles de la CSPE ou encore de la TICPE.
Cette conclusion est confortée par le fort accroissement de la part dans les prélèvements obligatoires totaux des impositions directes acquittées par les ménages , qui a atteint 35,9 % en 2015 contre 35,7 % en 2014, alors que la part de la charge fiscale des entreprises dans les prélèvements obligatoires a reculé de 38,4 % à 38 % entre ces deux années . Ainsi, la tendance au transfert de la charge fiscale des entreprises vers les ménages s'est prolongée en 2015 - la différence entre la part dans les prélèvements de la charge fiscale des entreprises et celle des ménages étant passée de 2,7 points à 2 points entre 2014 et 2015 .
Graphique n°
16
: Part de la
charge fiscale des ménages et des entreprises
dans les
prélèvements obligatoires
(en %)
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de l'Insee)
Il n'est aucunement question, ici, de regretter la réduction des prélèvements sur les entreprises , celle-ci étant tout à fait indispensable dans un contexte de dégradation des taux de marges et de perte de compétitivité de ces dernières ; en effet, cette analyse montre avant tout les limites d'un ajustement budgétaire reposant essentiellement sur des hausses de la fiscalité - qui, dans un environnement concurrentiel, doit nécessairement porter à titre principal sur les ménages et les taxations indirectes. Aussi, à défaut d'avoir engagé une véritable baisse de la dépense publique, fondée sur des mesures pérennes, le Gouvernement n'a pas été en mesure d'alléger la charge fiscale des ménages au cours de l'année 2015 .
La mesure de la charge fiscale des ménages et des entreprises La mesure de la charge fiscale des ménages utilisée a été établie à partir des données de l'Insee 40 ( * ) ; celle-ci comprend les impositions portant sur le revenu des ménages , comme l'impôt sur le revenu, la contribution sociale généralisée (CSG) ou encore la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), les autres impôts courants , soit essentiellement la taxe d'habitation, la taxe foncière et l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), les impôts en capital , qui intègrent notamment les droits payés sur les successions et les donations, ainsi que les cotisations sociales effectives reçues par les administrations publiques , à l'exclusion de celles versées à des régimes privés. La charge fiscale des entreprises, quant à elle, tient compte des impôts sur le revenu versés par les sociétés non financières (SNF) ainsi que par les entreprises financières , soit essentiellement l'impôt sur les sociétés (IS), des impôts sur la production , comprenant la taxe sur les salaires, les versements transports, la C3S, ou encore la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), des impôts en capital , de même que des cotisations sociales effectives versées aux administrations publiques . Il convient de souligner que la mesure de la charge fiscale des ménages et des entreprises ne tient pas compte des taxes indirectes, comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ou encore la contribution au service public de l'électricité (CSPE) . En effet, ces dernières ne sont pas acquittées uniquement par les ménages , comme le supposent différentes études - à l'instar d'un récent travail réalisé par l'OFCE 41 ( * ) -, mais également, dans une certaine mesure, par les entreprises ; à cet égard, les sociétés peuvent avoir à supporter des rémanences de TVA 42 ( * ) , estimées à 31,2 milliards d'euros en 2006 par le Conseil des prélèvements obligatoires 43 ( * ) , et sont assujetties à la CSPE pour leur consommation d'électricité. Si les taxes indirectes contribuent significativement au poids des prélèvements obligatoires, les données issues de la comptabilité nationale disponibles ne permettent pas de distinguer celles supportées respectivement par les ménages et les entreprises ; c'est la raison pour laquelle la mesure de la charge fiscale retenue ne les intègre pas. |
* 39 Insee, op. cit. , mai 2016, p. 3.
* 40 La mesure de la charge fiscale des ménages et des entreprises est strictement comptable et ne tient pas compte des éventuels effets de l'incidence fiscale, soit des possibles reports de la fiscalité des contribuables « théoriques » vers d'autres acteurs.
* 41 M. Plane et R. Sampognaro, « Baisse de la fiscalité sur les entreprises mais hausse de celle des ménages », Le Blog de l'OFCE, 22 octobre 2015.
* 42 Les consommations ou investissements de certains opérateurs sont grevés d'une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui ne peut être déduite - s'incorporant, par conséquent, définitivement dans le coût de l'opération. Ce phénomène, appelé rémanence de TVA, résulte des règles prévues par la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, dite directive « TVA », qui trouve à s'appliquer dans les États membres de l'Union européenne. Ainsi, certaines opérations d'agents économiques, bien que dans le champ d'application de la TVA, bénéficient d'une exonération et n'ouvrent donc pas droit à déduction ; il s'agit en particulier des activités bancaires et d'assurance. En outre, des exclusions spécifiques du droit à déduction peuvent être prévues, comme pour les dépenses de carburant ou de logement supportées par les entreprises au titre de leurs salariés ou dirigeants.
* 43 Conseil des prélèvements obligatoires, Les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée , octobre 2009.