DEUXIÈME PARTIE - L'EXÉCUTION DU BUDGET DE L'ÉTAT EN 2015

I. DES DÉPENSES CONTENUES GRÂCE À LA BAISSE DES DOTATIONS AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET À DES ÉCONOMIES DE CONSTATATION

Les dépenses totales de l'État, y compris fonds de concours, budgets annexes et comptes spéciaux se sont élevées à 500,6 milliards d'euros en AE et 483,7 milliards d'euros en CP, contre une prévision initiale de 500,4 milliards d'euros en AE et 485,3 milliards d'euros en CP.

Ces montants agrègent cependant des dépenses de nature très diverse, qui n'obéissent pas aux mêmes nécessités ni aux mêmes facteurs d'évolution. L'analyse des dépenses de l'État par rapport aux prévisions initiales, ou à l'exécution de l'exercice précédent, nécessite donc d'isoler des périmètres plus réduits et plus homogènes.

Les normes de dépenses fournissent à cet égard un outil utile, bien qu'imparfait.

A. LA NORME DE DÉPENSES EN VALEUR DÉPASSÉE, LA NORME EN VOLUME RESPECTÉE DE JUSTESSE

1. Une double norme de dépenses : « zéro valeur » et « zéro volume »

L'exécution du budget de l'État doit garantir le respect, sur certains périmètres précisément définis, de plafonds de dépenses . Ces plafonds s'appellent des normes de dépenses.

Les normes de dépenses « zéro valeur » et « zéro volume »
encadrant l'évolution des dépenses de l'État

Si des normes d'évolution des dépenses de l'État ont été introduites dès le début des années 2000, c'est la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 qui a mis en place la double norme de dépenses aujourd'hui appliquée :

- d'une part, les dépenses du budget général de l'État et les prélèvements sur recettes, hors charge de la dette et hors contributions aux pensions des fonctionnaires de l'État, doivent être stabilisés en valeur à périmètre constant : c'est la norme « zéro valeur » ;

- d'autre part, la progression annuelle des crédits du budget général de l'État et des prélèvements sur recettes, y compris charge de la dette et dépenses de pension, doit être, à périmètre constant, au plus égale à l'inflation (évolution prévisionnelle des prix à la consommation) : c'est la norme « zéro volume ».

La loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 a fixé le niveau des normes de dépenses de l'État pour les années à venir : en vertu de son article 8, les dépenses sous norme « zéro volume » ne doivent pas progresser plus vite que l'inflation et les dépenses sous norme « zéro valeur » doivent diminuer d'environ 7 milliards d'euros de 2015 à 2017, passant de 282,81 milliards d'euros en 2015 à 280,65 milliards d'euros en 2016, puis à 275,48 milliards d'euros en 2017.

Graphique n° 24 : le périmètre des normes de dépenses de l'État

TOTAL DES DEPENSES DE L'ETAT

Dépenses exceptionnelles

Dépenses financées par fonds de concours

Dépenses des budgets annexes

Dépenses des comptes spéciaux

NORME EN VOLUME

NORME EN VALEUR

Charge de la dette

Contributions au CAS « Pensions »

Crédits des ministères et subventions aux opérateurs

Plafond des taxes affectées aux opérateurs

Prélèvement sur recettes au profit des collectivités territoriales

Prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne

Source : commission des finances du Sénat

2. En raison de l'insincérité de la budgétisation initiale de la mission « Défense », la norme de dépenses en valeur n'a pas été respectée

La norme « zéro valeur », d'abord fixée à 282,5 milliards d'euros par la loi de finances initiale pour 2015, a été revue à la baisse de 0,7 milliard d'euros à la suite du décret d'annulation du 9 juin, puis à la hausse de 2,1 milliards d'euros dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, en lien avec la rebudgétisation des recettes exceptionnelles prévues sur le compte d'affectation spéciale « Gestion et valorisation des ressources tirées de l'utilisation du spectre hertzien, des systèmes et des infrastructures de télécommunications de l'État ». Le montant de la norme « zéro volume » a connu les mêmes évolutions.

La prise en charge par le budget général de ces dépenses de la mission « Défense », qui dépendaient jusqu'alors de la réalisation de recettes exceptionnelles très incertaines, contribue à sécuriser le financement de l'armée française et votre rapporteur général, de ce point de vue, s'en félicite.

Cependant, deux remarques doivent être faites.

D'une part, la rebudgétisation de ces ressources est très tardive : en effet, ce mouvement n'a été prévu qu'en loi de finances rectificative, c'est-à-dire à la fin de l'année - et cela alors même que, dès l'automne 2014, le ministre de la Défense affirmait lui-même qu'il était certain que les recettes exceptionnelles prévues pour alimenter le CAS « Hertzien » et financer la Défense ne seraient pas réalisées au cours de l'année. La budgétisation initiale, manifestement insincère, n'a pas été corrigée avant la fin de l'année. Cette situation pose également la question de la consommation des crédits ainsi ouverts : l'engagement et le décaissement des crédits exigeant quelques jours, une partie importante de ces ouvertures, à hauteur de 590 millions d'euros, a fait l'objet d'un report qui a ensuite été mis en réserve : la Défense n'a donc pas réellement bénéficié, en 2015, de 2,1 milliards d'euros de ressources budgétaires supplémentaires mais seulement de 1,5 milliard d'euros.

D'autre part, le Gouvernement présente cette opération comme une simple mesure de périmètre et la passe sous silence pour évoquer l'évolution des dépenses sous norme en cours d'année : l'exposé général des motifs du présent projet de loi de règlement du budget indique que « les économies réalisées ont permis d'abaisser de 0,7 milliard d'euros la dépense sous norme par rapport à l'objectif de la loi de finances initiale », ne prenant en compte que le décret d'annulation intervenu en juin.

Pourtant, la réintégration au budget général des dépenses qui devaient être financées par le CAS « Hertzien » n'a rien d'une simple mesure de périmètre : il s'agit, bien au contraire, d'une augmentation nette des dépenses sous norme de l'État dans la mesure où cette hausse n'est pas compensée par des recettes équivalentes 54 ( * ) .

Les dépenses sous norme des ministères et des opérateurs , hors prélèvements sur recettes, dette et pensions, ont donc augmenté de 2,6 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale, et non diminué de 700 millions d'euros.

Graphique n° 25 : Décomposition de l'écart entre la norme en valeur définie en loi de finances initiale et l'exécution des dépenses sous norme en 2015

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette hausse est partiellement compensée par la réduction des prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne et des collectivités territoriales, respectivement inférieurs de 1 milliard d'euros et 200 millions d'euros aux prévisions de la loi de finances initiale.

Au total, la norme de dépenses « en valeur » prévue en loi de finances initiale est dépassée de 1,4 milliard d'euros en exécution .

3. Une nouvelle diminution de la charge de la dette qui permet le respect de la norme « zéro volume »

La norme « zéro volume » , qui comprend les dépenses incluses dans le périmètre de la norme « zéro valeur » ainsi que la charge de la dette et les contributions de l'État au compte d'affectation spéciale « Pensions », est respectée en 2015 : les dépenses exécutées sur ce périmètre atteignent 371,5 milliards d'euros, contre un plafond fixé à 372,5 milliards d'euros en loi de finances initiale.

Graphique n° 26 : Décomposition de l'écart entre la norme en volume définie en loi de finances initiale et l'exécution des dépenses sous norme en 2015

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En effet, le dépassement constaté sur le périmètre de la norme en valeur est compensé par des économies de constatation sur la charge de la dette : celle-ci aura été inférieure de 2,2 milliards d'euros aux estimations initiales et de 1,1 milliard d'euros à l'exécution 2014 . La faiblesse des taux d'intérêt sur la dette souveraine en 2015, avec des taux négatifs sur certaines obligations de court terme, conduit à ce que la charge budgétaire de la dette de l'État diminue alors même que son encours augmente 55 ( * ) . Ces « économies » ne dépendent évidemment pas des politiques mises en oeuvre par le Gouvernement et elles sont dénuées de tout caractère pérenne.

Le respect de la norme de dépenses en volume a donc reposé, comme en 2014, sur des économies de constatation.

4. Des évolutions souhaitables quant à la définition et au calcul des dépenses sous norme
(a) Un périmètre sous norme à redéfinir : la nécessaire exclusion du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne

Le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne ne devrait pas être intégré à la norme en valeur dans la mesure où son montant n'est pas du tout pilotable par l'État . Que le prélèvement sur recettes soit inférieur aux prévisions, comme cela fut le cas les dernières années, ou supérieur, ne permet de tirer aucune conclusion sur la qualité de la gestion budgétaire du Gouvernement.

La Cour des comptes a ainsi noté, dans le rapport sur la gestion du budget de l'État en 2015, que l' « absence de maîtrise » du Gouvernement sur le montant du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne « a conduit à des comportements erratiques en cas d'évolutions non prévues des dépenses ». Une hausse non anticipée du prélèvement sur recettes de 1,8 milliard d'euros a été traitée en « dépense exceptionnelle » et exclue du périmètre de la norme, alors que l'économie de 1 milliard d'euros sur ce même agrégat en 2015 a, comme le souligne la Cour des comptes, « dégagé une marge facilitant le respect de la norme ».

Votre rapporteur général considère donc que le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne doit être exclu du périmètre de la norme en valeur .

(b) Un traitement problématique des prélèvements sur la trésorerie des opérateurs

En outre, afin d'afficher un respect de la norme, le Gouvernement assimile à une moindre dépense les prélèvements effectués sur la trésorerie des opérateurs : ainsi, la loi de finances rectificative a prévu le prélèvement de 255 millions d'euros sur la trésorerie du Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) permettant opportunément de compenser le dépassement constaté sur les dépenses du budget général hors dette, pension et prélèvements sur recettes : celles-ci étaient supérieures de 1,3 milliard d'euros à la norme de dépense fixée en début d'année. La contribution des ressources du FNGRA correspondait exactement au montant nécessaire pour « gager » le reliquat de l'augmentation des dépenses n'étant pas couvertes par les économies constatées sur les prélèvements sur recettes, laissant à penser que le motif de la ponction sur le fonds résidait moins dans le caractère excédentaire de la trésorerie du fonds que dans la nécessité, pour l'État, de trouver des recettes supplémentaires lui permettant d'afficher un respect de la norme. C'est d'ailleurs la première fois depuis le début du quinquennat que le Gouvernement procède en fin de gestion à un prélèvement sur les ressources d'un opérateur.

Les prélèvements sur la trésorerie constituent bien davantage des recettes supplémentaires que de moindres dépenses et, à ce titre, ils ne devraient pas permettre d'afficher une diminution des dépenses . D'ailleurs, le prélèvement sur le FNGRA était présenté tout à la fois comme une recette non fiscale 56 ( * ) et comme une moindre dépense au regard de la norme 57 ( * ) .

En outre, les prélèvements sur le fonds de roulement des opérateurs de l'État se sont multipliés depuis 2012 , passant de 97 millions d'euros en 2012 à 989 millions d'euros en 2015, soit une augmentation de facteur 10.

Graphique n° 27 : Montant des prélèvements sur le fonds de roulement
des opérateurs de l'État de 2011 à 2015

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Gouvernement au questionnaire du rapporteur général

La ponction de la trésorerie de certains opérateurs peut tout à fait être légitime quand les fonds de roulement ont atteint des niveaux manifestement excessifs, sans lien avec les missions incombant aux établissements considérés.

Cependant, ce procédé, par définition ponctuel et non-pérenne, ne doit pas se substituer à la mise en oeuvre de réelles mesures d'économies qui permettent de dégager des marges de manoeuvre dans le futur .

(c) Des « reports bloqués » pour respecter artificiellement les cibles d'exécution

Les reports dits « bloqués » ou « arbitrés » correspondent aux reports de crédits sur l'année suivante dont le montant est arbitré dans le cadre du schéma de fin de gestion afin de respecter la cible d'exécution. Ils s'ajoutent donc aux reports dits frictionnels, liés aux charges à payer.

Ces reports bloqués procèdent d'une maîtrise artificielle de la dépense : s'ils permettent des effets d'affichage favorables au Gouvernement, ils ne constituent pas une réelle diminution des dépenses dans la mesure où les crédits reportés, qui sont en général déjà affectés, devront être décaissés l'année de leur report.

Ces reports sont loin de concerner des montants mineurs. Si le Gouvernement ne présente pas de montants agrégés sur l'ensemble du budget général, des budgets annexes et des comptes spéciaux, l'analyse de l'exécution budgétaire de chaque mission fait apparaître des reports « arbitrés » importants sur certaines politiques publiques : à titre d'exemple, la mission « Égalité des territoires et logement » a vu 300 millions d'euros de crédits de paiement bloqués en fin d'année afin d'assurer le respect des cibles d'exécution, générant un report de charges de 460 millions d'euros sur 2016 58 ( * ) .

De telles pratiques, qui fragilisent l'exécution 2016, méconnaissent l'esprit de la LOLF : celle-ci prévoit en effet que peuvent être reportés les autorisations d'engagement et crédits de paiement « disponibles sur un programme à la fin de l'année » (article 15 de la LOLF). Or les reports « bloqués » portent souvent sur des crédits dont l'affectation est déjà décidée et qui pourraient tout à fait être décaissés avant la fin de l'année.

Ces reports de charges, censés contribuer à afficher une maîtrise des dépenses de l'État, n'y suffisent pas : d'exécution à exécution, les dépenses des ministères et des opérateurs continuent d'augmenter .


* 54 La cession des fréquences s'est réalisée le 8 décembre 2015 avec l'attribution par l'ARCEP des autorisations pour 2,8 milliards d'euros. Seul un quart du prix de cession (700 millions d'euros) était exigible dès 2015 et, en pratique, aucune recette n'a pu être effectivement encaissée sur l'exercice 2015 au titre de la cession de ces fréquences.

* 55 Cf. infra , III du présent rapport.

* 56 Exposé général des motifs du projet de loi de finances rectificative, p. 17.

* 57 Exposé général des motifs du projet de loi de finances rectificative, p. 15.

* 58 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire relative à la mission « Égalité des territoires et logement » pour 2015.

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