II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL
1. La mission AGTE est un pavillon budgétaire qui abrite des financements destinés à une diversité de missions
La mission AGTE est composée de trois programmes hétéroclites. L'un d'entre eux, le programme 216, ressort comme un programme de soutien. Ses crédits représentent environ un quart de ceux de la mission. Ils sont, en réalité, destinés à financer les actions regroupées dans d'autres programmes, soit que ceux-ci relèvent de la mission AGTE, soit qu'ils n'en relèvent pas.
La mission est en 2015 contributrice nette au financement d'autres missions. Si elle bénéficie de déversement de crédits de la part de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » pour un montant de 105,4 millions d'euros, en revanche, elle contribue au financement d'autres missions, en particulier, la mission « Sécurités ».
Sa contribution aux autres missions déduite des dotations initiales qui lui sont réservées, les crédits réellement disponibles pour les actions d'administration générale et territoriale de l'État sont amputés de 466,3 millions d'euros en 2015.
Le montant des dépenses complètes de la mission induites par les actions mises en oeuvre dans son objet propre, passe de 2,8 milliards d'euros (en affichage) à 2,3 milliards. Près de 20 % des crédits inscrits sont en réalité dédiés à d'autres actions.
Une fois cette correction prise en compte, il apparaît que les moyens de l'administration générale et territoriale de l'État baissent de 6,8 % en 2015 par rapport à l'année 2014 (2,5 milliards d'euros) alors qu'une appréciation fondée sur les consommations de crédits laisse apparaître une stabilité des dépenses.
Par ailleurs, les flux des dépenses entre programmes modifient considérablement les moyens programmés pour chacun d'entre eux tels qu'ils apparaissent dans la présentation budgétaire.
Logiquement les programmes 307 et 232 se trouvent bénéficier de facto de davantage de crédits. En particulier, ceux affectés au programme 232 sont considérablement accrus en proportion des dotations initiales. Par exemple, pour 2015, alors que deux millions d'euros de crédits avaient été ouverts pour le soutien aux cultes en loi de finances initiale, les déversements dont a bénéficié cette action ont permis d'honorer une dépense de 52,7 millions d'euros.
2. La mesure de la performance des services est largement perfectible
La mission comporte trois programmes assortis chacun d'objectifs suivis par des indicateurs (9 objectifs et 16 indicateurs au total).
Le programme 307 « Administration territoriale » affiche cinq objectifs dont le suivi recourt à neuf indicateurs de performance.
Certains d'entre eux laissent à désirer.
D'aucuns suivent des données dont la réalisation n'incombe qu'en partie au responsable du programme. Ainsi en va-t-il de l'élaboration des plans communaux de sauvegarde.
D'autres fournissent des indications à la faible significativité et susceptibles d'induire des conclusions erronées. Dans ce sens, la détection des fraudes documentaires par les préfectures est vulnérable à un « effet lampadaire ». S'il n'est pas sans signification, son interprétation comme témoin de l'efficacité administrative est soumise à trop d'incertitudes pour qu'il puisse être jugé comme représentatif de celle-ci.
Enfin, et sans préoccupation d'exhaustivité, force est d'observer que le suivi du contrôle de légalité par la mesure d'un taux de contrôle des actes prioritaires reçus en préfecture peut être affecté par des ruptures de champ. On sait que la dimension des actes prioritaires a varié dans le temps. Le rapport annuel de performances en témoigne d'ailleurs puisqu'il évoque une diminution de 10 % des actes reçus au titre du contrôle de légalité. Dans ces conditions, la stabilité du taux de contrôle des actes reçus en préfectures ressort comme une contre-performance. Ajoutons qu'un indicateur purement quantitatif ne saurait saisir la qualité du contrôle, qui est évidemment essentielle En bref, cet indicateur est trop approximatif, et, au demeurant, incomplet puisqu'il ne renseigne pas sur le contrôle budgétaire.
Le lien entre les indicateurs de performances (deux sont renseignés) et l'action du responsable du programme 232 « Vie politique, cultuelle et associative » n'est pas facile à établir. Les résultats ne dépendent pas exclusivement, loin de là, du responsable de programme.
Quant aux indicateurs de performance du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », pour fournir quelques indications utiles pour le suivi des éléments de la « fonction de production » du ministère, ils sont marqués par leur incomplétude. Certains indicateurs sélectionnent sans raison évidente des données qui ne sont que partiellement représentatives du problème administratif envisagé - c'est le cas pour les contentieux qui ne sont informés que pour celui des étrangers. D'autres manquent dans le domaine de la gestion du personnel (restructuration des qualifications, mobilité géographique ou fonctionnelle). Ces lacunes sont particulièrement regrettables s'agissant d'une administration de réseau en phase de changement.
3. Des résultats mitigés
Des neuf indicateurs du programme 307 cinq révèlent des résultats inférieurs aux attentes. Votre rapporteur souhaite tout particulièrement que les cibles des indicateurs relatifs à la sécurité nationale, qui pourrait être enrichis pour tenir compte des nouvelles menaces, soient toutes atteintes sans pour autant détériorer la qualité des actions concernées.
Les indicateurs du programme VPCA rejoignent pour le premier d'entre eux les préoccupations de votre rapporteur de mettre le coût d'organisation des élections sur une trajectoire d'économies sans pour autant nuire à la lisibilité des processus électoraux. Dans son rapport d'information au nom de la commission des finances du Sénat et consacré à ce sujet 5 ( * ) , il avait formulé en ce sens plusieurs recommandations. Le coût de la propagande électorale apparaît particulièrement élevé. Il se compose de différents process dont certains pourraient faire l'objet d'expérimentations (la dématérialisation) tandis que d'autres tels que la préparation des envois devraient être optimisés. Il faut souhaiter que les rendez-vous électoraux de l'année 2017 soient l'occasion de mettre en oeuvre des recommandations équilibrées susceptibles de produire des économies sans détériorer l'intégrité des opérations de vote.
En ce qui concerne le programme 216, la durée d'indisponibilité de certaines applications informatiques ressort comme particulièrement élevée. Il en va ainsi du programme RAMSES. Les conditions d'indisponibilité ne sont pas exposées ni expliquées si bien qu'il est difficile d'apprécier son impact sur l'activité des services. Il convient de rechercher tous les moyens permettant de la prévenir ou, si nécessaire, de surmonter les situations de crise.
4. Le programme 307 peine à réaliser la réorganisation qualitative de ses ressources humaines
La répartition effective des ETPT entre administration centrale, échelon régional et échelon départemental ne suit pas tout à fait l'ossature prévisionnelle. Par rapport aux orientations, on relève une forme d'inertie de la part des emplois classés au niveau départemental. Pour une part, cette résistance est attribuable à des transferts d'emplois des SGAR vers les régions au titre de la gestion des fonds européens. Mais l'écart par rapport aux prévisions pourrait illustrer une difficulté à renforcer concrètement l'échelon régional comme prévu.
Compte tenu de l'existence d'un échelon infra-départemental, avec les sous-préfectures, il faut regretter que les documents budgétaires n'assurent aucune restitution des moyens spécifiquement confiés à un niveau d'administration qui, selon d'autres sources 6 ( * ) , a connu une réelle attrition mais représente encore environ 5 000 emplois.
C'est également au regard des différentes actions que le schéma d'emplois prévisionnel peine à se traduire dans les réalisations. À partir de la décomposition du programme en cinq actions, on relève que quatre d'entre elles disposent de plus de moyens que programmé au détriment de l'action de pilotage des politiques gouvernementales. Celui-ci devrait disposer de 32,8 % des emplois du programme. Dans les faits, il n'en réunit que 28,5 %. L'action la plus riche en emplois, qui correspond à la réglementation générale, à la garantie de l'identité et de la nationalité et à la délivrance des titres (44,8 % des ETPT), absorbe plus d'emplois que prévu (43,7 %). Il en va de même pour le contrôle de légalité.
Aux difficultés d'ajustement territorial de l'emploi du programme d'administration territoriale semble ainsi s'ajouter une certaine inertie fonctionnelle qui tranche avec les orientations successives du ministère de l'intérieur dans le cadre de la réforme de l'administration territoriale.
5. La poursuite de la réforme du réseau préfectoral appelle des clarifications
Depuis 2013, la réforme l'administration territoriale est une sorte de processus continu à horizon glissant. L'année 2015 a été marquée par des annonces importantes, en particulier, celle du « Plan Préfecture Nouvelle Génération » (PPNG).
Mais, l'architecture de la nouvelle administration territoriale de l'État ne ressortait pas clairement des annonces du ministre intervenue dans un contexte marqué par la réorganisation de la France décentralisée, par la survenance de crises multiples en leur nature et par une contrainte d'optimisation des moyens.
Celle-ci, on l'a indiqué, s'est notamment traduite en 2015 par une réduction conséquente des emplois.
À ce stade, ni les réorganisations des implantations, ni la redéfinition des missions n'ont accompagné significativement la baisse des moyens.
Tout au plus peut-on évoquer pour le réseau des sous-préfectures les suites de la mission que le ministre de l'intérieur avait confié aux préfets des régions Alsace et Lorraine pour rénover la carte des sous-préfectures des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin . Après une démarche de concertation locale, trois décrets pris le 29 décembre 2014 ont conduit à la suppression de huit arrondissements 7 ( * ) ; cinq sous-préfectures ont été fermées au 1 er janvier 2015 et une sixième le sera au 1 er janvier 2016.
Par ailleurs, des plateformes régionales ont été lancées en 2014 permettant de centraliser les demandes de passeports biométriques et de mutualiser les tâches d'instruction de ces demandes.
Ces orientations préfigurent en partie la mise en oeuvre du PPNG qui devrait être le rendez-vous décisif de la réorganisation de l'administration territoriale de l'État.
Elle devrait impliquer des ajustements forts du périmètre des missions et des emplois.
Votre rapporteur s'attache à en mesurer les effets sur la présence infra-départementale de l'État dans le cadre du contrôle budgétaire qu'il conduit en 2016.
Concernant l'évolution des missions du réseau des sous-préfectures , le mouvement de repositionnement stratégique des sous-préfectures autour du développement local et de la coordination des politiques publiques sur le territoire n'est pas à proscrire. Il reste que la centralisation croissante en préfecture des activités de contrôle de légalité et de délivrance des titres ne doit pas se traduire par un éloignement excessif des guichets. Plus généralement, il faut répondre au besoin d'État au plus près des structures territoriales où il s'exprime. Le développement des schémas de coopération intercommunale ne peut être indifférent pour l'État.
En toute hypothèse, le temps d'une certaine ambition est sans doute venu. Il faudra veiller à emprunter une voie concertative et à éviter toute démarche systématique.
6. La délivrance des titres sécurisés, une activité sur la corde raide
L'écart entre les crédits ouverts et les dépenses réelles nécessitées par la délivrance des titres sécurisés est considérable. En loi de finances initiale 639,7 millions d'euros (en CP) avaient été ouverts pour financer cette mission. Les dépenses indirectes qui s'ajoutent à la consommation des crédits de loi de finances sont élevées. Elles ajoutent 185 millions d'euros de dépenses par transfert au sein du programme 307 (105,1 millions d'euros ou entre programmes (81,2 millions d'euros). Au total, les dépenses complètes sur crédits budgétaires représentent 138 % des crédits de loi de finances initiale (883,3 millions d'euros).
Ces coûts réels induisent un décalage entre les crédits ouverts en loi de finances et les dépenses réalisées au titre de l'action 2 du programme 307. L'ouverture de crédits a été dépassée de l'ordre de 57 millions d'euros en 2015. Ces dépassements sont structurels. Ils reflètent l'existence de financements croisés entre l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) et le programme. Les principaux rattachements concernent la participation de l'ANTS aux dépenses supportées par le ministère pour la production de la carte nationale d'identité (sous forme de fonds de concours) et l'attribution de produits au titre de services rendus pour l'acheminement des certificats d'immatriculation dans le cadre du Système d'immatriculation des véhicules (SIV). Ces opérations, qui pourraient connaître un certain essor en 2016 du fait de l'augmentation du tarif de la redevance d'acheminement des certificats d'immatriculation, manquent de transparence. Du fait des modalités de financement de l'ANTS par voie de fiscalité affectée, elles peuvent conduire à réaliser une affectation de fait au profit d'une section du budget général en contradiction avec les principes de la loi organique.
Il faut ajouter que les conditions d'utilisation de ces rattachements peuvent contredire la règle de spécialité qui s'applique aux fonds de concours. Ainsi, les produits rattachés en gestion en 2015 ont porté le disponible de l'action 2 du programme 307 au-delà des besoins si bien qu'une partie de ces crédits a été redéployée vers les dépenses de l'action 4 « Pilotage des politiques gouvernementales » dont l'objet peut être tout à fait étranger à celui que ces ressources étaient censées couvrir.
Quant à la situation de l'ANTS, malgré une amélioration faciale de ses équilibres financiers, elle appelle une grande vigilance. Hormis les observations critiques que suscitent certaines formes de son équilibrage financier - l'élévation du plafond des ressources tirées de la délivrance des passeports, l'attribution d'un produit de 14 millions d'euros par prélèvement sur le fonds de roulement de l'ANTAI, le report des reprises des permis de conduire du modèle transitoire F9 ainsi que la suppression de la puce électronique du modèle du permis de conduire - il faut envisager les résultats de l'audit de l'exercice de la tutelle sur l'ANTS publié en juillet 2015. Il souligne l'existence de niveaux de risques particulièrement élevés et d'un « degré de maîtrise des risques faible ». Ces constats que peuvent nourrir les errements de certains projets informatiques, qui ont récemment donné lieu à des interventions de la Cour de discipline budgétaire et financière, appellent des actions de redressement.
Le nouveau contrat d'objectif et de performance de l'agence devra être suivi avec beaucoup de soin.
7. Des dépenses de contentieux à nouveau sous-budgétées qui posent un problème de sincérité budgétaire
Comme les années précédentes les crédits de l'action 6 du programme 216, qui permettent de financer les frais de contentieux et les réparations civiles, ont fait l'objet d'une sous-budgétisation .
La loi de finances initiale pour 2015 avait ouvert 66,3 millions d'euros au titre de ces dépenses.
D'emblée, cette programmation témoignait d'un certain optimisme puisque lors de l'exercice précédent, en 2014, les ouvertures avaient atteint 77,4 millions d'euros pour une exécution finale de 85,8 millions.
Certes, le responsable de programme pouvait compter sur des crédits en report pour 5,3 millions. Ils ont été mobilisés pour couvrir l'impasse apparue en exécution. Mais, ils n'ont pas suffi à couvrir l'impasse apparue en gestion.
De fait, les dépenses ont été très supérieures aux crédits ouverts et, plus encore, aux dotations de la loi de finances initiale.
Elles ont atteint 97,9 millions d'euros, extériorisant une sous-budgétisation de près de 50 % et manifestant une hausse de 14,1 % par rapport à la dépense de 2014.
En dehors des reports de l'exercice 2014 il a fallu compter sur un dégel total de la réserve de précaution du programme 2016 (pour financer cette seule « action ») mais aussi sur un transfert de 5,3 millions d'euros en provenance du programme « Conditions de vie outre-mer » et sur le décret d'avance du 27 novembre 2015 pour financer les besoins en matière de dépenses de contentieux. Une partie du disponible final n'a pas été utilisée et a été reportée sur 2016.
Votre rapporteur ne peut que réitérer son observation déjà formulée l'an dernier. La récurrence de la sous-estimation des montants nécessaires aux dépenses de contentieux pose un problème de sincérité budgétaire. Il est regrettable qu'après la décrue de l'impasse observée l'an dernier, l'exercice 2015 se soit conclu par le retour à des niveaux excessifs.
Écarts entre la prévision initiale et l'exécution des crédits de contentieux
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires
Quatre types de dépenses sont particulièrement responsables de ce dérapage : les contentieux faisant suite à un refus de concours de la force publique (38 millions d'euros), le contentieux des étrangers (14 millions d'euros), la protection fonctionnelle des fonctionnaires (15 millions d'euros), les contentieux liés aux accidents de la circulation (10 millions d'euros) 8 ( * ) .
Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires
Le plan d'action mis en oeuvre en 2014 par le ministère de l'intérieur afin d'assurer un meilleure maîtrise de ces dépenses reste à produire tous les effets attendus.
Malgré tout, un élément de satisfaction peut être tiré de la réduction des provisions pour litiges entre 2014 et 2015 qui passent de 180 millions d'euros à 97 millions d'euros.
Même si elle est suspendue à l'absence de concrétisation de nouveaux risques juridiques, perspective entourée d'une faible probabilité, cette évolution est encourageante. On note cependant que le niveau des provisions demeure élevé.
Votre rapporteur spécial restera donc vigilant quant à l'évolution des dépenses de contentieux et de leur programmation budgétaire .
* 5 « Le coût de l'organisation des élections ». Rapport d'information n° 123 (2015-2016) du 28 octobre 2015. M. Hervé Marseille. Commission des finances. Sénat.
* 6 Voir, en particulier, le rapport public de 2015 de la Cour des comptes.
* 7 Décret n° 2014-1720 du 29 décembre 2014 portant suppression des arrondissements de Guebwiller et de Ribeauvillé ; décret n° 2014-1721 du 29 décembre 2014 portant suppression des arrondissements de Boulay-Moselle, de Château-Salins, de Thionville-Ouest et de Metz-Campagne ; décret n° 2014-1722 du 29 décembre 2014 portant suppression des arrondissements de Strasbourg-Campagne et de Wissembourg.
* 8 Données 2014.