B. DES AVANCÉES QUI S'INSPIRENT DU RÉFÉRENTIEL DE L'OCDE
Comme l'illustrent les différents exemples précités, l'essentiel des avancées de cette nouvelle convention s'inspirent de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (CML) adoptée le 24 novembre 2016 et signée à Paris le 7 juin 2017 par la France et 67 autres États et territoires, dont le Luxembourg, que votre commission avait examinée en avril 2018 17 ( * ) .
1. La convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices a largement inspiré les négociations
Cette convention multilatérale dite « CML » a pour objet d'appliquer les conclusions du projet lancé par le G20 au sommet de Los Cabos en 2012 et mené par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices ( Base Erosion and Profit Shifting - BEPS ), adoptées en 2015, pour ce qui concerne les conventions fiscales bilatérales en vigueur.
La convention contient différentes mesures obligatoires considérées comme des standards minimums à respecter ayant notamment pour objet d'insérer une clause anti-abus de portée générale et de moderniser la procédure de règlement des différends.
Composée de trente-neuf articles, elle comprend à la fois des normes minimales, que les juridictions signataires sont tenues d'appliquer, et des normes non minimales, pouvant faire l'objet de réserves des États . Seules trois dispositions revêtent ainsi le caractère de standard minimum, visant à prévenir l'utilisation abusive des conventions fiscales (articles 6 et 7) et à prévoir une procédure amiable de règlement des différends (article 16) qui ont été reprises dans la convention franco-luxembourgeoise.
Des options sont également prévues pour certaines dispositions contenues dans la convention.
La convention multilatérale agrège des stipulations de fond nouvelles, formulées de manière générale, qui se superposent aux conventions fiscales bilatérales existantes .
De fait, pour qu'une disposition d'une convention fiscale bilatérale soit modifiée par l'instrument multilatéral, il faut que les deux partenaires conventionnels l'aient ratifiée, qu'ils aient accepté de couvrir la convention fiscale les liant par l'instrument multilatéral, qu'ils aient notifié la disposition concernée et qu'ils aient opéré des choix en termes de réserves et d'options qui permettent l'application des mesures concernées. Toutes ces caractéristiques traduisent le caractère hybride et inédit de l'instrument multilatéral, qui ne modifie pas directement le texte des conventions fiscales en vigueur, ni ne constitue un simple modèle que les négociateurs peuvent reprendre.
La convention bilatérale entre la France et le Luxembourg illustre la pertinence de la démarche utilisée marquée par une flexibilité inédite en droit international public. En effet, la convention multilatérale a servi de base à la négociation alors même qu'elle n'était pas entrée en vigueur. En outre, les deux parties, et en particulier le Luxembourg, sont allées dans la convention bilatérale au-delà des options qu'elles avaient choisies lors de la ratification de BEPS.
2. Une convention bilatérale qui va au-delà des options prises par le Luxembourg lors de la négociation de l'instrument multilatéral
La convention multilatérale entrera en vigueur pour la France à compter du 1 er janvier 2019 . Le Luxembourg n'a en revanche pas finalisé la procédure de ratification de cette convention. La date de prise d'effet de la convention multilatérale pour la convention fiscale de 1958 n'est donc pas connue à ce stade.
Néanmoins le Luxembourg a déposé une liste provisoire des réserves et notifications, ce qui signifie que les articles 6, 7, 13, 16, 17 et 18 de la convention multilatérale devraient s'appliquer à la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1 er avril 1958.
Pour mémoire :
- L'article 6 vise à modifier le préambule des conventions fiscales couvertes en marquant que l'objet des conventions est d'éliminer la double imposition sans créer de possibilités de non-imposition via des pratiques d'évasion ou de fraude fiscale.
- L'article 7 insère une règle permettant de refuser l'octroi des avantages conventionnels en cas de situation abusive .
- L'article 13 permet d'éviter le contournement du statut d'établissement stable par le recours aux exceptions applicables à certaines activités spécifiques . Il porte sur les activités pour lesquelles le paragraphe 4 de l'article 5 du modèle de l'OCDE prévoit une exception au regard de la qualification d'établissement stable (achats, livraisons, recherche d'informations...) tout en ouvrant deux options pour les États parties.
- L'article 16 vise à améliorer le traitement des différends entre les États. Il prévoit à cet effet un délai de trois ans pour la demande d'ouverture d'une procédure amiable, la possibilité de demander une procédure amiable pour toute imposition non conforme (pas seulement en cas de double imposition) ou l'application de la solution quel que soit le délai maximum de dégrèvement en droit interne.
- L'article 17 concerne le mécanisme du dégrèvement corrélatif qui, lorsqu'une partie rectifie le résultat imposable d'une entreprise, doit être pratiqué par l'autre si elle a imposé une entreprise liée à la précédente sur cette même part de bénéfice.
- L'article 18 offre la possibilité aux États de mettre en place une procédure d'arbitrage pour résoudre les conflits d'imposition dans le cadre des conventions fiscales.
De ce fait, la nouvelle convention entre la France et le Luxembourg est très proche du modèle préconisé par l'OCDE.
S'agissant, des personnes visées (Art. 1), des impôts visés (Art. 2), de la définition de la résidence (Art. 4), de la définition de l'établissement stable (Art. 5), des revenus immobiliers (Art. 6), des bénéfices des entreprises (Art. 7), les articles de la convention sont conformes aux modèles de l'OCDE de 2014 ou de 2017.
Même s'agissant d'articles de la convention multilatérale de l'OCDE (CML) qui n'ont pas été retenus par le Luxembourg, certains ont été insérés dans la convention fiscale du 20 mars 2018 à la demande de la France et avec l'accord du Luxembourg.
Il en va ainsi de l'article 5 de la convention fiscale (établissement stable) qui découle de la définition des agents dépendants et indépendants (article 12 de la CML), de la règle relative à l'anti-fragmentation d'activités (article 13 de la CML), de la clause sur le fractionnement des contrats (article 14 de la CML), et de la notion d'entreprise étroitement liée (article 15 de la CML).
Il en va de même de l'article 10 de la convention fiscale sur les dividendes dans lequel la période de détention minimale des dividendes est inspirée de l'article 8 de la CML ou de l'article 13 (gains en capital) qui reprend la clause sur la prépondérance immobilière de l'article 9 de la CML.
En conclusion, la France a obtenu dans cette négociation bien au-delà de ce qu'elle aurait pu attendre de la simple application de la convention multilatérale.
3. Une convention qui, tout en reprenant le modèle de l'OCDE, a également intégré les particularités du droit fiscal français
La nouvelle convention avec le Luxembourg tient compte des spécificités que la France propose systématiquement à ses partenaires lors des négociations qui tiennent compte des décisions du Conseil d'État ou des évolutions de son droit interne.
Ces spécificités concernent par exemple la possibilité pour la France d'imposer les plus-values portant sur des titres de sociétés à prépondérance immobilière lorsqu'elles sont réalisées par des personnes domiciliées à l'étranger (article 244 bis A du code général des impôts (CGI)) ou les plus-values résultant de la cession d'une participation dans une société française donnant droit à au moins 25 % des bénéfices de la société (article 244 bis B du CGI).
La définition des « dividendes » constitue un autre exemple de spécificité proposée par la France et retenue par le Luxembourg dans la mesure où la jurisprudence du Conseil d'État ne permet pas d'interpréter la définition formulée au paragraphe 3 de l'article 10 du modèle de l'OCDE comme intégrant les revenus réputés distribués (voir en ce sens : CE 13 octobre 1999, n° 190083, ministre c/ SA Banque française de l'Orient et CE 26 février 2001, n°219834, ministre c/Anzalone).
* 17 Rapport n° 410 (2017-2018) de M. Albéric de Montgolfier, sénateur d'Eure-et-Loir, sur le projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices.