EXPOSÉ GÉNÉRAL
LE CONTEXTE DE LA PROPOSITION DE LOI
LA DÉFAITE TERRITORIALE DE L'ETAT ISLAMIQUE
La question du jugement et de la sanction des crimes commis par l'Etat islamique n'a de sens que dès lors que le Gouvernement irakien a pu reprendre le contrôle de l'essentiel de son territoire. Il convient toutefois de regarder cette amélioration avec une grande prudence, pour deux raisons :
- l'Etat islamique n'a pas été entièrement territorialement éradiqué d'Irak ;
- dans le reste du pays, là où le Gouvernement, avec l'aide de la coalition internationale et notamment de la France, a repris le contrôle, les combattants de Daech n'ont pas tous été éliminés. Nombre d'entre eux ont plongé dans la clandestinité et pourraient soit commettre des attentats, soit tenter de reprendre le contrôle de certaines zones si le Gouvernement devait, à un moment, relâcher son effort.
Il n'en reste pas moins que l'heure est à commencer la reconstruction de l'Irak. Cette reconstruction ne peut être seulement économique et matérielle ; les enjeux dans ce domaine sont naturellement colossaux, et la France entend y prendre sa part.
Mais la reconstruction du pays passe aussi, et peut-être même d'abord, par la reconstruction politique de l'Etat . Cela signifie le rétablissement des institutions, et à ce titre la tenue des élections législatives en mai 2018 a marqué une étape importante. Le Gouvernement irakien est toujours en cours de constitution, deux ministères n'étant pas encore pourvus à ce jour.
La reconstruction de l'Etat passe aussi par le rétablissement et le fonctionnement normal du système judiciaire . Naturellement, dans tous les pays du monde ayant connu des guerres civiles, la question du jugement des crimes commis pendant le conflit est posée. La caractéristique des guerres civiles, comme le terme l'indique lui-même, est qu'elles opposent des factions d'un même pays, et que les populations civiles, loin d'être exposées aux seuls dommages collatéraux d'un conflit conventionnel, deviennent elles-mêmes les cibles des combattants.
Dans le cas de l'Etat islamique, il s'est agi d'éliminer tous ceux qui n'étaient pas pratiquants d'un islam sunnite fondamentaliste, à commencer par les chiites, mais aussi tous les sunnites qui refusaient l'instauration d'un califat djihadiste, et bien sûr plus encore tous les non-musulmans que pouvait compter l'Irak. Or l'Irak est, depuis des millénaires, un creuset des peuples et des religions, où toutes les religions du Moyen-Orient et mêmes certaines religions d'origine africaine étaient représentées.
Naturellement, et votre commission a eu l'occasion d'y consacrer des travaux, c'étaient le cas des chrétiens d'Irak. Si leur nombre n'a cessé de décroître dans les années récentes, du fait de la dictature de Saddam Hussein d'abord, des guerres et destructions du pays ensuite, puis des persécutions et exactions commises par l'Etat islamique dès son apparition, il resterait néanmoins environ 300.000 chrétiens en Irak. Il convient de rappeler l'ancienneté de la présence chrétienne en Irak, qui remonte aux premiers temps du christianisme.
La conjonction de ces épreuves a malheureusement considérablement affaibli cette population, puisque l'on estime qu'en une génération, le nombre des chrétiens en Irak a diminué de 75 %.
Cette réalité dramatique ne doit pas faire oublier le sort des autres minorités persécutées. C'est le cas en particulier des yézidis, groupe kurdophone dont la religion remonte à l'Antiquité. Environ trois-quarts de la population yézidie aurait été déplacée, l'essentiel trouvant refuge au Kurdistan irakien. Cette communauté a été particulièrement exposée aux sévices sexuels et à l'esclavage, notamment à but sexuel. Cette tragédie n'est d'ailleurs pas terminée, puisque 3000 femmes seraient encore esclaves, et que certaines auraient fait l'objet d'un trafic d'être humain dont les circuits s'étendent en Syrie et, selon certaines informations, jusqu'en Turquie.
C'est le cas également des Shabaks, une communauté d'origine kurde à la langue et à la culture spécifiques, vivant dans la plaine de Ninive, ou des Kakaï, autre communauté kurde établie près de Mossoul.
Le respect des droits fondamentaux des minorités, à commencer par le droit à vivre en sécurité, est directement lié au rétablissement de l'autorité de l'Etat irakien, comme garant du maintien de l'ordre et du respect des lois.
De ce point de vue, non seulement on ne saurait imaginer, en droit ou en fait, protéger les populations menacées sans la participation des autorités irakiennes, mais bien plus, ce sont ces autorités qui doivent être les principaux acteurs de la protection et de l'intégration de ces minorités dans le pays.