Q. ARTICLE 15 : UNE RÉGULATION DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE CONFIÉE À L'ARCEP
L'article 15 ouvre le chapitre premier « L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de ma distribution de la presse », du titre III « La régulation de la distribution de la presse ». Ce nouveau titre vise à substituer à l'autorégulation bicéphale CSMP-ARDP mise en place par les lois de 2011 et 2015, une régulation exercée de manière indépendante par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP).
1. L'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP)
L'Autorité de régulation des télécommunications (ART) a été créée par l'article 36 de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications pour réguler le secteur des télécommunications, alors à la veille d'un profond bouleversement technologique 19 ( * ) . La création de cette nouvelle autorité administrative indépendante (AAI) résultait de deux impératifs : la prise en compte des règles internationales européennes en matière d'ouverture à la concurrence des réseaux de télécommunication, d'une part, la volonté d'encadrer le fonctionnement libre du marché par un pilotage public mais distinct du gouvernement, d'autre part.
La raison première qui a conduit à la création d'une autorité de régulation du secteur des télécommunications est le conflit d'intérêt s qu'induisaient pour l'État la détention de la majorité du capital de l'opérateur historique et la compétence réglementaire . L'ouverture à la concurrence exigeait en effet de prendre des mesures contraignant l'opérateur historique à laisser un espace économique pour l'émergence de la concurrence, mesures qui allaient évidemment contre les intérêts immédiats des actionnaires de France Télécom, au premier rang desquels l'État.
Dans ce contexte politique dominé par la nécessité de conserver à l'État une présence d'actionnaire majoritaire au capital de France Télécom et par la décision de recourir à une régulation indépendante, le véritable choix a surtout consisté à opter pour une autorité spécialisée plutôt que de confier la régulation au Conseil de la concurrence .
En effet, pour organiser la concurrence dans le secteur des télécommunications, le contrôle ponctuel et a posteriori de ces comportements par le Conseil de la concurrence est apparu insuffisant pour plusieurs raisons.
D'une part, il est apparu indispensable d'accompagner le passage d'une organisation monopolistique à une organisation concurrentielle par l'élaboration de normes spécifiques et a priori pour structurer le secteur - telle la fixation des conditions d'interconnexion entre réseaux - et par une surveillance rapprochée et permanente des évolutions concrètes du secteur.
D'autre part, pour que les citoyens puissent communiquer entre eux, l'interopérabilité doit être garantie par des normes techniques qui ne relèvent pas à proprement parler du droit de la concurrence. En outre, la rapidité des évolutions technologiques dans le domaine des télécommunications exige à la fois une expertise et une réactivité que seul un régulateur sectoriel semblait en mesure d'offrir.
Enfin, le choix de créer une autorité dédiée au secteur révèle aussi l'ambition du législateur de promouvoir une forme de « régulation à la française », dont les finalités dépassent le seul droit de la concurrence et ne négligent pas la problématique du service public. La régulation s'entend ainsi comme la recherche d'un équilibre entre l'organisation de la concurrence et la préservation de certains intérêts publics : la fonction première de la régulation est de permettre l'accès aux réseaux et aux infrastructures essentielles, alors monopolisées par l'opérateur historique, tout en assurant la mise en oeuvre et le financement des obligations de service public sans nuire à la loyauté de la concurrence.
• La composition de l'ARCEP
L'ARCEP est composée d'un collège de sept membres dans le respect de la parité femmes-hommes. Les membres sont nommés par différentes autorités politiques, en raison de leur qualification économique, juridique et technique, dans les domaines des communications électroniques, des postes et de l'économie des territoires : le Président de la République nomme le président de l'ARCEP ainsi que deux autres membres, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat nomment chacun deux membres.
Les membres du collège sont désignés pour 6 ans. Pour garantir leur indépendance, leur mandat n'est ni révocable et ni renouvelable. Ils sont également soumis à un régime d'incompatibilité des fonctions et à des obligations déontologiques.
L'ARCEP emploie 170 personnes , ce qui la place loin derrière la Haute autorité de santé (400 employés) ou le CSA (environ 300), mais à hauteur de la CNIL et devant la Commission de régulation de l'énergie (CRE). L'Autorité a développé une forte compétence économique dans l'analyse des réseaux de télécommunications et des comportements monopolistiques et oligopolistiques. Elle a de plus l'habitude de traiter avec des opérateurs importants, sur des enjeux financiers considérables .
L'autorité se qualifie elle-même « gendarme des télécoms ». Ses compétences se sont développées dans plusieurs domaines.
• Dans le secteur des communications électroniques, l'Autorité définit la réglementation applicable à tout ou partie des opérateurs .
Dans le cadre de cette régulation dite « asymétrique », l'ARCEP définit, dans une décision d'analyse de marché, les obligations pesant sur le ou les opérateurs (également appelés « opérateurs puissants ») qui sont désignés comme exerçant une influence significative sur un marché pertinent (article. L. 37-1 et suivants du Code des postes et des communications électroniques (CPCE)).
Dans le cadre de la régulation dite « symétrique », l'ARCEP définit les obligations générales qui s'appliquent de la même manière à tous les opérateurs (art. L. 36-6 et L. 36-7 du CPCE).
L'Autorité attribue également des ressources en fréquences ou en numérotation, veille au financement et à la fourniture du service universel, partage son expertise, au moyen des avis qu'elle rend à la demande du Gouvernement, du Parlement ou des autres autorités de régulation, édicter des actes de « droit souple », tels que des lignes directrices ou recommandations pour donner de la visibilité au secteur sur l'exercice de ses compétences ou orienter les comportements des acteurs ;
Les compétences de l'ARCEP en matière de régulation des opérateurs ont été accrues à la suite de l'adoption de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 août 2015, du règlement européen sur l'internet ouvert et l'itinérance mobile du 25 novembre 2015 et de la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016.
Pour veiller au respect de leurs obligations par les opérateurs, l'ARCEP est dotée d'un pouvoir de sanction (art. L. 36-11 du CPCE) et d'un pouvoir d'enquête (art. L. 32-4 et L. 32-5 du CPCE). Le président de l'Arcep peut également saisir l'Autorité de la concurrence ou le procureur de la République (art. L. 36-10 du CPCE).
• Dans le secteur des postes
Dans le secteur postal , l'ARCEP mène différents travaux, qui consistent à délivrer les autorisations aux opérateurs de services postaux d'envoi de correspondance, calculer le coût de la mission de « service universel » de La Poste et contrôler la qualité du service rendu dans le cadre de cette mission. Elle exerce le contrôle comptable et tarifaire du prestataire du service universel et émet des avis publics sur les aspects économiques des tarifs des prestations offertes à la presse au titre du service public du transport et de distribution de la presse.
2. Le nouveau régulateur de la distribution de la presse
L'idée de confier à l'ARCEP la régulation de la distribution de la presse, en lieu et place du CSMP et de l'ARDP, qui figurait dans le rapport « Schwartz », a fini s'imposer . Votre Rapporteur note qu'elle fait l'unanimité des parties prenantes, ce qui traduit tout à la fois le constat, quel que soit ses mérites, de l'échec de l'autorégulation à moderniser la distribution de la presse et surtout à écarter définitivement toute forme de suspicion de connivences entre les « gros éditeurs » et la principale messagerie.
Confier à cette instance la régulation de la distribution de la presse marque enfin la volonté de « rationnaliser » le secteur, en lui appliquant une logique économique, encadrée par les garanties du présent projet de loi.
L'article 15 procède tout d'abord à un changement sémantique . L'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes serait dénommée l' Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse . L'article 2 du présent projet de loi effectue la coordination au sein du code des postes et des communications électroniques.
Cette nouvelle Autorité se verrait confier deux missions étroitement liées.
D'une part, elle est chargée de « faire respecter les principes énoncés par la présente loi » , soit la loi du 2 avril 1947 dans la rédaction qui résulterait de l'adoption du présent projet de loi. Cela donne à l'Autorité une compétence générale, exception faite du II de l'article 14 qui désigne la DGCCRF pour faire respecter les obligations des plateformes en ligne. Les principes essentiels relèvent du corpus « historique » de la loi Bichet, et se trouveraient définis à l'article 1 er à 5, soit la liberté des éditeurs dans la diffusion, le recours à la forme coopérative et la distribution sans limitation de la presse IPG. L'article 7 du présent projet de loi transfère à l'Autorité la responsabilité d'assumer, sauf décision contraire de sa part , l'ensemble des règles édictées par le CSMP et l'ARDP, soit un ensemble juridique cohérent qui se réfère explicitement à ces grands principes .
D'autre part, l'Autorité « veille à la continuité, la neutralité, l'efficacité économique de la distribution de la presse ainsi qu'à une couverture large et équilibrée du réseau des points de vente ».
Une comparaison avec les termes de l'article 17 de la loi Bichet qui établissait la compétence du CSMP et de l'ARDP permet de mesurer l'évolution des missions.
Article 17 de la loi Bichet
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Article 15
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Ils [le CSMP et l'ARDP] veillent au respect de la concurrence et des principes de liberté et d'impartialité de la distribution et sont garants du respect du principe de solidarité coopérative et des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse. |
Elle [L'Autorité] est chargée de faire respecter les principes énoncés par la présente loi. Elle veille à la continuité, la neutralité, l'efficacité économique de la distribution de la presse ainsi qu'à une couverture large et équilibrée du réseau des points de vente. Elle concourt à la modernisation de la distribution de la presse. |
Il est difficile de déterminer l'application que fera l'Autorité de ces compétences. À ce stade, on peut rapprocher entre les deux textes :
- le respect des équilibres économiques de l'efficacité économique , qui ont autorisé le CSMP à prendre des décisions d'organisation du réseau, et pourraient permettre à l'Autorité de prendre position sur le niveau des barèmes , dans une optique de soutenabilité du modèle économique . On peut également le lire en parallèle de l'article 13 proposé par le présent projet de loi qui définit pour le réseau des points de vente une « efficacité commerciale de la diffusion » ;
- la neutralité , de l'impartialité de la distribution , qui évoquent les grands principes de la loi Bichet, et que l'on peut comprendre en particulier par référence à l'article 5 proposé sur la distribution de la presse IPG et du 1° de l'article 18-6 de la loi en vigueur qui confie au CSMP la mission de déterminer les conditions propres à garantir une distribution optimale de la presse d'information politique et générale .
Apparaissent comme nouveaux les principes de :
- continuité , qui implique une absence de rupture dans la livraison des publications, qu'elle soit temporelle (elle doit avoir lieu chaque jour) ou spatiale (tout le territoire doit être couvert, obligation présente en creux dans la définition de l'agrément donné à l'article 11) ;
- couverture large et équilibrée du réseau des points de vent e , que l'on doit rapprocher de l'article 13 proposé par le présent projet de loi pour définir le réseau des points de vente.
Si le principe de solidarité coopérative n'est plus explicitement mentionné, il est cependant présent de manière implicite au 3° de l'article 17 proposé par le présent article pour la loi du 2 avril 1947, avec la reconnaissance des coûts spécifiques induits par la distribution des quotidiens .
L'Autorité est enfin chargée de concourir « à la modernisation de la distribution de la presse », ce qui lui donne une capacité d'orientation générale sur l'organisation de la filière de la distribution , qu'elle serait en mesure d'exercer en particulier dans la délivrance des agréments (article 17) et dans les avis qu'elle remettra sur l'ensemble de la filière (article 16), voire sur les mesures exceptionnelles qu'elle pourrait être amenée à prendre (article 21).
3. La question des moyens alloués à l'ARCEP
Rapportée aux masses financières des secteurs que régule actuellement l'ARCEP, la distribution de la presse représente un enjeu très mineur. L'Autorité est reconnue pour la qualité de ses analyses économiques et le haut niveau de ses experts , autant de domaines qui seront très utiles à la nouvelle régulation. Cependant, tant la complexité du secteur que les larges compétences accordées au régulateur par l'article 17 (voir infra ), qui s'assimilent par bien des aspects à de la « micro régulation », vont nécessiter des moyens et une technicité spécifiques.
L'exposé des motifs du présent projet de loi prévoit environ huit personnes supplémentaires pour exercer ces missions. Certaines pourraient d'ailleurs être recrutées parmi les cinq personnels du CSMP, l'ARCEP devant en tout état de cause leur proposer un contrat de droit public . Il faudra cependant que l'Autorité se mobilise très rapidement autour de cette question et prenne la mesure des nouvelles missions de son institution. Auditionné par votre commission le mardi 7 mai 2019, le Président de l'ARCEP a précisé qu'il était encore en discussion avec le gouvernement.
* 19 Notre collègue Bruno Retailleau a consacré en 2007 un rapport très complet aux origines de l'Autorité de régulation des télécommunications : Dix ans après, la régulation à l'ère numérique, Rapport d'information n° 350 (2006-2007) de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 27 juin 2007.