EXAMEN DES ARTICLES
DE LA PROPOSITION DE LOI

CHAPITRE IER
ENCADREMENT DU FINANCEMENT DES CAMPAGNES ÉLECTORALES ET RÈGLES D'INÉLIGIBILITÉ

Article 1er A(art. L. 52-5 et L. 52-6 du code électoral ; art. 11-1 et 11-2 de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique)Recours à des prestataires de paiement pour le financement des campagnes électorales et des partis politiques

L'article 1 er bis A de la proposition de loi tend à autoriser les candidats et les partis politiques à recourir à des prestataires de paiement pour recueillir des fonds.

Il résulte de l'adoption en séance publique d'un amendement de notre collègue Jean-Pierre Grand. Sous-amendé par le Gouvernement, l'amendement avait reçu l'avis favorable de votre rapporteur.

Répondant à une observation du Conseil constitutionnel 18 ( * ) , cet article permettrait aux candidats et aux partis politiques d' utiliser des plateformes en ligne pour collecter les dons de personnes physiques .

Un décret en Conseil d'État déterminerait les modalités d'application du dispositif, notamment pour garantir la traçabilité des opérations financières . Il s'agit ainsi de s'assurer de l'identité du donateur, de sa nationalité ou de son lieu de résidence ainsi que du montant total de ses dons 19 ( * ) .

Au cours de ses travaux, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté deux amendements rédactionnels de son rapporteur.

Votre commission a adopté l'article 1 er A sans modification .

Article 1 er (art. L. 52-12 et L. 415-1 du code électoral ; art. 19-1 et 19-2 de la loi n° 77-729 relative à l'élection des représentants au Parlement européen) Simplification et clarification des règles applicables
aux comptes de campagne

L'article 1 er de la proposition de loi tend à simplifier et à clarifier l'article L. 52-12 du code électoral en distinguant plus lisiblement les règles relatives au dépôt des comptes de campagne, à leur contrôle et à leur publication.

Reprenant une préconisation de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), il vise également à réduire le périmètre d'intervention des experts-comptables .

Pour être dispensés d'expertise comptable, les candidats devraient désormais respecter deux conditions cumulatives :

- ayant obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés 20 ( * ) , leurs dépenses électorales ne sont pas remboursées par l'État ;

- leurs recettes et leurs dépenses n'excèdent pas un montant fixé par décret.

En contrepartie, les candidats concernés auraient l'obligation de transmettre à la CNCCFP les relevés bancaires de leur compte de campagne.

À l'initiative de son rapporteur, l'Assemblée nationale a imposé à l'ensemble des candidats aux élections européennes d'établir un compte de campagne , même lorsqu'ils ont réuni moins de 1 % des suffrages exprimés et qu'ils n'ont pas reçu de dons de personnes physiques.

Avec le rétablissement d'une circonscription électorale unique 21 ( * ) , une liste de candidats aurait pu mener campagne au niveau national et recueillir jusqu'à 226 000 voix sans déposer de compte de campagne, ce qui ne semble pas compatible avec la nécessaire transparence du scrutin.

S'inspirant de l'élection présidentielle 22 ( * ) , l'obligation d'établir un compte de campagne pour les élections européennes est donc bienvenue.

Votre commission a adopté l'article 1 er sans modification .

Article 1er bis (art. L. 52-8 et L. 52-15 du code électoral)Interdiction pour les personnes morales de garantir les prêts contractés
par les candidats - Simplification du délai accordé à la CNCCFP
pour contrôler les comptes de campagne

Introduit à l'initiative de votre rapporteur, l'article 1 er bis de la proposition de loi poursuit deux objectifs.

D'une part, il tend à confirmer l'interdiction pour les personnes morales de garantir les prêts contractés par les candidats .

D'autre part, il vise à simplifier le délai accordé à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ( CNCCFP ) pour contrôler les comptes des candidats.

En l'absence de contentieux, la commission se prononcerait dans un délai de six mois à compter du délai limite de dépôt de l'ensemble des comptes de campagne (et non à compter du dépôt de chaque compte) 23 ( * ) .

Lors de ses travaux, l'Assemblée nationale a adopté un amendement rédactionnel de son rapporteur.

Votre commission a adopté l'article 1 er bis sans modification .

Article 1 er ter A (suppression maintenue) (art. L. 52-4 du code électoral) Régime des menues dépenses

Adopté à l'initiative de nos collègues Françoise Laborde et Roger Karoutchi, l'article 1 er ter A de la proposition de loi visait à préciser le régime juridique des menues dépenses, que le candidat peut régler directement sans passer par son mandataire financier.

Reprenant la jurisprudence de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) 24 ( * ) , il fixait le montant maximal de ces menues dépenses : moins de 10 % du montant total des dépenses du compte de campagne et moins de 3 % du plafond des dépenses électorales .

Comme l'a indiqué notre collègue Roger Karoutchi, « graver ce principe dans le marbre de la loi » aurait permis de « rassurer les candidats et [de] sortir de l'ambiguïté » 25 ( * ) .

Sur proposition de son rapporteur et de notre collègue député Christophe Euzet, l'Assemblée nationale a supprimé l'article 1 er ter A .

Pour le rapporteur de l'Assemblée nationale, « les plafonds des menues dépenses repris dans cet article sont identiques pour toutes les élections alors même que les conditions de leur financement peuvent être différentes. En outre, ces plafonds peuvent s'avérer particulièrement élevés selon les élections et la taille de la collectivité territoriale concernée » 26 ( * ) .

Compte tenu de la position de l'Assemblée nationale, la CNCCFP resterait donc compétente pour apprécier, au cas par cas, le périmètre des menues dépenses . À défaut de clarification, ce retour au droit en vigueur garantirait une certaine souplesse dans l'interprétation du code électoral.

Votre commission a maintenu la suppression de l'article 1 er ter A.

Article 2 (art. L. 118-3 du code électoral) Clarification de l'inéligibilité pour manquement
aux règles de financement des campagnes électorales
(élections municipales, départementales, régionales et européennes)

L'article 2 de la proposition de loi vise à préciser le régime de l'inéligibilité pour manquement aux règles de financement des campagnes électorales.

1. L'office du juge

En cohérence avec les observations du Conseil constitutionnel sur les élections législatives de 2017 27 ( * ) , l'office du juge de l'élection serait clarifié.

Quel que soit le manquement constaté, il pourrait prononcer l'inéligibilité du candidat « en cas de volonté de fraude ou de manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales » 28 ( * ) .

Comme l'a souligné le rapporteur de l'Assemblée nationale, cette rédaction permettrait à tous les candidats de « disposer des règles les plus claires » en matière d'inéligibilité 29 ( * ) .

2. Le « point de départ » de l'inéligibilité

L'article 2 tendait également à adapter le « point de départ » de l'inéligibilité, sans en modifier la durée (trois ans maximum).

• Une source d'inéquité entre les candidats

En l'état du droit, l'inéligibilité s'applique à compter de la décision définitive du juge de l'élection, ce qui peut constituer une source d'inéquité entre les candidats.

Pour une irrégularité équivalente, l'effet de la sanction varie d'un candidat à l'autre, en fonction du délai d'instruction de l'affaire devant la CNCCFP puis devant le juge électoral.

L'effet variable des sanctions d'inéligibilité

Dans l'exemple des élections législatives des 11 et 18 juin 2017 :

- le 13 avril 2018 , le Conseil constitutionnel a prononcé l'inéligibilité d'un candidat pour une durée de trois ans 30 ( * ) . Ce dernier a donc l'interdiction de se présenter à une élection jusqu'au 14 avril 2021 ;

- le 27 septembre 2018 , un autre candidat a été déclaré inéligible pour une même durée de trois ans 31 ( * ) . Il reste donc inéligible jusqu'au 28 septembre 2021 , soit six mois de plus que le premier candidat.

Ces décalages calendaires sont encore plus marqués pour les élections municipales et départementales , pour lesquelles les décisions du tribunal administratif, juge de l'élection, sont susceptibles d'appel devant le Conseil d'État 32 ( * ) .

Source : rapport n° 443 (2018-2019) fait au nom de votre commission en première lecture

• Le dispositif retenu par le Sénat : la possibilité pour le juge de moduler la durée de l'inéligibilité

Initialement, l'article 2 tendait à faire « démarrer » l'inéligibilité à la date du premier tour de scrutin, non à la date de décision du juge de l'élection.

Renforçant l'équité entre les candidats, cette solution présentait toutefois deux inconvénients . D'une part, elle remettrait en cause les mandats acquis avant la décision du juge. D'autre part, elle permettrait à un candidat déclaré inéligible de concourir plus rapidement à une nouvelle élection.

À l'initiative de votre rapporteur, le Sénat a adopté un dispositif alternatif en première lecture.  Il autorisait le juge de l'élection à moduler la durée des inéligibilités pour que les candidats ayant commis des irrégularités comparables soient déclarés inéligibles pour les mêmes scrutins.

« Point de départ » de l'inéligibilité : dispositif retenu par le Sénat en première lecture

Source : commission des lois de l'Assemblée nationale

• La suppression du dispositif par l'Assemblée nationale

Lors de ses travaux, l'Assemblée nationale n'a pas retenu cette possibilité pour le juge de moduler la durée des inéligibilités .

Pour son rapporteur, « une telle disposition reviendrait à inciter le juge à traiter différemment des situations comparables en modulant la durée des peines prononcées à l'encontre de candidats ayant commis les mêmes manquements. Or, la durée de la peine prononcée est un élément qui peut aussi compter dans une élection et dans l'appréciation de la gravité des faits reprochés à un candidat » 33 ( * ) .

Faute de consensus sur un dispositif alternatif, le droit en vigueur serait maintenu . Particulièrement complexe, la question du « point de départ » de l'inéligibilité nécessite de poursuivre les réflexions au-delà des présentes proposition de loi et proposition de loi organique .

Votre commission a adopté l'article 2 sans modification .

Article 3 (suppression maintenue)
(art. L. 118-4 du code électoral) Clarification de l'inéligibilité pour fraude électorale
(élections municipales, départementales, régionales et européennes ; élections consulaires et de l'Assemblée des Français de l'étranger)

L'article 3 de la proposition de loi visait à adapter le « point de départ » de l'inéligibilité pour fraude électorale afin d'assurer une meilleure équité entre les candidats à un même scrutin.

Tel qu'adopté par le Sénat, il autorisait le juge de l'élection à moduler la durée des inéligibilités pour que les candidats ayant commis des irrégularités comparables soient déclarés inéligibles jusqu'aux mêmes échéances électorales.

Par cohérence avec sa position à l'article 2 de la proposition de loi, l'Assemblée nationale a adopté les amendements de suppression de son rapporteur et de notre collègue député Christophe Euzet.

Le droit en vigueur serait donc maintenu, faute de consensus sur un dispositif alternatif .

Votre commission a maintenu la suppression de l'article 3.

Article 3 bis
(art. L. 195 et L. 231 du code électoral) Inéligibilité des membres du corps préfectoral

L'article 3 bis poursuit deux objectifs en matière d'éligibilité : prévoir un « délai de carence » pour les anciens membres du corps préfectoral, d'une part, et allonger le délai d'inéligibilité des sous-préfets, secrétaires généraux de préfecture et directeurs de cabinet de préfet, d'autre part.

Contrairement au reste de la proposition de loi, il entrerait en vigueur au lendemain de la publication de la loi et s'appliquerait donc aux prochaines élections municipales de mars 2020 34 ( * ) .

1. Un délai de carence pour les anciens membres du corps préfectoral

L'article L. 231 du code électoral dresse la liste des personnes inéligibles aux élections municipales car « disposant d'une certaine influence ou d'un pouvoir d'intervention dans le domaine de compétences relevant de la commune » 35 ( * ) .

Inéligibilités aux élections municipales

Fonction exercée dans le ressort de la commune

Durée de l'inéligibilité

Préfet

3 ans

Sous-préfet, secrétaire général de préfecture et directeur de cabinet de préfet

Un an

Magistrat, officier des armées, policier, comptable public, directeur et chef de bureau de la préfecture, agent d'encadrement au conseil régional ou départemental, ingénieur en chef et assimilés

6 mois

Agent de la commune

Pendant la durée d'exercice des fonctions

Source : commission des lois du Sénat

Ces « délais de carence » ne sont pas opposables aux candidats admis à faire valoir leurs droits à la retraite . Les élections municipales se distinguent, sur ce point, des élections parlementaires et des élections départementales et régionales 36 ( * ) .

Or, comme l'a souligné votre rapporteur en séance publique, il n'y a « aucune raison objective justifiant qu'un préfet ou un sous-préfet puisse se présenter aux élections dès son départ à la retraite ».

Dans la même logique, M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, avait ajouté : « je suis d'accord avec le rapporteur lorsqu'il évoque une bizarrerie : aucune raison n'explique qu'un préfet soit empêché d'être candidat pendant trois ans s'il est en activité, alors que ce n'est pas le cas s'il part à la retraite un mois avant » 37 ( * ) .

À l'initiative de votre rapporteur, l'article 3 bis de la proposition de loi tend à corriger cette lacune . Dans le ressort où ils ont exercé leurs fonctions, les anciens préfets, sous-préfets, secrétaires généraux de préfecture et directeurs de cabinet de préfet resteraient inéligibles pendant les délais prévus à l'article L. 231 du code électoral.

Il s'agit ainsi de préserver la liberté de l'électeur, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel 38 ( * ) . Comme l'a indiqué le rapporteur de l'Assemblée nationale, cette mesure « a pour objet d'éviter qu'une personne - de surcroît un grand serviteur de l'État - disposant d'une influence particulière dans une circonscription ou un territoire donnés l'utilise en vue de préparer une élection » 39 ( * ) .

2. L'allongement du délai de carence de certains membres du corps préfectoral

Avec l'avis favorable du Gouvernement, l'Assemblée nationale a allongé d'un à deux ans le délai de carence des sous-préfets, secrétaires généraux de préfecture et directeurs de cabinet de préfet 40 ( * ) .

D'après son rapporteur, il s'agit de « mieux tenir compte de leur rôle dans les territoires » et de rapprocher leur délai de carence de celui applicable aux préfets 41 ( * ) .

Cette disposition concernerait les élections municipales mais également les élections départementales, régionales 42 ( * ) , législatives et sénatoriales 43 ( * ) .

Votre commission a adopté l'article 3 bis sans modification .


* 18 Conseil constitutionnel, 21 février 2019, Observations relatives aux élections législatives de 2017 , décision n° 2019-28 ELEC.

* 19 Les dons d'une même personne physique ne pouvant pas dépasser 7 500 euros par parti politique ou 4 600 euros par candidat (article 11-4 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique et article L. 52-8 du code électoral).

* 20 Ce seuil étant réduit à 3 % des suffrages exprimés pour les élections européennes et l'élection de l'assemblée de la Polynésie française, par cohérence, pour ces scrutins, avec le seuil du remboursement des dépenses électorales.

* 21 Loi n° 2018-509 du 25 juin 2018 relative à l'élection des représentants au Parlement européen.

* 22 Article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel.

* 23 En cas de contestation des résultats de l'élection, la CNCCFP se prononce dans un délai de deux mois à compter du délai limite de dépôt des comptes de campagne. Le juge sursoit à statuer jusqu'à réception de sa décision.

* 24 CNCCFP, Guide du candidat et du mandataire , édition 2019, p. 81.

* 25 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du 2 mai 2019.

* 26 Rapport n os 2208 et 2209 fait par notre collègue Guillaume Gouffier-Cha au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, p. 23.

* 27 Conseil constitutionnel, 21 février 2019, Observations relatives aux élections législatives de 2017 , décision n° 2019-28 ELEC.

* 28 Dépassement du plafond des dépenses électorales, compte de campagne non déposé ou rejet de ce dernier par la CNCCFP.

* 29 Compte rendu intégral de la séance de l'Assemblée nationale du 17 septembre 2019.

* 30 Conseil constitutionnel, 13 avril 2018, Élections législatives dans la neuvième circonscription de la Loire-Atlantique , décision n° 2017-5336 AN.

* 31 Conseil constitutionnel, 27 septembre 2018, Élections législatives dans la première circonscription des Alpes-de-Haute-Provence , décision n° 2017-5391 AN.

* 32 Alors que, pour les élections législatives et sénatoriales, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas susceptibles d'appel.

* 33 Objet de l'amendement adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale.

* 34 Article 8 de la proposition de loi, adopté conforme par les deux assemblées.

* 35 Rapport n os 2208 et 2209 fait par notre collègue Guillaume Gouffier-Cha au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, p. 34.

* 36 Articles L.O. 132, L. 195 et L. 340 du code électoral.

* 37 Compte rendu intégral de la séance du Sénat du 2 mai 2019.

* 38 Conseil constitutionnel, 12 avril 2011, Loi organique relative à l'élection des députés et des sénateurs , décision n° 2011-628 DC.

* 39 Compte rendu intégral de la séance de l'Assemblée nationale du 17 septembre 2019.

* 40 Qu'ils soient en position d'activité ou admis à faire valoir leurs droits à la retraite.

* 41 Source : objet de l'amendement adopté par l'Assemblée nationale.

* 42 Articles L. 195 et L. 340 du code électoral.

* 43 Article 2 ter de la proposition de loi.

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