B. UNE SITUATION QUI EXIGE UN SOUTIEN DÉTERMINÉ
Pour appréhender l'ensemble des concours publics à l'agriculture, il convient de compléter la considération des crédits de la mission AAFAR par d'autres transferts publics.
Si le budget de la mission englobe des dotations correspondant à d'autres politiques que la politique agricole proprement dite, il n'épuise pas l'ensemble des concours publics à l'agriculture.
Au demeurant, sa contribution aux soutiens publics à l'agriculture suit une tendance à la baisse depuis de nombreuses années, évolution qui n'est pas sans susciter quelques interrogations quant aux équilibres ordonnant le financement de notre politique agricole.
1. Le budget de la mission ne représente que 13 % des concours publics à l'agriculture7 ( * ) attendus une fois encore plus dynamiques que les dépenses budgétaires en 2020
Les concours publics à l'agriculture entre 2017 et 2020
(en millions d'euros)
Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux
En prenant en compte la totalité des crédits de la mission 8 ( * ) , convention qui conduit à exagérer les soutiens directement accessibles aux exploitations agricoles, il faut ajouter aux 2,659 milliards d'euros de crédits de paiement demandés pour 2020, de l'ordre de 17,2 milliards d'euros d'autres concours publics 9 ( * ) .
a) Les concours publics à l'agriculture seraient légèrement supérieurs en 2020 au niveau de 2019
Au cours de la période 2017-2019, les concours publics à l'agriculture hors crédits de l'enseignement agricole auront totalisé 58,2 milliards d'euros, soit une moyenne annuelle de 19,4 milliards d'euros.
En 2020, les concours publics à l'agriculture s'élèveraient à 19,9 milliards d'euros, en progression de l'ordre de 400 millions d'euros par rapport à l'année dernière.
b) Des dépenses fiscales mal évaluées mais très dynamiques
Avec 1,9 milliard d'euros en 2020 contre 1,7 milliard d'euros en 2019, les transferts procurés par les dépenses fiscales progresseraient très fortement, de 8,4%, la dynamique des dépenses fiscales proprement agricoles (c'est-à-dire hors dépenses fiscales pour la forêt) étant encore plus nette (près de 10 %).
En 2020, les dépenses fiscales excèderaient les dépenses réalisées sur les seuls crédits budgétaires de la mission à partir du programme 149.
(1) Des dépenses fiscales mal évaluées
Les estimations des dépenses fiscales réalisées par les comptables nationaux auxquelles on se réfère ici diffèrent considérablement de celle présentée dans les projets annuels de performances de la mission.
Dans le projet annuel de performances pour 2020, les dépenses fiscales sont évaluées à 2,795 milliards d'euros, soit 902 millions de plus que pour les comptables nationaux.
Les documents budgétaires donnent une vision faussée de l'effort fiscal consenti par la Nation au profit de l'agriculture en incluant des avantages fiscaux qui ne lui sont pas destinés. Il s'agit de l'inclusion au rang des dépenses fiscales rattachées à la mission du tarif réduit de la taxe intérieure de consommation du gazole non routier autre que celui utilisé pour des usages agricoles, dont le rattachement à la mission avait été jugé incongru par vos rapporteurs spéciaux dans leur contribution à l'examen du projet de loi de règlement pour 2018.
Les raisons de son maintien dans le projet de loi de finances pour 2020 demeurent totalement obscures. Une révision paraît s'imposer.
(2) Des dépenses fiscales où prédominent les réductions tarifaires sur les carburants
Parmi les dépenses fiscales, ce sont les mesures relatives aux carburants qui occupent de loin la première place . Les agriculteurs utilisent pour leurs engins et véhicules professionnels du gazole non routier (GNR) qui bénéficie d'un taux réduit de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) : 3,86 centimes d'euro par litre au lieu du taux normal pour le gazole de 59,40 euros /hl et d'un taux normal sous condition d'emploi non routier de 18,82 centimes d'euros par litre. La dépense fiscale correspondant au tarif réduit de GNR s'élève à un peu plus d'un milliard d'euros.
Elle est appelée à évoluer dans un sens qui, à terme, en renforcera l'impact.
Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit de supprimer le taux réduit applicable au GNR et de lui appliquer le taux normal du gazole, soit 59,40 euros/hl.
Cette mise à niveau serait progressive sur trois ans : une première hausse au 1 er juillet 2020 (de 18,82 euros /hl à 37,68 euros /hl) ; une seconde au 1 er janvier 2021 (de 37,68 euros /hl à 50,27 euros /hl) ; enfin, en 2022, le taux sur le GNR serait définitivement aligné sur celui du gazole normal soit 59,40 euros /hl.
Cependant, le secteur agricole ne serait pas concerné par cette évolution. Il a été décidé de lui appliquer au 1 er janvier 2022 un tarif réduit à 3,86 euros/hl directement à l'acquisition du produit.
Cette mesure devrait être favorable au secteur.
Certes, durant la période transitoire, c'est à dire en 2020 et 2021, les agriculteurs vont subir cette augmentation progressive. Elle aggravera les difficultés de gestion que pose le mécanisme de neutralisation de la fiscalité des carburants aux agriculteurs.
L'impact en trésorerie est estimé à 300 millions d'euros.
Toutefois, l'effet de trésorerie lié à la hausse programmée du taux de TICPE sera neutralisé, comme il l'est actuellement, par la mise en place d'un système d'avances avec régularisation l'année suivante. Les avances interviendront en juillet 2020 et en janvier 2021, elles seront fondées sur les volumes de GNR consommés en 2018 et 2019 et déclarés en vue de l'obtention du remboursement partiel. Elles intégreront le différentiel de taxation consécutif aux hausses précitées. Ces avances seront versées aux agriculteurs sans démarche préalable de leur part.
Enfin, à terme, la possibilité d'accéder directement aux produits au tarif préférentiel prévu permettra de surmonter les lourdeurs de la gestion de l'avantage fiscal.
(3) Des dépenses fiscales marquées par les effets inégalement anticipés de deux dépenses fiscales
En ce qui concerne les dépenses fiscales, deux évolutions significatives appellent observation.
(a) La nouvelle déduction pour épargne de précaution (DEP)
La première d'entre elles tend à faire ressortir le dynamisme des moins-values de recettes fiscales résultant de l'adoption de la déduction pour épargne de précaution (DEP) adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2019. Cependant, il se révèle moins fort que prévu.
Appelée à se substituer aux mécanismes de déduction pour investissement et de déduction pour aléas (dont le montant estimé pour 2018 était respectivement de 87 millions d'euros et 12 millions d'euros), l'impact du nouveau dispositif passerait de 90 millions d'euros en 2019 à 120 millions d'euros en 2020.
Il s'alourdirait ainsi d'un tiers (+ 30 millions d'euros) et représenterait plus de 1,20 fois les enjeux des deux déductions disparues.
L'augmentation de la dépense fiscale ressort ainsi assez forte. Toutefois, elle est un peu moins élevée qu'il n'avait été prévu dans le cadre de l'évaluation du dispositif présentée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019.
Sur la base des chiffrages de deux dotations auxquelles la DEP se substitue, l'estimation des effets de la nouvelle DEP est inférieure de 14 millions d'euros à ce qui avait été anticipé.
Estimation de l'impact de la déduction pour
épargne de précaution
sur les recettes publiques
(en millions d'euros)
Source : évaluation des articles du projet de loi de finances pour 2019
Retour sur l'instauration de la déduction pour épargne de précaution Le code général des impôts offrait aux exploitants agricoles un mécanisme leur permettant de pratiquer sur leur revenu imposable selon un régime réel d'imposition une déduction pour aléas (article 72 D bis ). La déduction pour aléas (DPA) n'a pas rencontré son public. Ainsi, en 2017, seulement environ 5 700 agriculteurs ont eu recours à la DPA pour un coût pour les finances publiques de 15 millions d'euros (12 millions d'euros en 2018). D'un montant limité, elle était soumise à un luxe de conditions qui en rendaient la pratique complexe. Le Gouvernement a proposé de substituer à la DPA une déduction pour épargne de précaution (DEP). Le plafond annuel de cette déduction est significativement supérieur au plafond actuel (27 000 euros). Les modalités de matérialisation de l'épargne correspondante ont été considérablement assouplies. L'exploitant peut constituer l'épargne sous forme monétaire ou physique, à travers des stocks à rotation lente. Par ailleurs ses conditions d'utilisation sont libérées, la déduction pouvant être utilisée dans un délai portée à dix ans et pour couvrir les besoins de l'exploitation, quels qu'ils soient. La création de la DEP s'est accompagnée de la suppression du régime en vigueur de déduction pour investissement (DPI) de l'article 72 D du code général des impôts. Par rapport à la DPI, le régime de la DEP prévoit l'obligation de rapporter la déduction de sorte que la DEP perd, du moins en théorie, son caractère de subvention à l'investissement. Cette caractéristique, qui avait sans doute fait le succès partiel de la DPI, n'est pas tout à fait abandonnée en pratique puisque même si elle doit être rapportée aux résultats, la DEP peut être reconstituée de sorte que, une fois constituée, elle peut, en réalité, être pérennisée. Ainsi, les souplesses de l'utilisation de la DEP, et la faculté de passer une nouvelle DEP dans des conditions très simples peuvent permettre d'envisager une issue équivalente, voire même plus favorable, à celle de la DPI. En 2017, 41 300 exploitants avaient utilisé la DPI pour un coût de 87 millions d'euros (comme en 2018). Il faut toutefois admettre que le recours à la DPI avait été resserré au cours du temps. En outre, Le barème de calcul de la DEP permet en théorie de retirer un avantage fiscal significatif du dispositif. Les taux de déduction du résultat sont nettement plus élevés qu'actuellement. Combinées avec la progressivité du barème de l'imposition sur le revenu, ces taux de déduction apportent des avantages croissants avec le bénéfice. |
Il faut cependant souligner que ce chiffrage est fondé sur des simulations plutôt que sur des données fiscales concrètes de sorte qu'il demandera vérification.
En outre, il conviendra d'analyser la répartition de cet avantage entre les exploitations puisqu'aussi bien seules les entités dégageant suffisamment de revenus sont susceptibles de le mobiliser.
Le dispositif devrait, en effet, connaître une forte concentration sur un volant restreint de la population des exploitations agricoles.
Le graphique ci-dessous montre que, même au niveau de l'excédent brut d'exploitation (EBE), soit un ratio de résultat plus large que le résultat fiscal proprement dit, peu d'entreprises seront effectivement bénéficiaires du dispositif.
Distribution de l'excédent brut d'exploitation
par Utans
en 2014-2015-2016
Source : commission des comptes de l'agriculture
Cette situation est encore mieux vérifiée au niveau du résultat courant avant impôts (RCAI) des exploitations, agrégat qui se rapproche davantage du résultat imposable, sur lequel la DEP peut s'imputer.
Distribution du résultat courant avant
impôts par Utans
en 2014-2015-2016
Source : commission des comptes de l'agriculture
Le résultat médian est de 14 000 euros, soit un niveau où la déductibilité est à peine envisageable pour des exploitants auxquels ce résultat permet sans doute à peine de vivre, une fois acquittées les cotisations sociales.
Au demeurant, 25 % des exploitations avaient un résultat négatif en 2016, cette proportion atteignant même 60 % hors subventions.
Source : commission des comptes de l'agriculture
La mesure offrira ainsi des avantages concentrés sur les exploitations les plus profitables. La situation rarement ou médiocrement bénéficiaire d'une proportion élevée d'exploitations agricoles exclura une grande majorité des exploitations du bénéfice de la nouvelle disposition. Tout dispositif incitatif de transfert des administrations publiques vers les entreprises reposant sur des allègements d'imposition sur les bénéfices suppose que les entreprises destinataires disposent de bénéfices, et, de plus, de bénéfices taxables.
Autant dire que pour la très grande majorité des exploitations, la DEP n'apportera pas les ressources nécessaires pour faire face aux aléas inhérents aux conditions techniques et économiques de l'activité agricole . Dans ces conditions, il conviendra de rester vigilants à ce qu'elles puissent bénéficier de soutiens sur crédits budgétaires, hélas régulièrement mal provisionnés.
(b) Le crédit d'impôt pour l'agriculture biologique
En ce qui concerne l'estimation des transferts associés au crédit d'impôt dans le domaine de l'agriculture biologique, sa très forte dynamique a été notable, la moins-value fiscale est passée de 34 millions d'euros en 2018 à 54 millions d'euros en 2019, mais l'estimation pour 2020 table sur une stabilisation du coût du dispositif.
Un crédit d'impôt est accordé depuis 2006 aux exploitants passés à l'agriculture biologique.
L'article 244 quater L du code général des impôts y rend éligibles les exploitants agricoles dont au moins 40 % des recettes proviennent d'activités relevant du mode de production biologique.
Le montant du crédit d'impôt s'élève à 3 500 euros depuis son augmentation, de 1 000 euros, par l'article 96 de la loi de finances pour 2018.
Le crédit d'impôt ne se cumule que sous conditions avec les aides versées au titre de la conversion ou du maintien en agriculture biologique 10 ( * ) . Le total des transferts acquis du fait de ces aides et du crédit d'impôt est plafonné à 4 000 euros si bien que, dès que les aides directes dépassent 500 euros, le crédit d'impôt est réduit pour que ce plafond soit respecté.
Ce mécanisme réserve le crédit d'impôt à des exploitations de petite dimension.
On rappelle que les soutiens directs sur crédits suivent un tarif qui tend à exclure du bénéfice du crédit d'impôt les exploitations agricoles disposant d'une surface en bio même peu développée.
Tarif des aides à la conversion
(en euros par hectare)
Source : ministère de l'agriculture et de l'alimentation
Tarif des aides au maintien
(en euros par hectare)
Source : ministère de l'agriculture et de l'alimentation
En fonction des spécialisations agricoles, le seuil d'effacement du crédit d'impôt est atteint plus ou moins rapidement. Cependant, compte tenu de la taille moyenne des surfaces en bio par exploitation (de l'ordre de 48 hectares), il est aisé de comprendre que le crédit d'impôt ne bénéficie qu'à des exploitations dont l'activité de production biologique, pour devoir représenter une proportion non négligeable de leurs chiffres d'affaires, demeure très marginale comparée avec la production biologique totale.
Toutefois, le nombre des bénéficiaires du crédit d'impôt est passé de 13 895 en 2017 à 15 000 selon les estimations les plus récentes (soit une augmentation de 8 %).
Dans son explication du dynamisme du crédit d'impôt, le ministère de l'agriculture tend à écarter l'impact de l'annonce de la suppression de son cofinancement au titre des aides au maintien Il est sans doute trop tôt pour confirmer cette analyse puisqu'aussi bien l'impact de la renonciation du ministère à assumer ses responsabilités financières ne sera vraiment sensible qu'à l'issue des conversions en cours. En toute hypothèse, il apparaît vraisemblable que, parmi d'autres facteurs, la fin des bénéfices apportés par les aides au maintien aux agriculteurs déjà convertis au bio, qui sont de plus en plus nombreux, aient joué un rôle dans la hausse des enjeux liés au crédit d'impôt. Dans ces conditions, comme le flux des exploitants en bio cessant de bénéficier du crédit d'impôt devrait continuer son inflation, la prévision de l'impact du crédit d'impôt pour 2020 paraît globalement hasardeuse. En effet, si le taux de pénétration du crédit d'impôt serait de 36 % des exploitants engagés en bio en 2018, contre 37,9 % en 2017, la baisse du taux de pénétration du crédit d'impôt résultant de l'augmentation des exploitations et des surfaces éligibles aux aides directes, il s'appliquera à un nombre d'exploitations qui a fortement cru ces dernières années.
2. Une modification structurelle qui n'est pas anodine
La divergence entre les dépenses budgétaires (européennes et nationales) et les transferts provenant de réductions des prélèvements obligatoires, qui se manifeste essentiellement par la très forte dynamique des réductions de cotisations sociales, tend à installer une structure d'interventions au profit de l'agriculture passant par le canal des prélèvements obligatoires.
Votre rapporteur spécial Yannick Botrel relève que les propriétés économiques du modèle d'interventions qui, ainsi, émerge, diffèrent sensiblement de celles qu'on peut associer à un mode de soutien plus direct, à travers des dépenses budgétaires.
Entre 2013 et 2019, le poids des allègements de cotisations sociales dans les concours publics à l'agriculture n'a cessé d'augmenter au cours de la période au point que, comptant pour un peu plus de 11 % des concours publics à l'agriculture en 2013, ils en représentaient en 2019 près de 24 %.
Outre le renforcement du rôle des allègements de cotisations sociales, les dépenses fiscales doivent être prises en compte. Selon les informations relatives aux concours publics à l'agriculture, elles ont vu leur part dans ces derniers se réduire légèrement (11,3 % en 2013 à 8,3 % en 2019, soit - 2,9 points) mais moins que la part des concours publics revenant aux dépenses budgétaires (- 3,8 points).
Les évolutions attendues pour 2020 prolongent ces dynamiques.
Les interventions de la PAC resteraient étales de même que les dotations budgétaires de la mission AAFAR tandis que, de leur côté les allègements de cotisations sociales progresseraient de même que les transferts résultant des dépenses fiscales.
Évolution des concours publics dans
les
années récentes (2017-2019) et prévision 2020
Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux
Une profonde modification de la structure des concours publics s'est ainsi produite.
En premier lieu, les dépenses sur crédits européens apportent une contribution relative en net retrait passant de près de la moitié du total à un peu plus de 40 %.
Les dépenses européennes, qui demeurent encore la première source de soutien direct à l'agriculture française, ont subi une restructuration au terme de laquelle la baisse des interventions du premier pilier n'a pas été complètement compensée par l'augmentation des dépenses du deuxième pilier du budget agricole européen.
Évolution des dépenses agricoles
européennes en France
(2013-2018)
(en millions d'euros et en %)
Source : commission des finances du Sénat
Le glissement des dépenses européennes vers les interventions du deuxième pilier, ainsi d'ailleurs que certains réaménagements du régime applicable au premier pilier, se sont accompagnés d'une plus grande sélectivité des interventions du budget agricole européen au profit d'une politique de développement rural, celle soutenue par le deuxième pilier de la PAC et par le programme 149 de la mission.
Pour poursuivre l'objectif louable de soutenir des modes de production faisant face à des défis particuliers (zones difficiles, préoccupations environnementales...), cette évolution n'a pu être financée qu'au détriment du soutien à d'autres productions massivement concurrencées et de plus en plus soumises, comme celles bénéficiant prioritairement des interventions du programme 149, à des risques de toutes natures (climatiques, sanitaires, géopolitiques).
En second lieu, il convient de tenir compte des impacts associés du point de vue de leurs propriétés économiques à l'évolution du modèle des interventions agricoles vers une atténuation de la place des dépenses budgétaires au profit de soutiens passant par le jeu des prélèvements obligatoires.
En dehors d'une certaine perte de visibilité que ce changement suscite et d'effets temporels pouvant impliquer des décalages entre les faits générateurs des avantages fiscaux et sociaux et leur traduction concrète pour les exploitants agricoles, force est de s'interroger sur trois dimensions :
- étant donné la nature de ces avantages, qui vont se renforçant à mesure que le revenu agricole augmente, une certaine procyclicité, ou à tout le moins des effets retard, semblent s'imposer alors même que l'un des besoins des agriculteurs est de bénéficier rapidement d'amortisseurs en cas de chute de leurs revenus ; cet aspect de la modification de la structure des soutiens publics à l'agriculture appelle une évaluation d'autant qu'elle irait dans le sens d'une amplification de la volatilité déjà très marquée des marchés agricoles et contredirait les intentions poursuivies dans le cadre de plusieurs dispositifs fiscaux destinés à permettre aux agriculteurs d'amortir les effets des crises sur leurs revenus ;
- quant aux charges de gestion qu'implique pour les bénéficiaires et les organismes de protection sociale agricole mais aussi les administrations fiscales, le recours de plus en plus important à des avantages fiscaux et sociaux, il conviendrait également de les pondérer même si, comme le passé récent a pu le montrer, la gestion des dépenses budgétaires n'est, de loin, pas exempte d'errements ;
- enfin, la répartition entre les exploitations des avantages procurés par les mécanismes d'allégements fiscaux et sociaux appelle des éclaircissements, qu'en l'état les services du ministère ne semblent pas en mesure de fournir et qui peuvent amener à s'interroger sur l'équité de traitement entre les acteurs de ce secteur.
3. Des soutiens publics indispensables mais dont l'incidence est affectée par une certaine inertie par rapport aux cycles et par les prélèvements qu'ils supportent
a) Des soutiens publics indispensables
Les exploitations bénéficient de soutiens publics importants, les concours publics à l'agriculture représentant, en 2015, 82 % du résultat net de la branche agricole.
La subvention moyenne atteint 32 000 euros avec une dispersion toutefois marquée.
Dans ce total, les aides liées à la politique de développement rural à laquelle la mission contribue représentent un tiers.
Source : commission des comptes de l'agriculture
Un récent référé du Premier président de la Cour des comptes a appelé l'attention sur certaines insuffisances concernant les aides agricoles européennes. Un besoin d'évaluation doit être mieux satisfait.
En l'état, l'on doit relever que la France se singularise par une polarisation des soutiens autour des exploitations de taille moyenne, des pays comme l'Allemagne s'étant détournés de ce choix.
Ces interventions sont nécessaires puisque sans elles 30 % des exploitations connaîtraient un excédent brut d'exploitation négatif. Cette proportion demeure importante après versement des subventions, mais elle n'est plus que de 6 %.
b) Des subventions publiques acycliques
Les subventions d'exploitation font l'objet d'une programmation qui réserve peu de place à la flexibilité
Les subventions d'exploitation représentent désormais la plus grande partie des subventions publiques à l'agriculture, depuis les réformes apportées à la politique agricole commune.
Source : Service de la statistique et de la prospective (SSP) du ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ; Offices agricoles
Selon les comptes prévisionnels de l'agriculture, à 8,2 milliards d'euros en 2017, elles seraient quasiment stables par rapport à 2016, marquant un repli de 245 millions d'euros par rapport à 2015.
Évolution des subventions d'exploitation
à l'agriculture
depuis 2012
(en millions d'euros)
Source : INSEE, comptes prévisionnels de l'agriculture arrêtés en novembre 2017
Le tableau ci-dessous permet d'observer la propriété fort peu stabilisatrice des transferts publics nets à l'agriculture. Ceux-ci avaient ajouté 25 % à la valeur ajoutée brute de la branche en 2016 alors qu'elle s'était effondrée. En 2017, la contribution des transferts publics nets est du même ordre dans un contexte de redressement de la valeur ajoutée brute.
Le compte d'exploitation de la branche
agricole
entre 2016 et 2017
Source : INSEE, comptes prévisionnels de l'agriculture arrêtés en novembre 2017
On rappelle au surplus que les subventions accordées aux agriculteurs sont généralement imposables, ce qui réduit encore leur contribution à la stabilisation des revenus agricoles.
Le régime d'imposition des soutiens publics à l'agriculture Dans le cadre du régime réel agricole ces produits figurent dans le bénéfice agricole imposé à l'impôt sur le revenu. Les subventions publiques d'équipement versées par l'UE, l'État ou les collectivités peuvent bénéficier d'un régime spécial d'imposition échelonnée (ce dispositif n'est pas spécifique aux agriculteurs, il concerne également les entreprises industrielles). Les jeunes agriculteurs lorsqu'ils perçoivent la dotation d'installation, bénéficient d'un abattement de 100 % sur le bénéfice imposable au titre de l'exercice de son inscription en comptabilité. Dans le cadre du régime du micro-BA, sont prises en comptes les recettes encaissées (avec ensuite un abattement de 87 % représentatif de frais pour déterminer le bénéfice). Les subventions, aides et primes destinées à compenser un manque à gagner ou présentant le caractère de supplément de prix sont des sommes encaissées dans le cadre de l'exploitation et sont à ce titre prises en compte pour la détermination du bénéfice imposable (à l'exception de l'ICHN). Les subventions et primes d'équipement sont en revanche expressément exclues de l'assiette du micro-BA. Elles ne sont pas imposées par ailleurs. Il en va de même pour la partie de la DJA lorsqu'elle est affectée à la création ou à l'acquisition d'immobilisations. Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux |
En 2016, 92 % des exploitations « moyennes et grandes » bénéficiaient d'au moins une subvention d'exploitation. Ces subventions représentaient 15 % des recettes totales et 124 % du résultat courant avant impôts (RCAI) des exploitations.
Sans prise en compte des subventions d'exploitation, 61 % d'entre elles auraient eu un RCAI négatif, contre 24 % après prise en compte des subventions.
Contributions des subventions aux résultats
courants
avant impôts par spécialisation (2016)
Orientation technique |
Subvention totale moyenne par bénéficiaire |
Part des subventions dans le total produit de l'exercice + subventions |
Part des subventions dans le RCAI |
Céréales et oléoprotéagineux |
32 633 |
21% |
NS (1) |
Autres grandes cultures |
36 271 |
13% |
120% |
Maraîchage |
15 445 |
4% |
27% |
Horticulture |
9 639 |
4% |
22% |
Viticulture |
7 567 |
3% |
13% |
Fruits et autres cultures permanentes |
19 975 |
8% |
38% |
Bovins lait |
35 351 |
16% |
143% |
Bovins viande |
47 272 |
35% |
181% |
Bovins mixte |
50 140 |
23% |
200% |
Ovins et caprins |
44 381 |
35% |
146% |
Porcins |
20 856 |
4% |
30% |
Volailles |
20 241 |
6% |
66% |
Granivores mixtes |
36 573 |
10% |
80% |
Polyculture, polyélevage, autres |
39 628 |
18% |
260% |
Ensemble |
33 610 |
15% |
124% |
Source : réponse au questionnaire des rapporteurs spéciaux
* 7 Hors financement de l'enseignement agricole.
* 8 Hors forêt et pêche et aquaculture.
* 9 Hors éducation agricole.
* 10 Cette condition est entendue strictement puisque les versements effectués au titre du paiement vert du premier pilier de la PAC ne sont pas décomptés pour apprécier le plafond. Il n'empêche que le crédit d'impôt est soumis au règlement de minimis qui peut en atténuer l'attractivité pour certains agriculteurs.