SOMMAIRE
I. LE COMMUNAUTARISME, UNE REMISE EN CAUSE DU PACTE RÉPUBLICAIN 5
A. UN PACTE FONDÉ SUR L'INDIVISIBILITÉ DE LA RÉPUBLIQUE, LA SOUVERAINETÉ NATIONALE ET L'UNITÉ DU PEUPLE 5
1. Des principes à valeur constitutionnelle 5
2. La laïcité, l'une des garanties du vivre ensemble 6
a) Un facteur d'apaisement et d'émancipation 6
B. LE COMMUNAUTARISME, UN DÉFI POUR LA RÉPUBLIQUE 9
1. Une ligne de fracture au sein de la société 9
2. Les coups de boutoir du communautarisme : des difficultés concrètes et protéiformes 12
a) Dans les services publics 12
II. RENFORCER NOS EXIGENCES CONSTITUTIONNELLES POUR DONNER UN COUP D'ARRÊT AU COMMUNAUTARISME 16
A. RÉAFFIRMER LA PRÉÉMINENCE DES LOIS DE LA RÉPUBLIQUE 16
1. Agir plus clairement contre le communautarisme 16
a) Porter un engagement clair et déterminé pour réaffirmer l'indivisibilité de la République 16
b) Conforter la jurisprudence du Conseil constitutionnel 18
c) Clarifier le droit applicable pour les acteurs de terrain 19
2. Préserver la conception française de la laïcité 21
a) Les subventions publiques pour des motifs d'intérêt général 21
b) Les régimes de l'Alsace - Moselle et de la Guyane 21
c) Le respect des engagements internationaux de la France 21
B. AGIR CONTRE LES PARTIS COMMUNAUTARISTES 23
a) La liberté des partis et des groupements politiques 23
b) Le nécessaire respect du principe de laïcité 23
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES 35
L'ESSENTIEL
Réunie le mercredi 14 octobre 2020 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a adopté, sur le rapport de Christophe-André Frassa (Les Républicains - Français de l'étranger), la proposition de loi constitutionnelle n° 293 (2019-2020) visant à garantir la prééminence des lois de la République , déposée par Philippe Bas (Les Républicains - Manche), Bruno Retailleau (Les Républicains - Vendée), Hervé Marseille (Union centriste - Hauts-de-Seine) et plusieurs de leurs collègues.
Face à la montée du communautarisme, ce texte consacre le principe selon lequel « nul individu ou nul groupe ne se peut prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer de la règle commune ». Il impose aux partis et groupements politiques de respecter le principe de laïcité, au même titre que les principes de souveraineté nationale et de démocratie.
Suivant l'avis de son rapporteur, la commission a adopté la proposition de loi constitutionnelle afin de donner un coup d'arrêt aux revendications communautaristes et de donner aux acteurs de terrain (maires, chefs d'entreprise, médecins, etc .) les moyens juridiques de s'y opposer.
I. LE COMMUNAUTARISME, UNE REMISE EN CAUSE DU PACTE RÉPUBLICAIN
A. UN PACTE FONDÉ SUR L'INDIVISIBILITÉ DE LA RÉPUBLIQUE, LA SOUVERAINETÉ NATIONALE ET L'UNITÉ DU PEUPLE
1. Des principes à valeur constitutionnelle
Le pacte républicain est fondé sur trois principes constitutionnels : l'indivisibilité, la souveraineté nationale et l'unité du peuple .
Comme l'affirme l'article 1 er de la Constitution, la France est une « République indivisible , laïque, démocratique et sociale . Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».
Consacrée par l'article 3, la souveraineté nationale « appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ». Fortement ancré dans la République, ce principe figure également dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) de 1789, qui dispose que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ».
L'unicité du peuple constitue le prolongement de ces deux premiers principes. Comme le rappelle le Conseil constitutionnel, la République « ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion » 1 ( * ) . Seul le statut civil des Kanaks fait exception, en application du titre XIII de la Constitution et des accords de Nouméa du 5 mai 1998 2 ( * ) .
Tous les citoyens sont ainsi égaux devant la loi de la République. D'après l'article 6 de la DDHC, « la loi est l'expression de la volonté générale [...] Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Les députés et les sénateurs représentent, en conséquence, « la Nation tout entière et non la population de [leur] circonscription d'élection » 3 ( * ) .
2. La laïcité, l'une des garanties du vivre ensemble
a) Un facteur d'apaisement et d'émancipation
D'abord un combat au début du XX ème siècle, la laïcité est devenue un facteur d'apaisement et d'émancipation au sein de la République. Elle figure aujourd'hui « au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit » 4 ( * ) .
Fondée sur la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, la conception française de la laïcité protège la liberté de conscience et le libre exercice des cultes (article 1 er ) mais également la neutralité de l'État , qui ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (article 2).
Sans nier les croyances de chacun, la laïcité constitue une « pierre angulaire du pacte républicain », indispensable pour « construire un destin commun ». L'État laïque « s'assure qu'aucun groupe, aucune communauté ne peut imposer à quiconque une appartenance ou une identité confessionnelle, en particulier en raison de ses origines. Il protège chacune et chacun contre toute pression, physique ou morale, exercée sous couvert de telle ou telle prescription spirituelle ou religieuse » 5 ( * ) .
Comme l'a rappelé la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio dans son rapport sur la radicalisation islamiste, « la France considère que la citoyenneté prime sur toute appartenance, notamment religieuse. [...] La République est par nature émancipatrice . Elle entend à permettre à chacun de choisir son destin et de prouver ses talents » 6 ( * ) .
b) Des exigences graduées
Le principe de laïcité comporte des exigences graduées en fonction des situations rencontrées.
Les agents publics sont astreints à un devoir de neutralité , désormais consacré par le statut général de la fonction publique 7 ( * ) . Cette exigence s'étend également aux salariés des entreprises ayant la charge d'un service public 8 ( * ) .
L'application du principe de laïcité aux agents publics
Le Conseil d'État veille au respect de la liberté de conscience des agents, « qui interdit toute discrimination dans l'accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion ».
Le principe de laïcité fait toutefois obstacle à ce que les agents « disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses » , notamment « en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion » 9 ( * ) .
Sauf décision contraire du supérieur hiérarchique, les nécessités du service public empêchent qu'un agent « soit autorisé à se rendre à la mosquée chaque vendredi de 14 heures à 15 heures, alors que le règlement horaire applicable [...] prescrit, en ce qui concerne ce jour de la semaine, une présence obligatoire [...] de 14 heures à 16 heures 30 » 10 ( * ) .
Enfin, les actions de prosélytisme sont proscrites . À titre d'exemple, l'animateur d'un centre de loisirs commet une faute disciplinaire en distribuant des prospectus en faveur des témoins de Jéhovah 11 ( * ) .
La logique est inversée pour les usagers du service public . En application de la charte de la laïcité du 13 avril 2007, ils peuvent exprimer leurs convictions religieuses « dans la limite du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des impératifs d'ordre public, de santé et d'hygiène ». Ces limitations justifient par exemple l'obligation d'ôter son couvre-chef sur les photographies d'identité, même si cela constitue une atteinte aux rites de la religion sikhe 12 ( * ) .
Le législateur a toutefois prévu des règles plus restrictives dans certains domaines, notamment pour interdire les signes religieux ostensibles à l'école ou la dissimulation du visage dans l'espace public 13 ( * ) .
L'application du principe de laïcité aux usagers du service public : l'exemple de la charte de la personne hospitalisée
Établie par une circulaire du ministre de la santé en date du 2 mars 2006, la charte rappelle que « l'établissement de santé doit respecter les croyances et convictions des personnes accueillies », en leur permettant notamment de se recueillir ou d'échanger avec un ministre du culte.
Néanmoins, l'expression des convictions religieuses « ne doit porter atteinte ni au fonctionnement du service, ni à la qualité des soins, ni aux règles d'hygiène, ni à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches. Tout prosélytisme est interdit, qu'il soit le fait d'une personne hospitalisée, d'un visiteur, d'un membre du personnel ou d'un bénévole ».
La liberté religieuse constitue aussi la règle dans les entreprises . S'inspirant de la jurisprudence, la loi « El Khomri » du 8 août 2016 14 ( * ) rappelle toutefois que le règlement intérieur « peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés » .
Ces restrictions doivent respecter deux critères cumulatifs : être proportionnées au but recherché, d'une part, et justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise, d'autre part.
L'application du principe de laïcité dans les entreprises
Pour la Cour de cassation, l'employeur est « tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié ». Elle admet toutefois le licenciement d'un boucher qui refuse de traiter la viande de porc , les stipulations de son contrat de travail primant sur l'invocation des prescriptions religieuses 15 ( * ) . De même, les croyances ne peuvent pas être invoquées pour se soustraire aux visites médicales 16 ( * ) .
La Cour de cassation reconnaît qu'un employeur peut imposer des normes vestimentaires, à condition qu'elles ne concernent que les salariés en contact avec la clientèle et qu'elles couvrent tous les signes religieux, politiques et philosophiques. Lorsque le salarié refuse de se conformer aux règles établies, il doit être affecté dans un autre poste, « tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise, et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire ». Le licenciement ne constitue qu'une solution de dernier recours 17 ( * ) .
Dotées d'une « orientation idéologique marquée » et « connue de tous », les entreprises de tendance ou de conviction peuvent, à titre dérogatoire, « imposer certaines obligations particulières aux salariés soumis par ailleurs aux règles du droit du travail : Églises, écoles religieuses, syndicats, partis politiques » 18 ( * ) . Un sacristain qui refuse de travailler le dimanche peut donc être licencié 19 ( * ) .
* 1 Conseil constitutionnel, 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse , décision n° 91-290 DC.
* 2 Conseil constitutionnel, 14 novembre 2013, Loi organique portant actualisation de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie , décision n° 2013-678 DC.
* 3 Conseil constitutionnel, 15 mars 1999, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie , décision n° 99-410 DC.
* 4 Conseil constitutionnel, 21 février 2013, Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité , décision n° 2012-297 QPC. Pour le Conseil d'État, la laïcité constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République (arrêt SNES du 6 avril 2001, n° 219379).
* 5 Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, dite commission « Stasi », rapport remis au Président de la République le 11 décembre 2003.
* 6 « Radicalisation islamiste : faire face et lutter ensemble », rapport n° 595 (2019-2020) fait au nom de la commission d'enquête sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre.
* 7 Article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite « loi Le Pors ».
* 8 Conseil d'État, 31 janvier 1964, Caisse d'allocations familiales de l'arrondissement de Lyon , décision n° 59115 et Cour de Cassation, 19 mars 2013, CPAM de Seine-Saint-Denis , décision n° 537.
* 9 Conseil d'État, 3 mai 2000, Mlle Marteaux , avis contentieux n° 217017.
* 10 Conseil d'État, 16 février 2004, Office public municipal d'HLM de Saint-Dizier , décision n° 264314.
* 11 Conseil de prud'hommes de Toulouse, 9 juin 1997.
* 12 Conseil d'État, 15 décembre 2006, Association United sikh , décision n° 289946.
* 13 Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics et loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.
* 14 Loi n° 2016-1088 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Cette disposition est aujourd'hui codifiée à l'article L. 1321-2-1 du code du travail.
* 15 Cour de cassation, 24 mars 1998, affaire n° 95-44.738.
* 16 Cour de cassation, 29 mai 1986, affaire n° 83-45.409.
* 17 Cour de cassation, 22 novembre 2017, affaire n° 13-19.855.
* 18 Philippe Waquet, Laurence Pécaut-Rivolier et Yves Struillou, Pouvoirs du chef d'entreprise et libertés du salarié , 2014.
* 19 Conseil de prud'hommes de Rennes, 8 juillet 1993.