C. LA POSITION DE LA COMMISSION : CIRCONSCRIRE AU STRICT NÉCESSAIRE LES MOYENS D'ACTION DU GOUVERNEMENT
1. Accepter, sous conditions, la prolongation de l'état d'urgence sanitaire
Saisie du projet de loi de prorogation du régime transitoire de la loi du 9 juillet 2020, la commission a récemment accepté, dans son principe, le maintien d'un régime d'exception pour faire face à l'évolution inquiétante de la situation sanitaire sur certaines parties du territoire national 6 ( * ) .
Après avoir interrompu brutalement les débats parlementaires au Sénat et sans apporter au Parlement les explications qu'il aurait été en droit d'attendre, le Gouvernement lui demande aujourd'hui d'approuver un régime permettant des restrictions plus importantes aux libertés individuelles.
Il eût sans doute été préférable, de l'avis du rapporteur, que le Gouvernement, plutôt que de déclarer unilatéralement l'état d'urgence sanitaire, profite de l'examen du projet de loi qui était en cours pour précéder cette décision d'un débat parlementaire.
Il est néanmoins apparu à la commission des lois que le rétablissement de l'état d'urgence sanitaire sur l'ensemble du territoire national était actuellement la seule voie possible pour faire face à la reprise épidémique et préserver, au cours des prochaines semaines, les capacités sanitaires du pays.
Elle a également souscrit à la prolongation de ce régime au-delà du 16 novembre . La durée d'un mois prévue par le décret apparaît en effet incompatible avec les projections sanitaires disponibles et le risque, soulevé par le Conseil scientifique covid-19 dans son avis sur le projet de loi, d'une plus importante circulation du virus en période hivernale.
Toutefois, compte tenu de la rigueur des restrictions susceptibles d'être imposées à la population, la commission s'est efforcée de mieux encadrer cette prolongation.
Observant que jamais l'état d'urgence sanitaire n'avait été appliqué pendant plus de deux mois sans validation préalable du Parlement, elle a ramené au 31 janvier 2021 le terme de la prorogation souhaitée par le Gouvernement ( amendement COM-41 ).
Elle a également débattu de la nécessité de mieux encadrer la possibilité, pour le pouvoir exécutif, de procéder à un confinement de la population pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire. Pour le rapporteur, le Parlement a en effet un devoir de vigilance à l'égard de cette mesure privative de libertés, aux conséquences économiques et sociales potentiellement dévastatrices. La commission a cependant réservé, sur ce point, sa position jusqu'à l'examen du texte en séance publique, dans l'attente d'éventuelles annonces du Gouvernement sur l'aggravation des mesures actuellement prises en matière de liberté d'aller et venir.
2. Ajuster le régime de l'état d'urgence sanitaire
Par l'adoption d'un amendement COM-42 de son rapporteur complétant l'article 1 er du projet de loi, la commission des lois a également apporté plusieurs modifications au régime de l'état d'urgence sanitaire tel qu'adopté par le législateur dans la loi d'urgence du 23 mars 2020.
Ces modifications tirent les conséquences des premiers mois d'application de ce régime et visent à circonscrire son contenu aux prérogatives strictement nécessaires à l'efficacité de l'action du Gouvernement en temps de crise sanitaire.
a) Mieux encadrer les atteintes à la liberté de réunion
La commission a ainsi modifié la rédaction du 6° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, qui autorise, en l'état de sa rédaction, le Premier ministre à « limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature ».
Le Conseil constitutionnel ayant exclu la possibilité, pour le Gouvernement, de réglementer les réunions dans les lieux d'habitation 7 ( * ) , il lui est en effet apparu que la possibilité laissée au Premier ministre de limiter ou d'interdire les réunions de toute nature était insuffisamment encadrée et fragile sur le plan constitutionnel.
La commission a donc limité les prérogatives du Premier ministre à la seule possibilité de « limiter ou de restreindre les rassemblements, activités ou réunions sur la voie publique ainsi que dans les lieux ouverts au public », s'alignant sur la rédaction adoptée par le Gouvernement dans les décrets d'application.
b) Privilégier le recours au droit commun pour l'encadrement des prix
La commission a également supprimé le 8° du I du même article L. 3131-15, qui permet au Premier ministre de « prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits », avec une simple information, plutôt qu'un avis du Conseil national de la consommation.
L'article L. 410-2 du code du commerce prévoit en effet un dispositif d'exception, qui autorise déjà le Gouvernement à prendre « contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé », pour une durée de six mois.
Ce régime est plus contraignant, en ce qu'il exige une consultation préalable du Conseil national de la consommation, et non une simple information. Ceci étant, rien ne paraît justifier, en l'état de la situation sanitaire, une telle dérogation aux procédures de consultation. C'est, du reste, sur cette disposition de droit commun que le Gouvernement s'est appuyé, depuis juillet, pour plafonner le prix des masques et des solutions hydro-alcooliques, sans que cela ne paraisse soulever de difficulté majeure.
c) Assurer la lisibilité du régime de la quarantaine, en intégrant dans la loi une réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel
La commission a par ailleurs ajusté le régime des mesures de quarantaine et d'isolement, pour tenir compte d'une réserve formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 relative à la loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions 8 ( * ) .
Elle a précisé qu'une mesure de quarantaine ou d'isolement ne pouvait être prolongée au-delà d'une durée de 14 jours que sur autorisation du juge des libertés et de la détention, dès lors qu'elle conduisait à empêcher une personne de sortir pendant plus de douze heures par jour et était, à ce titre, considérée comme privative de liberté.
d) Garantir la transmission sans délai des avis du comité scientifique covid-19
Enfin, la commission, reprenant une disposition adoptée dans le cadre du précédent projet de loi dont l'examen a été interrompu le 13 octobre dernier, a réaffirmé son souhait que le Gouvernement mette fin aux retards importants et récurrents avec lesquels il rend publics les avis du comité scientifique Covid-19 (amendements COM-45 du rapporteur et COM-38 rect. de Marie-Pierre de la Gontrie) .
Comprendre les fondements scientifiques de décisions politiques ayant un impact considérable sur la vie de nos concitoyens (confinement, couvre-feu, protocoles sanitaires applicables au travail ou dans les établissements scolaires, tenue des élections...) est une exigence démocratique. Or, alors que les avis du comité scientifique sont un outil majeur de contrôle parlementaire en cette période exceptionnelle, et que la loi prévoit pourtant qu'ils soient rendus publics « sans délais », plus d'une semaine s'est parfois écoulée entre leur adoption et leur mise en ligne par le secrétariat du comité.
3. Refuser la prorogation du régime transitoire de sortie de l'état d'urgence sanitaire
Si elle a accepté la prorogation de l'état d'urgence sanitaire, la commission n'a, en revanche, pas souhaité suivre le Gouvernement dans sa volonté de maintenir, parallèlement au régime de l'état d'urgence sanitaire, le régime transitoire créé par la loi du 9 juillet 2020.
Il lui est tout d'abord apparu que la prolongation , jusqu'au 1 er avril 2021, soit pendant une période de quatre mois et demi, de prérogatives très largement exorbitantes du droit commun était excessif . Comme le rappelait le rapporteur à l'occasion de l'examen interrompu du projet de loi de prorogation du régime transitoire, la sensibilité des mesures concernées au regard des libertés justifie une intervention régulière du législateur, pour s'assurer de la nécessité et de la proportionnalité des prérogatives confiées à l'exécutif.
Ce retour régulier devant le Parlement est d'autant plus nécessaire que la situation épidémiologique évolue très rapidement et rend impossible d'anticiper, à plusieurs mois d'intervalle, les outils qui seront encore nécessaires aux pouvoirs publics.
En refusant la prolongation du régime transitoire sur lequel elle avait déjà émis de fortes réserves au mois de juillet, la commission entend, par ailleurs, simplifier le cadre légal mis en place au cours des derniers mois , au bénéfice d'une plus grande transparence et d'une plus grande clarté pour nos concitoyens.
Les conditions dans lesquelles l'état d'urgence sanitaire a été déclaré, alors même qu'un débat parlementaire était en cours au Sénat sur la nécessité de prolonger le régime transitoire de la loi du 9 juillet dernier, témoignent, si besoin était, de la confusion induite par l'existence de deux régimes distincts, au contenu en réalité très proche .
L'argument de proportionnalité avancé par le Gouvernement, fondé sur l'impossibilité, pour l'exécutif, de procéder à un confinement de la population dans le cadre du régime transitoire, apparaît au demeurant peu valide dès lors que le Gouvernement conserve, à tout moment, la possibilité de déclarer l'état d'urgence sanitaire par décret.
Dans ces conditions, la commission a estimé qu'il était préférable de privilégier, lorsque des mesures d'exception sont nécessaires, l'application du régime unique de l'état d'urgence sanitaire, qui offre aux autorités étatiques toute la flexibilité nécessaire pour prescrire des mesures strictement adaptées à la situation sanitaire, dans le temps comme dans l'espace.
Elle a, en conséquence, adopté les amendements COM-44 de son rapporteur, COM-8 de Valérie Boyer et COM-25 de Marie-Pierre de la Gontrie tendant à supprimer l'article 2 du projet de loi.
Cette suppression ne conduit pas à priver l'exécutif des moyens d'agir. Conformément aux articles L. 3131-1 et suivants du code de la santé publique, le ministre de la santé conserve, en effet, des prérogatives importantes en cas de menace sanitaire, parmi lesquelles les possibilités de placement en quarantaine ou à l'isolement, l'adaptation du fonctionnement du système de santé ou encore la possibilité de réquisitions.
* 6 À l'occasion de l'examen du projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence sanitaire, que le Gouvernement a retiré de l'ordre du jour le 14 octobre 2020. Voir le rapport n° 9 (2020-2021) de Philippe Bas au nom de la commission des lois.
* 7 Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 relative à la loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
* 8 Dans cette décision, le Conseil constitutionnel, se prononçant sur le régime de la quarantaine et de l'isolement, a estimé que « ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître les exigences de l'article 66 de la Constitution, permettre la prolongation des mesures de mise en quarantaine ou de placement en isolement imposant à l'intéressé de demeurer à son domicile ou dans son lieu d'hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jours sans l'autorisation du juge judiciaire ».