N° 581

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 mai 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de loi pour un élevage éthique , juste socialement et soucieux du bien-être animal ,

Par Mme Marie-Christine CHAUVIN,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Martine Berthet, M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Marie Evrard, Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Sénat :

530 rect. et 582 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

La proposition de loi n° 530 (2020-2021) vise à trouver un équilibre entre les impératifs des éleveurs et la recherche de meilleures conditions d'élevage. Si la commission en partage, par certains aspects, la philosophie et les objectifs, c'est-à-dire la recherche de meilleures conditions d'élevage en prenant en compte les contraintes des éleveurs, et sans les stigmatiser davantage, par exemple par la création d'un fonds d'accompagnement, elle est en désaccord avec les moyens choisis pour atteindre cet objectif, considérant notamment que l'échelle européenne est la plus appropriée afin d'éviter certains effets de bord.

I. LES ÉLEVEURS FRANÇAIS SONT LES PREMIERS ACTEURS SOUCIEUX DU BIEN-ÊTRE ANIMAL EN FRANCE ET FONT BOUGER LES LIGNES TOUS LES JOURS EN LA MATIÈRE

Contrairement à ce que pourrait laisser songer le titre de la proposition de loi, les éleveurs français sont bien les premières personnes soucieuses du bien-être animal . Si certaines pratiques relevant d'un délit de maltraitance animale ont pu être relevées, les méfaits de quelques-uns ne doivent pas entraîner une stigmatisation de l'ensemble d'une profession, déjà confrontée à de grandes difficultés économiques et sociétales.

En parallèle, soucieuses d'améliorer les conditions d'élevage, de transport et d'abattage de leurs animaux, toutes les filières interprofessionnelles ont engagé des actions en faveur du bien-être animal ces dernières années . Il convient par exemple de citer l'initiative « France, terre de lait » du CNIEL, la mise en place, par INAPORC, du socle de base du Porc Français intégrant des critères de bien-être animal minimum (lumière, matériaux manipulables, abreuvement...) sauf à accepter le paiement de pénalités, le Pacte Sociétal de la filière Élevage et Viande sous l'égide d'INTERBEV.

Les filières se fixent des objectifs ambitieux en matière d'élevages alternatifs. L'interprofession cunicole (CLIPP) s'est, par exemple, engagée à passer de 1 % à 25 % de viande de lapin issue d'élevages alternatifs d'ici 2022, soit des élevages proposant une alternative à la cage standard, soit des élevages sous cahier des charges Label Rouge, soit sous cahier des charges bio. De même, l'interprofession porcine a présenté en juillet 2021 une feuille de route sur les alternatives à la castration à vif des porcelets, mises à la disposition de l'ensemble des opérateurs pour tenir l'objectif de l'arrêt de cette pratique au 1 er janvier 2022. Elle s'est également fixée un objectif de 22 % de porcs sous label d'ici 2027.

Force est de constater que, lorsque le consommateur est demandeur et prêt à payer un surcoût pour compenser ces efforts, l'engagement des filières fait bouger les lignes rapidement . Par exemple, rien que pour les poules pondeuses, une baisse significative des capacités de production des élevages en cage a été constatée au profit des élevages alternatifs qui représentent désormais 53 % des poules pondeuses contre 19 % en 2008. Ces dernières années, l'accélération est telle que la filière a dépassé son objectif fixé en 2016 d'atteindre 50 % de poules pondeuses en systèmes alternatifs deux ans avant l'échéance prévue.

De même, les acteurs économiques ont développé des alternatives au broyage des poussins mâles et des canetons femelles, pratique autorisée par le droit européen . Plusieurs méthodes de sexage in ovo inédites ont été développées en quelques années permettant d'espérer, d'ici quelques années, arrêter les pratiques majoritaires de broyage aujourd'hui.

Toutes ces avancées, qui n'ont pas été faites à grands coups d'interdictions, doivent être saluées, car elles se traduisent par des modifications profondes et rapides des pratiques, démontrant l'engagement quotidien de nos filières agricoles en faveur du bien-être animal.

II. L'AMÉLIORATION DES CONDITIONS D'ÉLEVAGE DOIT SE FAIRE AU NIVEAU EUROPÉEN, DANS UN PAS DE TEMPS ADAPTÉ ET AVEC UN ACCOMPAGNEMENT NÉCESSAIRE

A. LA PROPOSITION DE LOI PROPOSE D'ENCADRER AU NIVEAU DE LA LOI CERTAINES PRATIQUES D'ÉLEVAGE, DE TRANSPORT ET D'ABATTAGE

L'article 1 er de la proposition de loi met en oeuvre un dispositif en deux temps afin de prévoir progressivement le passage à un élevage offrant un accès au plein air à tous les animaux d'ici le 1 er janvier 2040 . Avant cette échéance, toute construction d'un bâtiment ne répondant pas à des critères, définis par décret, incluant un accès à l'extérieur ainsi qu'une limitation des densités de peuplement adaptées aux besoins de l'animal, serait interdite à compter de 2026.

L'article 2 plafonne la durée maximale de transport d'animaux vivants en France intra-muros (sans franchissement de frontière) à huit heures pour les espèces bovine, ovine, caprine, porcine et les équidés et à quatre heures pour les volailles et les lapins . Toutefois, il aménage un régime de dérogation pour un voyage d'une durée supérieure, qui ne pourra pas dépasser douze heures , par autorisation préalable accordée par un vétérinaire, qui atteste de la capacité des animaux à réaliser ce voyage sans risque d'être blessés ou de subir des souffrances inutiles.

L'article 3 interdit toute élimination (broyage ou gazage en pratique) de poussins mâles ou de canetons femelles , sauf en cas d'épizootie, à compter du 1 er janvier 2022 .

L'article 4 crée enfin un fonds de soutien à la transition pour le bien-être animal afin d'accompagner les éleveurs et les abatteurs dans leur transformation, notamment ceux dont l'activité a été affectée par les autres articles de la proposition de loi.

B. LA MEILLEURE ÉCHELLE POUR PRENDRE CE TYPE DE MESURES EST L'ÉCHELLE EUROPÉENNE, AFIN D'ÉVITER LES EFFETS DE BORD PÉNALISANT L'ÉLEVAGE FRANÇAIS ET FAVORISANT DES IMPORTATIONS NE RESPECTANT PAS LES NORMES MINIMALES REQUISES EN FRANCE

Si la commission des affaires économiques partage l'objectif d'amélioration des conditions d'élevage, de transport et d'abattage, elle estime qu'une surtransposition française n'est pas la bonne méthode pour y parvenir . Seule une évolution du cadre européen, prenant en compte les contraintes techniques et économiques des éleveurs, est de nature à accélérer les transitions .

À défaut, le législateur serait à l'origine de nouvelles distorsions de concurrence au détriment de l'agriculture française, en alourdissant encore les contraintes sur les agriculteurs français, tout en exportant chez nos voisins les pratiques que la loi française condamnera, tout en important davantage de denrées venues de chez eux . Cela ne fera aucun gagnant en matière de bien-être animal, et réduira notre souveraineté alimentaire ainsi que le bilan environnemental de notre alimentation.

Ainsi, l'interdiction à très court terme de toute élimination de poussins mâles ou de canetons femelles vivants, alors que les solutions alternatives de sexage in ovo n'ont pas encore toutes passé le cap du développement industriel, entraînerait un surcoût important sur les ovoproduits français (40 % de la production totale), difficilement répercutable auprès des acheteurs (industrie agroalimentaire et restauration hors domicile) alors que le facteur prix y est prédominant. Dès lors, il est à craindre que les approvisionnements soient majoritairement importés d'autres pays européens où le broyage perdure. C'est pourquoi il est essentiel qu'un tel sujet soit porté au niveau européen.

La commission se félicite, à cet égard, que l'Union européenne ait entamé des travaux sur le sujet, notamment du transport des animaux vivants, à l'initiative du Parlement européen, lequel a adopté deux résolutions sur le sujet.

En outre, la proposition de loi pose certaines difficultés techniques :

• elle engendrerait un surcoût très important pour les filières (estimé, rien que pour la filière porcine, à 13 milliards d'euros pour la seule interdiction des élevages non plein air, l'interdiction de broyage des poussins mâles étant estimé, a minima , à 64 millions d'euros pour la filière poule pondeuse), rendant la constitution du fonds peu réaliste ;

• elle créerait soit une consommation de surface foncière très importante à élevage équivalent, difficilement crédible en raison de l'artificialisation continue des sols, soit une réduction drastique de l'élevage en France, démontrant le potentiel décroissant des dispositifs envisagés ;

• elle impliquerait des effets de bord difficilement justifiables , et sans doute contraires à l'objectif initial de la proposition de loi. Par exemple, dès lors que seuls les itinéraires se déroulant exclusivement sur le territoire national sont soumis au plafonnement proposé, il n'est pas à exclure que les approvisionnements se fassent depuis l'étranger, itinéraires qui demeureraient soumis à la réglementation européenne, entraînant paradoxalement un allongement de la durée moyenne du transport des animaux.

C'est pourquoi la commission a rejeté l'ensemble des articles de la proposition de loi.

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