N° 596
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 mai 2021
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire ,
Par M. Philippe BAS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : |
4105 , 4141 et T.A. 609 |
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Sénat : |
571 et 597 (2020-2021) |
L'ESSENTIEL
Après avoir entendu Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, le mardi 11 mai 2021, la commission des lois, réunie le lundi 17 mai sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), a examiné le rapport de Philippe Bas (Les Républicains - Manche) sur le projet de loi n° 571 (2020-2021) relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire.
Un ralentissement rapide des contaminations s'opère au cours de la période récente sur la lancée du troisième confinement de la population en un an. Celui-ci a maintenant pris fin et l'épidémie de coronavirus n'en demeure pas moins à un niveau très élevé qui n'autorise pas un excessif relâchement des disciplines individuelles et collectives. Certes, le dépassement du nombre de 20 millions de personnes vaccinées une première fois contre la Covid-19 atteste d'une accélération des vaccinations, mais il laisse une proportion majoritaire de la population française sans protection pour plusieurs mois encore. La France reste donc vulnérable à la Covid-19 .
Chacun s'accorde par conséquent à estimer que l'état d'urgence sanitaire ne pourra réellement prendre fin le 1 er juin prochain comme le prévoit la loi du 15 février dernier. Il importait donc que le Parlement se prononçât sur un texte permettant la prorogation de tout ou partie des pouvoirs exceptionnels accordés au Gouvernement pour éradiquer la pandémie.
Celui-ci propose au Parlement de légiférer d'une manière tout à fait singulière, en établissant par la loi un régime temporaire d'état d'urgence sanitaire atténué, qui pourra à tout moment être interrompu par un rétablissement du véritable état d'urgence sanitaire . Dans cet état d'urgence sanitaire atténué, les déplacements pourront être réglementés, la liberté de réunion pourra être restreinte, la fermeture de catégories d'établissements recevant du public pourra être maintenue, la liberté de manifestation encadrée, la liberté d'aller et venir assortie de conditions telles que le port du masque, le travail à domicile imposé, et un « passe sanitaire » pourra être exigé pour l'accès à certains lieux. En revanche, ni le couvre-feu ni le confinement ne pourront être rétablis, sauf décret proclamant le rétablissement de l'état d'urgence sanitaire dans la plénitude des moyens d'action qu'il autorise. Le législateur serait alors de nouveau saisi sous trente jours s'il fallait prolonger encore cet état d'urgence plein.
Par ailleurs, pour rendre la situation plus confuse encore, le projet de loi comporte des exceptions aux règles qu'il entend lui-même fixer :
- le couvre-feu pourra être maintenu jusqu'au 30 juin ;
- il sera possible de reconfiner la population de certains territoires pendant une durée allant jusqu'à deux mois sans que le Parlement n'intervienne, à condition qu'elle ne représente pas plus de 10 % de la population française ;
- le régime des quarantaines sera durci en limitant le choix de sa résidence de quarantaine par le voyageur.
En réalité, sans le dire, le Parlement est donc invité à reconduire après le 1 er juin et jusqu'au 1 er octobre prochain l'autorisation donnée au Gouvernement d'exercer la quasi-totalité des pouvoirs énumérés par la loi du 23 mars 2020 relative à l'état d'urgence sanitaire .
La commission des lois ne peut que dénoncer cette manière de faire . Le nouveau régime de pouvoirs exceptionnels, dit de « gestion de la sortie de l'état d'urgence sanitaire » que le Gouvernement souhaite mettre en place paraît plus facile à faire accepter à nos concitoyens que le maintien de l'état d'urgence sanitaire. Hormis cet avantage, ce projet de loi ne répond à aucune nécessité juridique. Il est de pur affichage.
Il aurait certainement été plus loyal vis-à-vis des Françaises et des Français, plus simple, plus direct et plus franc de demander au Parlement de prolonger l'état d'urgence sanitaire, en atténuant semaine après semaine, comme c'est le cas actuellement, l'intensité des contraintes imposées à ce titre. Avec ce texte, le Gouvernement a choisi une autre option, prenant le risque de biaiser en jetant un rideau de fumée sur la réalité de la menace épidémique et sur l'intensité des moyens susceptibles d'être utilisés par les autorités sanitaires pour y répondre . Tout en le regrettant, la commission des lois en a pris acte, mais elle n'a pas renoncé à apporter à ce texte les clarifications qui lui ont paru s'imposer.
Les deux régimes (état d'urgence, sortie de l'état d'urgence) sont l'un et l'autre des régimes d'exception. Ils ont en commun de restreindre la liberté d'aller et venir, la liberté de réunion, la liberté de manifestation, la liberté du commerce... Toutefois, seul l'état d'urgence est censé permettre au Gouvernement d'aller au-delà de ces restrictions en posant des interdictions générales comme l'interdiction de sortir après une certaine heure ou le confinement.
Les choses seraient relativement simples si le Gouvernement s'en tenait à cette distinction . Mais aussitôt posée la nouvelle doctrine, il la complique en empruntant à l'état d'urgence la possibilité de porter des atteintes plus graves aux libertés, dérogeant à la distinction qu'il a lui-même imaginée. Il demande ainsi au Parlement d'autoriser un couvre-feu jusqu'au 30 juin, de prévoir la possibilité de procéder à des reconfinements partiels jusqu'à l'automne en retardant le moment où le Parlement se prononcerait et d'interdire la ré-ouverture de certains établissements. Ces pouvoirs ne peuvent pas entrer dans la définition de la gestion de la sortie de l'état d'urgence sanitaire.
La commission des lois s'est efforcée de sortir de cette confusion en appliquant une ligne claire dont le Gouvernement n'aurait pas dû s'écarter : la sortie de l'état d'urgence doit permettre d'apporter des restrictions aux libertés mais pas de poser des interdits généraux ; s'il faut aller au-delà en posant des interdits généraux, le Gouvernement devra, sous le contrôle du Parlement, rétablir l'état d'urgence .
Dans la version de la commission des lois, le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire ne permettrait donc ni couvre-feu ni confinement. Pour maintenir le couvre-feu jusqu'au 30 juin prochain comme l'a souhaité le Gouvernement, l'état d'urgence serait par conséquent prolongé jusqu'à cette date. Mais par la suite, tout rétablissement du couvre-feu, tout reconfinement devraient passer par une nouvelle déclaration de l'état d'urgence sanitaire, activable par décret jusqu'au 31 décembre de cette année. Ce sont des différences essentielles avec le projet de loi. Elles visent à mieux protéger les libertés sans priver les autorités sanitaires de moyens d'action .
Par ailleurs, dans le cadre de la gestion de la sortie de l'état d'urgence sanitaire, les établissements recevant du public seraient par principe rouverts, sous réserve de respecter les règles propres à en garantir la sécurité sanitaire, et à l'exception bien sûr du cas des établissements qui par nature ne peuvent garantir l'observation scrupuleuse des gestes barrières.
Enfin, le « passe sanitaire » serait mieux encadré et son usage demeurerait restreint aux grands rassemblements.
Tel est le sens des principales modifications apportées par la commission des lois au projet de loi transmis par l'Assemblée nationale.
La commission des lois a aussi veillé à conforter le contrôle parlementaire sur les restrictions aux libertés autorisées par le texte en maintenant le délai actuel d'un mois pour toute prolongation d'un éventuel rétablissement de l'état d'urgence sanitaire, et aussi en ramenant au 15 septembre la date-limite d'exercice par le Gouvernement des pouvoirs de gestion de la sortie de l'état d'urgence sanitaire (il avait initialement proposé le 31 octobre). Elle a également été attentive à proportionner strictement aux exigences du traitement de la situation épidémiologique les prérogatives accordées au Gouvernement pour faire face à la crise, à mieux protéger les données de santé des citoyens notamment en encadrant davantage le « passe sanitaire », ainsi qu'à ajuster les dispositions prévues en matière électorale.
I. UNE SITUATION SANITAIRE QUI RESTE PRÉOCCUPANTE MALGRÉ LA PROGRESSION DE LA VACCINATION
La situation sanitaire actuelle, certes en amélioration par rapport au mois d'avril dernier, reste préoccupante. Le maintien de mesures de distanciation sociale au-delà du 1 er juin 2021, date prévue de la fin de l'état d'urgence sanitaire, s'avère donc nécessaire, notamment au vu des indicateurs épidémiologiques.
Indicateurs épidémiologiques
à
la date du 17 mai 2021
Nombre
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Indicateur
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Taux
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Nombre total
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Nombre de personnes ayant reçu au moins une dose de vaccin |
Source : ministère des solidarités et de la santé
Le Gouvernement estime toutefois que la décrue rapide observée depuis le début du mois de mai, la saisonnalité ainsi que le développement de la vaccination permettent d'envisager une réduction des restrictions des libertés individuelles.
Il souhaite malgré tout, au regard des incertitudes liées notamment au délai d'accès de l'ensemble de la population aux vaccins et à l'efficacité de ces derniers contre les variants, conserver des prérogatives fortes en matière de police sanitaire afin d'éviter toute recrudescence de l'épidémie.