N° 668

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 juin 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, visant à rendre pérenne l' augmentation du temps de télétravail autorisé pour les travailleurs frontaliers ,

Par Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY,

Sénateurs

et TEXTE DE LA COMMISSION

(Envoyé à la commission des affaires sociales.)

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Henri Cabanel, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Catherine Fournier , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Jérémy Bacchi, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Pierre Cuypers, Gilbert-Luc Devinaz, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Véronique Guillotin, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Louis-Jean de Nicolaÿ, Mme Elsa Schalck, M. Richard Yung .

Voir le numéro :

Sénat :

565 (2020-2021)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes est saisie d'une proposition de résolution européenne (n° 565 ; 2020-2021), présentée par M. Cyril Pellevat, visant à rendre pérenne l'augmentation du temps de télétravail autorisé pour les travailleurs frontaliers.

Cette proposition de résolution, objet du présent rapport, appelle à une modification de la législation de l'Union européenne et des conventions fiscales bilatérales , afin que les travailleurs frontaliers puissent exercer jusqu'à deux jours de télétravail par semaine, sans changement d'État d'affiliation au régime de sécurité sociale et d'imposition

Si la problématique concernant le volet « sécurité sociale » relève du droit de l'Union européenne, la question fiscale ressort de conventions bilatérales , qui n'entrent normalement pas dans le champ de compétence de la commission des affaires européennes. Toutefois, les rapporteures formuleront quelques observations sur le volet fiscal puisque la proposition de résolution traite des deux volets et que le sujet fiscal demeure étroitement lié à celui de l'affiliation au régime de sécurité sociale pour les travailleurs frontaliers.

État des lieux du travail frontalier

Les données relatives à la pluriactivité figurant dans la base SIRDAR (Système Informatisé de Recherche des Détachements Autorisés et Réguliers) tenue par le Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS) ne permettent pas d'identifier et d'isoler parmi les données sur la mobilité, celles concernant les seuls travailleurs frontaliers, au sens des règlements européens.

Toutefois, selon l'étude de l'INSEE du 4 juin 2019, plus de 360 000 habitants des zones frontalières françaises travaillaient dans un pays limitrophe en 2015 .

Le dynamisme économique des pays voisins tels que le Luxembourg, la Suisse et Monaco , ainsi que les salaires offerts, incitent les actifs résidant en France près des frontières à aller y travailler. Dans ces pays, la part de frontaliers venant de France dans l'emploi est élevée à proximité des frontières (28 % dans le canton de Genève par exemple).

Malgré une croissance de l'emploi en Allemagne et en Belgique, les flux de travailleurs frontaliers vers ces pays, davantage tournés vers les secteurs industriels, sont moins nombreux.

Certaines zones frontalières françaises attirent des résidents, grâce au possible travail frontalier. Mais elles bénéficient rarement de retombées positives sur l'emploi, hormis celles situées autour du lac Léman.

Source : direction de la Sécurité sociale

I. EN RÉPONSE À LA PANDÉMIE, DES ACCORDS TEMPORAIRES PRÉSERVANT LE RÉGIME SOCIAL ET FISCAL DES TRAVAILLEURS FRONTALIERS EN TÉLÉTRAVAIL

A. LE DROIT EXISTANT POUR LES TRAVAILLEURS FRONTALIERS EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'IMPOSITION

1. Une affiliation au régime de sécurité sociale de l'État de résidence au-delà de 25 % du temps de travail exercé dans cet État

Les règlements européens de coordination des systèmes de sécurité sociale - à savoir un règlement de base datant de 2004 et son règlement d'application de 2009 1 ( * ) - déterminent la législation applicable au travailleur mobile, dans l'Union européenne, en matière de sécurité sociale .

Des négociations sur une proposition de règlement modifiant ces deux règlements sont en cours depuis plusieurs années . Le 16 e trilogue qui s'est tenu, sous présidence portugaise, n'a malheureusement pas permis d'aboutir à un accord. Les points d'achoppement principaux demeurent la notification préalable avant l'envoi d'un travailleur aux autorités compétentes de l'État membre d'accueil, ainsi que le régime d'indemnisation chômage des travailleurs transfrontaliers.

Les travailleurs frontaliers - définis, en matière de protection sociale, comme des personnes exerçant une activité dans un État et résidant dans un autre État où elles retournent en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine 2 ( * ) - sont ainsi soumies aux règles de droit commun en matière d'affiliation , prévus par les règlements précités. Ces derniers s'appliquent aux États membres de l'Union européenne, et de l'Espace Économique Européen (EEE) et à la Suisse.

Le principe défini par les règlements est celui de la lex loci labori , c'est-à-dire de l'affiliation du travailleur au régime de sécurité sociale de l'État dans lequel il exerce son activité 3 ( * ) . Par dérogation à ce principe général, les règlements de coordination déterminent la législation applicable en cas d'exercice d'activités dans deux ou plusieurs États membres 4 ( * ) .

En cas de pluri-activité, la détermination de la législation applicable se fonde ainsi sur la notion d'activité substantielle , dont le seuil a été fixé à 25 % du temps de travail ou de la rémunération annuels. Il résulte de l'application combinée des articles 13 du règlement n° 883/2004 et 14 du règlement n° 987/2009 que le travailleur exerçant une part substantielle de son activité dans son État de résidence, c'est-à-dire au-delà de 25 % de son temps de travail ou de sa rémunération, sera affilié au régime de sécurité sociale de son État de résidence.

Les règlements ne prévoyant pas de dispositions spécifiques à la situation de télétravail, si un travailleur résidant en France et travaillant au Luxembourg, télétravaille depuis son domicile, il demeurera affilié au régime de sécurité sociale luxembourgeois tant que son télétravail depuis son domicile n'excède pas 25 % de son temps de travail ou de sa rémunération . Si le taux de 25% est dépassé, il sera alors affilié au régime français pour l'ensemble de son activité.

Cas de Monaco et d'Andorre :
application de conventions bilatérales de sécurité sociale

Les relations avec Monaco et Andorre sont régies par des conventions bilatérales de sécurité sociale.

Monaco

La convention bilatérale avec Monaco contient une disposition spécifique au télétravail (article 3 § 2 h) : les salariés résidant en France ou à Monaco , qui exercent une activité en télétravail depuis le territoire d'un de ces deux États, restent soumis à la législation de l'autre État où leur employeur a son siège, à condition d'effectuer au moins un tiers de leur temps de travail hebdomadaire dans les locaux de l'employeur.

Au 31 décembre 2020, les autorités monégasques ont validé 142 dispositifs, permettant ainsi à autant d'entreprises de mettre en oeuvre le télétravail pour leurs salariés, hors cas de télétravail dû à la covid-19. Pour autant, seules 77 sociétés l'ont effectivement mis en oeuvre.

Ainsi, on dénombre un total de 1 290 télétravailleurs , dont :

- 3,64 % sont domiciliés en Principauté ;

- 12,71 % sont domiciliés dans les communes limitrophes (La Turbie, Cap d'Ail, Roquebrune Cap Martin et Beausoleil) ;

- 83,64 % sont domiciliés en France, hors communes limitrophes.

S'agissant du lieu d'exécution de leur activité, 100 % de ces télétravailleurs effectuent leur travail depuis leur domicile. Le télétravail a concerné principalement (96,2 %) des transformations de poste

Andorre

La convention bilatérale avec Andorre ne contient pas de disposition spécifique au télétravail. Selon la convention (article 4 §1), les travailleurs exerçant une activité en France et à Andorre, sont soumis aux deux régimes de sécurité sociale.

Source : direction de la Sécurité sociale

2. Des régimes spécifiques prévoyant l'imposition dans l'État de résidence, sauf pour le Luxembourg, Andorre et certains cantons suisses

Les standards internationaux, traduits dans le modèle de convention fiscale de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), prévoient que les revenus tirés d'une activité salariée sont imposés au lieu d'exercice de celle-ci . Cette règle figure dans la très grande majorité des conventions fiscales conclues par la France.

Toutefois, pour tenir compte des problématiques frontalières , notamment au regard de la mobilité des travailleurs frontaliers, plusieurs conventions fiscales prévoient des mesures dérogatoires pour les travailleurs frontaliers.

a) Des régimes spécifiques d'imposition pour l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et la Suisse

Les conventions fiscales conclues par la France avec ces pays prévoient des régimes spécifiques d'imposition pour les travailleurs résidant et travaillant dans la zone frontalière .

Afin de simplifier leurs démarches administratives, ces régimes permettent l'imposition exclusive de leurs salaires dans l'État de résidence , soit la France pour les frontaliers qui y résident, à condition de ne pas dépasser un certain nombre de jours travaillés hors de la zone frontalière de l'autre État.

Les régimes frontaliers allemands, belges et suisses prévoient cependant une compensation financière versée par l'État de résidence à l'État d'exercice de l'activité qui a renoncé à son droit à taxation. Ainsi, en échange de leur renonciation à imposer les salaires des travailleurs frontaliers travaillant chez eux et qui résident en France, ces trois États se voient compensés par la France à hauteur de la perte fiscale qui en découle pour eux .

Toutefois, s'agissant de la Suisse qui est une confédération dans laquelle chaque canton décide de sa fiscalité, certains d'entre eux, comme celui de Genève, appliquent la règle de l'imposition dans l'État d'emploi, à savoir la Suisse.

Par ailleurs, des mesures de tolérance ont été introduites avec le Luxembourg, la Belgique et l'Allemagne afin d'assouplir la condition liée à l'exercice de l'activité dans la zone frontalière de ces États.

Ainsi, le protocole additionnel à l'actuelle convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964 , relatif aux travailleurs frontaliers, garantit, pour ceux résidant dans la zone frontalière française, le bénéfice du régime frontalier à condition de ne pas exercer leur activité professionnelle hors de la zone frontalière belge plus de 30 jours par année civile.

Par ailleurs, l'accord franco-allemand du 16 février 2006 sur le régime des travailleurs frontaliers autorise quant à lui la pratique du télétravail en assimilant les activités exercées dans la zone frontalière de l'État de résidence du salarié à celles exercées dans la zone frontalière de l'autre pays.

S'agissant des travailleurs frontaliers ne bénéficiant pas des régimes spécifiques d'imposition tels que décrits précédemment , ils sont donc imposés dans leur État d'activité et les jours télétravaillés à domicile sont normalement taxables dans leur État de résidence.

b) Les cas du Luxembourg, d'Andorre, de certains cantons suisses et de Monaco

Les conventions conclues par la France avec le Luxembourg et Andorre ne prévoient pas de régime spécifique pour les travailleurs frontaliers. C'est la règle générale d'imposition des salaires au lieu d'activité qui prévaut, soit au Luxembourg ou à Andorre pour les travailleurs frontaliers résidents de France.

Toutefois, depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle convention fiscale franco-luxembourgeoise, les frontaliers français peuvent télétravailler depuis la France au profit de leur employeur luxembourgeois, jusqu'à 29 jours, sans que la rémunération afférente ne soit imposée en France.

Concernant la Suisse, comme indiqué précédemment, certains cantons suisses, comme celui de Genève, appliquent également la règle de l'imposition dans l'État d'emploi.

S'agissant de Monaco , en application de l'article 7-1 de la convention fiscale signée le 18 mai 1963, les personnes physiques de nationalité française sont assujetties en France à l'impôt sur le revenu , sauf si ces personnes font partie ou relèvent de la maison souveraine ou si elles ont le statut de fonctionnaires, agents et employés des services publics de la Principauté ayant établi leur résidence habituelle à Monaco antérieurement au 13 octobre 1962.


* 1 Règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et règlement (CE) n° 987/2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 (COM (2016) 815 final)

* 2 Article 1er f) du règlement (CE) n° 883/2004 précité

* 3 Article 11 du règlement (CE) 883/2004 précité

* 4 Article 13 (relatif à la pluriactivité) du règlement (CE) 883/2004 précité

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