C. DES RÉMUNÉRATIONS PEU ÉLEVÉES EN DÉBUT DE CARRIÈRE EN COMPARAISON AVEC LES PAYS EUROPÉENS MALGRÉ LES RÉCENTES AVANCÉES BUDGÉTAIRES
Le rapporteur spécial s'est penché dans un récent rapport 6 ( * ) sur les enjeux de la rémunération des professeurs. Des rémunérations basses lors de l'entrée dans le métier, couplées à une forte linéarité des carrières enseignantes, entraînent en effet un déficit d'attractivité croissant des professions enseignantes et des difficultés de recrutement dans certaines filières.
1. Une grille salariale très défavorable aux enseignants en début de carrière, constituant un des principaux freins à l'attractivité du métier
Le salaire net moyen des enseignants doit être distingué du salaire en équivalent temps plein (EQTP) , qui correspond au salaire perçu si l'ensemble des personnels travaillait à temps plein toute l'année. Le deuxième est plus élevé mais facilite les comparaisons, notamment internationales.
En 2018, le salaire net en EQTP d'un enseignant de l'éducation nationale, incluant le secteur privé sous contrat, était en moyenne de 2 564 euros par mois . Le salaire moyen dans le premier degré est légèrement inférieur, autour de 2 368 euros et celui du second degré légèrement supérieur (2 723 euros ) 7 ( * ) .
Salaire moyen des enseignants français du secteur public en 2019 (en euros)
Source : DEPP
Les salaires des enseignants français se caractérisent par un niveau de départ bas et une évolution forte en milieu et fin de carrière. Les enseignants de plus de 50 ans gagnent en moyenne 50 % de plus que leurs collègues de moins de 30 ans , et jusqu'à 62 % de plus dans le second degré. Un professeur de moins de 30 ans ne gagne ainsi en moyenne que 1 806 euros nets 8 ( * ) par mois, soit 1,2 fois le salaire minimum de croissance (Smic), contre près de 1 000 euros supplémentaires en fin de carrière .
Cette progression, qui explique également le poids du glissement vieillesse technicité dans les dépenses de personnel du ministère de l'éducation nationale, est très désincitative pour les nouveaux entrants . Le rapporteur spécial considère qu'une amélioration de l'attractivité doit passer par un rééquilibrage au profit des professeurs débutants.
Par ailleurs, bien que la grille de rémunération des enseignants du premier degré et des enseignants certifiés du second degré soit identique , la rémunération moyenne est plus élevée dans le second degré du fait du poids des enseignants certifiés et des heures supplémentaires. Les primes représentent en moyenne 7,5 % du salaire brut des enseignants du premier degré et 15 % de celui des enseignants du second degré 9 ( * ) .
En outre, en euros constants, les enseignants français ont perdu entre 15 et 25 % de rémunération au cours des 20 dernières années. Cette baisse touche particulièrement les enseignants en milieu et fin de carrière. Les mesures prises au cours de l'actuel quinquennat ont cependant permis de limiter les conséquences au cours des dernières années .
La trajectoire de chute relative des rémunérations s'est en effet interrompue pour tous les corps et à tous les stades de la carrière enseignante, suivant un mouvement plus général au niveau européen (le salaire des enseignants a selon la DEPP augmenté dans plus des deux tiers des pays européens sur la même période). Il n'en demeure pas moins que les conséquences des évolutions depuis 2000 continueront de peser longtemps sur les carrières enseignantes.
Évolution du salaire statutaire mensuel des enseignants depuis 1999
(en %)
Source : DEPP. Le salaire statutaire est la rémunération brute, perçue par un agent à temps plein, tel que prévue dans les barèmes officiels
2. Les rémunérations des enseignants français demeurent très en deçà de la moyenne européenne
a) Des rémunérations inférieures en parité de pouvoir d'achat
Dans l'enseignement élémentaire public, en 2019, le salaire effectif brut moyen des enseignants est plus faible en France qu'en Allemagne et dans la plupart des pays du nord de l'Europe , mais aussi qu'en Angleterre et au Portugal. Dans le premier cycle du second degré, il se situe en dessous de ceux pratiqués en Allemagne et dans la plupart des pays d'Europe du Nord (Finlande, Danemark, Pays-Bas). Il est proche de ceux des enseignants suédois et anglais, et dépasse ceux des enseignants italiens. Dans le second cycle général de l'enseignement secondaire, les enseignants français ont toutefois un salaire effectif supérieur à celui de leurs homologues anglais et suédois , mais toujours inférieur à ceux des enseignants finlandais, danois, néerlandais et surtout allemands.
Salaire statutaire moyen brut des enseignants dans
l'Union européenne
en 2019-2020
(en parité de pouvoir d'achat en dollar)
Source : Réponses au questionnaire budgétaire d'après l'OCDE.
On constate toutefois un rattrapage au cours des années . Une fois de plus, le rapporteur spécial indique que des efforts de valorisation doivent avant tout porter sur le salaire des enseignants débutants . En effet, les enseignants français commencent et terminent leur carrière avec un salaire inférieur à la moyenne de l'UE, mais c'est après dix et quinze ans d'ancienneté que l'écart avec la moyenne des pays européens atteint près de 10 000 dollars annuels . Le salaire statutaire en fin de carrière des enseignants du primaire en France est supérieur de 76 % au salaire statutaire des enseignants en début de carrière, la moyenne OCDE étant de 66 %.
L'ampleur des écarts doit être soulignée : selon l'OCDE 10 ( * ) , le salaire statutaire des enseignants du primaire et du secondaire après dix ou quinze ans de service est inférieur d'au moins 15 % à la moyenne de l'OCDE . Par comparaison, l'écart avec la moyenne de l'OCDE se situe entre 4 % et 9 % selon le niveau en tout début de carrière.
L'enquête PISA 2012 établit une corrélation positive entre le niveau de salaire des enseignants et la performance globale des élèves . Les pays ayant les scores moyens les plus élevés sont également ceux où ils sont les plus hauts, c'est-à-dire sont supérieurs à 115 % du produit intérieur brut (PIB) par tête. C'est notamment le cas du Japon, de la Nouvelle-Zélande, des Pays-Bas et de la Belgique, pour lesquels les salaires des enseignants représentent en moyenne 135 % du PIB par tête. À l'inverse, la France ne dépense que 105 % du PIB par tête , soit un niveau de dépense proche des États-Unis (100 % du PIB par tête).
Le rapport annuel de l'agence européenne Eurydice 11 ( * ) montre que, en France, entre 2014 et 2019, les salaires statutaires bruts des enseignants en début de carrière ont augmenté de 2,3 % en euros constants pour les professeurs des écoles et 3,2 % pour les professeurs certifiés. Cette augmentation est inférieure à celle observée ailleurs en Europe. Le revenu du travail des enseignants débutants a augmenté de 19 % en Irlande, de 20 % en Suède et de 7 % en Allemagne.
b) Un temps de service des enseignants français dans la moyenne européenne
Les enseignants en France passent davantage de temps à enseigner devant les élèves que leurs collègues dans les pays européens en moyenne et en Allemagne en particulier.
Le temps d'enseignement réglementaire dans l'élémentaire est de 900 heures par an en France, 738 heures en moyenne dans l'UE et 691 heures en Allemagne.
Au collège, il est de 720 heures en France, 660 heures dans l'UE et 641 heures en Allemagne ; au lycée, le temps d'enseignement est de 720 heures en France, 629 heures en moyenne UE-23 et 610 heures en Allemagne.
Temps de travail des enseignants
(en heures par an)
Source : DEPP
Dans le second degré , aucun volume d'heures de présence en établissement n'est défini pour les certifiés en France, en dehors du temps d'enseignement. En Europe, les situations sont très variables selon le pays et dépendent souvent du degré de décentralisation du pays.
Ainsi, l'Angleterre ne définit par les textes nationaux qu'un temps de travail statutaire total, l'Italie n'a pas de réglementation centrale sur le temps d'enseignement, l'Estonie ne définit que le temps d'enseignement statutaire et le temps de travail statutaire, alors que le Portugal réglemente les trois composantes du temps de travail.
En Allemagne, aucun temps de présence en école ou établissement n'est imposé aux enseignants par les autorités fédérales en dehors du temps statutaires d'enseignement : ceci relève de l'autonomie des régions.
En conséquence, en intégrant les heures effectuées hors de l'établissement, les enseignants français travaillent un peu moins que la moyenne de l'UE (38,2 heures par semaine contre 39 heures).
Comparaison du temps de travail des enseignants européens
(en heures par semaine)
Source : commission des finances d'après les données Eurydice
3. Les rémunérations des enseignants largement inférieures aux salaires pratiqués dans le secteur privé
Au-delà des comparaisons internationales, la faiblesse de l'attractivité des carrières enseignantes se mesure également par comparaison avec le secteur privé, à niveau de formation équivalente.
D'après l'OCDE, les salaires effectifs moyens des enseignants aux niveaux d'enseignement primaire et secondaire général représentent entre 81 % et 96 % des revenus des travailleurs diplômés de l'enseignement tertiaire en moyenne dans les pays et économies de l'OCDE. En France, cette proportion varie de 78 % dans l'enseignement primaire, à 99 % dans l'enseignement secondaire général .
Les salaires effectifs des enseignants français sont donc en deçà du revenu du travail des actifs ayant atteint au moins le niveau licence . Plus précisément, les salaires des professeurs sont inférieurs à celui des actifs du privé de 21 % dans le préélémentaire, 23 % dans l'élémentaire et 12 % au collège. En revanche, les enseignants en lycée ont un niveau de salaire effectif proche de celui de la population totale des actifs, ce qui est notamment dû au poids des professeurs agrégés.
Ce n'est pas le cas dans d'autres pays européens, et en particulier en Allemagne ou en Belgique, pour lesquels les rémunérations des enseignants, s'agissant du second cycle du secondaire, sont supérieures à celle de l'ensemble des actifs.
Salaires effectifs moyens bruts des enseignants par niveau d'enseignement, rapportés aux revenus des actifs travaillant diplômés de l'enseignement supérieur en 2016/2017
Source : OCDE, Regard sur l'éducation 2019
Selon l'OCDE en 2021, les salaires réels moyens des enseignants au cours de l'année scolaire 2019-2020 sont restés inférieurs à ceux des travailleurs diplômés de l'enseignement supérieur dans presque tous les pays, et à chaque niveau inférieur au deuxième cycle de l'enseignement secondaire.
4. Un renforcement de l'attractivité de la profession qui doit également passer par l'amélioration du climat disciplinaire
Les mesures salariales ne peuvent cependant constituer la seule réponse à la perte d'attractivité du métier d'enseignant.
Celle-ci doit notamment passer par une attention renforcée au climat scolaire, laquelle doit passer par une prise en compte accrue des enjeux disciplinaires. L'enquête PISA réalisée par l'OCDE indique que l a France est parmi les pays européens où les problèmes disciplinaires se font le plus sentir 12 ( * ) .
L'Argentine et le Brésil sont les seuls pays où l'indice du climat de discipline est inférieur à la moyenne observée en France. Un élève français sur deux déclare qu'il y a du bruit et du désordre dans la plupart ou dans tous les cours, contre un sur trois en moyenne dans l'OCDE . Plus de deux élèves sur cinq déclarent en France que le temps d'apprentissage est réduit en raison du bruit (seulement un sur quatre en moyenne dans les pays de l'OCDE).
Indice de climat disciplinaire dans l'OCDE
Source : Éric Charbonnier d'après PISA 2018.
Au-delà des questions disciplinaires, il est crucial de s'interroger sur la perte d'attractivité du métier d'enseignant. Près d'un quart des enseignants (24 % des professeurs des écoles et 25 % des enseignants en collège) se demandent s'ils n'auraient pas dû prendre une autre voie professionnelle 13 ( * ) . Environ 40 % des enseignants du second degré aimeraient travailler dans un autre établissement que le leur. En revanche, et c'est là une donnée dont se félicite le rapporteur spécial, la quasi-totalité des enseignants rapportent avoir de bonnes relations avec leurs élèves.
Part de satisfaction des enseignants européens vis-à-vis de leur métier
(en %)
Source : DEPP, note d'information 20.11
Le rapporteur spécial prend note de la constitution d'un observatoire de la rémunération et du bien-être qui vient d'être lancé par le ministère et sera attentif aux solutions qui y seront proposées.
Dans cette logique, le Grenelle de l'éducation a également permis de mettre en avant les lacunes de la politique sociale du ministère de l'éducation nationale. L'accompagnement social et culturel des professeurs est actuellement extrêmement lacunaire, et ne représente que 40 millions d'euros par an. À titre de comparaison, le ministère des armées consacre cinq fois plus de moyens à l'accompagnement social de ses agents. Pour y remédier, une offre de prestations culturelles et de loisirs à destination de tous les personnels du ministère doit être développée pour 2022 . Un budget supplémentaire de 5 millions d'euros figure dans le présent PLF pour l'amélioration de l'accès au logement et au développement de l'offre de prestations culturelles, sociales, sportives, touristiques et de loisirs à destination de tous les personnels du ministère.
III. LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
* 6 Réagir face à la chute du niveau en mathématiques : pour une revalorisation du métier d'enseignant, fait au nom de la commission des finances, juin 2021.
* 7 État de l'école 2020, DEPP.
* 8 Bilan social du ministère de l'éducation nationale 2017-2018.
* 9 Idem.
* 10 OCDE, Regards sur l'éducation 2021.
* 11 Teachers' and School Heads' Salaries and Allowances in Europe - 2019-2020, Eurydice, octobre 2021.
* 12 Intervention de Éric Charbonnier, direction de l'éducation et des compétences de l'OCDE, Actes du colloque « La formation des professeurs des écoles, un enjeu majeur pour le XXIe siècle » organisé par la fondation Res Publica , mai 2021.
* 13 Bien-être des enseignants : que nous apprennent les données de la DEPP ? DEPP, juin 2021.