N° 245
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er décembre 2021
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires économiques (1) sur la proposition de résolution européenne au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur l' inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables ,
Par M. Daniel GREMILLET,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mmes Martine Berthet, Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Marie Evrard, Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .
Voir les numéros :
Sénat : |
214 et 246 (2021-2022) |
L'ESSENTIEL
Mercredi 1 er décembre 2021, la commission des affaires économiques a adopté la proposition de résolution , présentée par les sénateurs Daniel Gremillet (Les Républicains - Vosges), Claude Kern (Union Centriste - Bas-Rhin) et Pierre Laurent (Communiste, républicain, citoyen et écologiste - Paris), sur l'inclusion de l'énergie nucléaire dans la taxonomie européenne sur les investissements durables .
I. QU'EST-CE QUE LA TAXONOMIE VERTE ?
La « taxonomie verte » consiste en une classification des activités économiques au regard de leur impact environnemental, notamment en matière d'atténuation du changement climatique ou d'adaptation à ses effets, afin de faciliter le financement des plus vertueuses d'entre elles.
Ses objectifs sont doubles pour les investisseurs : d'une part, il s'agit de faciliter et de développer leurs investissements nécessaires à l'atteinte de l'objectif de neutralité carbone d'ici à 2050, issu de l'Accord de Paris de 2015, de la loi « Énergie-Climat » de 2019, et de la « Loi européenne sur le climat » de 2021 ; d'autre part, l'enjeu est aussi d'accroître l'information sur la performance environnementale des entreprises, pour renforcer la transparence des marchés et de lutter contre l'éco-blanchiment.
La taxonomie est issue du règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020.
Elle poursuit 6 objectifs environnementaux : l'atténuation du changement climatique ; l'adaptation au changement climatique ; l'utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines ; la transition vers une économie circulaire ; la prévention et la réduction des pollutions ; la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.
Elle prévoit 3 catégories d'activités économiques : pour être qualifiées de durables, ces activités doivent poursuivre au moins l'un des 6 objectifs environnementaux et ne causer aucun préjudice aux autres (principe « Do No Significant Harm » - DNSH) ; à défaut, elles peuvent être qualifiées de transitoires - si aucune solution de remplacement n'existe - ou d'habilitantes - si elles permettent à d'autres activités de poursuivre ces objectifs.
La taxonomie emporte 3 conséquences majeures :
• Tout d'abord, elle vise à renforcer les règles de transparence financière. Les acteurs des marchés et les entreprises de plus de 500 salariés devront rendre compte de leur contribution à l'atteinte des objectifs environnementaux. Les produits financiers devront afficher la part des investissements réalisés dans des activités durables, habilitantes ou transitoires. Les déclarations de performance non financière devront préciser les parts des dépenses d'investissement ou de fonctionnement associées aux activités durables. Les autres acteurs économiques seront incités à le faire volontairement.
• Plus encore , la taxonomie entend réorienter les investissements économiques. En uniformisant les critères de durabilité des produits financiers et des obligations d'entreprise, elle facilitera les comparaisons et accroîtra la transparence. Dans le même temps, la taxonomie contribuera à lutter contre l'éco-blanchiment, c'est-à-dire la mise à disposition de produits ou d'obligations indument présentés comme durables. Ce cadre permettra de lever tout obstacle aux levées de fond pour les activités durables et de flécher les investissements vers de telles activités.
• Enfin, la taxonomie ambitionne de servir de point d'appui aux politiques publiques. Tout d'abord, les États membres et l'Union européenne devront appliquer ses critères dans les exigences imposées aux produits financiers ou aux obligations d'entreprise (mesures, normes ou labels). Par ailleurs, la taxonomie sera utilisée dans les futures politiques de l'Union européenne, en matière de finance durable et au-delà. Preuve de son importance, selon le règlement du 18 juin 2020, la taxonomie « pourrait servir de référence au futur droit de l'Union visant à faciliter la réorientation des investissements vers des activités économiques durables » et « pourrait également servir de base à d'autres mesures économiques et réglementaires » .
II. OÙ EN SONT LES NÉGOCIATIONS SUR L'INCLUSION DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE DANS LA TAXONOMIE VERTE ?
Le règlement du 18 juin 2020 prévoit que la Commission européenne , après avis d'un groupe d'experts techniques, adopte un acte délégué pour fixer les critères permettant de déterminer si une activité contribue à l'atténuation du changement climatique et si elle cause un préjudice aux autres objectifs environnementaux.
Si un premier acte délégué a été pris le 4 juin 2021, il est muet sur l'énergie nucléaire.
Un premier rapport , du groupe d'experts techniques (GET), publié en mars 2020, n'a pas recommandé l'inscription de l'énergie nucléaire.
Il préconisait plutôt qu' « un travail technique d'ampleur soit entrepris sur les aspects DNSH de l'énergie nucléaire dans le futur par un groupe ayant une expertise technique approfondie sur le cycle de vie des technologies nucléaires et les impacts environnementaux existants ou potentiels » .
Sur cette base, un second rapport , du Centre commun de recherche (CCR), publié en mars 2021 1 ( * ) , a proposé l'intégration de l'énergie nucléaire à la taxonomie.
Il concluait ainsi qu' « aucune preuve scientifique [ne vient affirmer] que l'énergie nucléaire est plus dommageable pour la santé humaine ou l'environnement que d'autres technologies de production d'électricité déjà incluses dans la taxonomie » .
Conformément au rapport du CCR , la Commission européenne s'est engagée à intégrer l'énergie nucléaire dans la taxonomie verte.
Dans sa communication du 21 avril 2021, réitérée le 13 octobre dernier, elle a indiqué présenter un acte délégué complémentaire couvrant les secteurs ne l'étant pas encore, dont l'énergie nucléaire. Elle a aussi évoqué le gaz naturel comme activité transitoire.
Par ailleurs, plusieurs autorités européennes se sont personnellement exprimées.
• Le commissaire au commerce, Valdis Dombrovskis, a déclaré, en marge d'une réunion de l'Eurogroupe, début octobre, l'intérêt de reconnaître l'énergie nucléaire comme une source d'énergie bas-carbone.
• À l'issue du sommet européen des 21 et 22 octobre 2021, la présidente de la commission européenne, Ursula Van der Leyen, a de son côté évoqué le besoin de l'énergie nucléaire comme source stable, et du gaz naturel à titre transitoire.
• Le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, a fait part devant la commission des affaires européennes, le 28 octobre 2021, d'un compromis possible consistant à intégrer l'énergie nucléaire et le gaz naturel comme des activités transitoires.
Pour autant, l'inclusion de l'énergie nucléaire oppose deux groupes d'États membres .
Le premier groupe, conduit par la France, soutient cette inclusion.
Le Président de la République française et les chefs de Gouvernement de six États membres 2 ( * ) ont adressé une lettre à la Commission européenne en ce sens, le 19 mars 2021.
Dans une tribune, publiée le 10 octobre 2021, le ministre chargé de l'économie et la ministre déléguée chargée de l'industrie, ainsi que leurs 14 homologues de 9 autres pays européens 3 ( * ) , ont réaffirmé cette position.
Le second groupe, animé par l'Allemagne, rejette cette inclusion.
Dans une lettre adressée à la Commission européenne, le 30 juin 2021, les ministres de l'environnement de cinq États membres 4 ( * ) ont plaidé pour laisser la taxonomie inchangée.
À l'occasion de la COP26 de Glasgow, le 11 novembre 2021, les ministres de l'environnement de cinq États membres 5 ( * ) ont réaffirmé cette position.
À ce stade, l'acte délégué complémentaire est en attente : il pourrait être pris très prochainement, dans la mesure où la taxonomie doit entrer en vigueur le 1 er janvier 2022.
III. POURQUOI INTÉGRER L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE DANS LA TAXONOMIE VERTE ? 5 ARGUMENTS
Dans ce contexte très incertain, le rapporteur estime que 5 arguments plaident résolument en faveur de l'inclusion de l'énergie nucléaire dans la taxonomie verte.
1. L'énergie nucléaire est un levier fondamental de décarbonation, reconnu aux échelons européen et international
En Europe, l'atteinte de la neutralité climatique suppose de réduire de 55 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici à 2030, conformément à la « Loi européenne sur le climat » de 2021, et de multiplier par 2 la production d'électricité d'ici à 2050, selon le commissaire au marché intérieur : l'énergie nucléaire est donc indispensable . Elle est d'ailleurs soutenue par le traité Euratom , de 1957, et dans le cadre du 9 e programme-cadre d'Euratom, à hauteur de 1,4 Md€ sur 5 ans, selon la représentation permanente de la France.
Plus encore, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) , dans son rapport spécial Réchauffement planétaire à 1,5 °C , du 6 octobre 2018, a inclus « l'énergie nucléaire » , aux côtés des « énergies renouvelables » et du « captage et stockage du CO 2 » parmi ses options d'atténuation et de développement durable.
Enfin, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) , dans son rapport Science et technologie nucléaires dans l'adaptation au changement climatique , du 10 novembre 2021, a plaidé pour « contribuer aux efforts d'adaptation au changement climatique à travers la recherche et la coopération technique dans les science et technologie nucléaires » .
2. Le choix de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique relève de la seule compétence des États membres
L'article 194 , paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) reconnaît en effet que les mesures prises dans le domaine de l'énergie ne doivent pas porter atteinte au droit des États membres de déterminer les conditions d'exploitation de leurs ressources énergétiques, leur choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de leur approvisionnement énergétique .
Ce droit a été rappelé par le Conseil européen, dans la Stratégie de développement à long terme à faibles émissions de gaz à effet de serre notifiée aux Nations Unies en 2020, où il a précisé que « certains États membres ont indiqué qu'ils utilisaient l'énergie nucléaire comme part de leur mix énergétique ».
Dans ce contexte, la France a fait le choix de promouvoir l'énergie et l'hydrogène nucléaires : l'article L. 100-4 du code de l'énergie, tel que fixé par la loi « Transition énergétique » de 2015, et la loi « Énergie-Climat » de 2019, prévoit 50 % d'énergie nucléaire d'ici à 2035 (5°) et entre 20 et 40 % d'hydrogène bas-carbone ou renouvelable dans les consommations totale et industrielle à l'horizon 2030 (10°).
Outre la France, l'énergie nucléaire est répandue à l'échelle européenne , avec 106,31 gigawatts (GW) de capacités installées et 6,49 GW de capacités en construction selon l'AIE ; près la moitié des États membres disposent de réacteurs de 2 ème génération 6 ( * ) et un nombre significatif sont engagés dans la construction de réacteurs de 3 ème génération 7 ( * ) .
3. L'énergie nucléaire présente des bénéfices environnementaux et économiques avérés
C'est une énergie peu émissive : elle n'émet en moyenne que 6 grammes de CO 2 par kilowattheure (kWh) en France, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), et 12 grammes de CO 2 / kWh dans le monde, pour le GIEC.
Outre les émissions de CO 2 , l'énergie nucléaire présente d'autres bénéfices environnementaux : ainsi, selon le rapport du CCR, son occupation des sols est inférieure aux énergies solaire ou éolienne et ses émissions de polluants 8 ( * ) comparables ou inférieures.
C'est un pilier de notre sécurité d'approvisionnement . La France dispose d'un parc de 56 réacteurs, soit une puissance installée de 62 GW et une production de 335 térawattheures (TWh) en 2020 ; cela représente 67 % de notre production d'énergie et 39 % de notre consommation d'énergie, selon Réseau de transport d'électricité (RTE).
C'est un atout pour notre compétitivité économique . La France exporte son électricité à hauteur de 44,8 TWh ; les ménages et les entreprises bénéficient, en outre, d'un coût de l'électricité inférieur de respectivement 13 et 17 % aux autres pays européens, selon le ministère de la transition écologique (MTE).
Enfin, l'énergie nucléaire est porteuse d'externalités positives dans nos territoires . Elle constitue, en définitive, la 3 ème filière industrielle française avec 2 600 entreprises, 200 000 emplois et 50 Md€ de recettes, selon le MTE.
4. Les risques posés par l'énergie nucléaire sur le plan de la sûreté des installations ou de la gestion des déchets sont encadrés
Si certains opposants à l'intégration de l'énergie nucléaire à la taxonomie, évoquent, au titre de son impact environnemental, les enjeux de la sûreté des installations et de la gestion des déchets, la commission des affaires économiques rappelle que ces enjeux sont strictement régulés en Europe , cette régulation devant garantir in fine une totale maîtrise des risques.
L'exploitation des installations nucléaires est contrôlée . La directive 2009/71/Euratom du Conseil du 25 juin 2009 impose aux États membres de créer une autorité de règlementation indépendante. Conformément à cette directive, la loi « TSN », 2006, soumet les installations et activités nucléaires au contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Le recyclage des combustibles usés et le stockage des déchets nucléaires sont, eux aussi, encadrés . La directive 2011/70/Euratom du Conseil du 19 juillet 2011 impose aux États membres de se doter d'un programme national de gestion des déchets radioactifs et du combustible usé. Conformément à cette directive, la loi « de programme relative à la gestion durable », de 2006, prévoit un plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) et confie la gestion des déchets nucléaires à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).
Le « mono-recyclage » des combustibles usés permet de séparer les matières valorisables des déchets nucléaires, et de créer un nouveau combustible - à base de plutonium (MOX) ou d'uranium (URE) - utilisé dans 22 réacteurs dans le 1 er cas et 2 dans le 2 nd , selon le MTE.
De plus, 90 % des déchets disposent en France d'une « filière de gestion ultime » : les déchets à très faible activité (TFA) et à faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) sont stockés au Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (CIRES) ou au Centre de stockage de l'Aube (CSA), tandis que les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) et les déchets à haute activité (HA) rejoindront le Centre industriel de stockage géologique pour les déchets (Cigéo), selon l'ANDRA.
Enfin, l'énergie nucléaire est l'objet d'un effort de recherche et de développement (R&D) . Bien que fortement affecté par l'abandon par le Gouvernement du projet Astrid en 2019, un tel effort existe en France en direction de la « fermeture du cycle du combustible », pour passer du « mono-recyclage » ou « multi-recyclage » des combustibles usés et des réacteurs de 3 ème génération à ceux de 4 ème génération.
Dans son rapport précité, le CCR a rappelé l'intérêt de pratiques rigoureuses d'exploitation, du stockage géologique des déchets et de l'effort de R&D pour maximiser le recyclage des combustibles usés et réduire la radiotoxicité des déchets.
5. Les besoins de financement de l'énergie nucléaire sont élevés au regard des investissements prévus notamment en France
La commission des affaires économiques plaide depuis longtemps pour un « retour en grâce » de l'énergie nucléaire . Elle a reporté de dix ans la réduction à 50 % de la part de l'énergie nucléaire, dans loi « Énergie-Climat », de 2019, et a conditionné toute fermeture de réacteur nucléaire à une étude d'impact sur le plan de la sûreté nucléaire, de la sécurité d'approvisionnement et des émissions de GES, dans la loi « Climat et résilience », de 2021. De plus, le Sénat a adopté, le 23 mars 2021, la résolution présentée par le président Bruno Retailleau, la présidente Sophie Primas et le rapporteur Daniel Gremillet, et cosignée par le président Jean-François Rapin « invitant le Gouvernement à [...] préserver la prédominance du nucléaire au sein de notre mix énergétique ».
La commission constate que l'étude Futurs énergétiques 2050 , de Réseau de transport d'électricité (RTE), propose des investissements en matière nucléaire . Dans cette étude, RTE a identifié les 2 défis auxquels la France est confrontée d'ici à 2050 : l'électrification de 15 à 60 % des usages ; le renouvellement du parc existant, avec un « effet falaise » dès 2040. Pour y faire face, RTE propose notamment un scénario à 50 % d'énergie nucléaire : il nécessite a minima la construction de 14 réacteurs pressurisés européens ( European Pressurized Reactors - EPR) et de 4 GW de petits réacteurs modulaires ( Small Modular Reactors - SMR) et un effort R&D en faveur de la « fermeture du cycle de combustible ».
Dans ce contexte, le Président de la République a opéré un virage complet dans la politique énergétique conduite, en annonçant l'allocation d'1 Md€ à l'énergie nucléaire, en octobre, et la construction de nouveaux réacteurs , en novembre. Si ces annonces doivent être précisées, de lourds investissements sont donc à prévoir, le MTE ayant évalué le « Grand Carénage » à 45 Md€ et le provisionnement pour démantèlement à 110 Md€, et le groupe EDF la construction de trois paires d'EPR à 46 Md€.
Or, si la majeure partie du financement de l'énergie nucléaire est publique, la portion privée sera conditionnée à la taxonomie . Faute d'être intégrée, l'énergie nucléaire pourrait ainsi être pénalisée par le truchement des produits financiers, des obligations d'entreprise ou des crédits export. À plus long terme, elle pourrait l'être par celui des écolabels voire des obligations vertes ou des aides d'État, selon l'importance que prendra la taxonomie dans la stratégie de l'Union européenne en matière de finance durable, et au-delà.
IV. LA POSITION DE LA COMMISSION : POUR UNE INCLUSION DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE DANS LA TAXONOMIE VERTE, PRÉALABLE INDISPENSABLE À TOUT PROGRAMME D'INVESTISSEMENTS
Issue d'une initiative transpartisane, la proposition de résolution propose :
• d' inclure l'énergie nucléaire dans la taxonomie , en veillant à reconnaître les activités économiques liées à la construction ou à l'exploitation d'installations de production d'électricité à partir de cette énergie en tant qu'activités durables ;
• de maintenir une neutralité technologique entre l'hydrogène issu de l'énergie nucléaire et celui issu des énergies renouvelables ;
• de ne pas soumettre les activités économiques liées à la construction ou à l'exploitation d'installations de production d'électricité à partir de l'énergie nucléaire à des obligations d'information autres que celles applicables à toute activité durable ;
• d' adopter l'acte délégué avant le 31 décembre 2021 , afin d'entrer en vigueur de manière concomitante avec les autres dispositions de la taxonomie.
La commission des affaires économiques a adopté sans modification la proposition de résolution, examinée la semaine précédente par la commission des affaires européennes , rappelant qu'il s'agit d'un travail sénatorial commun.
Elle estime justifiée l'intégration de l'énergie nucléaire à la taxonomie verte , et le classement de la production d'électricité induite comme une activité durable.
Pour rappel, pour être qualifiée de durable, une activité économique doit poursuivre l'un des 6 objectifs environnementaux de la taxonomie et ne pas porter préjudice aux autres (principe « DNSH »).
Or, l'énergie nucléaire s'inscrit bien dans l'objectif d'atténuation climatique , compte tenu de ses très faibles émissions de GES.
Par ailleurs, le rapport du CCR a conclu que l'énergie nucléaire ne porte pas préjudice aux autres objectifs environnementaux, respectant ainsi le principe « DNSH ».
Selon lui, « la mise en oeuvre de mesures spécifiques, telles que la sélection des sites, la conception et la construction appropriée des installations, de même que des pratiques rigoureuses d'exploitation et de gestion des déchets, doivent permettre que les impacts potentiels sur la santé humaine et l'environnement restent dans les limites établies ».
À l'heure où la France et d'autres pays européens ont fait part de leur intention d'investir dans l'énergie nucléaire, la commission rappelle que le choix des mix énergétiques relève de la compétence souveraine des États membres.
C'est pourquoi il est impératif de garantir une totale neutralité technologique à l'égard de l'énergie et de l'hydrogène nucléaires. À cette condition , l'énergie nucléaire pourra être pleinement mobilisée au service de la neutralité climatique d'ici à 2050, découlant de nos engagements supranationaux. C'est fondamental car la décarbonation de notre économie est tout autant une obligation juridique qu'une exigence morale.
* 1 Ce rapport a fait l'objet de deux avis, du Comité scientifique des risques sanitaires, environnementaux et émergents (CSRSEE) et du Groupe d'experts de l'article 31 du traité de la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom), en juin 2021.
* 2 Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
* 3 Bulgarie, Croatie, Finlande, Hongrie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
* 4 Allemagne, Autriche, Danemark, Luxembourg et Espagne.
* 5 Allemagne, Autriche, Danemark, Luxembourg et Portugal.
* 6 France, Allemagne, Espagne, Suède, Belgique, République tchèque, Finlande, Bulgarie, Hongrie, Slovaquie, Roumanie, Slovénie, Pays-Bas.
* 7 France, Finlande, Slovaquie, Pologne.
* 8 Oxydes d'azote, dioxyde de soufre, particules fines ou composés organiques volatiles non-méthaniques, potentiels d'acidification ou d'eutrophisation, éco-toxicité sur l'eau douce ou la mer, effet sur la couche d'ozone ou potentiel de création d'oxydants photochimiques.