B. UN ENSEMBLE PEU COHÉRENT DE MESURES CONCERNANT LE PARTAGE DE LA VALEUR ET LES SALAIRES

1. La prime de partage de la valeur, un intitulé impropre, une communication déceptive

Depuis 2019, plusieurs « primes exceptionnelles de pouvoir d'achat » (PEPA) se sont succédé afin de permettre aux employeurs de verser jusqu'à 1 000 euros - voire 2 000 euros sous certaines conditions - à leurs employés dont la rémunération est inférieure à 3 SMIC en franchise d'impôt et de cotisations et contributions sociales.

En pratique, cette prime concerne environ 5 millions d'employés chaque année, soit un actif sur cinq et un tiers des salariés éligibles. En 2021, ceux-ci ont perçu en moyenne 542 euros à ce titre, seuls 5 % ayant bénéficié du montant plafond de 2 000 euros.

Distribution des primes exceptionnelles de pouvoir d'achat
entre 2019 et 2022

Année

Montant de PEPA versé

Nombre d'établissements ayant versé une PEPA

Nombre de bénéficiaires d'une PEPA

Montant moyen de PEPA par bénéficiaire

2019

2,26 Mds euros

470 158

4 907 813

461 euros

2020

3,21 Mds euros

585 806

5 214 619

616 euros

2021 / 2022

2,83 Mds euros

577 527

5 184 752

545 euros

Total

8,30 Mds euros

-

-

542 euros

Source : Étude d'impact

L'article 1 er propose de créer une nouvelle prime , dans la lignée des précédentes PEPA mais renommée « prime de partage de la valeur », avec trois principales innovations :

- un triplement des plafonds , qui passeront à 3 000 euros dans le régime normal et à 6 000 euros pour les entreprises ayant mis en place un plan d'intéressement ;

- la faculté de verser la prime aux employés rémunérés au-delà de 3 SMIC , ceux-ci étant toutefois soumis à l'impôt sur le revenu, à la CSG, à la CRDS et au forfait social dans les mêmes conditions que l'intéressement ;

- et la pérennisation du dispositif , avec cependant la soumission dès 2024 de l'ensemble des bénéficiaires au régime fiscal des personnes rémunérées au-delà de 3 SMIC.

Si cette mesure peut objectivement donner un « coup de pouce » aux salariés qui bénéficieront de la prime en offrant un cadre très simple à leurs employeurs, elle donne lieu à une communication trompeuse de la part du Gouvernement qui risque de créer de la déception . En particulier, le soi-disant « triplement » de la prime ne concerne que des plafonds rarement atteints et non le montant concrètement versé aux salariés. De plus, la pérennisation de la prime accroît le risque que celle-ci finisse par se substituer en tout ou partie à des augmentations de salaire ou au versement de l'intéressement , qui restent objectivement plus profitables aux personnes qui travaillent.

C'est pourquoi la commission a validé le dispositif tout en le modifiant sur plusieurs points afin de le recentrer sur son objet principal : apporter une réponse immédiate aux difficultés de pouvoir d'achat des salariés.

Ainsi, elle n'a donné un caractère pérenne à la prime qu'aux seules entreprises de moins de cinquante salariés , pour lesquelles elle peut objectivement offrir une alternative à l'intéressement, qu'elles n'utilisent que très peu.

De plus, elle a limité à quatre versements le fractionnement possible de la prime en cours d'année pour éviter qu'elle ne remplace les augmentations de salaire.

Enfin, elle a souhaité que le rapport d'évaluation dresse un bilan précis du phénomène de substitution de la prime à d'autres éléments de rémunération afin que le Parlement puisse mieux apprécier son efficacité réelle.

En conséquence de ces modifications, la commission a rebaptisé la prime en « prime de pouvoir d'achat » , dénomination plus conforme à son objet.

2. L'assouplissement de l'intéressement, des ajustements bienvenus aux effets très indirects

L'article 3 propose d'ajuster les règles d' intéressement en entreprise pour favoriser son développement, en particulier dans les petites et moyennes entreprises. Il prévoit d'étendre de trois à cinq ans la durée maximale des accords d'intéressement , afin de donner plus de marges de manoeuvre aux entreprises pour fixer une durée adaptée à leurs besoins.

Cet article entend également donner la possibilité aux employeurs des entreprises de moins de cinquante salariés d'instituer, sous conditions, un accord d'intéressement par décision unilatérale . Cette possibilité, déjà prévue pour les entreprises de moins de 11 salariés, permettrait de développer l'intéressement dans des entreprises où la négociation collective est peu structurée.

Part des salariés ayant accès à un dispositif d'intéressement
selon la taille de l'entreprise

Source : Données de la Dares, pour l'année 2020.

Il est également proposé de simplifier les procédures de contrôle sur les accords d'intéressement en supprimant le contrôle exercé par les services du ministère du travail au profit des seuls organismes de recouvrement, ce qui raccourcirait les délais d'au moins un mois.

La commission a considéré que ces mesures paramétriques étaient bienvenues pour faciliter le déploiement de l'intéressement même si elles ne permettront pas à elle seules d'assurer son développement dans les petites entreprises et qu'elles n'auront pas d'effet immédiat sur le pouvoir d'achat des salariés. Elle a adopté un amendement du rapporteur fixant à quatre mois la durée maximale de la procédure d'agrément des accords de branche d'intéressement , de participation ou instaurant un plan d'épargne salariale. Le délai, aujourd'hui fixé par décret à six mois sans que la loi ne fixe de limite, apparait trop long. L'article 3 prévoyant de raccourcir les délais des contrôles exercés sur les accords d'entreprise relatifs à l'intéressement et à la participation, il convient de réduire également le délai d'agrément des accords de branche.

3. Des réponses inadaptées à la problématique des bas salaires

Au 1 er août, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) connaîtra sa quatrième revalorisation en un an et aura ainsi augmenté de près de 8 % sur cette période, soit plus de 124 euros brut mensuel. Dans ce contexte, de nombreuses branches professionnelles présentent des grilles de minima salariaux dont les plus bas échelons sont dépassés par le SMIC.

Afin d'éviter un tassement des rémunérations au niveau du SMIC, l'article 4 entend inciter les partenaires sociaux à se saisir de la question de la dynamique des bas salaires par le biais du processus de restructuration des branches professionnelles . Il précise pour ce faire que le critère de la faiblesse de l'activité conventionnelle, qui peut être pris en compte par le ministre du travail pour engager une procédure de fusion de branches, peut s'apprécier en considérant le nombre d'accords assurant un salaire minimum au moins égal au SMIC.

Cette mesure ne répond pas efficacement à l'enjeu du pouvoir d'achat. La relance du chantier de la restructuration des branches est une mesure structurelle et non un outil conjoncturel. Par ailleurs, les partenaires sociaux d'une branche éprouvant des difficultés structurelles à négocier sur les salaires ne seront probablement pas sensibles à une incitation aussi indirecte. Au demeurant, cette disposition ne concernerait que des situations marginales.

Quant à la réduction à 45 jours, proposée par l'Assemblée nationale, du délai dont dispose la partie patronale pour ouvrir des négociations lorsque les minima d'une branche ont été rattrapés par le SMIC, elle n'aurait pas d'incidence dans les branches qui négocient régulièrement et risque d'amoindrir l'ambition des accords négociés. La commission a donc supprimé cet article .

Elle a en revanche prévu à l'initiative du rapporteur, dans un nouvel article 4 bis , une adaptation des délais pour l'entrée en vigueur et l'extension des avenants aux conventions collectives portant exclusivement sur les salaires , lorsqu'au moins deux revalorisations du SMIC sont intervenues au cours des douze derniers mois.

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