EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 3 août 2022, la commission a examiné le rapport de Mme Anne-Catherine Loisier et du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 814 (2021-2022) de MM. André Gattolin, Jean-François Rapin et Mme Anne-Catherine Loisier, déposée en application de l'article 73 quinquies du Règlement et adoptée par la Commission des affaires européennes, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme de l'Union pour une connectivité sécurisées pour la période 2023-2027.
Mme Sophie Primas , présidente . - Nous en venons à notre deuxième sujet de ce matin, à savoir l'examen du rapport relatif à la proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le programme de l'Union pour une connectivité sécurisée pour la période 2023-2027. La constellation européenne de connectivité sécurisée est très importante pour notre vie quotidienne. Nos rencontres avec les acteurs du secteur spatial, comme Stéphane Israël, ont révélé de réelles inquiétudes sur nos capacités à mener à bien ce projet.
Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure . - Cette proposition de résolution européenne relative à la constellation européenne de connectivité sécurisée a été déposée avec Jean-François Rapin et André Gattolin. Elle a été adoptée par la commission des affaires européennes le 21 juillet dernier.
Ce projet, ardemment défendu par le commissaire européen Thierry Breton, a pris forme depuis la présentation par la Commission européenne, en février dernier, d'une proposition de règlement européen visant à mettre sur orbite cette constellation de satellites, dans un triple objectif : premièrement, fournir un accès à internet à haut débit pour tous les Européens, afin de résorber les « zones blanches » ; deuxièmement, assurer la redondance des systèmes de communications terrestres pour mieux assurer la continuité et la résilience des télécommunications européennes, dont les infrastructures sont de plus en plus menacées - la guerre en Ukraine et la mise à disposition par SpaceX des services de connectivité de la constellation Starlink nous l'ont rappelé de façon tragique ; troisièmement, offrir à l'Union européenne des services européens, autonomes et sécurisés de télécommunications, afin de ne pas dépendre de manière critique d'infrastructures et de services spatiaux de pays tiers ou d'entités contrôlées par des pays tiers.
Je souhaiterais insister sur cinq points.
Si l'Union européenne souhaite se positionner sur le segment des constellations spatiales de connectivité, et s'affirmer dans la durée comme une puissance spatiale de premier plan, il y a urgence.
Seul le fonctionnement de quatre à cinq constellations de connectivité est aujourd'hui possible, l'orbite basse étant déjà partiellement saturée et le spectre des fréquences de radiocommunications constituant une ressource limitée et déjà utilisée.
Les nouvelles générations de constellations se développent rapidement et sont déjà partiellement opérationnelles : environ 2 700 satellites en orbite pour Starlink de SpaceX et près de 200 pour OneWeb, dont la montée en puissance se confirme, avec l'annonce récente de fusion-acquisition avec l'opérateur français de satellites Eutelsat. Autrement dit, c'est le moment ou jamais pour l'Union européenne de déployer sa propre constellation souveraine de connectivité.
Pour déployer cette constellation, la Commission européenne propose un modèle inédit de partenariat public-privé, dont le coût total est estimé à 6 milliards d'euros pour la période 2023-2027, dont 1,6 milliard d'euros seraient financés par l'Union européenne et 2 milliards d'euros par le secteur privé, le reste devant être assuré par les États membres, l'Agence spatiale européenne (ESA) et éventuellement par des États tiers participant au programme.
Si le montant exact du projet n'est pas connu, l'architecture de la constellation et le nombre de satellites nécessaires à la fourniture des services gouvernementaux essentiels n'étant pas encore définis, le montant annoncé semble plutôt faible. À titre de comparaison, le coût annoncé du déploiement de la constellation Kuiper d'Amazon est estimé entre 10 et 15 milliards d'euros.
Par ailleurs, ce montant constitue seulement un coût d'amorçage. S'ajoutent des coûts opérationnels et des coûts de maintenance - la durée de vie d'un satellite est d'environ huit ans, ce qui demande de renouveler régulièrement la flotte.
La capacité du secteur privé à investir de façon régulière dans ce projet sera donc déterminante, afin d'assurer la pérennité du modèle financier de cette constellation.
Au regard du coût estimé du déploiement et compte tenu de la vitesse à laquelle la Commission européenne souhaite mettre en oeuvre ce projet, il me semble important d'insister sur les bénéfices que pourrait apporter une telle constellation ; certains semblent les sous-estimer, en se satisfaisant par exemple de la fibre optique.
Le développement en orbite basse offre des avantages en termes de réduction des temps de latence et d'amélioration de la vitesse de connexion : cela est particulièrement important pour les usages gouvernementaux, notamment militaires, mais aussi pour les usages commerciaux, comme la chirurgie à distance, les véhicules autonomes, le guidage de précision des bateaux, les jeux en ligne ou encore le développement des objets connectés et des technologies quantiques - à ce titre, nous avons convenu, dans le cadre du groupe d'études sur le numérique, d'approfondir les enjeux liés au développement des technologies quantiques et post-quantiques.
Les avantages escomptés sont surtout importants pour les particuliers. L'objectif est de fournir à la population européenne des services satellitaires de connectivité complémentaires de ceux offerts par les réseaux terrestres de télécommunications.
Si la France est aujourd'hui le pays de l'Union européenne le plus avancé dans le déploiement de la fibre optique, cette vitesse de déploiement n'est pas toujours gage de qualité, et le raccordement d'entreprises et de particuliers dans les zones montagneuses et peu denses demeure incertain. Ce sont principalement dans ces zones que se situent les 4 000 abonnés de Starlink en France.
En outre, c'est insulter l'avenir que de penser que nous pourrions nous passer d'une constellation de satellites, à l'heure où les grandes puissances se pressent. Par exemple, alors que nous prônons plus de souveraineté numérique et que nous découvrons de nouvelles vulnérabilités liées notamment aux catastrophes naturelles, nous enterrons de moins en moins la fibre : qu'adviendrait-il si une partie du réseau aérien était rendue inopérante par des tempêtes ou des incendies ?
Nous devons donc, en particulier au Sénat, soutenir le déploiement d'une telle constellation, qui devrait permettre de répondre à des besoins grandissants de connectivité et aux carences vécues par une partie de la population européenne, notamment dans les TOM, et par nos entreprises, dans un objectif transversal de résorption des zones blanches sur nos territoires, de renforcement de la connectivité et d'une plus grande résilience de nos systèmes de télécommunications.
Toutefois, nous n'ignorons pas les conséquences de ce déploiement en matière d'encombrement de l'espace et, à terme, de prolifération des débris spatiaux.
Sur ce point, il me semble important d'oeuvrer pour un alignement des calendriers, la Commission européenne ayant récemment proposé l'élaboration de règles communes en matière de gestion du trafic spatial, dans un double objectif de limitation de la pollution spatiale et de promotion d'une concurrence équitable entre les différents opérateurs concernés.
Cette nouvelle réglementation doit être pleinement en vigueur au moment du déploiement de la constellation, afin de promouvoir, au niveau européen, un usage plus durable et plus responsable de l'espace, dans la continuité des efforts réalisés par la France lors de l'adoption de la loi sur les opérations spatiales en 2008.
Enfin, nous devons promouvoir une approche stricte de la préférence européenne.
Autrement dit, les satellites de la constellation européenne devront être déployés par des lanceurs européens depuis des bases de lancement situées sur le territoire de l'Union européenne. Il s'agit d'un enjeu primordial de soutien à nos industries et de souveraineté, pour disposer, dans la durée, d'un accès autonome à l'espace.
Affirmer la préférence européenne en matière d'infrastructures spatiales est également un moyen de soutenir le développement et l'innovation de l'industrie spatiale française et européenne, qu'il s'agisse d'acteurs historiquement établis ou des start-up du New Space .
En effet, il serait dommage que le déploiement d'infrastructures spatiales gouvernementales, financées par des fonds publics, bénéficie avant tout aux lanceurs américains et aux acteurs économiques extra-européens : c'est un enjeu de souveraineté, mais également de retour sur investissement de l'argent public, car les retombées économiques d'un tel projet devraient avant tout bénéficier aux entreprises et aux territoires de l'Union européenne.
Tous les efforts déployés permettant d'affirmer une préférence européenne en matière spatiale devraient aussi s'accompagner d'engagements et de contreparties supplémentaires de la part des entreprises spatiales européennes, afin qu'elles puissent assurer la cadence et la fluidité des lancements européens.
Mes chers collègues, tel est le résultat de nos travaux menés avec la commission des affaires européennes, qui a adopté à l'unanimité cette proposition de résolution européenne le 21 juillet dernier.
Mme Sophie Primas , présidente . - Notre commission a beaucoup travaillé sur les questions de souveraineté : vos travaux rejoignent parfaitement nos préoccupations.
M. Franck Montaugé . - Je suis très inquiet de la manière dont nous gérons l'espace. C'est la jungle. La loi du plus fort règne et une régulation manque.
Dans quel cadre de service public, sur le fondement de quel principe d'équité, de péréquation et de coût, accessible pour tous, pourrait se développer une telle constellation européenne ? Quelle est la planification prévue à l'échelle européenne ? Quel sera le rôle de la puissance publique nationale dans ce cadre européen ? Je le rappelle : nous devons préserver nos intérêts.
M. Patrick Chaize . - Je m'associe aux interrogations de M. Montaugé, notamment en ce qui concerne les déchets spatiaux, source de nombreuses difficultés futures. Cette constellation relève d'un besoin stratégique plus que d'une question de couverture. Les oubliés de la fibre constituent seulement 1 % de la population, ratio faible qui ne justifie pas les lourds investissements de la constellation. Les technologies quantiques sont cruciales : les développements d'usage exigent des capacités de transmission de données très importantes. Quel est le calendrier prévu pour mettre en place cette constellation ?
Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure . - Le domaine spatial évolue très rapidement, nous vivons une véritable course d'accès aux constellations, mais les règles manquent. Depuis 2008, la France est pionnière, et les Américains ou les porteurs de la constellation OneWeb ne semblent pas très pressés de nous voir définir des règles communes de gestion du trafic spatial. Nous aborderons plus spécifiquement cette question dès le mois de septembre prochain, au cours de la conférence européenne interparlementaire sur l'espace (EISC), avec une table-ronde dédiée à la question des débris spatiaux.
En ce qui concerne le cadrage du projet, l'objet de cette proposition de résolution européenne était de faire entendre la voix du parlement français. Très peu de parlements d'autres États européens se sont saisis du sujet.
Le déploiement de la constellation, prévu dès 2024 par la Commission européenne, repose sur un partenariat public-privé. Ce partenariat est nécessaire, car aucun État membre ne dispose isolément des ressources budgétaires nécessaires pour financer un tel projet, mais il faut l'encadrer.
Nous avons par exemple insisté sur la nécessité de proposer des services et des abonnements à des tarifs abordables. Par exemple, les contrats proposés par Starlink en France coûtent environ 100 euros par mois. Ces tarifs diminueront probablement dans le temps, mais cela reste une offre intéressante pour des entreprises privées qui ont besoin d'une connexion à Internet à très haut débit.
Pour conclure, la France et le Parlement français doivent se faire entendre sur ces sujets stratégiques.
Mme Sophie Primas , présidente . - Tout comme les industriels français.
M. Franck Montaugé . - Quel est le débit ?
Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure . - Le débit est d'environ 1 gigabit par seconde.
Nous visons un premier déploiement en 2024. Seules quatre ou cinq constellations sont viables. L'Europe, pour ne pas se faire doubler, doit agir rapidement, car des projets émergent en Chine ou en Inde. Il nous faut prendre la quatrième place, après Kuiper, Starlink et OneWeb, pour assurer la faisabilité du projet.
De plus, le planning de lancement de nos lanceurs européens est déjà très chargé. Parfois, nous nous interrogeons sur notre capacité à lancer les satellites européens dans les temps, c'est pourquoi l'affirmation de la préférence européenne doit s'accompagner de contreparties de la part des opérateurs européens.
Mme Martine Berthet . - Le lancement est-il prévu sur l'orbite basse ?
Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure . - Tout à fait, car les temps de latence y sont beaucoup plus courts.
M. Daniel Salmon . - Quel est le bilan carbone de ces constellations ? J'ai vu, une nuit, passer un train de satellites de SpaceX : la pollution lumineuse est réelle. Des travaux sont en cours pour créer des satellites moins lumineux. Nous devons éviter de polluer ce dernier espace préservé qu'est la voûte céleste. J'espère que notre constellation européenne sera exemplaire. La course frénétique du progrès doit toujours être questionnée.
Mme Sophie Primas , présidente . - Le 15 septembre au soir et le 16 septembre toute la journée, nous recevrons des délégations de plusieurs parlementaires européens qui s'intéressent à l'espace, dans le cadre de la Conférence européenne interparlementaire sur l'espace (EISC), que nous présidons cette année. Vous êtes cordialement invités.
Trois thèmes seront traités : l'autonomie stratégique européenne pour garantir un accès durable à l'espace, les start-up et le New Space et enfin la lutte contre la pollution spatiale. Nous pourrons alors examiner les actions liées au traitement des déchets ou à la pollution lumineuse.
La proposition de résolution européenne est adoptée, à l'unanimité, sans modification.