N° 560

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 mai 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants,

Par Mme Valérie BOYER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

758, 908 et T.A. 84

Sénat :

396 et 561 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

« La question du droit à l'image des enfants [est] à la confluence entre les enjeux d'exploitation commerciale, de harcèlement et de pédocriminalité »1(*). Dans de nombreux cas, ces images sont diffusées sur les réseaux sociaux par les parents eux-mêmes, dans le même élan de partage qui les poussent à exposer leur propre vie privée ou dans le but d'attirer des abonnés ou d'augmenter leur nombre de vues, sans qu'ils aient forcément conscience des conséquences pour leur enfant.

Selon une étude de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (OPEN)2(*), 53 % des parents français ont déjà partagé sur les réseaux sociaux du contenu sur leur(s) enfant(s) : 43 % ont commencé dès la naissance de l'enfant et 91 % ont commencé avant ses 5 ans.

Les auteurs de la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants, Bruno Studer3(*), Aurore Bergé, Éric Poulliat et les membres du groupe Renaissance et apparentés, entendent répondre à cette problématique en modifiant les règles du code civil relatives à l'autorité parentale, pour y intégrer le respect de la vie privée et le droit à l'image et ainsi mieux sensibiliser les parents quant à cette dimension nouvelle de l'exercice de l'autorité parentale.

À l'initiative de la rapporteure, Valérie Boyer, la commission des lois a accepté d'intégrer la notion de vie privée de l'enfant dans la définition de l'autorité parentale, tout en en rendant plus effective la protection, en soumettant la diffusion au public d'images de l'enfant à l'accord des deux parents et en permettant plus facilement à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d'agir en référé dès lors que des données à caractère personnel de mineurs sont en jeu.

I. UN CONSTAT PRÉALABLE : UNE ABSENCE DE POLITIQUE PUBLIQUE D'AMPLEUR FACE À UN DÉFI SOCIÉTAL MAJEUR

Le Parlement est actuellement saisi d'un ensemble d'initiatives ponctuelles visant la protection des mineurs dans l'univers numérique. La proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants a ainsi été adoptée par les députés de manière concomitante à une proposition de loi relative à la prévention de l'exposition excessive des enfants aux écrans4(*), à celle visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne5(*), ainsi qu'à une proposition de loi visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux6(*), qui comprend des mesures spécifiques sur les enfants.

L'ouverture du monde numérique aux enfants est un défi majeur à la fois pour les familles, mais également pour les institutions, en particulier en matière d'éducation et de santé publique.

De ce fait, la rapporteure regrette que ce sujet ne soit pas pris à bras le corps par le Gouvernement dans le cadre d'une politique publique nationale d'ampleur réunissant tous les acteurs. Les inégalités en fonction du milieu social sont très importantes en la matière ainsi que l'a rappelé la Défenseure des droits, entendue par la rapporteure. Selon l'enquête de l'association OPEN, les parents appartenant aux catégories socioprofessionnelles les plus élevées sont ainsi plus nombreux à n'avoir jamais diffusé de photos ou de vidéos de leur enfant. La réponse aux défis que pose le numérique vis-à-vis de la jeunesse ne peut être sectorielle et laissée à l'initiative de certaines bonnes volontés, mais doit être coordonnée et la même sur l'ensemble du territoire.

Dans ce cadre, tous les moyens devraient être mobilisés pour alerter les parents sur les conséquences d'une diffusion d'images, ou plus généralement de contenus, relatifs à la vie privée de leur enfant, dans l'espace numérique en raison des utilisations préjudiciables qui peuvent en être faites - harcèlement scolaire, détournement des images sur des réseaux pédocriminels, usurpation d'identité, atteinte à la réputation - et de l'impact que cela peut avoir sur la santé mentale des enfants.

Outre l'indispensable implication de l'Éducation nationale qui pourrait accentuer ses efforts de communication à destination des parents - dans le cadre du carnet de correspondance, de la « mallette des parents au numérique » ou de réunions annuelles avec les enseignants -, le carnet de santé paraît être un vecteur très efficace.

La rapporteure note que les recommandations aux parents sur le numérique n'ont pas été mises à jour depuis 2018 : le conseil de ne pas mettre de téléviseur dans la chambre des enfants semble totalement obsolète à l'heure des tablettes et des smartphones... Une réactualisation de ces informations constituerait un premier pas simple et salutaire.

Les recommandations de la rapporteure

la création d'une page dans le carnet de santé comprenant des informations sur l'exposition des écrans quels qu'ils soient, en deux volets. Un premier volet sur « la consommation » d'écrans par les enfants en fonction de leur âge. Un second volet sur le sujet de cette proposition de loi, à savoir l'exposition des enfants sur les réseaux sociaux et leur vie privée avec une référence à la loi examinée ;

l'élaboration d'un véritable programme de santé publique7(*) permettant à chaque âge, de la crèche, à la maternelle et jusqu'à la fin du lycée, d'établir des critères précis sur les acquis que les enfants doivent connaître comme les « dangers » auxquels ils sont exposés : alimentation, drogues, exposition aux écrans, harcèlement...

- l'insertion d'un livre dans le code de la santé publique consacré aux politiques de protection et de prévention à mener en matière de numérique, et notamment sur le temps d'exposition aux écrans, mais également sur la protection de la vie privée des enfants.


* 1 Exposé des motifs de la proposition de loi n° 396 (2022-2023).

* 2 Enquête réalisée en novembre 2022 auprès de 1 273 personnes (publiée en février 2023).

* 3 M. Bruno Studer, député Renaissance de la 3e circonscription du Bas-Rhin, est déjà à l'origine de deux lois concernant la protection des mineurs dans l'univers numérique : la loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne ; la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet.

* 4 Proposition de loi de Mme Caroline Janvier (Renaissance), texte n° 399 (2022-2023) transmis au Sénat le 8 mars 2023.

* 5 Proposition de loi de M. Laurent Marcangeli (Horizons), texte n° 389 (2022-2023) transmis au Sénat le 2 mars 2023.

* 6 Proposition de loi d'Arthur Delaporte (PS) et Stéphane Vojetta (Renaissance), texte n° 489 (2022-2023) transmis au Sénat le 30 mars 2023.

* 7 La rapporteure l'avait déjà demandé en matière de prévention de l'obésité dans son rapport d'information n°1131 du 30 septembre 2008 https://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i1131.asp

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