N° 587

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 mai 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne,

Par Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Lauent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mmes Nathalie Delattre, Véronique Del Fabro, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

739, 859 et T.A. 82

Sénat :

389 et 588 (2022-2023)

I. LES PROMESSES NON TENUES D'INTERNET

A. DES DANGERS CONNUS DE LONGUE DATE, MAIS ENCORE SANS SOLUTION

La commission de la culture a souligné à de nombreuses reprises les risques induits par le développement d'internet et la faiblesse de sa régulation. On peut ainsi citer les travaux de Catherine Morin-Desailly sur la proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations1(*) et la proposition de loi visant à lutter contre la haine en ligne2(*). La même auteure a fait adopter une résolution européenne à ce sujet le 30 novembre 2018 sur la responsabilité des hébergeurs3(*) qui reprend largement cette problématique.

En dépit du formidable progrès pour la connaissance, l'économie et les relations personnelles que représente internet, son évolution ces vingt dernières années a trahi en partie les promesses de ses origines. Le modèle économique des géants d'internet repose dorénavant sur la captation massive de données personnelles, monétisées sous forme de publicités de plus en plus ciblées. Les conséquences en sont nombreuses : engagés dans une course à l'attention vitale pour les entreprises, des algorithmes de plus en plus perfectionnés et de plus en plus opaques « poussent » des contenus souvent de mauvaise qualité, addictifs, dont la seule qualité est de susciter un engagement de l'internaute. Toutes les dernières campagnes électorales en ont été parasitées par des suspicions de manipulation en ligne, menées aussi bien par des opposants que des puissances étrangères hostiles.

Depuis 2018, les pouvoirs publics des différents pays ne sont pas restés immobiles, avec des tentatives de responsabilisation des plateformes et de régulation plus directe. L'Europe s'est ainsi dotée d'un ensemble législatif ambitieux, avec le Règlement 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques (dit « DSA ») et le Règlement 2022/1925 du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (dit « DMA »). Une transposition au moins partielle dans notre droit a été jugée nécessaire par le Gouvernement et devrait être examinée prochainement par le Parlement.

Pour autant, il est peu probable que le droit soit à lui seul pleinement en mesure de régler les difficultés posées par l'usage d'internet.

B. DES JEUNES PUBLICS EXPOSÉS, MAIS LONGTEMPS SOUS LES RADARS

Parmi les effets toxiques d'internet, un aspect a été longtemps passé sous silence : son impact sur les plus jeunes. De fait, internet a été assimilé à tort à un « écran » comme un autre, au même rang que la télévision ou les plateformes de streaming. Si les dommages de ces médias ne sont pas à négliger, les dernières années et singulièrement le confinement de 2020 ont mis l'accent sur la particularité de l'usage des réseaux sociaux par des publics jeunes et loin d'être conscients des conséquences de leurs pratiques.

Or l'accès des publics les plus jeunes à internet en général est devenu une tendance lourde. Une étude de la Cnil4(*) rendue publique en janvier 2021 montre ainsi que 82 % des enfants de 10 à 14 ans indiquent consulter régulièrement internet sans leurs parents, contre 95 % pour les 15-17 ans et que 70 % des enfants de tout âge indiquent regarder seuls des vidéos sur internet.

Cette précocité des usages est rendue possible par la combinaison de plusieurs facteurs dont la pondération varie d'un cas à l'autre. On peut citer pêle-mêle :

- d'une part, le comportement des parents. Ces derniers sont eux-mêmes souvent « scotchés » à leur téléphone en présence de leurs enfants, et peuvent également, sans le vouloir, pousser eux-mêmes les jeunes enfants vers les écrans, que ce soit pour obtenir un moment de calme, ou bien parfois avec un alibi pédagogique, et ce en dépit des messages d'information désormais largement diffusés dans les écoles ;

- d'autre part, l'âge venant, les enfants sont de plus en plus influencés par leurs camarades qui disposent d'un accès, surtout via un smartphone. Selon une étude de l'association e-Enfance, 46 % des enfants de 6 à 10 ans disposent déjà de leur propre smartphone ;

- enfin, les plateformes elles-mêmes proposent des contenus addictifs auxquels les enfants sont encore plus susceptibles que les adultes de succomber, sans mettre en place des mécanismes de protection adéquats pourtant rendus obligatoires par la loi5(*).

En réalité, beaucoup de parents apparaissent comme rapidement démunis face à une technologie qui évolue très vite et devient très complexe, face à des jeunes qui, à défaut de maitriser réellement l'usage de ces outils, sont parfaitement en mesure de contourner les interdictions et autres restrictions éventuellement mises en place.

C. L'EXPLOSION DE LA FRÉQUENTATION DES RÉSEAUX SOCIAUX

Les pouvoirs publics ont à plusieurs reprises montré leur préoccupation sur la question de l'accès des plus jeunes à internet.

Le débat a notamment été porté en pleine lumière par le rapport pionnier rendu public le 22 septembre 2022 consacré à l'industrie pornographique (« Porno : l'enfer du décor »), réalisé au nom de la Délégation aux droits des femmes du Sénat par la rapporteure de la proposition de loi et ses collègues Annick Billon, Laurence Cohen et Laurence Rossignol. Il consacre de larges développements à sa consommation « massive, toxique et banalisée chez les enfants et adolescents ».

Ce sujet avait été abordé à l'article 23 de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, adopté au Sénat à l'initiative de Marie Mercier, qui impose aux éditeurs de sites pornographiques la mise en place de mesures de contrôle de l'âge, jusqu'à présent sans succès cependant.

Pour autant, la dangerosité d'internet pour les plus jeunes ne se limite pas à l'exposition précoce à la pornographie.

En effet, et comme pour les adultes, les réseaux sociaux ont connu une progression fulgurante ces dernières années chez les plus jeunes. Ainsi :

ü la première inscription à un réseau social semble intervenir actuellement en moyenne vers 8 ans et demi, et plus du quart des 7-10 ans se rendent régulièrement sur les réseaux sociaux ;

ü plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans seraient présents sur au moins un réseau social ;

ü 60 % des jeunes entre 11 et 18 ans sont inscrits sur le réseau social le plus populaire du moment, TikTok. Le Sénat a d'ailleurs choisi de consacrer une commission d'enquête6(*) à l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence, qui poursuit ses travaux au moment de l'examen de la présente proposition de loi (mai 2023).

Ces chiffres extrêmement élevés sont d'autant plus surprenants que les réseaux sociaux refusent dans leurs conditions générales l'inscription d'un mineur de moins de 13 ans. Par ailleurs, l'article 45 de la loi du 6 janvier 1978 proscrit, dans le cas d'un contrat, l'utilisation des données personnelles d'un mineur de moins de 15 ans sans l'accord des titulaires de l'autorité parentale7(*).

D. QUEL IMPACT ?

Cette explosion de l'usage des réseaux sociaux, si elle peut poser des questions de principe et entrer en conflit avec d'autres activités récréatives, sportives ou pédagogiques privilégiées par les parents, entraine surtout de très sérieuses questions sur ses conséquences pour les publics les plus jeunes.

Au-delà de l'intuition qui peut saisir chaque parent devant son enfant passant des journées sur internet, il n'existe pas à ce jour, comme le note l'auteur de la proposition de loi, également rapporteur, d'étude systématique et incontestable sur l'influence des réseaux sociaux sur la santé ou le bien-être des jeunes, mais une pluralité de données raisonnablement convergentes. La seule étude longitudinale disponible mentionnée par l'auteur de la proposition de loi a été réalisée en Suède en 2021. Les chercheurs ont suivi 3 501 adolescents de 14 et 15 ans, et ont conclu des troubles mentaux plus importants chez les plus gros utilisateurs, sans pour autant déterminer si l'usage des réseaux était une cause ou un symptôme. L'article 4 de la proposition de loi formule d'ailleurs une demande de rapport au Gouvernement sur cette thématique.

On peut cependant relever dans le « faisceau d'indices » qui permettent de s'avancer sur la toxicité des réseaux sociaux pour les plus jeunes, plusieurs éléments, qui ne concernent d'ailleurs pas tous les enfants :

Ø la dépendance, générée de manière très consciente par les algorithmes des réseaux qui ont pour seul objet de « capter l'attention ». Ce constat a motivé en partie la création de la commission d'enquête du Sénat sur TikTok, connu pour son principe de fonctionnement très addictif, à tel point que la version internationale diffère de la version chinoise, nettement moins perturbante de ce point de vue ;

Ø les risques de cyber harcèlement, qui peuvent devenir harcèlement tout court. L'exposition des jeunes et l'importance de la vie numérique les rendent vulnérables, publiquement exposés, aux attaques blessantes qui restaient jusqu'à présent confinées au cadre scolaire, où elles peuvent parfois être régulées par le corps enseignant et administratif ;

Ø la possibilité de faire de « mauvaises rencontres » de prédateurs sexuels, qui savent tirer parti des réseaux sociaux pour attirer leurs victimes ;

Ø le risque pour l'estime et l'image de soi, auquel seraient plus particulièrement soumises les jeunes filles, parfois peu conscientes que les influenceuses qu'elles suivent utilisent divers filtres pour embellir leur image ;

Ø le manque d'activité physique, qui est une crainte largement associée à l'usage d'internet en général ;

Ø l'exposition à des fausses informations, des propos complotistes ou des contenus insuffisamment contextualisés, notamment avec l'internet qui a émergé avec la crise pandémique.

II. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DE LA PROPOSITION DE LOI

Déposée le 17 janvier 2023 à l'Assemblée nationale par Laurent Marcangeli, la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne a été examinée par la commission des affaires culturelles le 15 février, l'auteur de la proposition de loi étant également rapporteur, et adoptée en séance publique le 2 mars à la quasi-unanimité8(*). La rapidité de son inscription et le très large accord transpartisan que le texte a recueilli marquent le large consensus sur le constat, très préoccupant, et sur l'urgence à légiférer.

La principale disposition de la proposition de loi est contenue à son article 2, lui-même totalement réécrit en commission. Il vise à créer une forme de « majorité numérique » à 15 ans, âge à partir duquel le mineur pourrait s'inscrire de son plein gré sur un réseau social. Entre 13 ans et 14 ans, l'accord des parents serait nécessaire pour s'inscrire. Enfin, en dessous de 13 ans, le mineur pourrait s'inscrire uniquement sur certains sites labellisés à cet effet, toujours avec l'accord des parents.

Comme on a pu le voir, le cadre législatif est déjà fourni, mais jamais respecté, essentiellement pour des raisons de techniques de vérification. Comment en effet s'assurer au moment de l'inscription que l'âge donné est bien l'âge effectif ? Sur ce point buttent encore - plus ou moins volontairement - les éditeurs de sites pornographiques, toujours pas en mesure près de trois ans après l'adoption de la loi du 30 juillet 2020 de la faire respecter. L'article 2 prévoit donc la réalisation de solutions techniques élaborées conformément à un « référentiel » défini à cette fin par l'Arcom, après consultation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

L'article 1er insère dans la loi française et par anticipation la définition des réseaux sociaux contenue dans le DMA, suivant en cela l'avis du Conseil d'État.

L'article 1er bis, introduit à l'initiative de la Présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, vise à compléter la liste des domaines dans lesquels les sites internet dits « hébergeurs » ont une obligation de coopération renforcée avec les autorités publiques, notamment en incluant les délits liés au harcèlement conjugal.

L'article 1er ter, adopté en commission à l'initiative de Laurent Esquenet-Goxes, vise à contraindre les plateformes à afficher des avertissements relatifs au cyber harcèlement.

L'article 3 transpose, par anticipation, le projet de Règlement européen relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale, présenté par la Commission européenne le 18 avril 2018, et qui a fait l'objet d'un accord entre le Conseil et le Parlement européen le 23 janvier 2023. Il est destiné à faciliter les demandes d'informations auprès des plateformes dans le cadre d'une réquisition judiciaire.

Les articles 4 et 5 sont des demandes de rapports.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION

A. PEUT-ON RÉGULER LE NUMÉRIQUE ?

Sur un mode mineur, on peut déplorer la multiplication de l'examen de propositions de loi visant à réguler le numérique en particulier chez les plus jeunes, avec deux autres textes examinés en procédure accélérée au Sénat ce même mois de mai9(*) et d'autres qui pourraient suivre. Cet éclatement empêche une vision réellement cohérente d'un sujet qui mériterait pourtant une réflexion d'ensemble.

Comme souvent dans la régulation du numérique, deux obstacles se dressent :

- d'une part, une réglementation européenne très contraignante, qui encadre strictement les initiatives que peuvent envisager les États. La présente proposition de loi, si elle est adoptée, devra ainsi probablement être notifiée à la Commission européenne ;

- d'autre part, les limites techniques inhérentes. Ainsi, de nombreuses mesures adoptées dans le passé n'ont pas eu encore d'applications réellement concrètes faute de mise en oeuvre, l'exemple le plus emblématique étant la législation adoptée en 2020 à l'initiative du Sénat sur l'accessibilité de la pornographie pour les mineurs.

De ce point de vue, et en l'état actuel, la proposition de loi ne laisse pas présager en elle-même de solutions technologiques en mesure tout à la fois de s'assurer de l'âge des mineurs et de recueillir le consentement parental. Les plateformes ont toutes évoqué des hypothèses de travail et des pistes prometteuses, sans être en mesure toutefois de s'engager sur des délais.

Il est alors légitimement permis de s'interroger sur les effets réels que pourrait avoir cette proposition de loi si elle était adoptée, d'autant plus que le Gouvernement a retenu la procédure accélérée.

Trois arguments plaident cependant en faveur d'une approche favorable par le Sénat.

Tout d'abord, il n'est pas exclu que, aiguillonnées par ce texte, les plateformes finissent par élaborer des solutions. La responsabilité repose en effet sur elles, et nul ne doute de leur haut niveau technologique. En la matière, la simple incitation et les déclarations d'intention n'ont pas permis de juguler de manière visible l'usage des réseaux par les mineurs.

Ensuite, la borne des 15 ans aura le mérite de fixer une donnée pour les parents, surtout si les réseaux communiquent dessus. Pour des adultes souvent déboussolés, elle permet a minima d'attirer l'attention et d'engager un dialogue avec leurs enfants. Les réseaux, qui jusqu'à présent acceptent l'inscription à partir de 13 ans, devront en tout état de cause repousser l'âge « officiel » de deux ans.

Enfin, il faut admettre que le « 100 % » n'existe pas plus dans le domaine numérique que dans la vie réelle. Il y aura toujours la tentation de jouer avec les règles. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il faille renoncer à les édicter, avec l'espoir et la volonté politique qu'elles soient appliquées.

Dernier point, le rejet de cette proposition de loi, à l'heure où les pays du monde et singulièrement l'Europe s'attachent enfin à poser un cadre autour des outils numériques, constituerait un mauvais signal adressé aussi bien aux parents qu'aux mineurs et aux plateformes.

B. LES PRINCIPALES MODIFICATIONS DE LA COMMISSION

Dans ce contexte, la commission a souhaité améliorer le texte de l'Assemblée nationale, en le sécurisant juridiquement et en le rendant plus opératoire.

En plus d'amendements rédactionnels, la commission a adopté des amendements visant à :

ü préciser que l'autorisation d'un seul titulaire de l'autorité parentale sera nécessaire pour une inscription sur les réseaux sociaux, l'accord des deux étant traditionnellement réservé aux actes les plus significatifs de la vie de l'enfant comme une opération chirurgicale ou un changement d'établissement scolaire (COM-2) ;

ü supprimer la disposition relative aux réseaux « labellisés » auxquels les moins de treize ans pourraient avoir accès. Cette mesure constitue un degré de complexité supplémentaire, sans que l'on comprenne bien ce que pourrait être ce label. Le message porté doit être plus clair et placer l'autorité parentale au coeur de la relation entre le mineur et les outils numériques : une autorisation est requise en dessous de quinze ans (COM-3) ;

ü comme la proposition de loi, si elle est adoptée, devra faire l'objet d'une saisine de la Commission européenne, et comme il est de tradition dans pareil cas10(*), renvoyer l'entrée en vigueur à un décret qui sera pris après la réception des observations de la Commission européenne. Cela permettra de surcroit de donner un délai supplémentaire pour permettre aux plateformes et aux pouvoirs publics de travailler à la définition et à la mise en oeuvre de solutions techniques opérationnelles (COM-6 et COM-9).

La commission tient enfin à souligner que la proposition de loi confie une nouvelle mission à l'Arcom, qui pourrait s'avérer extrêmement lourde à terme. Dès lors, il sera indispensable d'en tirer toutes les conséquences dans les prochains projets de loi de finances.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Insertion dans le droit français de la notion de réseau social

Le présent article a pour objet d'insérer dans le droit français la définition des « réseaux sociaux » issue du règlement européen du 12 septembre 2022 dit « DMA ».

I. - Le réseau social, cet inconnu si connu

Alors que les réseaux sociaux ont envahi les écrans du monde entier, ils ne font pour l'heure l'objet d'aucune définition juridique permettant de les caractériser.

A. Des catégories constituées au fil de l'eau et aujourd'hui insuffisantes

Les différentes caractérisations des types de sites internet trahissent l'évolution rapide des technologies, à laquelle le droit a dû s'adapter, souvent avec retard.

La catégorie la plus ancienne de service de communication au public en ligne est définie à l'article premier de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Cette communication est définie de la manière suivante : « toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée.

On entend par communication au public en ligne toute transmission, sur demande individuelle, de données numériques n'ayant pas un caractère de correspondance privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d'informations entre l'émetteur et le récepteur. »

L'article 6 de cette même loi a transposé en droit français les dispositions issues de la directive 2000/31 du 8 juin 2000, dite directive « e-commerce ».

Le principe posé tant par la directive que par l'article 6 est de créer un régime de responsabilité limitée pour deux catégories d'intermédiaires techniques. D'une part, les « personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne », soit les fournisseurs d'accès, et « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ». Cette catégorie regroupe essentiellement les réseaux sociaux et les hébergeurs, les plateformes de vidéos, etc. Ces personnes physiques ou morales ne sont supposées fournir qu'un support technique, sous forme de stockage, et n'engagent pas leur responsabilité de manière générale, car il ne leur appartient pas de contrôler des contenus qu'elles ne font que rendre disponibles auprès du public.

Enfin, la définition la plus proche serait celle introduite à l'article L. 111-7 du code de la consommation par la loi du 7 octobre 2016 pour une République Numérique d'opérateur de plateforme en ligne. Cette qualification s'applique à « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

1° Le classement ou le référencement, au moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service. »

Cette définition concerne un très grand nombre d'acteurs : les sites comparateurs, places de marché, et les sites de mise en relation entre personnes physiques ou morales.

B. Le DMA pose un cadre juridique précis pour les réseaux sociaux

Aucune définition exacte ne vise cependant les réseaux sociaux, ce qui est problématique compte tenu du besoin de les cibler avec précision.

En décembre 2020, la Commission européenne a présenté deux propositions législatives visant à réguler le numérique : le projet de règlement européen relatif à un marché unique des services numériques (dit « DSA ») et le projet de Règlement relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (dit « DMA »).

Ce dernier a été adopté le 14 septembre 2022 et constitue donc le premier pilier de cette nouvelle régulation, qui vise à adapter notre législation aux défis posés par les géants du numérique, en conciliant protection des utilisateurs et développement de l'innovation dans l'économie numérique11(*).

Son article 2 propose un ensemble de définitions qui seront désormais valables dans toute l'Union.

En particulier :

Ø Le 2) qualifie les réseaux sociaux de « service de plateforme essentiel » ;

Ø Le 7) définit pour sa part avec précision les services de réseaux sociaux en ligne : « une plateforme permettant aux utilisateurs finaux de se connecter ainsi que de communiquer entre eux, de partager des contenus et de découvrir d'autres utilisateurs et d'autres contenus, sur plusieurs appareils et, en particulier, au moyen de conversations en ligne (chats), de publications (posts), de vidéos et de recommandations ». La notion d'utilisateur final renvoie pour sa part au 20) de l'article 2 du règlement, et permet de distinguer les usagers des professionnels : « toute personne physique ou morale utilisant des services de plateforme essentiels autrement qu'en tant qu'entreprise utilisatrice ».

Cette définition est suffisamment large pour recouvrer l'ensemble des réseaux sociaux. Elle semble exclure les services de messagerie comme Telegram ou WhatsApp, qui ne permettent pas de « découvrir d'autres utilisateurs », mais cette notion pourrait elle-même être appelée à évoluer avec le développement des « boucles » et des listes de diffusion élargies sur ces réseaux. Elle comprend par contre les forums de discussion, qui se sont beaucoup développés ces dernières années.

Les services de plateforme essentiels

Le (2) des considérants de la directive SMA décrit les services de plateforme essentiels. Ils « présentent un certain nombre de caractéristiques qui peuvent être exploitées par les entreprises qui les fournissent. Parmi les caractéristiques de ces services de plateforme essentiels figurent par exemple des économies d'échelle extrêmes, qui résultent souvent de coûts marginaux presque nuls pour ajouter des entreprises utilisatrices ou des utilisateurs finaux. Les services de plateforme essentiels se caractérisent en outre par des effets de réseau très importants, leur capacité de relier de nombreuses entreprises utilisatrices avec de nombreux utilisateurs finaux grâce à leur caractère multiface, un degré considérable de dépendance des entreprises utilisatrices et des utilisateurs finaux, des effets de verrouillage, l'absence de multihébergement aux mêmes fins par les utilisateurs finaux, l'intégration verticale et les avantages liés aux données. [...] En pratique, cela conduit à une diminution rapide et potentiellement considérable du choix des entreprises utilisatrices et utilisateurs finaux, et peut donc conférer au fournisseur de ces services la position de «contrôleurs d'accès».

II. - Où placer les réseaux sociaux ?

La version initiale de la proposition de loi reprenait la définition exacte des réseaux sociaux telle qu'issue de l'article 2 du DMA, et l'insérait à l'article L. 32 du code des postes et des communications électroniques.

Cet article, qui ouvre le livre II dudit code consacré aux communications électroniques, rassemble un grand nombre de définitions juridiques et techniques pour certaines issues d'autres textes.

Par un amendement à l'initiative du rapporteur, la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale a choisi de déplacer la définition du réseau social à l'article 1er de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

III. - La position de la commission

La question pouvait se poser de la nécessité d'inscrire en droit français des dispositions issues d'un Règlement européen, donc d'application directe, à la différence d'une directive.

Le rapporteur de l'Assemblée nationale, également auteur de la proposition de loi, justifie notamment cette volonté par les réserves du Conseil d'État dans son étude précitée de 2022 qui estime que « Il faut cependant relativiser la portée de la définition des réseaux sociaux figurant dans le DMA qui pourrait être cantonnée à l'application de ce texte dont l'objet est de réguler le marché et non l'ensemble des champs applicables aux réseaux sociaux ». Dès lors, il peut paraitre effectivement opportun d'inscrire une telle définition en droit français pour l'utiliser dans un domaine plus vaste que la simple régulation du marché, ce qui est précisément l'objet de la présente proposition de loi.

En ce qui concerne l'emplacement de cette définition, la commission la juge plus pertinente dans la loi du 21 juin 2004, qui rassemble dorénavant l'essentiel de la législation applicable au domaine du numérique.

Le rapporteur de l'Assemblée souligne également que le respect des dispositions du code des postes et des communications électroniques est largement confiée à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), dont les compétences ne sont pas adaptées à la régulation du numérique, qui relève plutôt de l'Arcom.

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 1er bis

Élargissement du domaine de collaboration renforcée des hébergeurs

Le présent article vise à compléter la liste des domaines pour lesquels les hébergeurs ont une obligation de coopération renforcée avec les autorités publiques.

Introduit en commission à l'initiative de Véronique Riotton avec l'avis favorable du rapporteur, le présent article additionnel complète le dispositif de l'article 6 de la loi du 21 juin 2004 qui fixe les obligations de coopération des intermédiaires techniques et des hébergeurs dans la lutte contre certaines activités illicites.

I. - Fixer le cadre de la collaboration entre intermédiaires en ligne et pouvoirs publics

A. La responsabilité des hébergeurs

1. Un cadre général peu contraignant

Les hébergeurs n'ont pas de responsabilité directe dans les contenus mis en ligne. En conséquence, ils ne sont pas astreints à un devoir de surveillance ou de filtrage des contenus rendus disponibles par le biais de leur plateforme. Il s'agit là d'un principe général, issu de la directive « e-commerce » du 8 juin 2000, dont l'objectif principal était de favoriser le développement du numérique en Europe sans imposer de contraintes trop lourdes aux intermédiaires.

L'article 6 de la loi du 21 juin 2004 précitée introduit une possibilité de les mettre en cause, au plan civil (2. de l'article) ou pénal (3. de l'article). Cette mise en cause est définie de manière négative. Elle ne peut être engagée si les personnes :

- n'ont pas « effectivement » connaissance du caractère illicite des contenus ou de « faits et circonstances faisant apparaître ce caractère » ;

- si, « dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ».

Ainsi, les hébergeurs ont une obligation d'agir, à la condition expresse qu'ils aient pu être informés, sans devoir pour autant exercer un contrôle systématique. L'engagement de leur responsabilité implique donc la possibilité de les informer des contenus délictueux.

Cette information doit respecter un certain degré de formalisme, défini au 5. de l'article 6 de la loi précitée, pour que la connaissance des faits litigieux soit « présumée acquise ». La notification doit, en particulier, permettre d'identifier le notifiant, et de justifier d'une demande de retrait préalable adressée à l'éditeur ou à l'auteur du propos jugé illicite. Dans un arrêt du 10 mai 2012, la Cour d'appel de Bordeaux a refusé de condamner un hébergeur auprès duquel la connaissance de contenus délictueux avait été portée, la notification ne permettant pas d'identifier de manière certaine l'auteur, ce qui entrainait la nullité de la procédure.

Dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, le Conseil constitutionnel a, de plus, limité la portée de cette responsabilité, en indiquant que le contenu devait présenter un caractère manifestement illicite. Il a en effet précisé que « les 2 et 3 du I de l'article 6 de la loi déférée ont pour seule portée d'écarter la responsabilité civile et pénale des hébergeurs dans les deux hypothèses qu'ils envisagent ; que ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d'engager la responsabilité d'un hébergeur qui n'a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n'a pas été ordonné par un juge ».

Face à une notification réalisée dans les formes, il appartient donc à l'hébergeur d'apprécier le caractère manifestement illicite de la publication, seule obligation qui lui est faite.

Une fois ce caractère reconnu, l'hébergeur a l'obligation de réaliser « promptement » le retrait, pour éviter de voir sa responsabilité engagée. La jurisprudence est relativement stricte en la matière.

2. Des obligations renforcées pour les infractions les plus graves

Le 7. de l'article 6 prévoit cependant un régime légèrement différent dans certaines circonstances. Dans des cas limitativement énumérés, et « compte tenu de l'intérêt général » qui y est attaché, certaines des infractions les plus graves requièrent ainsi une collaboration renforcée avec les pouvoirs publics.

Ces cas sont la répression « de l'apologie, de la négation ou de la banalisation des crimes contre l'humanité, de la provocation à la commission d'actes de terrorisme et de leur apologie, de l'incitation à la haine raciale, à la haine à l'égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur handicap ainsi que de la pornographie enfantine, de l'incitation à la violence, notamment l'incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine ». Ils sont visés aux cinquième, septième et huitième alinéas de l'article 24 et à l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et aux articles 222-33,222-33-2-3, 225-4-1, 225-4-13, 225-5, 225-6, 227-23 et 227-24 et 421-2-5 du code pénal.

Dans ces cas, les hébergeurs ont l'obligation de mettre en place un dispositif « facilement accessible et visible » qui doit permettre de porter à leur connaissance ces actes, et rendre publics les moyens qu'ils consacrent à la lutte contre les activités illicites.

La mise en place de ce dispositif de signalement est complétée par l'obligation d'informer promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités illicites en lien avec les infractions visées, sous réserve, pour respecter leur statut, qu'elles leur soient signalées.

Le champ des domaines qui contraignent les plateformes à une obligation renforcée de vigilance et de coopération n'a cessé de croitre. Il a ainsi été notamment complété dans leur objet respectif par :

- l'article 1er de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ;

- l'article 11 de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ;

- l'article 1er de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux en ligne, qui y a ajouté la lutte contre la haine liée à l'identité de genre ;

- l'article 1er de la loi n° 2022-92 du 31 janvier 2022 interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne.

B. La proposition de l'Assemblée nationale : compléter les domaines de collaboration renforcée

L'article additionnel adopté par l'Assemblée nationale a été présenté à l'initiative de la présidente de sa Délégation aux droits des femmes. La Délégation estime en effet que de nombreux délits, dont sont victimes plus particulièrement les femmes et qui relèvent de la représentation de la vie privée et de la sécurité des personnes et des formes de chantages ou de harcèlement ne sont actuellement pas couverts par le champ de la collaboration renforcée avec les plateformes.

Les ajouts proposés consistent donc, suivant la structure de l'article 6 de la loi du 21 juin 2004, à compléter la liste des délits visés par des articles du code pénal afin d'y inclure :

ü les injures mentionnées à l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

ü le harcèlement conjugal (article 222-33-2-1 du même code) ;

ü le harcèlement (article 222-33-2-2) ;

ü la révélation d'éléments de nature à divulguer l'identité d'une personne en vue de lui nuire (article 223-1-1) ;

ü le fait, au moyen d'un procédé quelconque, de porter volontairement atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui selon les modalités définies à l'article 226-1 du même code ;

ü le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1 (article 226-2) ;

ü le fait, en l'absence d'accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d'un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l'aide de l'un des actes prévus à l'article 226-1 (article 226-2-1) ;

ü le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l'image d'une personne sans son consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un montage ou s'il n'en est pas expressément fait mention (article 226-8) ;

ü le fait, par toute personne détentrice de données à caractère personnel à l'occasion de leur enregistrement, de leur classement, de leur transmission ou de toute autre forme de traitement, de détourner ces informations de leur finalité telle que définie par la disposition législative, l'acte réglementaire ou la décision de la Commission nationale de l'informatique et des libertés autorisant le traitement automatisé, ou par les déclarations préalables à la mise en oeuvre de ce traitement (article 226-21) ;

ü le fait, par toute personne qui a recueilli, à l'occasion de leur enregistrement, de leur classement, de leur transmission ou d'une autre forme de traitement, des données à caractère personnel dont la divulgation aurait pour effet de porter atteinte à la considération de l'intéressé ou à l'intimité de sa vie privée, de porter, sans autorisation de l'intéressé, ces données à la connaissance d'un tiers qui n'a pas qualité pour les recevoir (article 226-22) ;

ü le fait de se livrer au chantage (articles 312-10 à 312-12).

En séance publique, un amendement corrigeant une erreur de renvoi a été adopté à l'initiative du rapporteur.

II. - La position de la commission

Cet article additionnel porté par la présidente de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale est pleinement légitime, tant les actes mentionnés constituent sans conteste des atteintes à l'intérêt général.

On peut cependant regretter l'accumulation de près de vingt articles du code pénal, ce qui nuit à la bonne intelligibilité de la loi et est susceptible de fragiliser la lutte contre ces actes.

La commission a adopté un amendement rédactionnel COM-1 à l'initiative de sa rapporteure.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 1er ter

Lutte contre le cyberharcèlement

Le présent article propose la mise en place d'avertissement spécifique sur le cyber harcèlement.

Le présent article a été adopté à l'initiative de Laurent Esquenet-Goxes et plusieurs députés, avec l'avis favorable du rapporteur et contre l'avis du Gouvernement.

Il vise à compléter le 7. de l'article 6 de la loi précitée du 21 juin 2004.

Dans le cadre des obligations de coopération renforcée, les plateformes ont déjà l'obligation de mettre en place un dispositif facilement accessible permettant de porter à leur connaissance les actes les plus graves (voir le commentaire de l'article 1er bis).

Les auteurs de l'amendement souhaitent que les plateformes « rendent visibles pour leurs utilisateurs des messages de prévention contre le harcèlement [...] et indiquent aux personnes auteures de signalement les structures d'accompagnement face au harcèlement en ligne ».

Le dispositif est donc en deux étapes :

- des messages de sensibilisation et de prévention ;

- des informations sur les structures d'accueil et d'aide suite à un signalement. On peut ainsi imaginer que l'envoi d'une alerte à la plateforme se traduise immédiatement par l'affichage d'une page dédiée.

En séance publique, le numéro et l'application 30 18 mis en place par l'association e-Enfance et le Gouvernement ont été explicitement mentionnés par Laurent Esquenet-Goxes, qui est également à l'origine de l'article 5 de la présente proposition de loi sur le même sujet.

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 2

Instauration d'une majorité numérique à 15 ans

Le présent article, qui a fait l'objet d'une réécriture complète en commission, fixe à 15 ans la majorité numérique, soit l'âge auquel l'autorisation des parents n'est plus requise pour l'inscription sur un réseau social. Il définit le cadre du dispositif technique de vérification de l'âge ainsi que le régime de responsabilité.

L'article 2 constitue le coeur de la proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale qui vise à instaurer une « majorité numérique », c'est-à-dire l'impossibilité pour le mineur de s'inscrire sur un réseau social avant ses 15 ans, et un accès limité, avec l'autorisation des parents, entre 13 ans et 15 ans.

La version initiale de la proposition de loi était extrêmement ramassée et lapidaire. Elle formulait simplement un principe général : les fournisseurs de services de réseaux sociaux sont légalement tenus de faire obstacle à l'inscription de mineurs de moins de 15 ans, sauf autorisation exprès des parents. Les détails étaient renvoyés à un décret en Conseil d'État.

Lors de l'examen en commission, le rapporteur a fait adopter un dispositif beaucoup plus précis et complet. Il a lui-même été affiné par de nombreux amendements en commission et en séance publique.

I. - Une restriction d'accès aux réseaux sociaux

Le présent article propose d'insérer un nouvel article 6-6 à la loi précitée du 21 juin 2004.

A. Les services concernés

Les personnes morales visées sont :

- les fournisseurs de service de réseaux sociaux, ces derniers ayant été définis à l'article 1er de la présente proposition de loi ;

- qui exercent leur activité en France. Il s'agirait donc d'une exception par rapport au principe dit du « pays d'origine », consacré à l'article 3 de la directive « e-commerce » du 8 juin 2000. Cependant, ce même article 3 prévoit des dérogations limitativement énumérées, parmi lesquelles la nécessité d'assurer « la protection des mineurs et la lutte contre l'incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité et contre les atteintes à la dignité de la personne humaine ».

B. Le choix des quinze ans

Le I du nouvel article 6-7 pose le principe général contenu dans la version initiale de la proposition de loi : les réseaux sociaux qui exercent en France « refusent l'inscription à leurs services des mineurs de quinze ans [...] ».

En droit, l'expression « mineur de quinze ans » se réfère à une personne de moins de quinze ans.

La responsabilité porte donc sur le fournisseur de services, et non sur le mineur ou ses représentants légaux.

Le choix d'une « majorité numérique » à quinze ans est le résultat de plusieurs arbitrages, mais se fonde à titre principal sur le cadre déjà existant pour le traitement des données personnelles.

Ainsi, l'article 8 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) prévoit que, sans formalité particulière, « le traitement des données à caractère personnel relatives à un enfant est licite lorsque l'enfant est âgé d'au moins 16 ans. » En deçà de cet âge, les représentants légaux doivent donner leur consentement au traitement des données du mineur.

Les pays européens ont adapté de manière très diverse l'article 8 du RGPD. Certains pays comme l'Allemagne sont restés à 16 ans sans dérogation, d'autres comme la Belgique à 13 ans.

La France a pour sa part adopté une position médiane, traduite à l'article 45 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, qui a servi de support à la transposition : « [...] un mineur peut consentir seul à un traitement de données à caractère personnel en ce qui concerne l'offre directe de services de la société de l'information à compter de l'âge de quinze ans. Lorsque le mineur est âgé de moins de quinze ans, le traitement n'est licite que si le consentement est donné conjointement par le mineur concerné et le ou les titulaires de l'autorité parentale à l'égard de ce mineur. »

En réalité, cet article 45 pourrait donc suffire à lui seul à établir l'impossibilité de s'inscrire seul sur des réseaux sociaux avant l'âge de 15 ans. Leur usage repose en effet de manière systématique sur la captation massive de données personnelles, proscrite par le RGPD et la loi française. Cependant, son champ d'application est différent, puisqu'il suppose l'existence d'un contrat, ce qui n'est pas le cas d'une inscription sur les réseaux sociaux. Il n'en reste pas moins que, dans l'esprit, l'usage des données personnelles ne devrait pas être possible sans accord pour les moins de quinze ans, ce que le rapporteur de l'Assemblée nationale déplore, en indiquant qu'il s'agit d'une règle « en l'état, non applicable et non sanctionnée ».

La vérification de l'âge des inscrits est très insuffisante et purement déclarative, à tel point qu'une enquête de 2022 de l'association « Génération numérique » a établi12(*) que 46 % des jeunes « seulement » n'avaient jamais menti sur leur âge sur les réseaux (ce qui implique donc que plus de la moitié a déjà fourni une réponse trompeuse). Une autre enquête13(*) montre que TikTok est utilisé par 60 % des 11-14 ans, en forte progression depuis 2020, que 58 % des jeunes de 11 et 12 ans ont déjà au moins un compte sur un réseau social.

La proposition de loi établit, par parallélisme avec la loi du 6 janvier 1978, trois catégories parmi les mineurs civils :

ü en dessous de treize ans, le principe est celui de l'interdiction de s'inscrire, avec une exception. Les représentants légaux peuvent en effet donner une autorisation, mais uniquement pour les réseaux sociaux dits « labellisés », dans des conditions que doit définir un décret en Conseil d'État. Cette disposition résulte de l'adoption d'un amendement de Sarah Tanzilli, adopté en séance publique contre l'avis du Gouvernement et de la commission. La version initiale du texte laissait ouverte la possibilité aux parents de donner leur accord, quel que soit l'âge du mineur de quinze ans, pour n'importe quel réseau ;

ü entre treize ans et quatorze ans, le principe reste celui du refus d'inscription pour tous les réseaux, sauf en cas d'accord donné par les titulaires de l'autorité parentale ;

ü à partir de quinze ans, le mineur est considéré comme « majeur » du point de vue numérique, et peut donc s'inscrire sans accord des titulaires de l'autorité parentale.

À l'initiative de Béatrice Piron, la commission a adopté, contre l'avis du rapporteur, un amendement permettant aux parents de demander aux réseaux sociaux la suppression du compte d'un mineur civil, donc de moins de 18 ans. En séance publique, deux amendements identiques de Laurent Esquenet-Goxes et Béatrice Piron sont cependant revenus sur cette limite, en la fixant à 15 ans. Ils ont été sous-amendés par Antoine Léaument pour prévoir non pas la suppression, mais la suspension du compte du mineur. Cela permettra le cas échéant et le moment venu au mineur de retrouver son compte. Cet ensemble a reçu un avis de sagesse de la commission et du Gouvernement.

Le texte issu de la commission ne traitait cependant pas des comptes de mineurs déjà existants. À l'initiative de Stéphane Lenormand, l'Assemblée nationale a adopté en séance publique un amendement obligeant les plateformes à recueillir le consentement de l'autorité parentale pour les comptes déjà créés par les mineurs de quinze ans et moins. Le rapporteur a sous-amendé ce dispositif pour donner deux ans aux plateformes afin de traiter cette question.

Deux conséquences découlent de ces dispositions.

D'une part, l'accord de tous les titulaires de l'autorité parentale est requis pour l'inscription comme la demande de suspension d'un compte déjà existant.

D'autre part, l'ensemble des utilisateurs des réseaux devront à l'horizon de deux ans (voir infra) faire l'objet d'une vérification de leur âge.

*

II. - Le contrôle de l'âge

L'usage d'internet en fonction de l'âge se heurte dans bien des domaines à la faculté de contrôler l'âge de la personne. Ainsi, l'article 23 de la loi du 30 juillet 2020 prévoit déjà l'obligation pour les services éditant des contenus pornographiques de bloquer leur accès aux mineurs civils, mais en leur renvoyant la responsabilité, sous le contrôle de l'Arcom.

Article 23 de la loi du 30 juillet 2020
visant à protéger les victimes de violences conjugales

« Lorsqu'il constate qu'une personne dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d'avoir accès à un contenu pornographique en violation de l'article 227-24 du code pénal, le président du Conseil supérieur de l'audiovisuel adresse à cette personne, par tout moyen propre à en établir la date de réception, une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé. La personne destinataire de l'injonction dispose d'un délai de quinze jours pour présenter ses observations. »

Près de trois ans après son adoption, cette loi n'est toujours pas appliquée, faute de dispositif à la fois suffisamment fiable, sans être intrusif, pour s'assurer de l'âge de la personne. Le ministre en charge du numérique a cependant annoncé travailler à la mise en place d'un « certificat de majorité anonyme », sans précision supplémentaire à ce stade.

La présente proposition de loi s'efforce d'être plus opérationnelle. Ainsi, les fournisseurs de réseaux sociaux doivent utiliser une des solutions techniques élaborées conformément à un « référentiel » construit à cette fin par l'Arcom, après consultation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

Cette solution technique doit cependant remplir plusieurs fonctions, dont aucune n'est simple :

- s'assurer de l'âge de l'utilisateur ;

- en dessous de 15 ans, recueillir l'autorisation des titulaires de l'autorité parentale, ce qui suppose que ces derniers apportent la preuve de ladite autorité, ou que les plateformes les connaissent déjà.

À ce stade, aucune précision n'est apportée sur le référentiel en question. Il ressort du texte adopté par l'Assemblée qu'il peut y avoir plusieurs solutions techniques, la seule contrainte pour le réseau social étant d'en utiliser une.

III. - La procédure de sanction

Si un fournisseur de services de réseaux sociaux n'utilise pas les solutions techniques certifiées, et donc, potentiellement, laisse à des mineurs de quinze ans la possibilité de s'inscrire sur son site, il revient au président de l'Arcom de lui adresser une mise en demeure.

Le fournisseur, selon la procédure éprouvée de l'Arcom, dispose de quinze jours pour faire part de ses observations. À l'expiration du délai, et en cas d'inexécution de la mise en demeure, le président de l'Arcom peut saisir le président du tribunal judicaire de Paris pour contraindre le fournisseur.

Une amende peut alors être infligée au réseau social, pour un montant qui ne peut excéder 1 % du chiffre d'affaires mondial de l'exercice précédent. Il convient de noter que le rapporteur avait initialement fixé un montant de 100 000 euros, mais que la commission, à l'initiative d'Emmanuelle Anthoine, a préféré cette fraction du chiffre d'affaires, la jugeant plus dissuasive.

Le président de l'Arcom est donc chargé d'assurer le respect de ces obligations, ce qui implique de la part de l'Autorité un travail de supervision de l'ensemble des réseaux sociaux.

Un décret en Conseil d'État est prévu pour fixer les modalités d'application de cet article.

IV. - Entrée en vigueur

L'entrée en vigueur est décalée :

- de deux ans pour le recueil de l'autorisation des parents pour les comptes déjà existants des mineurs entre 13 et 15 ans ;

- d'un an pour la saisine par l'Arcom du fournisseur et de l'Autorité judiciaire. Cela semble impliquer au passage que les mécanismes de vérification de l'âge seront disponibles à cette date.

V. - La position de la commission

Le dispositif de l'article 2 devra être notifié à la commission européenne, ce qui rallongera d'autant son entrée en application.

La commission a bien conscience du verrou qu'est l'absence actuelle de dispositif technique de vérification de l'âge et de recueil de l'autorité parentale. Comme exposé supra, elle estime cependant que la fixation de limites et l'incitation très forte que constituerait pour les plateformes l'adoption de la proposition de loi mérite une adoption de cet article.

La commission a adopté cinq amendements pour rendre le texte plus clair et opératoire.

Premier amendement ( COM-2) adopté à l'initiative de la rapporteure : il parait plus adapté de ne pas solliciter l'autorisation des deux parents pour l'inscription sur un réseau social. Les actes nécessitant l'accord de l'ensemble des titulaires de l'autorité parentale sont en effet réservés aux cas les plus importants de la vie du mineur, comme une intervention chirurgicale ou un changement d'école. Dans les autres cas, l'accord d'un seul parent est requis, l'autre étant présumé en accord. Par ailleurs, cet amendement rendra plus aisé le recueil de l'autorité parentale.

Quelle procédure en cas de désaccord des titulaires de l'autorité parentale ?

Dans les cas, probablement très rares, d'un désaccord entre les parents à ce sujet, la procédure normale pour les actes usuels trouverait à s'appliquer. Il appartient au parent le plus diligent de saisir le juge aux affaires familiales qui tranchera le différend en fonction de ce qu'il estime être l'intérêt de l'enfant. L'article 373-2-8 du code civil prévoit en effet que le juge peut être saisi par l'un des parents à l'effet de statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale.

Le juge peut alors proposer une médiation aux parents (article 373-2-10 du code civil) ou ordonner une enquête sociale (article 373-2-12 du code civil). Le juge prendra sa décision en prenant en considération les pratiques antérieures des parents, du sentiment exprimé par l'enfant et le cas échéant le résultat des expertises éventuellement effectuées (article 373-2-11 du code civil).

Deuxième amendement ( COM-3) à l'initiative de la rapporteure, la suppression des réseaux dits « labellisés » pour les moins de treize ans. Cette mesure introduite par amendement à l'Assemblée nationale présente en effet deux problèmes :

- d'une part, elle revient à limiter l'autorité reconnue aux parents, qui ne pourraient donc pas consentir volontairement à l'inscription de leur enfant sur un réseau social « non labellisé ». Or le principal objet de la proposition de loi est de placer la relation entre l'enfant et le parent au coeur du numérique. Il est enfin douteux que la mesure soit réellement applicable face à des parents qui souhaiteraient malgré tout inscrire leur enfant sur un réseau social ;

- d'autre part, le réseau « labellisé » parait difficile à concevoir, même si quelques modèles comme LEGOLIFE ou YouTube Kids peuvent exister. Le dispositif ne leur fixe au demeurant aucune définition précise.

Dans ces conditions, il est proposé de supprimer cet ajout, pour en rester à l'idée initiale du texte, qui est de placer l'autorité parentale au coeur de la régulation de l'usage du numérique pour les mineurs.

Un troisième amendement rédactionnel adopté à l'initiative de la rapporteure ( COM-4) supprime un paragraphe superfétatoire sur les missions de la Cnil.

Un quatrième amendement COM-5, adopté à l'initiative de la rapporteure, prévoit la consultation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) avant la parution du décret en Conseil d'État. Compte tenu des enjeux en termes de protection des données personnelles, cet avis parait indispensable.

Un cinquième et dernier amendement COM-6 supprime les alinéas relatifs à l'entrée en vigueur différée de certaines dispositions du texte. Un amendement COM-9 portant article additionnel après l'article 5 propose de prendre comme point de départ de ces délais non pas la promulgation mais un décret pris après réception de l'avis de la Commission européenne.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 3

Délai de réponse à une réquisition judiciaire

Le présent article vise à transposer par anticipation le projet de Règlement européen relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale, en fixant des délais contraignants pour que les fournisseurs de services en ligne répondent aux réquisitions judiciaires.

I. - L'objectif : fixer un délai de réponse aux réquisitions judiciaires

La version initiale de l'article 3 de la présente proposition de loi modifiait les articles 60-1 et 77-1-1 du code pénal afin de contraindre les fournisseurs de réseaux sociaux à répondre à une réquisition judiciaire dans le cadre d'une enquête préliminaire ou d'une enquête de flagrance dans un délai de 48 heures, sous peine d'une amende ne pouvant excéder 1 % de leur chiffre d'affaires. Le but recherché est d'accélérer la coopération en matière judicaire des fournisseurs de réseaux sociaux qui jusqu'à présent, en dépit d'une bonne volonté affichée, ne semble pas produire ses meilleurs effets.

Cependant, à l'occasion de l'examen en commission, le rapporteur a proposé une nouvelle rédaction sensiblement différente de cet article, sans en modifier la finalité.

Le nouvel article 3 s'insérerait au VI de l'article 6 de la loi précitée du 21 juin 2004. Il précise que les intermédiaires techniques (fournisseurs d'accès) et les hébergeurs sont passibles de peines allant jusqu'à un an d'emprisonnement et 250 000 euros d'amende s'ils :

- ne collaborent pas dans les domaines d'intérêt général (voir commentaire sur l'article 1er bis de la présente proposition de loi) ;

- ne procèdent pas dans les délais prévus au retrait des contenus odieux (actes terroristes, etc..), selon les dispositions de l'article 6-1 de la même loi ;

- n'ont pas conservé les éléments d'information permettant d'identifier les créateurs de contenus ;

- ne défèrent pas à une demande d'une autorité judiciaire en vue d'obtenir la communication des éléments à leur disposition.

Cette dernière obligation n'est cependant assortie d'aucun délai fixé dans la loi.

II. - La transposition anticipée d'un Règlement européen

La nouvelle rédaction adoptée par la commission vise à fixer un délai de dix jours ou « en cas d'urgence résultant d'un risque imminent d'atteinte grave aux personnes ou aux biens », de huit heures.

Ces bornes temporelles ont été retenues en référence au projet de Règlement européen relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale.

Présenté par la Commission européenne le 18 avril 2018, il a fait l'objet d'un accord entre le Conseil et le Parlement européen14(*) le 23 janvier 2023.

Le rapporteur a jugé plus cohérent d'anticiper l'application en France de ce Règlement. Son article 9 fixe en effet :

- un délai de 10 jours dans le cas normal d'une demande d'informations transfrontalière (1b de l'article 9 du projet de Règlement) ;

- de huit heures en cas d'urgence (2 de l'article 9).

Il aurait été difficilement concevable, une fois le Règlement adopté, de laisser subsister deux délais pour répondre aux réquisitions : un de 48 heures, et un de 10 jours ramené à huit heures. Le présent article 3 reprend donc les deux bornes temporelles du projet de Règlement.

À l'initiative de sa rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-7. La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale est plus large que celle contenue à l'article 9 du projet de Règlement, qui ne vise pas les atteintes aux biens. Dès lors, il est plus pertinent de s'en tenir aux risques imminents d'atteinte grave aux personnes, comme prévu dans le Règlement.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 4

Remise d'un rapport au Parlement

Le présent article prévoit la remise au Parlement d'un rapport relatif à l'impact de l'usage des plateformes en ligne sur les jeunes publics.

En dépit de quelques travaux de recherche, l'impact réel de l'utilisation des réseaux sur les plus jeunes demeure largement méconnu. Le constat de la dangerosité d'un usage immodéré repose donc essentiellement sur les quelques données disponibles et, plus largement, sur l'intuition et l'expérience concrète de chaque personne en contact avec un mineur qui utilise un réseau social.

Face à ce constat, l'auteur de la proposition de loi a souhaité demander au Gouvernement la remise d'ici un an d'un rapport qui devait initialement concerner « les conséquences de l'utilisation des réseaux sociaux sur le bien-être et la santé mentale des jeunes, notamment des mineurs ».

Contre son avis, la commission a adopté deux amendements de Fabienne Colboc et Violette Spillebout étendant respectivement l'objet à l'ensemble des plateformes en ligne et aux conséquences sur les jeunes de l'exposition à la surinformation et aux fausses informations.

Enfin, en séance publique, à l'initiative de Géraldine Bannier, un amendement adopté avec un avis de sagesse de la commission et du Gouvernement a encore élargi ce champ en incluant l'effet des plateformes sur les capacités d'apprentissage des jeunes.

L'objet de ce rapport se trouve donc considérablement élargi suite aux ajouts en commission et en séance publique.

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 5 (supprimé)

Remise d'un rapport au Parlement

Le présent article prévoit dans un délai de six mois la remise d'un rapport au Parlement sur l'opportunité d'une fusion des numéros « 30 20 » et « 30 18 ».

Le présent article additionnel a été adopté en commission suite à l'adoption d'un amendement de Laurent Esquenet-Goxes et plusieurs députés, avec l'avis favorable du rapporteur.

Il existe actuellement deux numéros utilisés par les plus jeunes :

- le « 30 18 », opéré par l'Association « e-Enfance » avec le soutien ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse et du secrétariat d'État à l'enfance, qui apporte une aide aux personnes victimes de violences numériques : cyber-harcèlement, revenge porn, chantage à la webcam, usurpation d'identité, violences à caractère sexiste ou sexuel, exposition à des contenus violents ;

- le « 30 20 », numéro d'appel gratuit opéré par l'École des parents et des éducateurs d'Île-de-France, subventionné par le ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse. Il s'adresse aux élèves, aux familles et aux professionnels témoins ou victimes d'une situation de harcèlement entre élèves.

Les auteurs de l'amendement estiment que ces deux missions sont désormais trop intimement liées pour être séparées, et souhaitent donc la réalisation d'une étude pouvant éventuellement conclure à un rapprochement des deux indicatifs.

La commission a estimé, d'une part, que les missions des deux numéros étaient en réalité distinctes. Par ailleurs, il existe le risque qu'un rapprochement entre ces deux services essentiels se traduise par une diminution des moyens. Enfin, sur le plan des principes, une telle disposition ne relève pas du niveau de la loi.

Pour ces raisons, la commission a adopté, à l'initiative de sa rapporteure, un amendement COM-8 de suppression de l'article.

La commission a supprimé cet article.

Article 6 (nouveau)

Entrée en vigueur des dispositions de la présente proposition de loi

La commission a adopté, sur proposition de sa rapporteure, le présent article additionnel visant à conditionner l'entrée en vigueur de la présente proposition de loi à la réponse de la Commission européenne attestant de sa conformité au droit de l'Union au sens de la directive 2015/1535 relative aux services de la société de l'information. L'article permet également de prendre comme point de départ des délais d'application de l'article 2 l'entrée en vigueur de la proposition de loi, et non plus la promulgation.

La présente proposition de loi devra faire l'objet d'une notification à la Commission européenne, en application de la directive du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information. Il s'agit de s'assurer que les textes envisagés sont compatibles avec la législation européenne et les principes qui s'appliquent au marché intérieur.

À l'initiative de sa rapporteure, la commission a donc adopté un amendement COM-9 portant article additionnel afin de fixer l'entrée en vigueur de la loi à la publication d'un décret qui suivra la réponse de la Commission européenne.

En conséquence, il est proposé de décaler d'autant l'application des dispositions initialement contenues à l'article 2 de la présente proposition de loi. Ainsi :

- les plateformes devront vérifier l'âge des inscrits dans les deux ans qui suivent l'entrée en vigueur ;

- elles seront soumises pour les nouveaux inscrits à la régulation de l'Arcom un an après l'entrée en vigueur.

Le délai supplémentaire de quelques mois ainsi obtenu devra être mis à profit pour anticiper au mieux les difficultés techniques du contrôle de l'âge et de l'autorisation parentale.

La commission a adopté cet article additionnel.

*

* *

En conséquence, la commission de la culture, de l'éducation
et de la communication a adopté la proposition de loi ainsi modifiée
.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 10 MAI 2023

___________

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons cette matinée par l'examen du rapport de notre collègue Alexandra Borchio Fontimp sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.

Je vous rappelle que l'examen de ce texte en séance publique est programmé le mardi 23 mai prochain.

Je cède immédiatement la parole à notre rapporteure pour qu'elle nous présente ses conclusions sur ce texte.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Notre commission mène depuis plusieurs années un travail de fond sur la régulation de l'espace numérique, qu'il s'agisse de la désinformation, de la haine en ligne ou des droits voisins.

Nous nous accordons tous à reconnaître les bienfaits et les apports du numérique. Internet offre un accès presque instantané à la connaissance, met en relation des personnes partout dans le monde, facilite au quotidien la vie de nos concitoyens ; du fait même de sa structure, il est un outil de communication et de liberté d'expression.

Pour autant, ces dernières années ont également révélé les zones d'ombre du numérique : manipulation des processus démocratiques par des puissances étrangères, cyberharcèlement, phénomène d'addiction ou encore captation des données. Notre assemblée consacre d'ailleurs au réseau social TikTok une commission d'enquête dont les conclusions devraient être rendues publiques d'ici la fin de la session.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui traite de l'accès des plus jeunes aux réseaux sociaux. Voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, ce texte instaure l'obligation pour les réseaux sociaux de mettre en place une solution technique de vérification de l'âge des utilisateurs et du consentement des titulaires de l'autorité parentale pour les moins de 15 ans. Cette solution devra être certifiée par les autorités. En cas de manquement, une amende pourra être infligée à l'entreprise, allant jusqu'à 1 % de son chiffre d'affaires mondial.

Nous le savons tous ici, comme élus, comme parents ou comme grands-parents, les mineurs organisent désormais une grande partie de leur vie autour des outils numériques, en l'occurrence des réseaux sociaux, particulièrement addictifs.

Je veux rappeler quelques chiffres : la première inscription à un réseau social semble intervenir actuellement en moyenne vers 8 ans et demi et plus du quart des 7-10 ans se rendent régulièrement sur les réseaux sociaux, selon la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ; plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans seraient présents sur au moins un réseau social, toujours selon la Cnil ; 60 % des jeunes âgés de 11 à 18 ans sont inscrits sur le réseau social le plus populaire du moment, TikTok, selon le think tank Génération Numérique.

Sédentarité, exposition à de fausses informations, baisse de l'estime de soi, troubles de l'attention et du sommeil... Les preuves scientifiques de liens de causalité entre l'utilisation débridée des réseaux sociaux et la santé mentale des enfants et adolescents s'accumulent.

Face à l'ampleur des risques, il convient donc de prendre des dispositions, que nous n'avons pas su anticiper, d'ailleurs, afin que la France soit le premier pays au monde à se doter d'un véritable écosystème global de protection de l'enfance en ligne. Même si, nous en avons conscience, le chantier est ambitieux et aucune mesure n'est infaillible, il est temps que notre pays affiche, grâce notamment à nos travaux, une réelle volonté de protéger nos enfants des effets néfastes de l'utilisation des réseaux sociaux.

Cette proposition de loi vise certes à alerter les moins de 15 ans, mais permettra aussi de sensibiliser les parents et de rappeler que les enfants ne sont pas les seuls menacés d'embrigadement sur les réseaux sociaux.

Ce texte est donc un garde-fou indispensable face à la précocité croissante de la puberté numérique et à la puissance des outils mis à la disposition des jeunes.

C'est notre collègue député Laurent Marcangeli, avec qui j'ai pu entretenir un dialogue riche, qui est l'auteur de la proposition de loi initiale.

L'article 2 en est le coeur. Comme je vous le disais, il prévoit un mécanisme de contrôle de l'âge pour l'inscription sur les réseaux sociaux avant l'âge de 15 ans.

Cet âge n'a pas été retenu par hasard. Il correspond à l'entrée au lycée et, en termes plus juridiques, à l'âge inscrit à l'article 45 de la loi du 6 janvier 1978, qui fixe à 15 ans l'âge auquel un mineur peut consentir seul au traitement de ses données personnelles.

Le dispositif de l'article 2 tel qu'issu des votes de l'Assemblée nationale s'articule de la manière suivante : avant l'âge de 13 ans, les mineurs ne peuvent s'inscrire, avec l'autorisation des parents, que sur des dites dits « labellisés ». Cette mesure résulte d'un amendement adopté contre l'avis du Gouvernement et du rapporteur par l'Assemblée nationale. Pour autant, rien n'est dit sur ces réseaux ; je vous proposerai donc une modification par amendement sur ce point.

Entre 13 ans et 14 ans, le principe reste celui du refus d'inscription pour tous les réseaux, sauf en cas d'accord donné par les titulaires de l'autorité parentale.

Enfin, à partir de 15 ans, le mineur est considéré comme « majeur » du point de vue numérique. Il pourra donc s'inscrire comme il le souhaite sans accord des titulaires de l'autorité parentale.

Il ne faut pas le nier, la mise en oeuvre de cette disposition sera techniquement complexe, puisque la procédure, qui relèvera de la responsabilité des plateformes, devra permettre de vérifier l'âge de toute personne inscrite et de s'assurer que le consentement est bien donné par les titulaires de l'autorité parentale.

Bien entendu, ce mécanisme devra respecter le cadre de la protection des données personnelles.

Cette disposition fait écho à mes récents travaux sur les dérives de l'industrie pornographique et l'accès des mineurs aux plateformes numériques, menés avec trois de mes collègues, dont la présidente de la délégation aux droits des femmes, Annick Billon, ici présente. Malgré l'adoption de l'article 23 de la loi du 30 juillet 2020, sur l'initiative de notre collègue Marie Mercier, on peut aisément se rendre compte que, près de trois ans plus tard, cette mesure demeure sans effets : les mineurs peuvent encore à ce jour consulter des contenus pornographiques en ligne sans vérification efficace de l'âge.

Il est donc nécessaire et urgent de prendre des dispositions pour mieux protéger les mineurs, car l'impact des réseaux sociaux sur leur bien-être physique comme mental est aujourd'hui incontestable.

Aussi vous soumettrai-je cinq amendements significatifs sur cet article 2. Je vous ferai également quelques propositions d'amendements destinées à affiner le texte.

Mes chers collègues, plus de dix ans après l'émergence des réseaux sociaux, force est de constater que leur utilisation par des enfants et de jeunes adolescents pose un double défi de santé publique et de protection de l'enfance.

Les publications scientifiques réalisées sur le sujet démontrent notamment que les jeunes filles sont plus touchées par ce phénomène.

Selon une récente étude, pour un équivalent de cinq heures par jour passées sur les réseaux sociaux, près de 50 % des adolescentes présentent des symptômes cliniques de dépression ; 80 % des parents déclarent ne pas savoir exactement ce que font leurs enfants sur internet ou sur les réseaux sociaux.

Les plateformes utilisent le marché de l'attention, c'est-à-dire une sollicitation optimisée du cerveau humain par le biais d'algorithmes engendrant une recherche constante de nouveaux contenus à des fins de stimulation cérébrale. Le même mécanisme serait à l'oeuvre dans le cas des addictions aux drogues. Je vous livre, à cet égard, le témoignage d'une adolescente de 17 ans : « TikTok, pour nous, c'est un peu comme le tabac pour l'ancienne génération. On essaie de décrocher, mais on tient une semaine ».

Je suis bien consciente que ce texte législatif ne permet pas d'embrasser l'ensemble des problématiques soulevées par les réseaux sociaux. Pourtant, j'espère bien, avec votre concours, apporter une pierre non négligeable à la construction d'un véritable écosystème global de protection de l'enfance en ligne.

Il est du devoir du législateur d'intervenir pour fixer un âge, un seuil de maturité nécessaire, à partir duquel un mineur est apte à s'inscrire seul, selon un consentement éclairé, sur une plateforme « sociale ».

Outre qu'elle apparaît nécessaire du point de vue de la santé publique, l'introduction dans le droit français d'une telle majorité numérique serait également une avancée concrète là où il s'agit de faire reculer le cyberharcèlement entre jeunes.

Nous devons impérativement prendre conscience de la précocité croissante de cette puberté numérique et de la montée en puissance des outils mis à disposition de nos jeunes, et ne pas nous contenter d'en observer les potentiels dommages. Il nous est donc essentiel d'agir afin de poser les garde-fous indispensables à leur protection et de prendre nos responsabilités en établissant clairement des limites.

Il n'est pas question ici d'envisager les réseaux sociaux par le seul angle répressif, mais bien d'entamer une réflexion globale sur les effets que leur fréquentation a sur notre jeunesse et de la préserver des risques les plus patents.

Voilà un enjeu qui ne peut que nous rassembler, et je vous remercie d'ores et déjà, mes chers collègues, pour vos contributions qui, je n'en doute pas, contribueront à améliorer ce texte.

M. Laurent Lafon, président. - Avant d'ouvrir la discussion générale, j'invite notre rapporteur à définir le périmètre retenu pour l'application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Je vous propose que ce périmètre comprenne les dispositions visant à protéger les mineurs usagers des réseaux sociaux et encadrant la coopération entre les hébergeurs, les intermédiaires techniques et les pouvoirs publics en matière de comportements potentiellement toxiques en ligne.

Il en est ainsi décidé.

M. Max Brisson. - Je voudrais tout d'abord saluer l'engagement d'Alexandra Borchio Fontimp sur ce sujet qu'elle a pris à bras-le-corps, tant à la délégation aux droits des femmes que dans le cadre de cette commission. La synthèse qu'elle nous a présentée est très inquiétante concernant l'impact sur les jeunes des réseaux sociaux. Je regrette que notre pays, qui, en matière de protection de l'enfance, a longtemps ouvert la voie, soit aujourd'hui logé à la même enseigne que les autres : devant ce phénomène, faute d'avoir su l'anticiper, toutes les démocraties sont décontenancées, et la France ne fait pas exception. Nous sommes confrontés à des évolutions techniques rapides qui viennent bousculer la société et face auxquelles la législation a plusieurs trains de retard.

Cela dit, nous nous apprêtons à poser un acte législatif instituant une majorité numérique, dont, certes, les modalités de mise en oeuvre restent à trouver - mais, j'en suis persuadé, si les plateformes voulaient bien consacrer quelques moyens et quelques ingénieurs de renom au traitement de ce sujet, elles pourraient rapidement trouver des solutions. En soutenant ce texte, malgré ses limites - notre rapporteure les a exposées -, nous contribuons à faire pression sur les plateformes. Reste à mobiliser leurs capacités d'ingéniosité pour protéger les mineurs en rendant opératoire cet acte législatif que nous allons poser de manière consensuelle et unanime.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Bravo à notre rapporteure pour son analyse et ses propositions s'agissant d'un sujet dont l'importance ne va cesser de croître.

Il serait utile que nous établissions un bilan, avec le ministre de l'éducation nationale, de l'application des dispositions que nous avions votées dans la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Notre commission avait notamment institué un dispositif de formation des formateurs en matière numérique ; or, au gré de l'examen des projets de loi de finances successifs, nous n'avons jamais aucune visibilité sur les budgets dédiés pas plus que sur les actions menées au sein des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé). Nous avions aussi discuté de l'interdiction des téléphones portables à l'école, renvoyant au règlement de chaque établissement.

Les initiatives et les textes se multiplient : loi encadrant l'exploitation commerciale de l'image des enfants « youtubeurs », proposition de loi visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans, loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet majorité numérique. Il faut agir en profondeur.

Le règlement européen sur les services numériques (DSA, Digital Services Act), qui est d'application directe, est censé régler la question des contenus et de la régulation des réseaux sociaux ; mais ce texte a ses limites, d'autant que le lobbying des plateformes est resté extrêmement puissant à Bruxelles.

De quoi s'agit-il ? On confie à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le rôle de veiller au retrait des contenus illicites par les plateformes, mais guère plus. Il est question, dans ce règlement, d'audits et d'évaluations régulières : les algorithmes feraient l'objet de contrôles tous les six mois de la part de chercheurs agréés par les plateformes. Je plaide, quant à moi, pour que des chercheurs indépendants puissent aller décrypter les algorithmes, qui sont la source de tous les maux. Les plateformes, fortes de leur énorme pouvoir, privilégient le profit à la sécurité des plus jeunes, comme nous l'avait dit Frances Haugen ; il faut donc aller beaucoup plus loin pour que ces « boîtes noires » puissent être auditées en toute transparence. À terme, quand les gens en auront « marre », je prédis que d'autres modèles émergeront : des plateformes à abonnement, sécurisées, qui permettront de créer des espaces exempts du modèle économique toxique de la publicité et du clic rémunérateur.

De nombreux combats restent à mener ; nous verrons comment les choses peuvent être améliorées dans le respect de la compatibilité entre droit français et droit européen.

Le sujet principal, selon moi, avant celui de l'accès de jeunes à des contenus pornographiques, est celui de l'utilisation des enfants par des adultes en vue de produire des contenus pédopornographiques. Sur la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), quelque 150 000 contenus sont signalés chaque année où des enfants sont victimes d'adultes, toutes catégories sociales confondues, d'ailleurs.

M. Julien Bargeton. - Je remercie la rapporteure pour son travail et salue l'opportunité de cette PPL, qui brille par sa simplicité et sa lisibilité. D'autres sujets demeurent pendants, et la question de l'application reste posée, mais ce texte fait bien le lien entre l'utilisation des réseaux sociaux et leurs conséquences psychosociales, en matière de santé mentale des enfants notamment.

M. Bernard Fialaire. - Je veux moi aussi remercier Alexandra Borchio Fontimp pour son rapport. « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » : on a vu émerger les nouvelles technologies qui ont permis le développement de ces réseaux sociaux sans qu'un espace éthique soit défini et respecté. Il faut donc que la loi tranche.

J'ai proposé un amendement pour rendre obligatoires les systèmes de contrôle qui ne le sont pas. Cela va demander des moyens à ces grandes sociétés : elles devront recruter, ce qui est bénéfique.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci beaucoup à notre collègue pour la qualité de son rapport. Vous écoutant, je pensais à Sisyphe ; mais, dans Sisyphe, je vois les efforts consentis pour pousser la pierre en haut de la montagne plus que la pierre qui chaque fois retombe. Il est vrai en tout cas que, face à ces problèmes, notre entreprise est souvent « sisyphéenne » : les lois s'empilent les unes sur les autres et il ne se passe rien. Participant à une réunion du groupe d'amitié France-Balkans occidentaux, nous nous faisions la remarque que des lois sont votées sans être appliquées, car des mafias sont plus puissantes que les États. Face aux Gafam, en tant que parlementaire français, je me sens dans une situation analogue...

On sait les catastrophes provoquées chez les enfants : 20 % des jeunes pensent que la Terre est plate ou que les pyramides ont été construites par des extraterrestres, sans même parler de leur électrification. On est face à une entreprise, volontaire ou non, de vidage de cerveaux.

Ce texte est opportun, et nous voterons pour, mais il faut une prise de conscience sur le type de pouvoir exercé par ces entités supranationales. Malheureusement, la solution nationale n'est pas suffisante et la solution européenne a montré ses limites. Il s'agit pourtant d'un véritable sujet européen : une Europe forte est le seul acteur susceptible d'imposer aux Gafam d'abandonner leur modèle économique et de respecter les législations.

Mme Sabine Van Heghe. - Je félicite à mon tour la rapporteure ; nous souscrivons à ce texte qui va dans le sens d'une meilleure protection des mineurs. Dans le cadre de la mission d'information sur le harcèlement scolaire, que je présidais et dont Colette Mélot était la rapporteure, nous avons reçu des représentants de l'ensemble des plateformes de réseaux sociaux : nous avons bien vu que là était le point d'achoppement et de blocage. L'accès aux réseaux sociaux est interdit aux mineurs de 13 ans, mais cette règle n'est pas appliquée. De manière générale, les réseaux sociaux sont vent debout contre toute forme d'obligation et de contrôle, se réfugiant derrière le respect des données personnelles.

Comment mettre en oeuvre efficacement ce contrôle pour éviter une nouvelle usine à gaz ? Les moyens d'action des plateformes doivent être encadrés. J'ai à cet égard de gros doutes pour ce qui est de la mise en oeuvre opérationnelle de ce texte, compte tenu de la toute-puissance des réseaux sociaux.

Mme Sylvie Robert. - Je remercie la rapporteure tout en émettant les mêmes doutes que nos collègues. En 2021, la Cnil - j'y représente le Sénat - a publié des recommandations pour la protection des mineurs en ligne : nous avions bien identifié, à cette occasion, qu'il y a là un enjeu sociétal majeur, celui de l'exercice d'une certaine citoyenneté numérique. Et nous avions en particulier recommandé la désignation d'un tiers de confiance pour vérifier l'âge.

Une fois énoncés les grands principes auxquels on ne peut qu'adhérer, reste en tout cas à responsabiliser les plateformes, mais aussi à accompagner les acteurs : l'un des sujets majeurs, c'est l'accompagnement des parents, qui se trouvent parfois totalement désemparés.

Mme Laurence Garnier. - Je veux à mon tour saluer le travail d'Alexandra Borchio Fontimp. La prise de conscience est frappante ces derniers mois : ce travail est au coeur de l'actualité, comme le montre l'enquête en cours sur le réseau social TikTok.

Alexandra Borchio Fontimp rappelait que 80 % des parents ne savent pas ce que leurs enfants font sur les réseaux sociaux ; mon sentiment est que 20 % des parents ne savent pas qu'ils ne savent pas ce que font leurs enfants sur les réseaux sociaux, car il est impossible de suivre ce qui passe sous leurs yeux au gré du scrolling...

Il faudrait encourager la prise de conscience des jeunes eux-mêmes : beaucoup d'entre eux commencent à témoigner du choix qu'ils ont fait, pour leur propre santé mentale, d'abandonner leur compte sur les réseaux sociaux. C'est un vecteur à encourager, car les jeunes sont les meilleurs témoins de ce phénomène.

Tout cela renforce l'idée d'une majorité numérique à 15 ans : à 11 ou 12 ans, on est parfaitement incapable de se rendre compte de la toxicité des réseaux. Au-delà de notre travail législatif, le travail de sensibilisation des jeunes et de leurs parents est donc essentiel.

Mme Annick Billon. - Ce travail fait écho à votre investissement, chère rapporteure, dans la rédaction du rapport d'information Porno : l'enfer du décor, concernant notamment la protection des mineurs dans l'espace numérique. La complexité du sujet ne doit pas nous empêcher d'essayer... Certaines difficultés doivent encore être surmontées : le dispositif du tiers de confiance est par exemple remis en question pour un problème de données personnelles. De manière générale, la loi avance moins vite que la technologie.

Il s'agit de protéger tout le monde : les incidences sur les mineurs sont prouvées, mais les adultes sont aussi menacés, car l'éducation au numérique n'a pas été au rendez-vous, ce qui rend d'ailleurs impossible le contrôle des enfants par leurs parents. Il faut protéger la société contre une invasion du numérique qui peut être dangereuse pour la démocratie.

M. David Assouline. - Je ne peux que m'associer aux félicitations qui ont été adressées à Mme la rapporteure.

Il reste une réflexion à mener, d'ici la séance, sur la possibilité de traduire en amendements les recommandations de la Cnil qui n'ont pas encore été intégrées dans le texte. Je nous réserve donc la possibilité de proposer au Sénat des précisions en ce sens. Ce texte est de toute façon bienvenu, juste, nécessaire.

La réflexion de notre commission doit néanmoins être approfondie : s'il n'y a pas de majorité numérique sans responsabilité, cela commence par l'éducation, donc à l'école. Or l'éducation nationale n'a pas pris la mesure de cette question de l'éducation numérique, à laquelle elle doit consacrer bien davantage de moyens. Il fut un temps où les choses étaient claires : sur internet, les mômes étaient livrés à eux-mêmes - les parents ne savaient même pas de quoi il s'agissait. On n'en est plus là, mais l'éducation nationale n'a toujours pas intégré que l'outil numérique est au coeur de l'ensemble des matières qu'elle enseigne, mathématiques, français, c'est-à-dire analyse des images et des textes, histoire, géographie, éducation civique. Je plaide pour que l'outil numérique fasse l'objet d'un enseignement dispensé de façon transversale, la coordination des équipes pédagogiques étant prise en charge par les documentalistes - cette proposition que les associations de documentalistes avaient promue, je l'ai faite il y a dix-sept ans... Voilà qui serait utile du point de vue de la responsabilisation dans l'espace numérique. Que l'école forme des citoyens majeurs dans l'espace numérique comme dans la société, c'est le plus important.

M. Jean Louis Masson. - Je ferai entendre une voix un peu différente : que ceux d'entre nous qui étaient adolescents il y a soixante ans se remémorent la législation qui existait à l'époque : vue d'aujourd'hui, la censure des moeurs qui prévalait alors nous paraît grotesque. Il faut faire en sorte que la loi que nous sommes en train d'écrire ne prête pas le flanc à une telle critique rétrospective.

Les enfants d'aujourd'hui sont dix fois plus malins, en matière d'informatique, que leurs parents : quoi que nous décidions, ils arriveront toujours à faire ce qu'ils veulent.

Quant au tiers de confiance, ce dispositif me semble dément du point de vue de la protection de la vie privée : on ne peut absolument pas faire confiance à la notion de tiers de confiance ! Prenons des domaines a priori particulièrement prémunis contre les fuites d'informations, comme la police ou la justice, organisations théoriquement exemplaires : rien n'est censé filtrer d'une information judiciaire. Or, dès qu'arrive quelque chose, tout se retrouve dans la presse au bout de quelques jours... A fortiori, imaginez quelles seront les fuites au niveau des supposés tiers de confiance...

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Je vous remercie pour vos prises de parole sur ce sujet qui fait presque consensus, ainsi que pour vos encouragements.

Le sujet est ambitieux : en tant que législateur, soit on ose aborder le sujet et poser des limites, soit on reste muré dans un silence qui ne fera pas évoluer la situation. Or la littérature scientifique sur l'effet de l'utilisation des réseaux sociaux sur les mineurs de 15 ans est assez inquiétante.

Je doute que ces dispositions inquiètent les parents, monsieur Masson : j'ai travaillé sur ce texte en tant que sénatrice, mais aussi en tant que parent. Et, en cette matière, les parents m'ont remerciée d'essayer de trouver un outil efficace, car ils considèrent les réseaux sociaux comme une drogue.

L'interdiction d'inscription aux mineurs de 13 ans, pour l'instant, ne relève pas de la loi : ce sont les plateformes qui se sont mises d'accord pour poser cette « interdiction » et il est de notre responsabilité de poser cette pierre dans le débat public. Ce rapport aura une incidence sur les annonces qui vont être faites par le Gouvernement : il faut mettre les pieds dans le plat.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 1er bis (nouveau)

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - L'amendement COM-1 vise à réparer une erreur matérielle commise par l'Assemblée nationale, qui avait supprimé l'obligation de coopération des plateformes en matière de traite des êtres humains.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 1er ter (nouveau)

L'article 1er ter est adopté sans modification.

Article 2

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'amendement COM-2 a trait à l'autorité parentale. Dans notre droit, seuls les actes les plus importants de la vie du mineur requièrent l'accord de l'ensemble des titulaires de l'autorité parentale, intervention chirurgicale ou changement d'école par exemple. Dans les autres cas, l'accord d'un seul parent est requis. Il me semble que l'obligation d'un accord des deux parents pour une inscription sur les réseaux sociaux est excessive, puisqu'il s'agit d'un acte usuel.

Il est donc proposé d'exiger l'accord d'un seul titulaire de l'autorité parentale pour l'inscription d'un mineur de 15 ans sur un réseau social, ce qui, de surcroît, serait de nature à simplifier le recueil du consentement pour les usagers.

L'amendement COM-2 est adopté.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Introduite par amendement à l'Assemblée nationale, malgré les avis défavorables du Gouvernement comme du rapporteur, la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article 2 pose le principe général d'une interdiction d'inscription d'un mineur de 13 ans sur un réseau social hors réseaux « dûment labellisés à cet effet ».

Cette exception pose deux problèmes : d'une part, il s'agit d'une limite à l'autorité reconnue aux parents, lesquels ne pourraient pas consentir volontairement à l'inscription de leur enfant sur un réseau social « non labellisé » ; d'autre part, un tel réseau paraît difficile à concevoir, même s'il peut en exister des modèles. Le dispositif proposé ne prévoit au demeurant, pour ces réseaux, aucune définition précise.

Dans ces conditions, il est proposé, par l'amendement COM-3, de supprimer cet ajout pour en rester à l'idée initiale du texte, qui est de placer l'autorité parentale au coeur de la régulation de l'usage du numérique pour les mineurs. Cela préserverait par ailleurs la lisibilité du message, à savoir le recueil obligatoire de l'autorisation parentale avant l'âge de 15 ans, sans exception.

L'amendement COM-3 est adopté.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'amendement COM-10 de notre collègue Bernard Fialaire vise à contraindre les réseaux sociaux à empêcher la consultation par les moins de 15 ans des contenus « inappropriés ».

La réalité du problème qu'il s'agit de traiter est incontestable : les jeunes sont confrontés à des contenus douteux sur les réseaux sociaux.

Cela dit, l'amendement pose deux problèmes.

Premièrement, il ne définit pas ce que sont les contenus « inappropriés ». Il existe déjà une procédure de signalement des contenus manifestement illégaux comme les contenus pédopornographiques ou les contenus terroristes, procédure prévue par la loi de 2004. Dans les autres cas, la frontière est beaucoup plus floue et, à vrai dire, impossible à tracer.

Deuxièmement, le cadre posé par le droit européen ne permet pas un contrôle a priori des contenus postés par les internautes sur les réseaux, et encore moins leur classement en « approprié » et « inapproprié ».

Les avancées du projet de loi d'adaptation du droit national au règlement DSA, qui sera prochainement examiné par le Sénat, devraient permettre de mieux réguler les contenus, l'objet du texte que nous examinons aujourd'hui étant plutôt le contrôle de l'accès.

Avis défavorable.

L'amendement COM-10 n'est pas adopté.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - L'alinéa que l'amendement COM-4 vise à supprimer est superfétatoire, les missions de la Cnil étant clairement définies.

L'amendement COM-4 est adopté.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - Compte tenu des enjeux en matière de protection des données personnelles, il paraît prudent d'appuyer le décret qui doit être pris en Conseil d'État pour l'application de l'article 2 sur un avis de la Cnil : tel est l'objet de l'amendement COM-5.

L'amendement COM-5 est adopté.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'amendement COM-6 vise à supprimer, au sein de l'article 2, les mesures d'entrée en vigueur décalée pour la vérification de l'âge des personnes déjà inscrites et pour le contrôle de l'Arcom sur les réseaux sociaux.

Je proposerai un article additionnel après l'article 5 prévoyant une nouvelle date d'entrée en vigueur et de nouveaux délais tenant compte de la saisine de la Commission européenne.

L'amendement COM-6 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - L'article 3 transpose par anticipation le projet de règlement européen relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale. Il fixe des délais pour les demandes d'information adressée par l'autorité judiciaire aux plateformes et intermédiaires techniques : ceux-ci seraient de dix jours, ramenés à huit heures en cas d'urgence.

Or la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale est plus large que celle qui est contenue à l'article 9 du projet de règlement, ce dernier ne visant pas les atteintes aux biens.

Dès lors, il est proposé de s'en tenir aux « risques imminents d'atteinte grave aux personnes », ainsi qu'il est prévu dans le règlement.

L'amendement COM-7 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

L'article 4 est adopté sans modification.

Article 5 (nouveau)

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - L'article 5 prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport sur l'opportunité d'un rapprochement entre deux plateformes d'appel : le 3018, dont l'opérateur est l'association e-Enfance et qui agit avec le soutien du ministère de l'éducation nationale, apporte une aide aux personnes victimes de violences numériques - cyberharcèlement, usurpation d'identité, violences à caractère sexiste ou sexuel, etc. ; le 3020, subventionné par le ministère de l'éducation nationale et dont l'opérateur est l'École des parents et des éducateurs d'Île-de-France, s'adresse aux élèves, aux familles et aux professionnels témoins ou victimes d'une situation de harcèlement entre élèves.

Outre qu'une telle étude n'est pas du niveau de la loi, les auditions menées ont souligné l'utilité de ces deux dispositifs, mais également leurs caractéristiques différentes : ils diffèrent par leurs missions comme par leurs publics. Il ne paraît donc pas pertinent de fragiliser ces structures.

Cela n'empêche au demeurant en rien le Gouvernement de mener une réflexion sur l'évolution de ces services afin de mieux les faire connaître et de les rendre plus efficaces.

L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 5 est supprimé.

Après l'article 5

Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure. - La présente proposition de loi devra faire l'objet d'une notification à la Commission européenne en application de la directive du 9 septembre 2015.

Il s'agit de s'assurer que les textes envisagés sont compatibles avec la législation européenne et avec les principes qui s'appliquent au marché intérieur.

Il est donc proposé, par l'amendement COM-9, de sécuriser juridiquement le dispositif en décalant son entrée en vigueur après la réception de la réponse de la Commission européenne. Un décret fixerait la date de cette entrée en vigueur, qui ne pourrait être postérieure de plus de trois mois à cette réception par le Gouvernement de l'avis de la Commission. En conséquence, il est proposé de décaler d'autant l'application des dispositions initialement contenues à l'article 2 de la proposition de loi.

Ainsi, les plateformes devront vérifier l'âge des inscrits dans les deux ans qui suivent l'entrée en vigueur ; elles seront soumises, pour les nouveaux inscrits, à la régulation de l'Arcom un an après l'entrée en vigueur.

Ce délai supplémentaire de quelques mois devra être mis à profit pour anticiper au mieux les difficultés techniques relatives au contrôle de l'âge et à l'autorisation parentale.

L'amendement COM-9 est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er bis (nouveau)

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

1

Amendement rédactionnel

Adopté

Article 2

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

2

Autorité parentale d'un seul parent requise pour une inscription sur les réseaux sociaux.

Adopté

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

3

Suppression des réseaux sociaux labellisés accessibles aux moins de 13 ans

Adopté

M. FIALAIRE

10

Empêcher les réseaux sociaux de proposer la consultation par les moins de quinze ans de contenus « inappropriés ».

Rejeté

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

4

Suppression d'un alinéa superfétatoire

Adopté

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

5

Ajout d'un avis de la CNIL sur le décret en Conseil d'Etat

Adopté

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

6

Suppression des dispositions d'entrée en vigueur décalées de certaines dispositions de l'article 2, réintroduite par l'amendement COM-9

Adopté

Article 3

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

7

Précision sur le champ des demandes d'informations de l'autorité judiciaire aux plateformes et intermédiaires techniques

Adopté

Article 5 (nouveau)

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

8

Suppression

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 5 (nouveau)

Mme BORCHIO FONTIMP, rapporteure

9

Précision sur les délais d'entrée en vigueur, reportés trois mois après réception des observations de la commission européenne

Adopté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mardi 2 mai 2023

- Mme Servane MOUTON, neurologue.

- Renaissance numérique : M. Thomas ROHMER, fondateur et directeur exécutif de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (OPEN), expert au sein du comité de protection jeune public de l'Arcom, Mme Jessica GALISSAIRE, responsable des études et des partenariats.

Mercredi 3 mai 2023

- Meta France : M. Éric GARANDEAU, directeur affaires publiques France, Mme Sarah KHEMIS, directrice des relations institutionnelles et des affaires publiques TikTok France, M. Louis EHRMANN, analyste politiques publiques, M. Thibault GUIROY, responsable relations institutionnelles et politiques publiques, M. Hugues de MAUPEOU, Governmental Affairs and Public Policy, M. Arnaud VERGNES, responsable des relations institutionnelles, Mme Clotilde BRIEND, responsable protection des mineurs, Mme Capucine TUFFIER, directrice des politiques publiques, Mme Sarah BOUCHAHOUA, responsable des affaires publiques pour la France.

- Assemblée nationale : M. Laurent MARCANGELI, député de la Corse-du-Sud, M. Rémy CHEMLA, chef de cabinet de M. Laurent MARCANGELI.

- Ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique : M. Jean-Noël BARROT, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications, M. Kevin THUILIER, directeur du cabinet adjoint, Mme Baltis MEJANES, cheffe du cabinet, conseillère en charge de la protection de l'enfance dans l'espace numérique, et Mme Rebecca BREITMAN, conseillère parlementaire.

Jeudi 4 mai 2023

- Respect Zone : Mmes Anne-Charlotte GROS, secrétaire générale, et Nathalie TURCO, responsable administratif, responsable pôle collectivités territoriales.

- Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique : Mme Laurence PÉCAUT-RIVOLIER, membre, et Mme Manon CASSOULET-FRESSINEAU, chargée de mission à la direction des plateformes en ligne.

- Commission nationale de l'informatique et des libertés : M. Mathias MOULIN, secrétaire général adjoint, Mme Chirine BERRICHI, conseillère pour les questions parlementaires et institutionnelles, et M. Antoine GAUME, ingénieur expert au service de l'expertise technologique.

Proposition de loi n° 389 (2022-2023) visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie »15(*).

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie16(*).

Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte17(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial18(*).

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 10 mai 2023, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 389 (2022-2023) visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.

Elle a considéré que ce périmètre incluait les dispositions :

- visant à protéger les mineurs usagers des réseaux sociaux ;

- encadrant la coopération entre les hébergeurs, les intermédiaires techniques et les pouvoirs publics en matière de comportements potentiellement toxiques en ligne.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-389.html


* 1 https://www.senat.fr/rap/l17-677/l17-677.html

* 2 https://www.senat.fr/rap/a19-173/a19-173.html

* 3 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr17-739.html

* 4 https://www.cnil.fr/fr/droits-numeriques-des-mineurs-la-cnil-publie-les-resultats-du-sondage-et-de-la-consultation-publique

* 5 Voir le commentaire de l'article 3 du présent projet de loi.

* 6 http://www.senat.fr/commission/enquete/2023_tiktok.html

* 7 Voir le commentaire de l'article 2 de la présente proposition de loi.

* 8 82 voix pour, deux contre.

* 9 Proposition de loi visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux et Proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants, discutées respectivement les 9 et 10 mai.

* 10 Par exemple, sur la proposition de loi visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, examinée par la commission des affaires économiques le 3 mai 2023.

* 11 Catherine Morin-Desailly et Florence Blatrix Contat ont rendu public un rapport exhaustif sur le DMA réalisé au nom de la commission des affaires européenne du Sénat : http://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-034-notice.html

* 12 https://asso-generationnumerique.fr/wp-content/uploads/2022/10/Enquete-donnees-personnelles-CNIL-GN-2022-avec-compression.pdf

* 13 https://asso-generationnumerique.fr/wp-content/uploads/2022/02/Enquete-pratiques-nume%CC%81riques-2022.pdf

* 14 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CONSIL:ST_5448_2023_INIT&from=EN

* 15 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 16 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 17 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 18 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

Les thèmes associés à ce dossier