N° 663

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 mai 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1)
sur la proposition de loi relative
à la
reconnaissance biométrique dans l'espace public,

Par M. Philippe BAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

Voir les numéros :

Sénat :

505 et 664 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Réunie le 31 mai 2023 sous la présidence de François-Noël Buffet, la commission des lois a adopté avec modifications, sur le rapport de Philippe Bas, la proposition de loi n° 505 (2022-2023) relative à la reconnaissance biométrique dans l'espace public.

Déposée par Marc-Philippe Daubresse et Arnaud de Belenet ainsi que plusieurs de leurs collègues, la proposition de loi vise à traduire les recommandations du rapport d'information, La reconnaissance biométrique dans l'espace public : 30 propositions pour écarter le risque d'une société de surveillance, adopté à l'unanimité par la commission des lois le 10 mai 20221(*).

Faisant le constat d'un défaut d'encadrement juridique spécifique et de réflexion éthique collective, la proposition de loi envisage la création d'un cadre juridique spécial pour la reconnaissance biométrique afin de réguler les pratiques et d'éviter le déploiement d'usages parfois contestables de cette technologie fortement intrusive. Est ainsi proposée la définition de lignes rouges et de grands principes, sur la base desquels une autorisation de certains usages de reconnaissance biométrique dans l'espace public pourrait être envisagée. L'autorisation de ces cas d'usage spécifiques est cependant proposée à titre expérimental, avec un régime de redevabilité rigoureux et un contrôle parlementaire élargi.

À l'initiative de son rapporteur, la commission a adopté plusieurs amendements, afin, tout en s'inscrivant dans la logique de la proposition de loi de fixer en premier lieu des interdits, de renforcer les garanties applicables à l'ensemble des cas d'usage proposés à titre expérimental, en les inscrivant dans un cadre d'exigences renforcées permettant de limiter leurs usages à des cas exceptionnels, circonscrits dans le temps et dans l'espace, et justifiés par un intérêt public supérieur.

I. LA RECONNAISSANCE BIOMÉTRIQUE : UNE TECHNOLOGIE DONT L'ENCADREMENT JURIDIQUE FAIT L'OBJET DE NOMBREUSES RÉFLEXIONS

A. LA RECONNAISSANCE BIOMÉTRIQUE : UNE TECHNOLOGIE AUJOURD'HUI ENCADRÉE PAR LE DROIT DES DONNÉES PERSONNELLES

Les technologies de reconnaissance biométrique, qui incluent la reconnaissance faciale, regroupent l'ensemble des procédés automatisés permettant de reconnaître un individu à partir de la quantification de ses caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales2(*).

La reconnaissance des personnes à partir de leurs données biométriques s'effectue en deux étapes : les données de la personne sont d'abord captées et transformées en un modèle informatique dénommé gabarit, puis ce gabarit est comparé, grâce à l'intelligence artificielle, avec un ou plusieurs autres gabarits afin de vérifier qu'il s'agit bien d'une seule et même personne ou de lui attribuer une identité. On parle dans le premier cas d'authentification et dans le second d'identification. Ainsi, pour la reconnaissance faciale, le processus est le suivant :

Source : Commission des lois du Sénat -
Rapport sur la reconnaissance biométrique dans l'espace public 

Les cas d'usage de ces technologies sont potentiellement illimités. Ainsi, sans que cette liste soit exhaustive, la reconnaissance biométrique peut permettre de contrôler l'accès et le parcours des personnes pour les évènements ou locaux sensibles, d'assurer la sécurité et le bon déroulement d'évènements à forte affluence ou d'aider à la gestion des flux dans les lieux et environnements nécessitant une forte sécurisation.

Or, les techniques de reconnaissance biométrique ne font pas l'objet d'un encadrement ad hoc. Elles sont actuellement exclusivement régies par le droit des données à caractère personnel. S'agissant de données « sensibles » au sens du règlement général sur la protection des données (RGPD), les données biométriques font l'objet d'une interdiction de traitement. Sur la base du RGPD, ces traitements ne peuvent être mis en oeuvre que par exception dans certains cas particuliers : avec le consentement exprès des personnes, pour protéger leurs intérêts vitaux ou sur la base d'un intérêt public important. Sur la base de la directive « Police-justice », ces traitements ne peuvent être réalisés par les autorités publiques compétentes qu'en cas de nécessité absolue et sous réserve de garanties appropriées pour les droits et libertés de la personne concernée.

Ainsi, en France, les usages pérennes de la reconnaissance biométrique à distance dans les espaces accessibles au public sont extrêmement limités. Il s'agit pour l'essentiel du dispositif de rapprochement par photographies opéré dans le Traitement des antécédents judiciaires (TAJ) et du système Parafe3(*) permettant une authentification sur la base des données contenues dans le passeport lors des passages aux frontières extérieures. Plusieurs expérimentations ont par ailleurs été menées, par la Ville de Nice ou Aéroports de Paris notamment, mais aucune d'entre elles n'a pour l'instant été pérennisée.


* 1 Rapport d'information n° 627 (2021-2022) fait, au nom de la commission des lois, par Marc-Philippe Daubresse, Arnaud de Belenet et Jérôme Durain. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-627-notice.html.

* 2 L'article 4 du règlement général sur la protection des données (RGPD) définit ainsi les données biométriques comme « les données à caractère personnel résultant d'un traitement technique spécifique, relatives aux caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales d'une personne physique, qui permettent ou confirment son identification unique, telles que des images faciales ou des données dactyloscopiques ».

* 3 Passage rapide aux frontières extérieures.