TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITION DE M. GABRIEL ATTAL, MINISTRE DÉLÉGUÉ AUPRÈS DU MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE, CHARGÉ DES COMPTES PUBLICS (2 MAI 2023)
Réunie le mardi 2 mai 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2021 et le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2022.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur le ministre, alors que nous débattrons demain en séance, à la demande de notre commission, de la programmation de nos finances publiques pour les années 2023 à 2027, il nous est apparu nécessaire de vous entendre sur l'exécution des comptes de l'année 2022. Le Gouvernement a en effet présenté en conseil des ministres le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes (PLR) de l'année 2022, en même temps qu'il redéposait un projet de loi sur l'exécution des comptes de l'année 2021, après le rejet de ce dernier par le Parlement l'an passé.
Nous attendons donc que vous nous indiquiez quels ont été les résultats de l'année passée pour le budget de l'État et que vous précisiez dans quelle mesure ils correspondent aux estimations de recettes présentées par le Gouvernement et à l'autorisation parlementaire en dépenses qui figurait dans le collectif budgétaire de fin d'année. Les lois de finances ne sont en effet pas un exercice de pure prévision ; elles doivent être sincères au regard des informations dont dispose le Gouvernement lorsqu'elles sont présentées. Notre commission, appuyée en cela par la Cour des comptes, a déjà fait des observations l'an passé sur ce que l'on peut qualifier parfois de « cavalerie budgétaire ».
Par ailleurs, j'imagine que vous nous indiquerez quelles difficultés concrètes ont pu résulter, depuis l'été dernier, de la non-adoption du projet de loi de règlement pour 2021 et quelle motivation vous conduit à présenter de nouveau ce texte pour obtenir cette fois son approbation par le Parlement.
M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. - Le Gouvernement présente en effet à nouveau le projet de loi de règlement pour l'année 2021, qui a été rejeté par l'Assemblée nationale le 3 août dernier. Lors d'une audition récente, j'ai indiqué que, à mon sens, voter, ou du moins, ne pas s'opposer à l'adoption d'un projet de loi de règlement ne signifie pas que l'on donne un satisfecit au Gouvernement pour sa conduite des affaires de la Nation pendant l'année concernée, mais simplement que l'on prend acte de l'exécution du budget.
En tant qu'élu local, je crois n'avoir jamais voté contre un compte administratif présentant les résultats de l'année antérieure. Le projet de loi de règlement est une photographie du passé, or on ne peut pas changer celui-ci. Quoi qu'il en soit, ces remarques ne concernent pas le Sénat, qui avait, lui, voté ce projet de loi de règlement.
Nous présentons également le projet de loi de règlement pour 2022, une année marquée par le retour d'une forte inflation sur le plan mondial, qui a eu des conséquences importantes sur les conditions dans lesquelles l'État finance son endettement.
Permettez-moi tout d'abord d'indiquer les quelques modifications qui ont été apportées au projet de loi de règlement pour 2021.
L'article liminaire a été actualisé, à la suite de la communication par l'Insee, le 28 mars dernier, des comptes pour 2021, qui a porté le déficit de 2021 de -6,4 % à -6,5 %. Cette actualisation est notamment due à la requalification d'Action Logement en administration publique.
Par ailleurs, à l'article 6, des dispositions permettant de ne pas reporter certains soldes de comptes spéciaux ont été supprimées, puisque conformément à l'article 21 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), l'intégralité de ces soldes a été reportée en 2022.
Enfin, à l'article 7, les dispositions ayant trait à un abandon de créances détenues sur la Somalie ont été supprimées, car elles ont été reprises dans la deuxième loi de finances rectificative pour 2022.
Le Conseil constitutionnel a jugé que la présentation et la mise au vote du projet de loi de règlement pour 2021 suffisaient pour permettre l'adoption d'un budget pour les années suivantes, et la Cour des comptes a certifié les comptes.
Outre certains points techniques, notamment des reports de soldes sur des comptes spéciaux, le rejet du PLR pour 2021 n'a donc pas eu d'impact sur l'adoption du projet de loi de finances (PLF) suivant ni sur la certification des comptes, ce qui, du reste, pourrait nous conduire à nous interroger sur l'utilité de conserver cette procédure dans la loi organique, qui pourrait faire l'objet d'un débat.
Nous présentons toutefois ce texte une nouvelle fois par souci de sincérité, au regard notamment des évolutions marginales qui sont intervenues depuis sa première présentation. En tout état de cause, je ne désespère pas que ce PLR soit adopté puisqu'il ne s'agit que d'une photographie.
J'en viens au PLR pour l'année 2022, qui peut être considérée comme une année de transition entre la crise sanitaire et la crise résultant de l'inflation. Pour faire face à l'une comme à l'autre, le Gouvernement a fait le choix de protéger les entreprises et les ménages, tout en assurant la maîtrise de nos finances publiques.
Je ne dis pas que tout va bien, mais je constate que le pays a tenu bon, grâce notamment aux millions de Français qui travaillent et aux chefs d'entreprise qui embauchent et qui investissent.
Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de tirer quelques enseignements de l'exécution budgétaire de l'année dernière.
Premièrement, la politique économique qui a été conduite a protégé efficacement les Français des effets de la crise de l'inflation. Les boucliers gaz et électricité ont en effet permis de préserver la croissance économique, et partant, le dynamisme des recettes, qui est le principal facteur de l'amélioration de notre déficit public.
Les recettes ont progressé de 7,3 % en 2022, après une progression de 8,4 % en 2021. Cette croissance repose principalement sur la progression de l'impôt sur les sociétés, dont les recettes ont augmenté de 15,8 milliards d'euros par rapport à l'an dernier, portant leur montant total à 62,1 milliards d'euros, ce qui constitue un record, alors même que nous avons diminué le taux d'imposition de 33 à 25 %.
Les recettes d'impôt sur le revenu ont également augmenté de 10,3 milliards d'euros, notamment grâce au dynamisme de la masse salariale, et les recettes de la TVA ont augmenté du fait de l'inflation, à hauteur de 5,3 milliards d'euros.
Comme lors de l'exécution précédente, ce dynamisme des recettes a largement contribué à la baisse de notre déficit public, qui est passé de 6,5 % du PIB en 2021, à 4,7 % en 2022.
Dans une certaine mesure, les choix économiques que nous avons faits se sont révélés vertueux d'un point de vue budgétaire, puisqu'ils ont permis d'augmenter les recettes.
Comme pendant la crise covid, nous avons fait le choix de la protection tout en poursuivant le redressement des finances publiques, conformément aux objectifs que nous nous sommes fixés pour assurer le retour du déficit à un niveau inférieur à 3 % en 2027.
Pour autant - c'est le deuxième enseignement -, le solde des administrations publiques demeure très dégradé, précisément parce que nous avons consacré des moyens considérables pour casser cette spirale inflationniste. Pour les années 2021 et 2022, nous avons débloqué 34,5 milliards d'euros nets - dont je défalque les recettes de contribution au service public de l'électricité (CSPE) et de contribution sur la rente inframarginale des producteurs d'électricité (CRI) - pour lutter contre l'inflation, au travers principalement des boucliers énergie. Ce montant est certes considérable, mais le coût des boucliers reste moins élevé que celui des deux points d'inflation supplémentaires qu'ils nous ont épargnés. Nous assumons donc pleinement ce choix.
Nous devons impérativement tenir nos objectifs de redressement des finances publiques et enclencher le désendettement de la France à l'horizon 2027, comme nous nous y sommes engagés. J'ai conscience que le défi est de taille, et que les prochaines marches vers la réduction du déficit public à 3 % du PIB à l'horizon 2027 seront plus difficiles à franchir, notamment parce que l'environnement économique n'est plus le même.
En 2022, nous avons été portés par une croissance de 2,6 %, alors que celle-ci s'établira cette année autour de 1 %, dans un contexte de ralentissement mondial. En conséquence, notre déficit devrait cette année rester au même niveau que l'année dernière ou s'établir légèrement au-dessus, tandis que l'endettement public devrait continuer à diminuer.
Le défi est de taille, mais je sais que nous pouvons y arriver grâce à une stratégie qui consiste tout d'abord à continuer à substituer des mécanismes ciblés à la logique du « quoi qu'il en coûte » et aux dispositifs généraux qu'elle emporte.
Ce n'est pas toujours facile, mais nous avons commencé à le faire l'an dernier, quand nous avons remplacé la ristourne générale sur le carburant, qui a coûté 8 milliards d'euros sur l'année 2022, par une indemnité carburant ciblée sur les travailleurs les plus modestes, au titre de laquelle 1 milliard d'euros ont été budgétés.
Nous devrons également réaliser des économies en 2024 et les années suivantes. Nous dépensons trop dans certains secteurs, sans toujours obtenir les résultats escomptés. Un pays qui prend le chemin du plein emploi peut-il, par exemple, se permettre de garder le même niveau de dépenses que lorsqu'il croulait sous le chômage de masse ? Non, c'est pourquoi le Gouvernement travaille actuellement à la réduction des dépenses liées à l'emploi.
De même, nous devons reconsidérer certaines dépenses « brunes », notamment fiscales, qui ne sont plus en ligne avec notre ambition écologique et ne démontrent plus leur efficacité.
Enfin, de manière transversale, nous continuerons à maîtriser les dépenses et à compter chaque euro de chaque budget pour faire en sorte que la dépense publique augmente moins vite que sa tendance naturelle. La Première ministre a adressé un courrier à l'ensemble des membres du Gouvernement leur demandant d'identifier 5 % de marge de manoeuvre dans le budget de leur ministère afin de préparer les travaux budgétaires pour 2024 et les années suivantes.
Comme l'année dernière, je souhaite que l'ensemble des groupes politiques représentés au Parlement soient associés à cette réflexion, et plus largement, au processus d'élaboration de la prochaine loi de finances. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai de reprendre l'exercice des dialogues de Bercy, mais cette fois dès l'été. Le Gouvernement souhaite en effet aller vers davantage de coconstruction, ce qui suppose de nous laisser davantage de temps.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur le ministre, je tiens à préciser que Sénat n'a pas voté la loi de règlement pour 2021. Nous entendons toutefois vos encouragements !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous prônez la coconstruction, tout en faisant un appel à la consultation publique afin de savoir ce que les Français attendent de l'utilisation de l'impôt. Il sera sans doute difficile de concilier tout cela...
Une nouvelle fois, l'exécution budgétaire est très éloignée de la prévision. Alors que le projet de loi de finances rectificative (PLFR) de décembre 2022 prévoyait des recettes fiscales nettes de 315,8 milliards d'euros, celles-ci se sont finalement élevées à 323,3 milliards d'euros. La Cour des comptes souligne que ces écarts, devenus habituels depuis quelques années, ne s'expliquent pas par des événements exceptionnels. Quelles sont les raisons des difficultés que rencontre désormais le ministère du budget à prévoir les recettes fiscales ? Que comptez-vous mettre en oeuvre pour améliorer ces prévisions ?
S'agissant des dépenses, le budget de 2022 est une nouvelle fois marqué par un écart préoccupant entre les crédits approuvés par la loi de finances initiale et les crédits effectivement mis à la disposition des ministres. Alors que la loi de finances initiale (LFI) pour 2022 avait ouvert 392 milliards d'euros de crédits hors remboursements et dégrèvements, ces derniers ont été portés à 440 milliards d'euros au fil des collectifs budgétaires, auxquels se sont ajoutés 23 milliards d'euros via les reports de crédits. Finalement, les dépenses exécutées se sont élevées à 446 milliards d'euros, si bien que les reports n'ont été que peu utilisés et auraient pu être évités. Malgré ce constat, la pratique se poursuit, puisque 17 milliards d'euros ont à nouveau été reportés de 2022 à 2023.
La loi de finances initiale ne donne donc désormais qu'une vision imprécise de la réalité du budget, cette « stratégie du flou » réduisant d'autant la portée de l'autorisation parlementaire. Pourquoi ne pas mettre fin à cette pratique des reports massifs de crédits et revenir à des montants raisonnables ?
J'en viens à l'exécution du filet de sécurité. Au regard des deux premiers critères retenus - une épargne brute au 31 décembre 2021 inférieure à 22 % des recettes réelles de fonctionnement et un potentiel financier ou fiscal inférieur au double de la moyenne de la strate - 18 521 communes et 944 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) étaient éligibles au filet de sécurité, soit respectivement 53 % et 75 % des collectivités concernées. Compte tenu des dernières données en cours de finalisation sur les comptes de gestion 2022, quelle est, à date, votre estimation du nombre de communes et d'EPCI qui remplissent le troisième critère de baisse d'épargne brute de 25 % entre 2021 et 2022 ?
Sur les 430 millions d'euros ouverts en loi de finances rectificative (LFR) pour le paiement des acomptes, 106 millions d'euros ont été consommés. Combien de communes et d'EPCI ont-ils finalement demandé le versement de l'acompte ? Quel était le montant moyen de celui-ci ?
La dotation doit être versée au plus tard le 30 octobre 2023. Avez-vous déjà reçu des demandes ? Dans l'affirmative, combien de communes et d'EPCI ont-ils déposé cette demande à partir de leurs données financières définitives ?
Enfin, pouvez-vous faire un point sur les versements attendus de la part de l'Union européenne au titre de la mise en oeuvre du plan de relance ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Le montant de certaines recettes a effectivement été supérieur à celui des prévisions, y compris dans la dernière LFR de 2022. Nous avons enregistré des recettes supérieures de 3,2 milliards d'euros pour l'impôt sur les sociétés, de 1,6 milliard d'euros pour l'impôt sur le revenu et une moins-value de 1,9 milliard d'euros pour la TVA, qui est plus que compensée par la correction en droits constatés, d'un montant de 2,9 milliards d'euros.
Si nous cherchons toujours à être au plus juste, c'est plutôt une bonne nouvelle d'être surpris dans ce sens. Pour 2023, nous avons maintenu un objectif de croissance ambitieux, autour de 1 %, si bien que nous devrions être plus en ligne avec l'exécution.
Les reports sont certes toujours massifs, puisqu'ils s'élèvent à environ 18 milliards d'euros, mais ils sont moindres que l'année précédente, où ils avaient atteint le montant de 23 milliards d'euros, quand ils sont d'ordinaire de 3 à 5 milliards d'euros environ. Il est vrai que nous avons visé large et ouvert beaucoup de crédits, notamment au titre du guichet pour les entreprises « énergo-intensives », pour lequel une partie importante des crédits n'ont pas été consommés en 2022.
De même, les crédits ouverts pour un certain nombre de dispositifs, dont certains à la demande des parlementaires, comme les aides pour le fioul et le bois, n'ont pas été consommés en 2022 et sont donc reportés en 2023.
Par ailleurs, des restes à payer du plan de relance, notamment liés à des travaux de rénovation énergétique, ont pris un peu de retard.
Pour ce qui concerne les dépenses qui ne sont pas liées à la crise, l'un des principaux facteurs de report est le plan d'investissement dans les compétences (PIC). La part régionale du PIC, dont le montant est d'environ 1,9 milliard d'euros, a fait l'objet d'importants reports. Ainsi, près de 800 millions d'euros n'ont pas été décaissés par la région d'Île-de-France.
J'en viens au filet de sécurité. Au 31 mars dernier, un grand nombre de collectivités n'avaient pas encore rendu leurs comptes de gestion pour 2022, si bien que nous ne disposerons d'une première estimation fine qu'au mois de juin prochain. Je ne peux donc pas m'avancer sur des chiffres précis, mais le nombre de communes et d'EPCI éligibles au filet de sécurité pour l'année 2022 serait a priori supérieur à celui des collectivités ayant déjà reçu un acompte à ce titre. Si ce nombre était finalement inférieur, cela signifierait que moins de communes et d'EPCI rentreraient dans le cadre du dispositif voté par le Parlement, ce qui serait plutôt une bonne nouvelle.
En tout état de cause, je vous transmettrai ces estimations dès que j'en disposerai.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous pourriez déjà nous transmettre les données au 31 mars ?
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Comme je l'indiquais, nous manquions encore, au 31 mars, de nombreuses données, mais ce dont nous disposions semblait indiquer que les communes et EPCI éligibles au filet de sécurité seraient plus nombreux que les 4 100 collectivités auxquelles un acompte a été versé en 2022.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il ne faudrait pas nous faire le coup à chaque fois !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - En ce qui concerne le plan de relance, la France pourra recevoir jusqu'à 40,3 milliards d'euros de subventions dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR), dont 37,5 milliards de subventions au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) et 2,8 milliards d'euros de subventions au titre du programme REPowerEU. Depuis l'adoption du PNRR français en 2021, la France a reçu deux versements, le premier de 5,1 milliards d'euros en août 2021 et le second de 7,4 milliards d'euros en mars 2022 à la suite du dépôt de la première demande de paiement en novembre 2021, soit un montant total de 12,5 milliards d'euros.
M. Jérôme Bascher. - De mémoire, il me semble que, lors du vote du PLR pour 2021, le groupe Les Républicains s'était abstenu. Si le PLR est une photographie, vous avez été pris en excès de report, monsieur le ministre, car vous n'avez pas respecté la Lolf. Bis repetita non placent. En prévoyant une épargne de précaution dans les lois de finances, en sus de la réserve de précaution qui est déjà prévue par la loi organique, vous contrevenez à l'esprit de cette dernière. S'il doit y avoir des ajustements en cours d'année, ces derniers doivent être votés dans le cadre de lois de finances rectificatives.
En cela, les projets de loi de règlement que vous nous présentez sont des photographies de vos excès de pouvoir. Je vous demande d'en prendre acte.
Mme Isabelle Briquet. - Le PLR pour 2021 que vous nous présentez comporte-t-il des évolutions qui permettront son adoption ?
Je note à mon tour des reports de crédits importants dans le PLR pour 2022. Est-il envisagé de limiter cette pratique qui nuit à la lisibilité des comptes, puisque l'amélioration du solde repose grandement sur ces reports et non sur des économies ?
Comptez-vous nous présenter une nouvelle loi de programmation des finances publiques (LPFP) ?
En ce qui concerne le filet de sécurité, il serait intéressant de connaître le nombre de communes qui doivent rembourser l'acompte qui leur a été versé parce qu'elles ne rentrent plus dans les critères. Certaines d'entre elles se trouvent de ce fait en difficulté. Cette situation est-elle due à une évolution des critères ou à une précipitation à proposer aux collectivités de bénéficier de ces acomptes ?
M. Stéphane Sautarel. - Je crains moi aussi que des collectivités ne se trouvent en difficulté du fait du critère relatif à l'épargne brute, qui méconnaît le haut degré de responsabilité dont les collectivités ont fait preuve, et que, de ce fait, le filet de sécurité relève davantage de l'effet d'annonce que du véritable soutien.
Au regard des résultats favorables constatés dans ce projet de loi de règlement pour 2022, avez-vous l'intention d'accélérer le désendettement ?
En dépit de la volonté affichée de sortir du « quoi qu'il en coûte », j'estime enfin que l'objectif de réduction du déficit et de l'endettement par une meilleure maîtrise de la dépense n'est guère engagé dans le projet de loi de règlement pour 2022.
M. Claude Raynal, président. - Vous avez indiqué que la ristourne généralisée sur le carburant avait coûté 8 milliards d'euros. Je crois que l'on peut dire que l'instauration de ce dispositif n'était pas une très bonne idée. En dépit de l'accord dont il a fait l'objet avec les LR de l'Assemblée nationale, il n'a d'ailleurs pas reçu beaucoup de soutien au Sénat. En effet, non seulement il paraît un peu dépassé de financer le carburant aujourd'hui, mais il aurait été plus judicieux de cibler les publics qui avaient le plus besoin d'être aidés.
Vous vous êtes par ailleurs interrogé sur le bien-fondé des lois de règlement. Je rappelle que dans le cadre de la dernière réforme de la Lolf, l'option de ne plus y recourir n'a pas été retenue, bien au contraire. La loi de règlement a d'ailleurs été renommée à cette occasion loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année.
Pouvez-vous nous indiquer si un décret d'avance ou une loi de finances rectificative pourrait nous être présenté d'ici à l'été ? Le ministre des armées a en effet indiqué dans la presse qu'une dépense supplémentaire de 1,5 milliard d'euros serait nécessaire au titre de 2023, en évoquant un « rectificatif budgétaire » pour le budget des armées, et l'inflation pourrait être à l'origine d'autres demandes.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - La ristourne sur le carburant était-elle une erreur ? Nous avons toujours assumé le caractère temporaire de cette mesure, que, pour ma part, je ne regrette pas. J'observe que les dispositifs ciblés suscitent le ressentiment d'une partie des Français qui travaillent et qui ne bénéficient pas de ces aides, alors que d'autres Français qui ne travaillent pas en bénéficient. La ristourne a permis de leur donner un coup de pouce, y compris à ces Français qui peuvent être en colère.
De même, il nous a semblé plus opportun de mettre en oeuvre le trimestre anti-inflation pour tous les consommateurs qui souhaitent en bénéficier plutôt que des aides ciblées ou des chèques.
Je ne préconise pas la suppression des projets de loi de règlement. Je constate simplement que lorsque les oppositions ne souhaitent pas leur adoption, quand bien même on ne peut rien changer à ces textes qui ne font que prendre acte de l'exécution, leur rejet ne fait obstacle ni à la présentation du PLF suivant ni à la certification des comptes.
Pour vous répondre, madame Briquet, le PLR pour 2021 ne comporte pas de modifications susceptibles de faire changer le vote, tout simplement parce qu'on ne peut pas changer le passé.
Monsieur Bascher, j'estime qu'il est de bonne gestion, dans un moment de crise, de calibrer des dispositifs pour aider les différents publics qui ont besoin de soutien, même si - je le répète - notre objectif est de diminuer les reports.
En ce qui concerne la LPFP, dont je rappelle qu'elle a bien été adoptée par le Sénat, même si votre assemblée avait revu le projet du Gouvernement, la Première ministre a annoncé dans sa feuille de route qu'un nouveau projet serait présenté en juillet. Pour vous répondre, monsieur Sautarel, nous avons revu la trajectoire dans le cadre du programme de stabilité.
Nous accélérons le rythme de retour sous la barre des 3 % de déficit, tout comme le rythme de désendettement : la LPFP prévoyait un déficit à 2,9 % en 2027, nous passons à 2,7 %, et nous visons une diminution du ratio dette/produit intérieur brut dès 2026. La LPFP sera bien présentée à nouveau.
Concernant le filet de sécurité de 2022 pour les collectivités, certaines d'entre elles ont reçu un acompte, alors que leur perte de capacité d'autofinancement a finalement été moins importante que celle qui a été retenue pour bénéficier de ce filet de sécurité. Nous aurons les chiffres exacts à disposition en juin. Sur 80 % des comptes de gestion remontés, 4 838 collectivités peuvent bénéficier du filet de sécurité, tandis que 4 178 collectivités ont reçu un acompte à la fin de 2022.
Les critères ont été décidés par le Parlement : le dispositif a été fixé par votre collègue députée socialiste Mme Pires Beaune, il a été adopté à l'unanimité des groupes de l'Assemblée nationale, puis a été parfait au Sénat, grâce aux travaux de la majorité sénatoriale et de l'ensemble des groupes. Le critère de perte de 25 % de capacité d'autofinancement a ainsi été retenu pour être éligible au filet de sécurité. Finalement, si moins de communes sont éligibles, c'est que moins de communes ont acté une perte de capacité d'autofinancement supérieure à 25 %, ce qui est plutôt une bonne nouvelle.
J'ai demandé aux directions départementales des finances publiques d'attendre de savoir si les communes ayant reçu un acompte en 2022, sans être finalement éligibles au filet de sécurité pour 2022, y seront éligibles en 2023 avant d'avoir à rembourser. Les critères ont été revus, car le critère de perte de capacité d'autofinancement est désormais de 15 %. Notre objectif n'est pas de déstabiliser les collectivités locales. Nous y verrons plus clair en juin prochain.
M. Claude Raynal, président. - Avant que vous ne me répondiez sur le décret d'avance, je donne la parole à M. Segouin.
M. Vincent Segouin. - Ma première question est autant destinée au ministre qu'au Président de la commission. Vous nous avez dit, dans votre démonstration, que la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés (IS) entraîne une hausse des recettes au titre de ce même impôt... est-ce à dire que trop d'impôt tue l'impôt ?
Ma seconde question porte sur le chèque carburant : son coût aurait été de 8 milliards d'euros, mais quelles sont les recettes réelles pour l'État liées à l'augmentation des prix des carburants ?
M. Claude Raynal, président. - Trop d'impôt tue l'impôt ? Je précise que j'avais voté la baisse à 25 % du taux de l'IS, sous François Hollande, selon le principe suivant : ramener le taux d'imposition au niveau de la moyenne européenne.
Baisser les impôts fait-il que l'économie se porte mieux et que les recettes fiscales augmentent ? Le sujet mériterait d'être étudié de près. Inflation prise en compte, les recettes sont en fait similaires à celles d'il y a dix ans, quand le taux d'IS était de 33 %. Si nous voulions montrer l'intérêt de la baisse du taux d'IS, il faudrait attendre quelques années de plus : il s'agit de savoir si les ressources supplémentaires liées à la baisse de l'IS se traduisent par des investissements, et donc des chiffres d'affaires et des marges accrus, entraînant des recettes fiscales supplémentaires. Deux ans seulement après la baisse de l'IS, la mesure n'explique pas tout.
À cause des crises successives, les entreprises ont versé des acomptes faibles parce qu'elles anticipaient des résultats inférieurs à ce qui ont été finalement constatés. La résilience de l'économie française a d'ailleurs été une surprise. Nous constaterons les chiffres réels quand la situation économique sera stabilisée. Ce taux de 25 %, moyenne européenne, reste bienvenu pour la compétitivité de nos entreprises. En tirer des réflexions trop hâtives me paraît relever plus d'un dogme que de la réalité. Le ministre nous dira sans doute l'inverse.
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Nous avons ce débat très souvent avec le président Raynal. Je le rejoins sur le fait que quelques années de recul sont nécessaires pour mesurer pleinement les effets de cette baisse. Cependant, avec un taux d'IS historiquement faible, l'année dernière, les recettes ont été historiquement hautes - voilà qui est factuel. J'espère que nous faisons la démonstration que quand on taxe moins un gâteau qui grossit, on reçoit plus que quand on surtaxe un gâteau qui rétrécit.
Par ailleurs, en baissant les impôts qui pèsent sur les entreprises, nous ne devenons pas pour autant un paradis fiscal. Sur les 38 pays de l'OCDE, nous sommes, après le Danemark, le deuxième pays avec le plus fort taux de prélèvements obligatoires, et ce malgré la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la baisse de l'IS.
M. Vincent Éblé. - Vous mélangez imposition des entreprises et imposition globale !
M. Gabriel Attal, ministre délégué. - En France, tout le monde paie plus que chez nos voisins. Arrêtons de dire que la France est un paradis fiscal, ce n'est pas le cas.
Nous sommes le dernier pays européen à avoir un impôt national sur la fortune ; notre taux marginal est de 45 %, avec une contribution exceptionnelle pour les très hauts revenus qui devait être temporaire et qui dure depuis 13 ans, faisant que le taux marginal réel est plutôt de 49 % ; enfin notre contribution sociale généralisée (CSG) est progressive.
À ce stade, nous ne prévoyons pas de décret d'avance ou de projet de loi de finances rectificative autre que le PLFR de fin de gestion. J'espère qu'il n'y aura pas de crise d'ici là. Les dépenses liées à la situation géopolitique - vous avez cité les 1,5 milliard d'euros pour l'armée - pourront être régularisées en fin de gestion. Le ministère des armées dispose cette année d'une marge de 3 milliards d'euros, ce qui permettra d'absorber un certain nombre de dépenses.
Concernant les recettes fiscales, je demanderai une réévaluation à mes équipes. Cependant, en 2022, le surcroît de taxes lié à la hausse des prix du carburant était évalué entre 3,5 et 4 milliards d'euros ; la ristourne a coûté le double. L'État ne s'est donc pas enrichi grâce à l'inflation, notamment au regard de toutes les dépenses consenties : bouclier sur le prix de l'électricité et du gaz, guichet pour les entreprises, aides aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux très petites entreprises (TPE), ristourne puis aide sur le carburant. Nous avons dépensé beaucoup plus que nous avons reçu de surcroît de taxes lié à l'inflation.
M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre, pour vos réponses.