B. LE SOUTIEN À L'ALTERNANCE REPRÉSENTE DES MONTANTS CROISSANTS POUR LA MISSION « TRAVAIL ET EMPLOI »
Les dépenses de soutien à l'apprentissage et, plus largement, à l'alternance, qui s'établissent pour 2024 à 8 779 millions d'euros en AE et 8 373 millions d'euros en CP, représentent 38,4 % des dépenses de la mission « Travail et emploi », soit plus d'un tiers.
Coût de l'alternance pour la mission « Travail et emploi » en 2024
(en millions d'euros)
AE |
CP |
|
Aide exceptionnelle aux contrats d'apprentissage |
3 906 |
3 394 |
Aide unique apprentis |
0 |
136 |
Aide aux contrats de professionnalisation |
303 |
273 |
France compétences |
2 500 |
2 500 |
Exonération de cotisations sociales des contrats d'apprentissage |
1 697 |
1 697 |
Exonération IR du salaire des apprentis |
373 |
|
TOTAL |
8 779 |
8 373 |
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Les dépenses d'aide financière aux employeurs d'apprentis sont particulièrement élevées et dynamiques : elles représentent 3 906 millions d'euros en AE et 3 394 millions d'euros en CP pour 2024, soit une augmentation de plus de 67 % par rapport à la LFI pour 2023. Cette augmentation est exclusivement due à l'aide exceptionnelle - du fait de la « fusion », l'aide unique ne se voyant allouer que 136 millions d'euros en CP au titre des contrats signés lors des exercices précédents.
De même, les exonérations de cotisations sociales, qui ont été maintenues pour les cotisations salariales des apprentis et pour les cotisations patronales des employeurs publics20(*) font l'objet d'une compensation aux organismes sociaux à la charge de la mission « Travail et emploi ». Cette compensation, qui évolue avec les effectifs des bénéficiaires, progresseraient également : elle s'établirait à 1 696 millions d'euros en AE et en CP en 2024, contre 1 386 millions d'euros en 2023, soit une augmentation de 22,4 %.
C. UN MEILLEUR CIBLAGE DES AIDES À L'APPRENTISSAGE, SOURCE D'EFFICIENCE ET D'ÉCONOMIES, POURRAIT ÊTRE ENVISAGÉ
1. Une politique dont le succès depuis 2020 résulte d'un ciblage volontairement large
Les aides à l'embauche sont usuellement ciblées dans le but d'ajouter une incitation au recrutement d'un profil particulier de salarié. Les jeunes sortant prématurément du système scolaire sont classiquement l'objectif prioritaire de cette politique, car c'est pour insérer ce public dans l'emploi que l'apprentissage est le plus efficace.
L'aide exceptionnelle instaurée dans le cadre de la crise sanitaire et depuis reconduite a cependant été conçue selon une autre logique : elle est accessible à la quasi-totalité des apprentis, et seuls les étudiants préparant un diplôme d'un niveau supérieur à bac + 5 (Master) et les entreprises de plus de 250 salariés dont les effectifs n'incluent pas assez d'alternants sont exclus. Un tel niveau de subvention est inédit. C'est d'ailleurs l'une des raisons du succès du dispositif.
Toutefois, un ciblage aussi large présente également des risques : en effet, une part significative du coût du travail doit en principe rester à la charge de l'employeur, afin d'éviter les effets d'aubaine et de substitution, que l'on peut par exemple observer concernant d'autres dispositifs d'emploi aidés comme les contrats aidés21(*) ou les emplois francs22(*).
Les caractéristiques de l'aide exceptionnelle ont induit une rupture dans la structure des entrées par âge et par niveau de diplôme préparé : des étudiants auparavant inéligibles à l'aide unique ont été embauchés à un rythme bien plus rapide que les élèves du secondaire - traditionnellement ciblés par les dispositifs d'emploi aidé.
Évolution des effectifs d'apprentis selon
le niveau de formation
entre 2000 et 2022
Source : DEPP, Note d'Information, n° 23.35, juillet 2023
Ainsi, une note de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'Éducation nationale (DEPP)23(*) indique qu'à fin 2022 « la hausse des effectifs d'apprentis est toujours tirée par les effectifs des jeunes préparant un diplôme du supérieur (+ 20,1 % en 2022). Les effectifs de jeunes préparant un diplôme du second degré progressent également mais à un rythme moindre que ceux du supérieur : la hausse se poursuit depuis 2016 (+ 6,5 % en 2022, soit 22 900 jeunes de plus par rapport à 2021). »
2. Les aides à l'embauche des apprentis pourraient judicieusement être mieux ciblées en faveur des petites entreprises et des jeunes dont les qualifications sont moins élevées
Ce large ciblage de l'apprentissage ces dernières années a présenté, selon les rapporteurs spéciaux, d'importants avantages, notamment en termes d'image, l'alternance étant désormais associée avec les études supérieures et généralement mieux perçue par ses potentiels bénéficiaires.
Toutefois, il pourrait être judicieux de revenir à un ciblage plus fin, afin de concentrer les aides vers les apprentis et les entreprises qui en ont le plus besoin - c'est-à-dire les apprentis jeunes, fragiles et peu qualifiés et les plus petites entreprises. La littérature économique et administrative met ainsi bien en évidence la meilleure intégration des apprentis de CAP et de BTS par rapport aux simples bacheliers dans l'emploi salarié24(*).
Cet effet est d'autant plus important que les qualifications concernées sont faibles : le taux de chômage est en effet plus élevé pour les moins diplômés. En 2022 selon l'Insee, il atteint 13,2 % pour les actifs ayant au plus le brevet des collèges, contre 4,7 % pour ceux diplômés du supérieur. Il se situe à un niveau intermédiaire pour les titulaires d'un BEP ou CAP (7,7 %) ou du baccalauréat (8,7 %).
Dans un précédent rapport25(*), les rapporteurs spéciaux d'alors avaient relevé avec satisfaction que les montants de l'aide exceptionnelle à l'apprentissage avait été harmonisés à la fin de l'année 2022 à 6 000 euros quel que soit l'âge de l'alternant. Ils avaient conclu que « les alternants les moins qualifiés étant souvent les plus jeunes, cette harmonisation apparaît de nature à atténuer les potentiels effets d'aubaine liés aux aides à l'embauche des apprentis et à redéployer davantage de moyens vers l'apprentissage des travailleurs peu qualifiés, là où cette aide est la plus déterminante. »
Cet effet vertueux d'harmonisation est toutefois tempéré par le fait que l'aide unique pouvait auparavant être versée pendant trois ans (atteignant ainsi 7 325 euros sur les trois années), ce qui est désormais exclu : l'employeur est désormais dissuadé de réaliser son calcul économique sur plus d'un an26(*).
3. Envisager un dispositif recentré afin de garantir l'efficience de la dépense publique consacrée à l'apprentissage
Les rapporteur spéciaux estiment que, si l'objectif d'atteinte d'un million d'entrées en apprentissage d'ici 2027 est pertinent, il ne doit pas se faire au détriment d'une politique minimale de ciblage des aides aux employeurs d'apprentis.
Ils rejoignent en cela l'analyse de leur collègue député M. Dominique Da Silva, rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi », qui a déposé un amendement27(*) prévoyant un meilleur ciblage des aides à l'embauche d'apprentis.
Cet amendement, adopté par la commission des finances durant l'examen du présent projet de loi de finances, prévoyait que l'aide aux employeurs d'apprentis ne pourrait plus être versée pour les contrats signés entre un jeune préparant un diplôme de niveau supérieur à bac + 2 et une entreprise de plus de 250 salariés. Cet amendement est sans effet sur les entreprises de moins de 250 salariés, et sans effet pour les entreprises de plus de 250 salariés qui signent des contrats avec des jeunes dont le niveau de diplôme est inférieur à bac + 3.
Entendu par les rapporteurs spéciaux, l'opérateur France Compétences a indiqué qu'une telle mesure ne semblait pas déraisonnable, dans la mesure où elle laissait le droit inchangé pour les certifications de niveau 5 (jusqu'au bac + 2), qui sont « généralement reconnues comme prioritaires par les branches professionnelles, en particulier les BTS ». Il est regrettable pour le débat parlementaire que cet amendement, qui n'a pas été retenu lors de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement par la Première ministre, n'ait pas été discuté.
* 20 Les employeurs publics ne peuvent en effet pas bénéficier de l'aide à l'embauche des apprentis.
* 21 « Quels effet emploi et effets d'aubaine des contrats aidés ? Une évaluation à l'aune de la baisse de leur financement en 2017 », DARES Analyses, n° 45, juillet 2023.
* 22 « Les emplois francs incitent-ils à embaucher des personnes résidant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ? », DARES Analyses, n° 52, septembre 2023.
* 23 Demongeot A., Lombard F., DEPP, « L'apprentissage au 31 décembre 2022 », Note d'Information, n° 23.35, juillet 2023.
* 24 Antoine R., Fauchon A., DEPP et DARES, Note d'Information, n° 23.26, juin 2023 et Antoine R., Fauchon A., DEPP et DARES, Note d'information, n° 23.27, juin 2023 note que les anciens lycéens professionnels de niveau CAP à BTS sont 57 % à être en emploi salarié deux ans après la fin de leurs études, alors que cette proportion est de 73 % pour les anciens apprentis de même niveau.
* 25 MM. Emmanuel Capus et Daniel Breuiller, Rapport n° 771 (2022-2023), Annexe n° 32, 28 juin 2023.
* 26 Coquet B., « Apprentissage : un bilan des années folles », OFCE Policy Brief n° 117, juin 2023.