- L'ESSENTIEL
- I. LA CONNAISSANCE DE LA POPULATION SANS ABRI, UN
ENJEU TERRITORIAL
- II. LA CRÉATION D'UN DÉCOMPTE DES
PERSONNES SANS ABRI SUR L'ENSEMBLE DU TERRITOIRE
- A. LA CRÉATION D'UN DÉCOMPTE DES
PERSONNES SANS ABRI ANNUEL DANS CERTAINES COMMUNES
- B. LA REMISE AU PARLEMENT D'UN RAPPORT ANNUEL
VISANT À ÉVALUER ET PLANIFIER LES POLITIQUES DE PRÉVENTION
ET DE LUTTE CONTRE LE SANS-ABRISME
- A. LA CRÉATION D'UN DÉCOMPTE DES
PERSONNES SANS ABRI ANNUEL DANS CERTAINES COMMUNES
- I. LA CONNAISSANCE DE LA POPULATION SANS ABRI, UN
ENJEU TERRITORIAL
- EXAMEN DES ARTICLES
- EXAMEN EN COMMISSION
- RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3,
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET CONTRIBUTION ÉCRITE
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 243
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 janvier 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur
la proposition de loi
visant à mettre en
place un décompte
annuel des personnes sans
abri
dans chaque commune,
Par Mme Laurence ROSSIGNOL,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Xavier Iacovelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, M. Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe.
Voir les numéros :
Sénat : |
861 (2022-2023) et 244 (2023-2024) |
L'ESSENTIEL
La proposition de loi vise à la mise en place d'un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune et à la remise d'un rapport annuel au Parlement visant à évaluer et planifier les politiques de prévention et de lutte contre le sans-abrisme.
La commission a limité ce décompte annuel aux communes dépassant un seuil de population tout en prévoyant la collecte de données sur l'ensemble du territoire.
I. LA CONNAISSANCE DE LA POPULATION SANS ABRI, UN ENJEU TERRITORIAL
A. L'HÉBERGEMENT, UNE COMPÉTENCE DE L'ÉTAT
La politique d'hébergement est une compétence de l'État1(*) dont le pilotage est assuré par la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal). Le programme 177 (Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables) de la loi de finances pour 2024 est doté d'un budget de 2,9 milliards d'euros en crédits de paiement.
Depuis 2018, la politique de prévention et de lutte contre le sans-abrisme connaît un profond renouvellement par :
- les plans « Logement d'abord » (2018-2022 et 2023-2027) faisant de l'accès au logement des personnes sans abri et mal logées une priorité ;
- le passage de 149 000 à 203 000 places d'hébergement ouvertes entre 2017 et 2022 ;
- la fin de la gestion « au thermomètre » de l'hébergement d'urgence au profit d'une programmation pluriannuelle.
Nombre de places en hébergement d'urgence et CHRS depuis fin 2017
Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les données de la Dihal
Pour piloter la politique de prévention et de lutte contre le sans-abrisme, les services de l'État se fondent sur une pluralité d'indicateurs :
- l'enquête « Sans domicile » de l'Insee ;
- le recensement des habitations mobiles et des sans-abris : recensement des personnes sans abri et des personnes en habitation mobile réalisé par les communes tous les cinq ans ;
- les remontées des services intégrés de l'accueil et de l'orientation (« 115 ») ;
- les rapports des associations.
La distinction entre le sans-abrisme et le sans-domicilisme
Est considérée comme sans abri, une personne passant régulièrement sa nuit dans un lieu non prévu pour l'habitation (tente, bidonville, parking, parc, etc.) ;
Est considérée comme sans domicile une personne ayant dormi la nuit précédente dans un lieu non prévu pour l'habitation (tente, bidonville, parking, parc, etc.), dans un hébergement généraliste (hôtel, hébergement d'urgence, etc.) ou dans un centre spécifique pour demandeurs d'asile.
Pourtant, faute de régularité dans la collecte des données et d'harmonisation dans la méthode de comptage, la connaissance du sans-abrisme en France reste lacunaire. La dernière enquête de l'Insee a été publiée en 2012 et ne permet pas d'en extraire des données territorialisés. Les résultats de la prochaine étude seront connus en 2027 et les situations ultra-marines ne seront pas incluses.
Les remontées du « 115 » ne comprennent pas les appels non décrochés ainsi que le nombre de personnes sans abri ne les contactant pas ou plus. Il n'existe aucune estimation récente du nombre de sans-abris en France.
B. LA MISE EN PLACE DE POLITIQUES PUBLIQUES MUNICIPALES
1. L'organisation de décomptes des sans-abris par les communes
En 2018, le secrétaire d'État chargé du logement, Julien Denormandie, estimait qu'il y avait une cinquantaine de personnes sans abri en Île-de-France. La polémique conduit la ville de Paris à organiser, à l'instar d'autres capitales européennes (Madrid, Londres, Bruxelles), un décompte des personnes sans abri sur son territoire.
Baptisée « Nuit de la Solidarité », cette opération vise à décompter le nombre de personnes sans abri au sein du territoire de la commune. Pilotée par les services municipaux, en collaboration avec la Dihal et le secteur associatif, la Nuit de la Solidarité mobilise des bénévoles et des travailleurs sociaux afin de quadriller la ville et fournir un décompte a minima du nombre de personnes sans abri pour une nuit donnée. En complément, un questionnaire est posé aux personnes sans abri qui le souhaitent et qui ne dorment pas afin de recueillir des données qualitatives et mieux connaître le public des personnes sans abri. Afin d'assurer la fiabilité scientifique des données issues des décomptes, l'Insee et la Dihal ont publié un guide méthodologique à destination des communes.
Une Nuit nationale de la Solidarité est organisée chaque année et permet un décompte à une date commune. En 2023, 27 villes de la métropole du Grand Paris et 15 communes en région ont organisé une Nuit de la Solidarité. 16 des 42 villes de plus de 100 000 habitants ont participé à cette opération. Cependant, ce mouvement s'essouffle, les villes volontaires étant ainsi passées de 48 en 2022 à 42 en 2023.
Résultats de la Nuit de la
Solidarité de la métropole du Grand Paris
durant la nuit du 26
au 27 janvier 2023
Dans la métropole du Grand Paris, plus de 2 000 participants ont été mobilisés et ont décompté 3 015 personnes sans abri. Parmi eux, 60 % sont sans abri depuis plus d'un an, 77 % n'appellent pas ou plus le « 115 » et 9 % sont des femmes. Une édition estivale a également eu lieu dans 3 arrondissements de Paris. En moyenne, il est constaté une augmentation de 15,5 % du nombre de personnes sans abri par rapport à janvier.
Ces décomptes revêtent donc un quadruple intérêt : améliorer la connaissance du public sans abri d'un point de vue quantitatif et qualitatif, renforcer la visibilité du sans-abrisme, mobiliser et informer les citoyens autour du sans-abrisme, et créer une structure d'échanges entre les acteurs (État, collectivités territoriales, associations).
2. L'action des communes en faveur des personnes sans abri
Si l'hébergement est une compétence de l'État, les communes mettent en place des politiques de soutien aux populations sans abri. Sous certaines conditions, les centres communaux d'action sociale (CCAS) sont chargés de domicilier les personnes sans abri afin de faciliter leurs démarches administratives. Les communes peuvent installer des bains-douches, des bagageries, des tiers lieux dédiés à l'alimentation ou à l'insertion, des points de repos temporaires pour dormir ou bien recharger son téléphone.
Sans données qualitatives et quantitatives territorialisées sur la population sans abri, les municipalités ne peuvent adapter leurs politiques de soutien à ce public. Ainsi, alors qu'en 2012, l'enquête Insee estimait que les femmes représentaient 1 % de la population sans abri, la Nuit de la Solidarité parisienne de 2023 constate qu'elles sont 9 %. Face aux problématiques spécifiques du sans-abrisme féminin, la ville de Paris a donc créé des lieux dédiés pour ces femmes.
II. LA CRÉATION D'UN DÉCOMPTE DES PERSONNES SANS ABRI SUR L'ENSEMBLE DU TERRITOIRE
A. LA CRÉATION D'UN DÉCOMPTE DES PERSONNES SANS ABRI ANNUEL DANS CERTAINES COMMUNES
1. Le dispositif initial : l'organisation d'un décompte annuel dans chaque commune
Le dispositif initial de l'article 1er vise à créer, à l'égard de chaque commune, une obligation de décompte annuel des personnes sans abri sur leur territoire. L'opération se déroulerait de nuit et serait réalisée par des travailleurs sociaux et des bénévoles.
Les modalités d'organisation prises par décret pourraient notamment comprendre la définition d'un protocole national, de la période durant laquelle il serait procédé à ce décompte, et de la gouvernance de l'opération au niveau local ainsi qu'au niveau national.
À la suite de l'opération et à partir des données collectées, il est prévu d'élaborer un diagnostic territorial relatif au sans-abrisme en vue d'évaluer et de piloter la politique d'hébergement d'urgence et d'accompagnement social sur le territoire donné.
2. La position de la commission : collecter des données dans chaque commune, restreindre le décompte annuel aux grandes villes
a) Les difficultés posées par l'organisation d'un décompte systématique dans chaque commune
Les communes rurales et de taille moyenne ne disposent pas du tissu associatif et des ressources humaines nécessaires pour procéder à un quadrillage de l'ensemble de leur territoire, ce qui soulève la question de la capacité des municipalités à réaliser ce décompte.
Concernant l'utilité d'un tel décompte, le phénomène du sans-abrisme est essentiellement concentré dans les métropoles. Il n'apparaît donc pas opportun de procéder à une telle opération dans l'ensemble des communes. Lors de son édition 2022 de la Nuit de la Solidarité, la ville d'Arras (42 000 habitants en 2020) n'a ainsi décompté que 4 personnes sans abri.
b) La définition d'un seuil de population
À l'initiative de la rapporteure, la commission a introduit un seuil de population en-dessous duquel l'organisation d'une Nuit de la Solidarité n'est pas obligatoire. Ce seuil de 100 000 habitants permettrait d'exclure les communes rurales et les villes moyennes. Les modalités d'organisation de ces décomptes seraient prévues par décret après avis du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE).
En dessous du seuil, les communes transmettraient annuellement des données sur le nombre de personnes sans abri sur leur territoire aux services départementaux de l'État. Ces municipalités n'auraient pas à organiser une Nuit de la Solidarité mais procéderaient à un simple recensement, à l'instar du recensement « Habitations mobiles et sans-abris ».
Le préfet de département, responsable du plan départemental d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD), est désigné comme l'acteur chargé d'établir un diagnostic territorial.
La coordination et la centralisation des données seraient assurées par les services de l'État chargés de la prévention et de la lutte contre le sans-abrisme, c'est-à-dire la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal).
B. LA REMISE AU PARLEMENT D'UN RAPPORT ANNUEL VISANT À ÉVALUER ET PLANIFIER LES POLITIQUES DE PRÉVENTION ET DE LUTTE CONTRE LE SANS-ABRISME
L'article 2 prévoit que le Gouvernement remet au Parlement un rapport annuel d'évaluation nationale des politiques de prévention et de lutte contre le sans-abrisme à partir des données collectées lors des décomptes mentionnés à l'article 1er.
Ce rapport comprendrait une présentation nationale des résultats du diagnostic et une liste de recommandations à mettre en oeuvre en matière de planification et de développement de l'offre d'hébergement ou de logement adapté.
La commission a prévu un avis du CNLE sur ces recommandations, qui serait annexé au rapport.
Réunie le mercredi 17 janvier 2024 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi modifiée par deux amendements de la rapporteure.
EXAMEN DES ARTICLES
Article
1er
Obligation de décompte annuel des personnes sans abri
dans
chaque commune
Cet article vise à généraliser un décompte annuel des personnes sans abri réalisé par les communes.
La commission a modifié cet article afin d'introduire un seuil de population pour l'application de cette obligation.
I - Le dispositif proposé : instaurer un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune
A. En France, il n'existe pas de décompte généralisé des personnes sans abri
1. Au niveau national, une estimation ancienne et peu fiable du nombre de personnes sans abri
Au niveau national, la dernière estimation du nombre de personnes sans abri est issue de l'enquête « Sans domicile » de l'Insee, publiée en 2012. Selon cette étude, en 2011, les personnes sans abri représentaient 10 % des personnes sans domicile. Cependant, en l'absence d'une connaissance précise de la population concernée, le recours à une approche par échantillonnage réduit la fiabilité d'une telle estimation. La prochaine édition de cette enquête sera publiée en 2025, soit treize ans après la dernière.
Distinction entre le sans-abrisme et le sans-domicilisme
Personnes sans abri : « personnes qui passent la nuit dans un lieu non prévu pour l'habitation, essentiellement la rue et l'espace public, mais aussi d'autres types de lieux comme par exemple les parkings, jardins publics, terrains vagues, halls de gare, salles d'attente d'hôpital, voitures, halls d'immeuble » (Insee).
Personnes sans domicile : « il s'agit des personnes sans abri, mais aussi des personnes hébergées dans un service d'hébergement : en centre d'hébergement collectif (d'urgence, de stabilisation ou d'insertion), dans un centre spécifique pour demandeur d'asile, dans un hôtel ou dans un logement procuré par une association » (Insee).
Par conséquent, les services de l'État ne disposent d'aucune estimation récente du nombre de personnes sans abri en France. Le pilotage du programme 177 (Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables) de la mission budgétaire « Cohésion des territoires », doté de 2,9 milliards d'euros en crédits de paiement pour 2024, est fondé sur les remontées faites par les « 115 » et la veille sociale des Services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO). Cependant, faute de données suffisantes, il apparaît que ce pilotage reste structurellement lacunaire.
Les dispositifs d'hébergement
Les dispositifs d'hébergement à destination des personnes sans domicile comprennent les centres d'hébergement d'urgence, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et les hôtels. Entre 2017 et 2022, le nombre de places ouvertes est passé d'environ 149 000 à 203 000 (+ 37 %). Depuis 2021, les services de l'État ont mis fin à une « gestion au thermomètre » de l'hébergement d'urgence au profit d'une programmation pluriannuelle.
Malgré les moyens déployés, 8 351 demandes au « 115 » n'ont pu être pourvues le soir du 2 octobre 2023. Pourtant, selon la Fédération nationale des Samu sociaux, en 2021, 44 % des personnes sans abri n'ont jamais eu recours au 115. Les dispositifs d'hébergement sont embolisés par la crise du logement et le manque de dispositifs de prévention du sans-abrisme2(*).
2. Au niveau local, un décompte des personnes sans abri organisé par certaines communes en collaboration avec le secteur associatif
Julien Denormandie, alors secrétaire d'État chargé du logement, a estimé en janvier 2018 qu'il n'y avait qu'une cinquantaine de personnes sans abri en Île-de-France. Cette affirmation a déclenché une polémique sur le nombre de personnes sans abri en France. En réponse à cette controverse, la ville de Paris a lancé la première Nuit de la Solidarité française en février 2018 afin de dénombrer le nombre de personnes à la rue sur son territoire.
En 2023, 27 communes du Grand Paris et plusieurs villes de diverses régions ont organisé une Nuit de la Solidarité. Cette opération consiste en un décompte annuel, durant une nuit, des personnes sans abri. Mobilisant des bénévoles et des associations, le pilotage est assuré par les services municipaux de chaque commune afin de quadriller tous les quartiers le soir et une partie de la nuit.
En complément de ce décompte, un questionnaire standardisé est posé aux personnes sans abri qui le souhaitent et qui ne dorment pas. Ces questions permettent d'obtenir des informations sur le non-recours au « 115 », de connaître les besoins des personnes sans abri ainsi que leur parcours. La Nuit de la Solidarité combine donc des approches quantitative et qualitative.
Résultats des éditions de la Nuit de la Solidarité dans certaines villes
Durant l'édition 2023 de la Nuit de la Solidarité, 27 communes de la Métropole du Grand Paris ont mobilisé plus de 2 000 participants. Les équipes ont décompté 3 015 personnes sans abri à Paris et 619 dans les communes volontaires de la métropole. Parmi eux, 60 % sont sans abri depuis plus d'un an, 77 % n'appellent pas ou plus le « 115 » et 9 % sont des femmes.
En 2023, cette action hivernale a été doublée, par la ville de Paris, par une édition estivale dans 3 arrondissements (8e, 12e, 20e). En moyenne, il est constaté une augmentation de 15,5 % du nombre de personnes sans abri par rapport aux résultats de janvier.
En 2022, 800 volontaires de la ville de Marseille ont décompté 400 personnes sans abri. Parmi les répondants au questionnaire, 20 % sont des femmes, 70 % sont à la rue depuis plus d'un an et 53 % n'appellent jamais le « 115 ». 85 % des répondants ne sont pas accompagnés par une structure sociale. 48 % n'ont pas accès à un repas chaud régulièrement et 37 % ne peuvent pas prendre de douche régulièrement.
Durant l'édition 2022 de la Nuit de la Solidarité, à Rennes, 104 personnes sans abri ont été décomptées, dont 14 % de femmes. 33 % des personnes croisées ont répondu au questionnaire. 50 % des répondants déclarent avoir des difficultés d'accès aux douches, aux toilettes et à l'alimentation. 67 % des répondants n'appellent jamais le « 115 ».
Le décompte vise à connaître le nombre de personnes sans abri sur un territoire et à un instant donnés. La méthodologie utilisée vise à l'exhaustivité : quadrillage du territoire, partenariats avec des opérateurs ayant des personnes sans abri dans leurs locaux (hôpitaux, transports, etc.), opération limitée à un temps court. Cependant, par l'inaccessibilité de certains lieux (parkings, parties communes, etc.) et l'incapacité à compter les personnes dans certains habitats de fortune (tentes, véhicules, etc.), les résultats de ces décomptes doivent être considérés comme étant a minima.
En mai 2021, l'Insee, en collaboration avec la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), a publié un guide méthodologique pour l'organisation de la Nuit de la Solidarité, afin d'homogénéiser et fiabiliser les résultats.
B. L'article 1er vise à généraliser un décompte annuel des personnes sans abri réalisé par les communes
Le présent article vise à créer, à l'égard de chaque commune de France, une obligation de décompte annuel des personnes sans abri sur leur territoire. L'opération se déroulerait de nuit et serait réalisée par des travailleurs sociaux et des bénévoles.
Les modalités d'organisation prises par décret pourraient notamment comprendre la définition d'un protocole national, de la période durant laquelle il serait procédé à ce décompte, et de la gouvernance de l'opération au niveau local ainsi qu'au niveau national.
À la suite de l'opération et à partir des données collectées, il est prévu d'élaborer un diagnostic territorial relatif au sans-abrisme en vue d'évaluer et de piloter la politique d'hébergement d'urgence et d'accompagnement social sur le territoire considéré.
II - La position de la commission : limiter le décompte annuel aux grandes villes
La politique de prévention et de lutte contre le sans-abrisme est une compétence de l'État. Le pilotage de cette politique est conduit à partir d'indicateurs dont les données ne sont pas harmonisées et dont la collecte est irrégulière. La connaissance qualitative et quantitative du sans-abrisme n'apparaît pas comme satisfaisante.
Considérant que les indicateurs actuels ne permettent pas d'avoir une connaissance régulière et territorialisée de la population sans abri, la commission souscrit au constat de l'utilité des Nuits de la Solidarité. Organisées par des communes volontaires, ces opérations permettent de mieux connaître à la fois le nombre et le parcours des personnes sans abri sur un territoire. D'une part, ces actions améliorent l'efficacité des politiques publiques, d'autre part, elles sensibilisent le public aux enjeux du sans-abrisme.
Toutefois, la commission s'est interrogée sur la pertinence de rendre obligatoire ce modèle de décompte pour toutes les communes. Il apparaît que les communes rurales et moyennes ne disposent pas des moyens humains, techniques et associatifs pour mener à bien de telles opérations. Les moyens mobilisés pour organiser une Nuit de la Solidarité seraient d'autant moins proportionnés que les communes rurales et moyennes connaissent peu le phénomène du sans-abrisme.
En conséquence, à l'initiative de sa rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-1 ayant pour objet :
- d'introduire un seuil de 100 000 habitants en-dessous duquel les communes n'auraient qu'une obligation de transmettre les données relatives au nombre de personnes sans abri sur leur territoire, sans obligation d'organiser une Nuit de la Solidarité ;
- de préciser que les services de l'État chargés de la politique de prévention et de lutte contre le sans-abrisme centraliseraient les données et coordonneraient les décomptes ;
- de prévoir un avis du conseil national des politiques de luttes contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) sur le décret fixant les modalités d'organisation des décomptes.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
Article
2
Remise au Parlement d'un rapport annuel visant à planifier
le
développement de l'offre d'hébergement ou de logement
adapté
Cet article prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport annuel au Parlement visant à évaluer et planifier les politiques de prévention et de lutte contre sans-abrisme.
La commission a modifié cet article afin de prévoir un avis du conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale sur ce rapport.
I - Le dispositif proposé
Le présent article prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport annuel d'évaluation nationale des politiques de prévention et de lutte contre le sans-abrisme à partir des données collectées lors des décomptes mentionnés à l'article 1er.
Ce rapport comprendrait une présentation nationale des résultats du diagnostic et une liste de recommandations à mettre en oeuvre en matière de planification et de développement de l'offre d'hébergement ou de logement adapté.
II - La position de la commission
La commission reconnaît l'utilité de l'établissement d'un diagnostic national à partir des données collectées lors des décomptes prévus à l'article 1er. Ce bilan annuel permettrait d'éclairer la représentation nationale sur les besoins et les moyens alloués à la prévention et à la lutte contre le sans-abrisme et pourrait donner lieu à un débat annuel au Parlement.
À l'initiative de sa rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-2 ayant pour objet d'annexer un avis du conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) au rapport remis au Parlement.
La commission a adopté cet article ainsi modifié.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 17 janvier 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Laurence Rossignol, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 861, 2022-2023) visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune.
M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons à présent l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune. Cette proposition de loi a été déposée par notre collègue Rémi Féraud et plusieurs de ses collègues et sera examinée en séance publique dans le cadre de la niche du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, le mercredi 24 janvier.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Cette proposition de loi de notre collègue Rémi Féraud, dont le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a demandé l'inscription à l'ordre du jour des travaux du Sénat dans son espace réservé du 24 janvier prochain, vise à instaurer dans l'ensemble des communes du territoire français un décompte des personnes sans abri, une fois par an, durant la nuit.
Avant de vous présenter le contenu de ce texte et l'analyse que j'en fais, il me semble utile de rappeler ce qui, au sens de l'Insee, distingue les personnes sans domicile des personnes sans abri. En effet, les décomptes prévus par cette proposition de loi ne concerneraient que les sans-abri.
Une personne est considérée sans domicile lorsqu'elle a dormi la nuit précédente dans la rue, dans un lieu non prévu pour l'habitation comme une tente, un bidonville, un parking, un parc, ou bien dans un hébergement généraliste, comme un lieu d'hébergement d'urgence, un hôtel ou un centre pour demandeurs d'asile. Une personne devient sans abri lorsqu'elle passe régulièrement la nuit dans la rue ou dans un lieu non prévu pour l'habitation.
Rappelons que la politique d'hébergement est une compétence de l'État, dont le pilotage est assuré par la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), que j'ai auditionnée.
Depuis 2017, des efforts ont été faits : priorité est désormais donnée à l'accès au logement des personnes sans abri via le plan Logement d'abord. Le nombre de places d'hébergement est passé d'environ 149 000 à 203 000 en 2022, et le Gouvernement affiche depuis 2021 la volonté de rompre avec une « gestion au thermomètre », c'est-à-dire l'ouverture de places supplémentaires lors d'épisodes de grand froid, qui conduit à des ruptures de parcours lorsque ces moyens temporaires cessent d'être déployés.
Les indicateurs et les données dont dispose l'État pour piloter ses politiques de prévention et de lutte contre le sans-abrisme ne permettent pas d'élaborer un diagnostic satisfaisant.
Les indicateurs sont pluriels : ils comprennent le recensement des habitations mobiles et des sans-abri qui est réalisé tous les cinq ans dans les communes de plus de 10 000 habitants et tous les ans par cinquième pour les villes sous ce seuil, les remontées des services intégrés de l'accueil et de l'orientation - le « 115 » -, les rapports des associations, mais également les enquêtes de l'Insee.
Ces enquêtes dites « sans domicile » sont bien trop irrégulières. Ainsi, la dernière enquête date de 2012 et ne comporte pas de données territoriales, tandis que les résultats de la prochaine étude ne seront connus qu'en 2027. Les situations dans nos outre-mer n'y seront par ailleurs pas incluses.
En janvier 2018, le ministre délégué chargé de la ville et du logement, Julien Denormandie, avait déclaré sur une radio nationale qu'il y avait « une cinquantaine de personnes sans abri en Île-de-France »... Au vu du chiffre annoncé, qui n'a pas manqué de faire polémique, la Ville de Paris a été, dès le mois qui a suivi, la première en France à organiser sa « Nuit de la solidarité », ainsi que le faisaient déjà d'autres capitales européennes comme Madrid, Londres ou Bruxelles. Cette opération vise à quadriller la ville afin de décompter le nombre de personnes sans abri une nuit donnée. Elle est pilotée par les services municipaux, en collaboration avec la Dihal et le secteur associatif, et mobilise depuis six ans plus de 2 000 citoyens bénévoles et travailleurs sociaux. Un questionnaire est posé, lorsque cela est possible, aux personnes sans abri afin de recueillir des éléments sur leur situation personnelle.
D'autres communes ont suivi le mouvement : en 2023, ce sont 27 villes de la métropole du Grand Paris et 15 communes en région qui ont organisé une Nuit de la solidarité. Concernant les villes de plus de 100 000 habitants, 16 communes sur 42 ont été volontaires. Mais ce mouvement tend à s'essouffler, les villes participantes sont passées de 48, en 2022, à 42 en 2023. Plusieurs raisons expliquent ce phénomène : démobilisation de certains bénévoles, manque de moyens humains, choix de certaines communes de faire une pause, etc.
J'ai auditionné la semaine dernière les différents acteurs qui contribuent à la lutte contre le sans-abrisme : les associations, les élus des communes qui procèdent déjà à de tels décomptes et, bien entendu, les administrations concernées. Bien que les points de vue aient pu diverger sur la méthodologie à employer, tous m'ont fait part de leur intérêt pour une extension de ces décomptes annuels, et beaucoup ont plaidé pour une meilleure harmonisation des pratiques.
J'y vois quatre intérêts principaux : améliorer la connaissance du public sans abri, d'un point de vue quantitatif et qualitatif ; renforcer la visibilité du sans-abrisme ; mobiliser, sensibiliser et informer les citoyens sur la question du sans-abrisme ; créer une structure d'échanges entre les différents acteurs : État, collectivités territoriales et associations.
Enfin, même si l'hébergement est une compétence de l'État, les communes agissent au quotidien en faveur des personnes sans abri, notamment via les centres communaux d'action sociale (CCAS), que ce soit pour domicilier ces personnes afin de faciliter leurs démarches administratives, d'installer des bains-douches, des bagageries, des tiers lieux dédiés à l'alimentation ou à l'insertion, ou simplement des espaces pour se reposer ou charger son téléphone.
Pour répondre aux besoins des personnes sans abri et adapter les politiques publiques à leur égard, les communes ont besoin de disposer de données actualisées, à la fois quantitatives et qualitatives.
Je citerai un exemple frappant qui montre l'utilité de ces décomptes : celui des femmes sans abri. L'enquête Insee estimait qu'elles représentaient 1 % de la population sans abri en 2012, alors que la Nuit de la solidarité parisienne de 2023 constate qu'elles sont 9 %. C'est ce constat qui a conduit la Ville de Paris à créer des structures dédiées aux femmes sans abri. J'ai par ailleurs le plaisir de vous annoncer que la délégation aux droits des femmes du Sénat a lancé la semaine dernière une mission d'information qu'elle conclura à la fin du semestre sur les femmes sans abri et à la rue.
L'article 1er de la proposition de loi vise à créer pour toutes les communes une obligation de décompte annuel des personnes sans abri sur leur territoire, réalisé de nuit par des travailleurs sociaux et des bénévoles. Un décret organiserait les modalités d'organisation des décomptes, par exemple un protocole national, une gouvernance locale et nationale et une période durant laquelle les organiser. Il est prévu, à partir des données collectées, d'élaborer un diagnostic territorial relatif au sans-abrisme afin d'évaluer et de piloter la politique d'hébergement d'urgence et d'accompagnement social sur le territoire concerné.
Je vous proposerai un amendement qui, tout en conservant l'objectif d'un décompte annuel national des personnes sans abri, tiendra compte des spécificités des communes rurales et de taille moyenne. Ainsi, l'organisation des Nuits de la solidarité ne concernerait que les villes de plus de 100 000 habitants. En effet, les communes rurales et de taille moyenne ne disposent pas toujours du tissu associatif et des ressources humaines nécessaires pour quadriller tout leur territoire, et il ressort par ailleurs des auditions que le phénomène du sans-abrisme concerne essentiellement les métropoles. La ville d'Arras n'a, par exemple, relevé que 4 personnes en situation de sans-abrisme lors de son dernier décompte, alors qu'elle est tout de même peuplée de 42 000 habitants.
Pour les communes de moins de 100 000 habitants, l'obligation consisterait à transmettre chaque année au préfet de département des données relatives au nombre de personnes sans abri sur leur territoire. Elles n'auraient donc pas à organiser une Nuit de la solidarité, mais simplement à recenser ces personnes, comme cela se fait déjà tous les cinq ans via le recensement « Habitations mobiles et sans-abri ». Le préfet serait chargé d'établir un diagnostic territorial. Enfin, au niveau national, la Dihal coordonnerait et centraliserait les données.
Je propose en outre que le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) rende un avis sur le décret organisant les modalités d'organisation des décomptes.
L'article 2 prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport annuel d'évaluation nationale des politiques de prévention et de lutte contre le sans-abrisme à partir des données collectées lors des décomptes mentionnés à l'article 1er.
Ce rapport comprendrait une présentation nationale des résultats du diagnostic et une liste de recommandations à mettre en oeuvre en matière de planification et de développement de l'offre d'hébergement ou de logement adapté. L'idée est d'organiser chaque année à l'Assemblée nationale et au Sénat un débat sur le sans-abrisme.
Je vous proposerai que le CNLE rende un avis sur ces recommandations, qui serait annexé au rapport.
Mes chers collègues, alors que l'actualité nous rappelle, comme chaque année, combien la question du sans-abrisme mérite les politiques publiques les plus adaptées aux réalités et aux besoins, j'espère que ce texte, ainsi modifié, saura trouver une majorité au sein de notre commission et, la semaine prochaine, au Sénat.
Pour finir, il me revient en tant que rapporteure de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut des dispositions relatives au décompte ou à l'estimation du nombre de personnes sans abri, ainsi qu'à l'évaluation et à la planification de la politique d'hébergement. En revanche, ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs aux prestations de solidarité et à la lutte contre la pauvreté et au logement.
Mme Frédérique Puissat. - Je salue le travail de Mme le rapporteur et je remercie Rémi Féraud, à l'initiative de cette proposition de loi. Nous partageons le même constat. La crise du logement est très importante, les mesures proposées par le Gouvernement en juin dernier n'ont pas fait l'unanimité. S'agissant plus spécifiquement des personnes sans-abri, certains décomptes posent question à l'échelle des départements.
Ce texte présente deux limites. L'article 1er, de portée très générale, ne paraît pas applicable à toutes les collectivités. Par ailleurs, il existait un problème de seuil. Nous avons pris bonne note de votre proposition d'amendement, qui nous convient. Nous voterons donc ce texte, mais il faudra être attentif à la façon dont le décret sera rédigé. Il importe en effet d'être au rendez-vous de l'efficacité.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - C'est un sujet qui nous heurte dans notre intime, car il est toujours compliqué de voir des personnes dans la rue, qu'elles soient jeunes ou âgées. J'ai tenté de comprendre le mécanisme du vivre dans la rue. J'ai même vu un jeune de ma commune partir sur la route. Je me suis souvent interrogée pour savoir s'il s'agissait d'un phénomène subi ou choisi. C'est souvent un mélange des deux. Il est difficile pour ceux qui habitent une maison ou un appartement de comprendre ces mécanismes. Pour autant, il importe de venir en aide à ces personnes lorsqu'elles en ont besoin et de sensibiliser la population. Le recensement est très important. Qu'on le borde avec un seuil de 100 000 habitants, pourquoi pas ? Quoi qu'il en soit, dans toutes les communes, il y a un CCAS et le recensement doit être réalisé. Je suis, à titre personnel, très favorable à ce texte, car nous devons tendre la main à ces personnes qui connaissent des conditions de vie compliquées.
Mme Nadia Sollogoub. - J'ai été rapporteur pour avis sur le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». À la suite des auditions que j'ai menées, il est apparu que la difficulté ne portait pas tant sur le recensement et le nombre de sans-abri que sur l'insincérité budgétaire : nous disposons de chiffres, mais le Gouvernement n'accorde pas les moyens suffisants pour traiter cette question. Je voterai donc ce texte. Si un débat annuel permet de mettre les points sur les i et de tordre le bras du Gouvernement au moment du budget, pourquoi pas ?
Mme Annie Le Houérou. - Le seuil a été défini à 100 000 habitants, mais il ne faudrait pas non plus éluder la situation en milieu rural où de plus en plus de personnes vivent dans leur voiture. Le premier objectif est effectivement de comptabiliser et de recenser les sans-abri en milieu urbain pour adapter l'offre de logement, mais il importe aussi de mettre en place des mesures de prévention pour lutter contre la précarité et accompagner les personnes les plus vulnérables avant qu'elles ne tombent dans le sans-abrisme. Il est certes important de comptabiliser le nombre de personnes à la rue, mais il conviendra ensuite d'en tirer les conséquences en termes de prévention et d'offres d'accompagnement. Aujourd'hui, les budgets sont loin d'être à la hauteur.
M.
Khalifé Khalifé. - Metz, qui comprend plus de
120 000 habitants
- 260 000 en comptant la
métropole -, a pris ce problème à bras-le-corps il y
a quelques années. Comme à Paris, nous avons organisé une
Nuit de la solidarité, mais nous ne nous y sommes pas retrouvés,
car la problématique est différente en province. Je vous rejoins
en ce qui concerne les solutions : il faut un diagnostic quantitatif, mais
surtout comprendre pourquoi ces personnes sont à la rue. J'ai
réalisé il y a trois ans un diagnostic sur les errances en ville.
Il existe trois types d'errance : l'errance comme mode de vie - celle
des clochards -, l'errance psychiatrique des grands marginaux - nous
avons convaincu les autorités locales de créer 18 lits
spécifiques dans les centres d'hébergement et de
réinsertion sociale (CHRS) - et l'errance des personnes qui n'ont
pas les moyens de se loger. C'est sur ces dernières personnes que nous
devons travailler, car elles ne sont pas totalement
désocialisées. En revanche, elles risquent de le devenir
rapidement si nous ne faisons rien.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Nous disposons aujourd'hui de données statistiques accablantes. Le 1er février prochain sera présenté le vingt-neuvième rapport de l'état du mal-logement en France. Le vingt-huitième rapport était déjà très affligeant puisqu'il comptabilisait au moins 330 000 personnes sans domicile fixe, un chiffre en augmentation de 130 % par rapport à 2012. Nous ne disposons pas de données précises sur le nombre de personnes sans abri, notamment en raison du risque de double comptage. En 2016, le nombre total de personnes sans abri recensé par l'Insee s'élevait à 27 000 en France métropolitaine. À l'occasion de la dernière et sixième Nuit de la solidarité, le nombre de sans-abri recensé à Paris était de 3 015 personnes, dont 105 mineurs. Entre 2022 et 2023, 417 sans-abri supplémentaires ont été recensés dans les rues de la capitale.
En octobre 2022, le ministre Olivier Klein avait promis qu'il n'y aurait plus aucun enfant à la rue. De son côté, le Collectif des associations unies (CAU) estime que les parents de 1 800 enfants appellent le « 115 » chaque jour sans obtenir de solution. La situation est donc difficile.
Cette proposition de loi me semble intéressante, notamment parce qu'elle prévoit de s'appuyer sur la Nuit de la solidarité pour recenser les personnes sans abri dans les villes de plus de 100 000 habitants, mais il ne faudrait surtout pas oublier les communes plus petites, car le phénomène gagne du terrain en ruralité. Dans mon département, des villes comme Calais et Boulogne-sur-Mer comptent un nombre très important de personnes à la rue, notamment des enfants et des jeunes, en particulier en raison des phénomènes de migration.
Il est utile de disposer de chiffres, mais il faut aussi pouvoir réquisitionner les logements vides - plus de 250 000 à Paris - et les lycées inoccupés. Les régions doivent se mobiliser, notamment avec l'arrivée du froid. Il importe de prendre des mesures urgentes. Parmi les personnes sans abri, il y a également des travailleurs pauvres qui n'arrivent pas à se loger et dorment dans leur voiture.
Mme Anne Souyris. - Il est nécessaire de procéder à des recensements, comme le fait la Ville de Paris depuis un certain nombre d'années. Les chiffres donnaient lieu à des discussions : il convenait d'y mettre un terme pour aller enfin vers une démarche qualitative. Élisabeth Doineau a raison, il existe certes un sans-abrisme choisi, mais l'état de nos hébergements, à Paris ou ailleurs, est tellement indigne que certaines personnes préfèrent encore rester à la rue que d'y aller ! Cette proposition de loi prévoit d'associer davantage les personnes concernées non seulement dans l'élaboration du chiffrage, mais également dans les réponses à apporter.
Par ailleurs, les familles ne choisissent pas du tout d'être à la rue. La délégation aux droits des femmes réalise un travail remarquable. Le nombre de femmes et de familles à la rue est en augmentation à Paris comme ailleurs. Il est essentiel de trouver des solutions pour les sortir de là. De telles situations ne sont pas acceptables dans un pays comme la France.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Je remercie tous les collègues qui ont apporté leur soutien à cette proposition de loi et ont partagé avec nous leur connaissance du terrain. Le chiffre qui sortira du comptage ne sera pas exhaustif : il y aura toujours des personnes qui passeront au travers des mailles du filet. C'est un décompte a minima.
L'aspect qualitatif, c'est-à-dire le contenu des informations, est essentiel. Mais là encore, il n'est pas si simple d'aller réveiller les gens la nuit dans une tente pour leur demander de répondre à un questionnaire.
Il faut bien avoir en tête tous ces aspects : il ne s'agira pas à proprement parler de statistiques, mais nous disposerons en revanche d'indications importantes.
Par ailleurs, ce recensement permettra de mesurer l'évolution du sans-abrisme d'une année sur l'autre. Nous insistons donc sur sa régularité et sur sa périodicité.
Vous avez raison de souligner la complexité du décret d'organisation des décomptes. C'est la raison pour laquelle nous proposons que le CNLE rende un avis afin que le questionnaire soit adapté à la réalité des personnes interrogées.
L'obligation de recensement pèse sur toutes les communes : ce qui change entre les communes de plus de 100 000 habitants et les autres, c'est la méthode de recensement par le biais de la Nuit de la solidarité.
Sur les parcours, nous en saurons peut-être plus ultérieurement. Je rappellerai simplement un chiffre : 23 % des sans domicile fixe de 18-25 ans sont des anciens enfants de l'aide sociale à l'enfance (Ase), et je ne suis pas loin de penser qu'au moins autant sont des anciens enfants qui auraient dû passer par l'Ase. Nous espérons donc de ce type de recensement un meilleur éclairage et une meilleure efficacité des politiques de prévention.
Enfin, nous ne disposons pas de données sur le sans-abrisme en ruralité - cela nous permettra enfin d'en avoir - ni en outre-mer. Il est essentiel d'avoir ces données territorialisées.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - L'amendement COM-1 rectifié prévoit de faire peser l'obligation de collecte et de transmission annuelles des données relatives au nombre de personnes sans abri sur les communes. Les décomptes annuels des personnes sans abri, sur le modèle de la Nuit de la solidarité, seraient, quant à eux, limités aux seules communes de plus de 100 000 habitants.
Enfin, le CNLE serait consulté sur les conditions de réalisation de ces décomptes.
L'amendement COM-1 rectifié est adopté.
L'article 1er est ainsi rédigé.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - L'amendement COM-2 vise à associer le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale aux conclusions et à l'élaboration du rapport.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1er |
|||
Mme ROSSIGNOL, rapporteure |
1 rect. |
Introduction d'un seuil de 100 000 habitants, avis du CNLE sur le décret d'organisation, rôle de la Dihal dans la centralisation des données |
Adopté |
Article 2 |
|||
Mme ROSSIGNOL, rapporteure |
2 |
Ajout d'un avis du CNLE annexé au rapport. |
Adopté |
RÈGLES RELATIVES
À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE
L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3,
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT
(« CAVALIERS »)
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 3(*).
De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie4(*).
Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte5(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial6(*).
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des affaires sociales a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 17 janvier 2024, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 861 (2022-2023) visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune.
Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives :
- au décompte du nombre de personnes sans abri ;
- à l'évaluation et à la planification de la politique d'hébergement.
En revanche, la commission a estimé que ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs :
- aux prestations de solidarité et à la lutte contre la pauvreté ;
- au logement.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET CONTRIBUTION ÉCRITE
· Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal)
Jérôme d'Harcourt, adjoint au délégué interministériel
Thomas Gesmond, chef de projet
· Fondation Abbé Pierre
Noria Derdek, chargée d'études
· Croix-Rouge française
Benedicte Souben, chargée de mission veille sociale - Filière lutte contre les exclusions - Direction du secours et de la protection
· Armée du Salut
Guillaume Latil, directeur général
Christophe Piedra, directeur adjoint du programme inclusion
· Samusocial de Paris
Vanessa Benoit, directrice générale
· Mairie de Paris
Léa Filoche, adjointe à la maire de Paris en charge des solidarités, de l'hébergement d'urgence et de la protection des réfugiés
Bahia Lamri, cheffe de cabinet de Léa Filoche
· Mairie de Marseille
Audrey Garino, adjointe au maire de Marseille en charge des affaires sociales, de la solidarité, de la lutte contre la pauvreté et de l'égalité des droits
· Mairie de Rennes
David Travers, adjoint à la maire de Rennes délégué à la solidarité, conseiller métropolitain de Rennes Métropole
Mariame Labidi, responsable de la mission Partenariats, solidarité et innovation sociale à la direction solidarité santé de la ville de Rennes
· Mairie de Metz
Sylvie Bortot, directrice de l'action sociale et insertion
Isabelle Hauser, chargée de mission développement social - Mission développement & prospective du CCAS
· Julien Damon, professeur associé à Sciences Po
· Délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté
Anne Rubinstein, déléguée interministérielle
Luc Lambert, secrétaire général, adjoint à la déléguée
Johanna Bouheret, conseillère Logement et transition écologique
Contribution écrite
· Association des maires de France (AMF)
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-861.html
* 1 Articles L. 121-7 et L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles.
* 2 Rapport pour avis de Mme Nadia Sollogoub, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur le programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances pour 2024.
* 3 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 4 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 5 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 6 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.