EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 28 février 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Dominique De Legge sur la proposition de loi n° 191 (2023-2024) relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française.
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin le rapport de Dominique de Legge sur la proposition de loi relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française, déposée par M. Allizard et plusieurs de ses collègues. Je salue la présence parmi nous de l'auteur de la proposition de loi et du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui est également rapporteur pour avis de ce texte, M. Cédric Perrin.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Voilà quelques mois, nous approuvions la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 (LPM). Nous avions alors longuement débattu de la nécessité de soutenir les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Le ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, avait notamment parlé de la nécessité de donner de la visibilité à notre BITD, de la protéger et de la promouvoir. Il avait également exprimé son soutien aux dispositions proposées par la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat pour développer des mécanismes visant à mieux financer ces entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises.
La Haute Assemblée s'était pleinement saisie de ce sujet : elle avait pu s'appuyer sur les importants travaux menés par nos collègues Pascal Allizard, que je salue, Gisèle Jourda et Yannick Vaugrenard. Nos collègues députés s'étaient également penchés sur le financement de l'industrie de défense et sur l'économie de guerre.
La proposition de loi que nous examinons ce matin s'inscrit dans ce contexte : elle prévoit, à l'article 1er, de flécher une partie des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS) non centralisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations vers le financement des entreprises de l'industrie de défense française. L'article 2 porte une demande de rapport d'évaluation.
Ce n'est pas la première fois que le Sénat est amené à examiner ces deux dispositions. Elles ont été adoptées à deux reprises par notre assemblée, dans le cadre de la loi de programmation militaire et de la loi de finances pour 2024. C'est grâce à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées que ce sujet avait été introduit dans la LPM, et le Gouvernement avait ensuite repris la disposition dans la loi de finances pour 2024, dans le texte sur lequel il avait engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Toutefois, le Conseil constitutionnel a par deux fois censuré cette disposition, pour des raisons de forme, puisqu'il avait considéré qu'il s'agissait dans le premier cas d'un cavalier législatif et dans le second d'un cavalier budgétaire. Cette difficulté sera levée avec un véhicule législatif propre.
Quel est l'objectif des auteurs de la proposition de loi ? Il est simple : apporter une première réponse aux difficultés de financement des entreprises de l'industrie de défense française. Ces entreprises sont en effet confrontées à des problèmes de financement, à la fois communs à l'ensemble des entreprises, tous secteurs économiques confondus, et spécifiques au secteur de la défense.
Quels sont les besoins de financement des entreprises de la BITD ? J'en distinguerai trois.
Le premier est l'accès au crédit, au financement bancaire, qui est essentiel pour la gestion par les entreprises de leur trésorerie, de leurs stocks et pour la modernisation de leurs chaînes de production. Sur ce point, les acteurs entendus en audition se sont accordés pour dire que les choses vont mieux - ou, disons, moins mal - depuis deux ans, le début de la guerre en Ukraine ayant marqué un vrai changement de paradigme.
Lorsque le dossier d'une entreprise de la défense est refusé par sa banque, c'est généralement pour une raison qui n'est pas liée à son secteur d'activité. Une entreprise fragile financièrement aura du mal à accéder au crédit, quelle que soit la nature de son activité. Pour autant, les entreprises de la défense se sont trop longtemps heurtées à des obstacles qui leur sont propres et continuent à y faire face : les établissements bancaires craignent pour leur image, s'inquiètent des exigences de conformité renforcées pour ces entreprises ou refusent de s'engager dans des contrats export, par définition plus complexes.
Des efforts ont été entrepris ces deux dernières années pour rapprocher l'industrie de défense et le monde bancaire. Les industriels ont souligné le rôle majeur joué par le réseau des « référents défense » au sein des grands établissements bancaires, en lien avec la direction générale de l'armement. Certaines banques ont en outre assoupli leur doctrine d'intervention dans le secteur de la défense.
Les difficultés liées au crédit bancaire, si elles ne sont pas totalement réglées, commencent donc à évoluer dans un sens favorable.
Le deuxième enjeu pour les entreprises de la BITD est l'accompagnement à l'export. Il y a quelques motifs de satisfaction. Plusieurs outils ont été mis en place par la puissance publique pour accompagner les entreprises, par l'intermédiaire de garanties et d'assurances. Ces dispositifs sont gérés au nom et pour le compte de l'État par Bpifrance Assurance Export. S'ils sont ouverts à l'ensemble des entreprises, ils bénéficient plus particulièrement aux entreprises de la défense. Le secteur militaire représente 40 % des encours de crédits export garantis, qui s'élevaient à 65 milliards d'euros à la fin de l'année 2022.
Le troisième enjeu, et le plus pressant aujourd'hui, ce sont les fonds propres. Cette difficulté est encore loin d'être réglée et affecte de manière disproportionnée les entreprises de la BITD. Le capital investissement est quasiment inexistant dans le secteur de la défense en France et en Europe.
Il n'existe en France que deux fonds d'investissement privés, dont un centré sur le seul secteur de l'aéronautique. Deux fonds publics, là encore gérés par Bpifrance, ont été créés au cours des dernières années pour remédier à cette lacune du marché privé : Definvest, pour sécuriser le capital d'entreprises d'intérêt stratégique, et le Fonds innovation défense, pour soutenir en fonds propres les entreprises innovantes porteuses de technologies duales. Les montants mobilisés sont toutefois encore trop faibles au regard des besoins exprimés par les entreprises.
Comment expliquer cette faiblesse ? Il y a d'abord une incompréhension autour de la réglementation applicable en matière de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Alors qu'aucune réglementation française ou européenne n'exclut la défense, les fonds d'investissement se sont auto-exclus.
Ensuite, le signal envoyé par les institutions européennes est particulièrement négatif : le Fonds européen d'investissement de la Banque européenne d'investissement (BEI) interdit de financer les munitions, les armes ainsi que les équipements ou infrastructures militaires ou policiers. Surtout, il impose ces exclusions aux fonds d'investissement qui participent à ses tours de table. Par ailleurs, même si la France a obtenu la mise en place d'un mécanisme de fonds propres dans le domaine de la défense, ce mécanisme est réservé aux seules entreprises dont moins de 50 % du chiffre d'affaires est lié à la défense. Enfin, la France se heurte aux réticences de certains de ses partenaires européens pour aller plus loin, l'Allemagne notamment.
Or, faute d'un volume d'investissements suffisant, les entreprises de la BITD n'ont d'autre choix que de renoncer à leurs projets ou de se tourner vers des financements extra-européens.
Dans ce contexte, que comporte la présente proposition de loi ?
L'article 1er prévoit de flécher une partie des encours non centralisés du livret A et du LDDS vers les entreprises de l'industrie de la défense française. Je le souligne, il s'agit des encours non centralisés ; les encours centralisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations pour le financement du logement social ne sont absolument pas concernés par le dispositif.
Aujourd'hui, les établissements sont soumis à des obligations strictes quant à l'utilisation des encours non centralisés. Au moins 80 % de ces encours doivent être utilisés par les établissements pour financer les PME, 10 % pour le financement de projets contribuant à la transition énergétique ou à la réduction de l'empreinte climatique et 5 % pour le financement des entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS).
Certes, le dispositif de fléchage proposé à l'article 1er de la proposition de loi soulève plusieurs interrogations. L'objectif d'utiliser 80 % des encours non centralisés au profit du financement des PME concerne par définition aussi les entreprises de la défense. De plus, du fait de la fongibilité des dépôts, cette cible est aujourd'hui largement dépassée, le ratio atteignant plus de 300 % à la fin de l'année 2022. Il n'est donc pas certain qu'un nouveau fléchage se traduise par des financements supplémentaires pour les entreprises de la défense, et en tout cas pas pour celles qui sont financièrement fragiles. Enfin, un tel dispositif ne concerne pas les fonds propres des entreprises.
Toutefois, la disposition paraît extrêmement utile, dans la mesure où elle permet d'envoyer un premier signal aux acteurs financiers : « premier », car des travaux sont aujourd'hui en cours pour réfléchir à de nouveaux dispositifs de soutien aux entreprises de la BITD ; et un « signal », parce qu'il est important que nous envoyions un signal clair et franc en faveur du soutien à ces entreprises.
Je vous proposerai donc d'adopter l'article 1er, sous réserve de mon amendement de réécriture COM-5. Cette réécriture permettrait de garantir que les cibles de financement allouées à la transition énergétique et aux entreprises de l'économie sociale et solidaire ne soient pas remises en cause. Le fléchage vers les entreprises de la BITD - expression préférée à celle d'« entreprises de l'industrie de défense française » - constituerait ainsi une « sous-poche » ou un sous-ensemble au sein de l'objectif de financement des PME.
J'ai longuement hésité entre cette proposition et celle qui consiste à créer un produit d'épargne spécifique consacré au secteur de la défense, finalement écartée. Le produit dédié présente deux avantages : il permet aux épargnants de se prononcer explicitement en faveur du financement de la défense et il peut apporter une réponse en fonds propres. Le fléchage d'une partie des encours non centralisés du livret A et du LDDS constitue toutefois une solution d'attente plus opérationnelle que la création d'un produit dédié, qui se heurterait à plusieurs obstacles. D'une part, les acteurs que j'ai entendus s'accordent à dire qu'un produit spécifique ne récolterait que peu de fonds et qu'il ne serait que peu commercialisé. D'autre part, les épargnants français sont marqués par leur préférence pour des livrets d'épargne réglementée, avec un taux de rémunération garanti et une grande disponibilité des fonds. Or un produit d'épargne défense ne répondrait pas à ces deux critères, alors que le livret A et le LDDS, si.
La base de collecte sera donc plus large, surtout que la modification du fléchage des encours du livret A et du LDDS ne paraît pas de nature à modifier significativement les comportements des épargnants, qui privilégient ces deux livrets pour leur niveau de rémunération. Surtout, faire participer l'ensemble des épargnants au financement de la BITD relève d'un enjeu de souveraineté. Si le pourcentage de la sous-poche était fixé, par exemple, à 5 %, cela représenterait en moyenne 103 euros par épargnant.
L'article 2 prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, avant le 31 décembre 2026, un rapport évaluant le dispositif prévu à l'article 1er de la proposition de loi et que, à défaut de résultat probant, il étudie l'opportunité de créer un produit d'épargne dédié au financement des entreprises de la BITD.
Cette évaluation me semble primordiale, elle doit permettre tant d'avoir une idée objective des besoins de financement des entreprises de la BITD que d'aborder l'ensemble des problématiques auxquelles elles peuvent être confrontées. Pour cette raison, je vous propose de compléter la demande de rapport en y incluant une réflexion sur l'opportunité, pour Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations, de développer les instruments existants ou de nouveaux instruments en fonds propres. Il pourrait également être opportun de disposer d'un bilan des dispositifs de soutien à l'export, pour savoir s'ils sont suffisants.
Enfin, au regard de l'importance de la réglementation européenne sur les critères ESG et de son impact sur les entreprises de la défense, le Gouvernement devra présenter les actions qu'il a menées pour que le financement de la défense soit davantage pris en compte, y compris au sein de la BEI. Le commissaire européen au marché intérieur, M. Thierry Breton a déclaré le 18 janvier dernier, lors d'une audition au Sénat, qu'il fallait faire monter en cadence les entreprises de la défense et les cofinancer pour les aider à adapter leur modèle économique. L'Europe doit passer de la parole aux actes.
Mon amendement COM-7 prévoit également d'avancer la date de remise du rapport d'un an. Il est nécessaire de disposer au plus tôt de ces éléments d'évaluation.
Enfin, je vous proposerai d'adopter un amendement COM-6 portant article additionnel, afin d'expliciter les missions de Bpifrance au profit des entreprises de la base industrielle et technologique de défense. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, Bpifrance gère aujourd'hui de très nombreux dispositifs de soutien, dont certains sont spécifiquement dédiés aux entreprises de la défense.
Je vous proposerai ainsi de modifier l'ordonnance du 29 juin 2005 qui détermine les missions de Bpifrance en tant qu'opérateur du soutien public au financement des entreprises et de l'innovation. Près de vingt ans après la publication de cette ordonnance, le contexte géopolitique a profondément évolué. Alors que la LPM a acté la mobilisation des leviers de l'économie de guerre, les acteurs institutionnels, au premier rang desquels Bpifrance, doivent être pleinement mobilisés pour répondre aux besoins de financement des entreprises de la BITD.
M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de loi. - Je vous remercie de votre invitation.
Je serai bref, parce que Dominique de Legge a parfaitement résumé la situation et la proposition de loi. Nous travaillons sur ce sujet depuis quatre ans ; ce n'est pas une lubie.
La situation de départ était extrêmement bloquée, avec un déni quasi généralisé : au ministère des armées, notamment à la direction générale de l'armement (DGA), à Bercy, à la Caisse des dépôts et consignations. Nous avons vu néanmoins les choses évoluer depuis lors. Au ministère des armées, y compris à la DGA, la prise de conscience a eu lieu. En revanche, pour ce qui concerne Bercy, si les choses bougent à la direction générale des entreprises, ce n'est pas le cas à la direction générale du Trésor.
Nous parlons de problèmes de financement non pas d'entreprises qui ont des difficultés bilantielles, mais d'entreprises intervenant dans le secteur de la défense auxquelles on refuse des financements parce qu'elles travaillent dans ce secteur. C'est un problème, surtout depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Il faut apporter une solution aux entreprises, ce que vise à faire cette proposition de loi, qui reprend une disposition par deux fois censurées par le Conseil constitutionnel, pour des raisons formelles.
M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis et président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Ce sujet nous intéresse depuis longtemps en effet et a pris de l'ampleur avec la guerre en Ukraine.
Nous pensions que le déclenchement de ce conflit favoriserait une prise de conscience des banques de la nécessité de financer davantage de notre secteur de la défense, mais il n'en est rien.
Cette question concerne particulièrement la compliance et les règles de conformité. Il y a de fait une forme d'auto-exclusion des fonds d'investissement, qui vont au-delà des contraintes de la réglementation européenne. Il y a un véritable déni de la Fédération bancaire française et des banques en général, qui considèrent que cela ne concerne que quelques cas, ce qui est évidemment faux. Nous pouvons le dire, pour avoir rencontré beaucoup d'entreprises de la défense. La BITD compte aujourd'hui en France 4 000 PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) et 200 000 emplois directs ; or nombre d'entre elles rencontrent des difficultés à se financer. Nous avons récemment entendu une entreprise fournissant les munitions des commandos de la marine, qui a recueilli 5 refus de financement sur les 6 banques contactées pour étendre son bâtiment, la seule raison donnée - verbalement et non par écrit - étant qu'elle intervenait dans le domaine de l'armement. Nous ne disposons que d'un refus écrit, d'AXA Banque, adressé au Coges (Commissariat général des expositions et salons du GICAT, le Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres), au motif que l'activité de cette entreprise n'est pas en conformité avec l'éthique d'AXA Banque.
Nous sommes heureux d'avancer sur ce sujet. Après deux censures du Conseil constitutionnel, nous avons enfin un véhicule adapté.
Je remercie Dominique de Legge, qui nous a associés à l'élaboration d'un texte satisfaisant tout le monde. Au-delà du texte, il faut faire passer un message aux banques pour financer ce que certains appellent l'économie de guerre.
M. Pascal Allizard. - Je souhaite enfin appeler l'attention de votre commission sur le fait que certaines entreprises de ce secteur commencent également à nous signaler des refus d'assurance pour les mêmes raisons. Il va falloir s'y intéresser...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue l'initiative de Pascal Allizard et la qualité du travail fourni, sur un sujet qui peinait à être pris en considération il y a quatre ans. L'actualité a mis ce sujet sur le devant de la scène. Je remercie le rapporteur Dominique de Legge, qui pose des jalons pour favoriser le financement de ces entreprises et l'encadrer. Je le remercie également d'avoir appelé notre attention sur ce sujet majeur. Nous devons ouvrir les yeux sur le contexte international. La France ne peut pas soutenir l'effort de guerre de l'Ukraine tout en achetant ailleurs du matériel ou des munitions que nous n'aurions pu produire faute d'avoir soutenu notre BITD. Nous avons un rang à tenir. Cette proposition de loi arrive au bon moment.
M. Marc Laménie. - Combien d'emplois directs et indirects les entreprises de la défense représentent-elles et quelle est leur répartition sur le territoire ?
Par ailleurs, quelle est la part de l'exportation dans le chiffre d'affaires de ces entreprises ?
M. Cédric Perrin. - J'ai donné les chiffres de 200 000 emplois directs et de 4 000 PME et ETI, mais il y a beaucoup d'emplois indirects, de sous-traitants de rang 1, 2 ou 3. Au total, on estime qu'il y a à peu près 400 000 emplois concernés par les sujets de défense.
La répartition géographique est le fruit de l'histoire, les entreprises de la défense ont été progressivement éloignées de la frontière allemande. Ainsi, ces entreprises sont plutôt localisées dans le centre de la France ou dans le Sud-Ouest, même si la sous-traitance irrigue l'ensemble du territoire national. Bref, il y a beaucoup d'emplois, au point de rejoindre à cet égard le secteur de l'automobile.
Dans la balance commerciale, ce secteur est en excèdent d'environ une dizaine de milliards d'euros.
M. Thierry Cozic. - Je salue le travail de notre collègue Pascal Allizard, dont la proposition de loi cerne bien les difficultés rencontrées par les entreprises du secteur de la défense pour se financer.
Toutefois, le livret A a deux missions prioritaires : financer le logement social et financer la transition écologique. S'éloigner de ces deux priorités aggravera la crise sociale et les problèmes de logement de notre pays - je rappelle que quatre millions de nos concitoyens sont considérés comme mal logés - sans parler de la condamnation de l'État pour inaction climatique. Dans la période actuelle, le financement du logement et de la transition écologique n'est-il pas plus prioritaire aux yeux de nos concitoyens ?
En outre, je le rappelle, la LPM prévoit une enveloppe globale de plus de 400 milliards d'euros, soit quasiment un doublement du budget annuel de la défense en 2030 par rapport à 2019. Nos concitoyens consentent donc déjà des efforts importants.
Néanmoins, la défense étant fondamentale dans un monde confronté à des tensions géopolitiques permanentes, nous proposons au travers d'un amendement de créer un livret d'épargne défense souveraineté, dont chaque Français pourrait se saisir. C'est une proposition d'équilibre qui nous semble plus démocratique et éthique tout en restant réaliste.
Nous réservons notre vote sur la proposition de loi en fonction du sort de cet amendement.
M. Thomas Dossus. - Je m'inscris dans la lignée des propos de Thierry Cozic, en soulignant l'arnaque que constitue ce dispositif, puisqu'il s'agit de pirater l'épargne populaire des Français. On va financer, par une partie de leur épargne réglementée, ce qu'ils n'avaient pas prévu de financer. Il y a donc tromperie sur la marchandise, pour contourner les réticences et critères d'éthique des banques et des épargnants, qui veulent financer le logement social et le développement durable. Parmi les 17 objectifs de développement durable, aucun ne concerne l'armement.
En outre, le contexte ukrainien est tel que, justement, les entreprises de défense ont moins de difficultés à se financer aujourd'hui. Les « marchands de canons » tireront donc profit de ce contexte.
Enfin, vous parlez d'économie de guerre ; prévoit-on donc de mettre fin au dispositif de fléchage si le contexte change ?
Mme Nathalie Goulet. - Je remercie l'auteur et le rapporteur de cette proposition de loi, que je soutiens. Le texte apporte une première réponse à des enjeux cruciaux : la souveraineté, la faiblesse des dispositifs européens et les influences étrangères. Il convient donc de renforcer nos entreprises de défense. Les banques me semblent moins regardantes à l'égard de la fraude et de l'arbitrage des dividendes qu'avec nos entreprises de défense... Je le regrette.
Il existe des sources variées de financement des entreprises, qui répondent à différents besoins. Par conséquent, quels dispositifs supplémentaires pourrions-nous envisager pour ramener les banques à la raison, compte tenu du peu d'égards pour l'éthique qu'elles ont quand il s'agit, par exemple, de lutter contre la fraude ?
M. Arnaud Bazin. - En tant que représentant du Sénat auprès de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, je ne participerai pas au vote, même s'il n'y a pas concurrence entre les fonds centralisés à la Caisse et le dispositif prévu.
M. Pascal Savoldelli. - À titre personnel, je suis extrêmement mal à l'aise face à cette proposition. On nous dit qu'il ne faut pas parler d'économie de guerre, mais c'est posé comme axe essentiel. Or qui dit « économie de guerre » dit « économie de défense », ce qui exige des recettes fiscales affectées. Il faut avoir du courage politique. Ce n'est pas par l'épargne des Français que l'on finance l'économie de guerre. Il faut assumer politiquement ce choix et affecter des recettes fiscales. La proposition de loi ne va pas dans ce sens.
En outre, les difficultés de financement des très petites entreprises (TPE) et des PME ne nous empêchent pas d'être le troisième exportateur mondial d'armement, d'autant que, pour nombre d'entre elles, la défense ne représente qu'une partie de leur activité.
Nous n'engageons pas de véritable débat politique sur la question. Je ne participerai donc pas au vote. Cette question est sérieuse, elle exige plus d'honnêteté politique.
M. Éric Bocquet. - Nous venons d'adopter la LPM, qui affecte 400 milliards d'euros à la défense, et on n'a pas réfléchi à cette question du financement des entreprises de ce secteur ? C'est hallucinant ! Nous passons de 32,4 milliards d'euros affectés à la défense en 2017 à 47,2 milliards en 2024 et 67,4 milliards en 2030 ; n'est-ce pas suffisant ?
En outre, il faut tenir compte du contexte mondial. Depuis 2000, l'industrie de l'armement a explosé dans le monde et, dans notre pays seulement, le nombre d'entreprises dans ce secteur est passé de 2 222 au début des années 2000 à 16 963 aujourd'hui. Cela intéresse tout de même du monde, c'est une industrie à haute valeur ajoutée. Et nous exportons pour 27 milliards d'euros d'armement en 2022 ; nous jouons dans la cour des grands. Il y a des tensions fortes, des guerres, et nous ferions comme si tout cela n'existait pas ? Il faut plutôt envoyer un message d'apaisement.
Enfin, on parle d'exigences de moralité des banques, mais l'investissement dans l'armement garantit un rendement élevé. Je m'étonne donc de leur frilosité...
M. Michel Canévet. - Merci d'avoir appelé notre attention sur les difficultés de nos entreprises à accéder au financement bancaire. C'est paradoxal pour un secteur d'excellence qui est, en outre, crucial pour notre souveraineté.
Ma question porte sur le mode de financement retenu. L'épargne collectée via le livret A est affectée à différentes cibles. Pourquoi ne pas avoir choisi un autre support, comme l'assurance vie ou le plan d'épargne retraite, qui peuvent mobiliser de l'épargne à long terme ? Pour répondre à notre collègue Pascal Savoldelli, à partir du moment où il y a de l'épargne disponible pour financer ces entreprises, il ne me semble pas nécessaire de lever l'impôt et de prévoir des recettes affectées. Ou alors, pourquoi n'avoir pas permis à Bpifrance de constituer un fonds dédié, comme elle l'a fait dans d'autres domaines ?
Mme Christine Lavarde. - Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, j'avais défendu une position défavorable à l'article relatif au financement des entreprises de défense par les encours du livret A et du LDDS, mais, aujourd'hui, je suis favorable au dispositif proposé au travers de l'amendement COM-5 de Dominique de Legge. J'aurais en effet été gênée que le financement de la BITD empiète sur le financement du logement social et de l'ESS, alors qu'il existe une enveloppe destinée aux PME.
En revanche, je ne comprends pas pourquoi le cadre actuel - l'enveloppe de 80 % des fonds non centralisés qui est destinée au financement des PME - ne permet pas déjà le financement des entreprises de la défense. Ce cadre plus précis permettra-t-il aux banques de remplir leurs obligations de conformité ? Je n'en suis pas certaine. Comment donc assurer le financement des entreprises de défense ?
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Monsieur Laménie, le président et rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a répondu à vos questions.
Monsieur Cozic, avec la rédaction que je propose au travers de mon amendement COM-5, il n'est nullement question de logement social. Je le rappelle, 59,5 % des encours du livret A et du LDDS sont consacrés au financement du logement social, les fonds étant centralisés à la Caisse des dépôts et consignations. Nous ne parlons pas de cela. Nous parlons des 40,5 % qui ne sont pas centralisés auprès de la Caisse et qui ne financent donc pas le logement social. Ces 40,5 % sont orientés vers trois affectations : une enveloppe représentant au moins 80 % finance les PME, au moins10 % pour le financement de la transition écologique et au moins 5 % pour l'ESS.
Dans la rédaction retenue par les auteurs de la proposition de loi, on crée une quatrième catégorie, ce qui impliquerait de diminuer potentiellement les fonds affectés à la transition écologique et à l'ESS. Cela ne me paraît pas souhaitable. C'est pourquoi je vous propose, au travers d'un amendement, de créer, au sein des 80 % consacrés aux PME, un ciblage particulier en faveur des entreprises de défense. Cela permet de ne pas toucher au financement de la transition écologique et de l'ESS, sachant que les auteurs de la proposition de loi souhaitent cibler les PME. Nous voulons donc simplement réserver une part du ciblage des PME, dans les 80 %, aux entreprises de la BITD.
M. Thomas Dossus parle de piratage de l'épargne, de tromperie sur la marchandise pour financer n'importe quoi. La question du financement de la défense mérite peut-être une approche plus nuancée ou plus équilibrée. Je n'ai hélas rien à répondre à ces propos, sauf à considérer qu'il n'existe pas de problème de financement de l'industrie de défense ou à penser qu'il ne faut pas financer cette industrie ou que le contexte géopolitique ne soulève aucune question.
Madame Goulet, vous évoquez des dispositifs supplémentaires. C'est le sens de mon amendement COM-7, qui tend à préciser la demande de rapport adressée au Gouvernement. Cette proposition de loi met le sujet sur la table, en faisant une proposition concrète, même si celle-ci n'est sans doute pas la plus efficiente. Simplement, cela permet d'avancer et de fixer une date butoir, tout en tenant compte des déclarations de Thierry Breton, qui a mentionné la somme de 200 milliards d'euros au niveau européen pour financer l'industrie de défense.
Messieurs Savoldelli et Bocquet, vous vous demandez si ces industries ne devraient pas être financées dans le cadre de la LPM. Cette loi finance une augmentation de nos capacités - plus de canons, de chars, d'avions, de munitions, etc. -, mais, pour produire plus, les entreprises doivent investir et moderniser leurs chaînes de production. C'est cette question qui est posée : comment le système de financement de l'industrie de la défense peut-il recourir à l'emprunt bancaire ?
Michel Canévet évoque l'hypothèse d'un nouveau fonds propre par Bpifrance ; j'ai longuement hésité à cet égard, indépendamment de la contrainte imposée par l'article 40 de la Constitution. J'ai également longuement hésité sur la question du produit d'épargne dédié. Toutefois, cette réponse ne me paraîtrait pas opérante, car il devrait s'agir d'investissements de cinq ans au minimum, avec un blocage des sommes. Or ce n'est pas ce que recherchent les épargnants, qui veulent une épargne liquide, sans risque et avec un rendement garanti, ce que ne permettrait pas un produit dédié. En outre, il y aurait une collecte moindre et le produit ne serait peut-être pas assez commercialisé. Pour autant, j'évoque tout de même cette possibilité dans la demande de rapport au Gouvernement, afin d'expertiser cette hypothèse.
Madame Lavarde, c'est effectivement bien au travers de l'enveloppe de 80 % que l'économie de défense doit être financée. Aujourd'hui, rien n'empêche qu'une partie de cette enveloppe soit utilisée au profit d'entreprises de la BITD, mais rien n'empêche non plus qu'elles en soient exclues. Nous voulons garantir une part minimale au profit de ces entreprises et nous demandons au Gouvernement d'en déterminer l'ampleur.
M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, le rapporteur propose de considérer comme relevant du périmètre indicatif de cette proposition de loi les dispositions visant à faciliter le financement de leurs activités par les entreprises de l'industrie de défense française, quelle que soit la forme de ce financement, et les dispositions visant à évaluer les besoins et les contraintes de financement des entreprises de l'industrie de défense française ainsi que les dispositifs mis en place pour y répondre.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Je me suis prononcé précédemment sur l'amendement COM-4, qui crée un livret d'épargne dédié au secteur de la défense. Avis défavorable, au profit de mon amendement.
M. Pascal Savoldelli. - Je rappelle qu'Éric Bocquet et moi ne participerons à aucun vote sur cette proposition de loi.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - J'ai présenté lors de mon propos liminaire mon amendement COM-5 ; il s'agit de clarifier le dispositif afin que le financement des entreprises de la BITD constitue une sous-poche au sein de l'objectif de financement des PME par les encours non centralisés du livret A et du LDDS.
L'amendement COM-5 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Mon amendement COM-6 vise à compléter l'ordonnance du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d'investissement, afin d'expliciter les missions de Bpifrance au profit des entreprises de la BITD.
L'amendement COM-6 est adopté et devient article additionnel.
Article 2
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Mon amendement COM-7 précise le contenu du rapport demandé au Gouvernement.
L'amendement COM-7 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-3 devient sans objet.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
Article 1er |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
M. TEMAL |
4 rect. |
Création d'un livret d'épargne souveraineté |
Rejeté |
M. de LEGGE, rapporteur |
5 |
Précisions sur les modalités de fléchage des encours non centralisés du livret A et du livret de développement durable et solidaire au profit de la base industrielle et technologique de défense |
Adopté |
Article(s) additionnel(s) après Article 1er |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
M. de LEGGE, rapporteur |
6 |
Explicitation des missions de Bpifrance au service des entreprises de la base industrielle et technologique de défense |
Adopté |
Article 2 |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
M. TEMAL |
2 |
Suppression de l'article 2 (rapport d'évaluation) |
Rejeté |
M. de LEGGE, rapporteur |
7 |
Avancée d'un an de la date de remise du rapport d'évaluation et compléments sur son contenu |
Adopté |
M. TEMAL |
3 |
Obligation, dans le rapport, de prévoir une évaluation de l'opportunité de créer un produit d'épargne dédié au secteur de la défense |
Satisfait ou sans objet |