EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 6 mars sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Michel Canévet sur le projet de loi n° 283 (2023-2024) autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales.

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport de Michel Canévet sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Le projet de loi qu'il nous revient d'examiner a pour objet d'autoriser l'approbation de la nouvelle convention fiscale signée avec la République de Moldavie le 15 juin 2022, et ratifiée par le Parlement moldave en juillet 2022. Le présent texte, adopté par l'Assemblée nationale le 29 janvier 2024, sera examiné au Sénat en séance publique la semaine prochaine.

La Moldavie, qui se trouve à la frontière de l'Union européenne, entre la Roumanie et l'Ukraine, a été reconnue officiellement pays candidat à l'adhésion européenne en juin 2022.

Les relations franco-moldaves connaissent un regain important depuis l'élection à la présidence de la République moldave de la pro-européenne Maia Sandu en 2020. À la suite de l'agression russe contre l'Ukraine, pays frontalier de la Moldavie, la France s'est engagée comme l'un des premiers soutiens financiers de ce pays, qui figure parmi les États les plus pauvres d'Europe. Elle dirige notamment avec l'Allemagne et la Roumanie la Plateforme de soutien à la Moldavie (PSM), qui vise à coordonner l'assistance internationale apportée à ce pays. Elle accompagne également la Moldavie dans sa démarche d'intégration européenne.

La France et la Moldavie ne sont plus liées par aucune convention fiscale depuis la décision de la Moldavie de dénoncer la convention fiscale franco-soviétique du 4 octobre 1985, qui s'appliquait jusqu'alors. Un premier projet de convention bilatérale avait été signé en 2006, mais il ne s'était pas concrétisé, la Moldavie ayant décidé par ailleurs de supprimer son impôt sur les sociétés. Un nouveau projet de convention fiscale avait échoué en 2012.

La France avait fixé deux conditions à la reprise des négociations : d'une part, le retour d'un taux standard d'imposition sur les sociétés ; d'autre part, un engagement accru de la Moldavie en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Ces deux conditions ont été remplies par l'adoption d'un taux d'impôt sur les sociétés à 12 % en 2012, puis par l'adhésion de la Moldavie au Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements, et à la Convention d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (Maac) de l'OCDE, la même année. Compte tenu de ces évolutions, des négociations sur une nouvelle convention fiscale bilatérale ont été ouvertes à l'été 2019, et la présente convention a été signée le 15 juin 2022.

J'en viens au contenu de la convention et voudrais, à cet égard, insister sur deux points.

Premier point : la rédaction de cette convention s'est largement appuyée sur les derniers travaux de l'OCDE. Pour rappel, deux instruments de cette organisation orientent désormais la politique conventionnelle française en matière fiscale. Il s'agit tout d'abord du modèle de convention fiscale de l'OCDE, mis à jour en 2017. Ce modèle a été complété par l'instrument multilatéral de l'OCDE, issu du plan d'action pour lutter contre l'évitement fiscal et moderniser le droit fiscal international, plus connu sous l'acronyme anglais Beps (Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices).

La convention franco-moldave intègre, par conséquent, les principaux standards des travaux de l'OCDE.

Il s'agit, à titre d'exemple, de la définition modernisée de l'établissement stable. Cette notion permet de déterminer si une activité industrielle, commerciale ou libérale est imposable dans l'État où elle est exercée ou dans l'État de résidence de l'entreprise. L'État d'exercice de l'activité peut imposer les bénéfices de l'entreprise à partir du moment où elle dispose d'un établissement stable dans cet État.

La convention intègre également une clause générale anti-abus qui permet de refuser l'octroi d'un avantage conventionnel lorsqu'il apparaît que celui-ci est l'un des objets principaux d'un montage ou d'une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l'obtenir. Elle prévoit un mécanisme d'élimination des doubles impositions. La France a opté pour la méthode dite de l'imputation, qui consiste à accorder au contribuable un crédit d'impôt imputable sur son impôt français. La Moldavie a choisi, de son côté, une méthode similaire pour les revenus dont l'imposition est partagée avec la France.

Second point : la France a réussi à inclure dans la convention des stipulations conformes à la pratique conventionnelle française.

La France a pu intégrer au sein de la convention une clause relative au volontariat international, une clause relative à l'imposition dans l'État de source des revenus des mannequins et une stipulation relative aux prestations relevant de la notoriété personnelle. Ces différentes clauses sont conformes à la politique conventionnelle de notre pays.

La France a également obtenu au cours des négociations un abaissement des taux de retenue à la source sur les revenus passifs que sont les dividendes, intérêts et redevances. La convention fixe ainsi un taux de retenue à la source de 10 % pour les dividendes et de 5 % pour les intérêts et les redevances. Un principe d'imposition exclusive dans l'État de résidence est toutefois prévu pour les intérêts relatifs aux investissements réalisés ou garantis par les personnes publiques, compte tenu de l'importance de l'aide au développement française apportée à ce pays.

Compte tenu du déséquilibre dans la répartition des investissements entre la France et la Moldavie, il résultera de cet abaissement généralisé des taux de retenue à la source un partage plus avantageux des recettes fiscales pour le Trésor public français. En effet, la retenue à la source est éliminée par l'État de résidence, qui vient minorer l'impôt perçu sur ces mêmes revenus. L'accord trouvé entre la France et la Moldavie me paraît équilibré et de nature à renforcer la sécurité juridique des contribuables, tout en stimulant les échanges avec ce pays d'Europe orientale.

La nouvelle convention fiscale viendra en effet sécuriser la situation des particuliers comme des entreprises, en prévoyant un cadre clair d'élimination des doubles impositions. En l'absence de cadre conventionnel, la France et la Moldavie appliquent actuellement et concurremment leur droit fiscal interne. Ce vide conventionnel est propice à l'apparition de situations de doubles impositions.

Toutefois, contrairement à des conventions fiscales récentes que notre commission a eu l'occasion d'examiner ces derniers mois - je pense à la convention franco-grecque et à la convention franco-danoise -, la convention bilatérale franco-moldave ne vient pas répondre à des situations particulières de double imposition. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'économie et des finances ne nous ont pas fait remonter de cas spécifiques. En outre, l'abaissement des taux de retenue à la source sur les revenus passifs devrait permettre de soutenir la croissance des échanges commerciaux et financiers bilatéraux. Si la Moldavie n'est que le cent treizième client de la France, le commerce entre les deux pays connaît une croissance annuelle moyenne de 13 % depuis 2018. Environ 240 entreprises françaises sont implantées en Moldavie, notamment Orange et Lafarge ; en revanche, il n'y a pas d'entreprises moldaves connues implantées en France.

En dehors des considérations fiscales et économiques, l'entrée en vigueur de cette convention fiscale bilatérale dans le contexte géopolitique complexe de la Moldavie est de nature à encourager ce partenaire dans sa démarche d'intégration européenne.

Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'entrée en vigueur de la convention franco-moldave du 15 juin 2022, c'est-à-dire d'adopter le présent projet de loi sans le modifier.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - M. Michel Canévet est également vice-président du groupe d'amitié France-Moldavie et donc bien au fait du sujet.

Cette convention fiscale répond aux standards de l'OCDE et s'inscrit dans la continuité de conventions que nous avons adoptées récemment. Il est toujours bon de prévoir des règles juridiques communes avec l'ensemble de nos partenaires, même s'ils ne sont pas majeurs en volume, et de les adapter.

Je souscris aux conclusions du rapporteur mais nous devrons examiner d'un peu plus près les études d'impact, car il nous faut disposer d'assises juridiques fortes.

M. Emmanuel Capus. - Une partie du territoire moldave, la Transnistrie, se trouve dans une situation de non-droit. Qu'en sera-t-il, dans ces conditions, de l'application de cette convention ?

D'autres États qui relevaient autrefois de la zone d'influence soviétique, comme la Géorgie, pourraient-ils signer une telle convention bilatérale ?

D'autres États européens ont-ils signé une convention bilatérale avec la Moldavie ? Si oui, ces conventions présentent-elles les mêmes avantages et inconvénients que celle-ci ?

M. Rémi Féraud. - Ce petit pays est européen. Pourquoi la signature de cette convention a-t-elle tant tardé depuis la dénonciation de la convention fiscale franco-soviétique de 1985, voire depuis sa ratification par le Parlement moldave, alors même que la situation géopolitique est très sensible et qu'il nous faut envoyer des signaux à ces pays ?

Pourquoi y a-t-il si peu d'études d'impact attachées à ces conventions bilatérales ? Une cellule de suivi avait été prévue, mais elle n'est toujours pas créée. Bercy s'y est-il engagé ? La corruption étant importante en Moldavie, une telle convention fiscale est-elle porteuse de risques ? Le suivi de sa mise en oeuvre semble essentiel, tout comme celui de ses conséquences sur les recettes publiques.

Mme Nathalie Goulet. - La semaine dernière, la Russie a proféré des menaces fortes contre la Transnistrie, ce qui peut avoir une influence sur le conflit avec l'Ukraine. Il s'agit d'une zone de grandes turbulences, d'autant que la Moldavie est intégrée au partenariat oriental de l'Union européenne. Il est positif de signer une convention avec ce pays, mais il faut des garanties. En effet, la Moldavie et la Roumanie figurent au « hit-parade » de tous les réseaux de fraudes sociales et fiscales. Des dispositifs de suivi sont-ils mis en place ? J'engage les fonctionnaires de Bercy à se rendre sur place avant de rédiger des conventions !

M. Bernard Delcros. - Quid de l'application de cette convention dans les territoires moldaves pro-russes ?

M. Éric Bocquet. - Le rapporteur a cité les sociétés Orange et Lafarge, qui sont installées en Moldavie. Quel taux d'impôt sur les sociétés s'applique à ces entreprises françaises dans ce pays ? On sait que, de façon générale, ce taux qui était de 0 % voilà quelques années est passé à 12 % ; il reste donc bien inférieur à celui applicable en France. Quant au salaire minimum, il y est de 46,29 euros par mois. Enfin, les retenues à la source sur les dividendes sont plafonnées à 10 %, ce qui est loin de notre plafonnement forfaitaire unique (PFU)...

M. Michel Canévet, rapporteur. - L'évolution récente des relations entre la présidente Maia Sandu et les autorités de la Transnistrie est en effet préoccupante. La Transnistrie ne respectant pas les règles fixées par l'Union européenne et par l'OCDE, cette entité de 465 000 habitants n'est pas incluse dans le périmètre de la convention fiscale. La convention s'appliquera à ce territoire à compter du retour de la pleine souveraineté moldave.

La Biélorussie, le Kirghizstan et le Turkménistan sont les trois derniers États concernés par la convention de 1985 entre l'Union soviétique et la France.

La plupart des pays européens ont déjà signé une convention fiscale avec la Moldavie, dans le respect des normes fixées par l'OCDE. Il est vrai, monsieur Féraud, que les délais de conclusion et de ratification de cette convention fiscale sont très longs. Les négociations ont débuté en 2019 et n'ont abouti qu'en 2022, une première tentative ayant échoué dès 2006. Nous sommes dans l'attente depuis deux ans. Le Parlement moldave a pourtant fait preuve de célérité et lorsque le groupe d'amitié France-Moldavie s'était rendu sur place en 2022, la signature et la mise en oeuvre de la convention étaient au coeur des discussions. Même si nous devions la ratifier dès maintenant, elle n'entrerait toutefois en vigueur qu'à compter du 1er janvier 2025. Tout cela est inquiétant : dès lors qu'un accord avait été conclu, nous aurions pu le valider plus rapidement.

Monsieur Bocquet, le taux d'impôt sur les sociétés est en effet de 12 % en Moldavie. Toutefois, puisque nous avons choisi la méthode de l'imputation, les entreprises bénéficieront d'un crédit d'impôt pour les sommes payées en Moldavie et seront imposées en France sur le complément. Il en va de même pour les redevances. Cet accord est donc avantageux également pour le Trésor français. Parmi les 240 sociétés qui avaient été identifiées en 2021 sur le territoire moldave, Orange, Sanofi, Lafarge et Lactalis représentent environ 4 000 emplois.

Enfin, je précise qu'une élection présidentielle à enjeu aura lieu à l'automne prochain. Le mandat de Maia Sandu, qui se représente, arrive en effet à échéance. La situation politique moldave pourrait donc évoluer.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

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