II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ : EN L'ABSENCE D'ACCORD LOCAL AVANT LE 1ER JUILLET 2024, UN DÉGEL PARTIEL DU CORPS ÉLECTORAL POUR LES ÉLECTIONS DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE DONT LA MISE EN oeUVRE POURRAIT CONTOURNER LE PARLEMENT
A. LE DÉGEL PARTIEL DU CORPS ÉLECTORAL AUX PROVINCES ET AU CONGRÈS
1. Les motivations plurielles avancées par le Gouvernement
Comme l'a rappelé le ministre de l'intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin dans un courrier adressé aux parties locales dès avril 2023, « ni le Gouvernement, ni aucune formation politique calédonienne ne sollicite le retour à la liste électorale générale pour les élections au congrès et aux assemblées de province. Le maintien ou non d'une citoyenneté calédonienne distincte de la citoyenneté française n'est donc pas en question : il s'agit d'une évolution irréversible »29(*). Il n'en demeure pas moins que de fortes revendications pour l'ouverture de ce corps électoral persistent.
Comme détaillé dans l'étude d'impact du projet de loi constitutionnelle, en premier lieu, le Gouvernement considère que « sans préjuger des évolutions du corps électoral qui pourraient résulter d'un nouvel accord entre les partenaires politiques et à la lumière de l'avis rendu par le Conseil d'État, le 7 décembre dernier, le Gouvernement estime que le gel du corps électoral pour ces élections, par référence à la situation existante au 8 novembre 1998, ne répond plus aux exigences démocratiques résultant de nos principes constitutionnels et des engagements internationaux de la France. »30(*)
En deuxième lieu, il justifie les évolutions qu'il propose par le constat qu'« (...) il est devenu aujourd'hui difficile de justifier que des électeurs installés de façon permanente en Nouvelle-Calédonie après l'approbation de l'accord en novembre 1998 - donc depuis 25 ans pour certains - ne puissent toujours pas participer à l'élection des membres du congrès, alors même que cette assemblée adopte les lois du pays et les réglementations locales qui régissent leur quotidien, dans le champ de compétence très étendu de la Nouvelle-Calédonie ou des provinces, et déterminent les choix politiques fondamentaux du territoire. Il parait tout aussi singulier qu'un citoyen français né en Nouvelle-Calédonie, et qui y réside toujours aujourd'hui, ne puisse participer à ces élections locales alors même qu'il peut voter à toutes les autres élections et, généralement, a aussi pu participer aux trois consultations d'autodétermination de 2018, 2020 et 2021. Or, ce sont presque 12 000 électeurs qui se trouvent aujourd'hui dans cette situation »31(*).
En dernier lieu, le Gouvernement avance que « Tout en restant fidèle au préambule de l'accord de Nouméa qui prévoyait que « le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée », le Gouvernement propose de corriger les distorsions qui résultent de l'écoulement du temps et des évolutions démographiques depuis plus de deux décennies »32(*). Plus précisément, sur ce point, il rappelle que « le nombre d'électeurs inscrits sur les listes électorales générales en Nouvelle-Calédonie exclus du droit de suffrage aux élections des membres des assemblées de province et du congrès, s'est creusé dans des proportions importantes : il est passé de 8 338 électeurs en 1999, soit 7,5% du corps électoral général, à 18 208 en 2009, 40 957 en 2019 et 42 596 en 2023. Il atteint donc désormais un électeur sur cinq »33(*).
2. Les conditions d'un dégel partiel du corps électoral pour les seules élections provinciales et au congrès de la Nouvelle-Calédonie
Dans le projet de révision constitutionnelle déposé sur le Bureau du Sénat, le Gouvernement propose de dégeler partiellement le corps électoral amené à se prononcer lors des scrutins provinciaux calédoniens.
Pour ce faire, il propose, dans un nouvel article 77-1 de la Constitution, un double assouplissement des restrictions électorales aujourd'hui en vigueur :
- en premier lieu, en incluant l'ensemble des natifs dans le corps électoral aux élections provinciales ;
- en second lieu, en introduisant une condition de résidence, pour tout citoyen français, d'au moins dix années ininterrompues en Nouvelle-Calédonie pour conditionner l'admission des nouveaux électeurs aux scrutins provinciaux calédoniens, rompant ainsi avec le principe d'un corps électoral « gelé » tel qu'établi à trois reprises par le Constituant.
Afin de tirer toutes les conséquences de cette évolution de nature du corps électoral pour les élections provinciales, le Gouvernement propose de supprimer le dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution introduit par la révision constitutionnelle de 2007 qui a, comme explicité ci-avant, précisé que seul le tableau annexe de 1998 devait être retenu pour établir les listes. Ce faisant, le tableau annexe qui serait établi en application de l'article 77-1 de la Constitution serait « vivant », et recenserait les personnes non-admises à participer aux élections provinciales après 1998, par opposition à celui visé par l'alinéa ainsi abrogé de l'article 77 qui, lui, est arrêté en 1998.
3. Les conséquences du dégel du corps électoral
a) Une incidence importante sur les effectifs de la LESP
Selon les données communiquées par l'Institut de la statistique de Nouvelle-Calédonie et confirmées par le Gouvernement, le dégel, fut-il partiel, du corps électoral proposé aurait une incidence importante sur les effectifs de la liste électorale pour les scrutins provinciaux calédoniens.
Ainsi, cette liste verrait sa composition augmenter de près de 14,5 % sous le double effet de l'inscription de 12 441 natifs, dont l'inscription sera quasi-automatique compte tenu de la facilité à démontrer les critères nécessaires à celle-ci, et de l'éligibilité à l'inscription de près de 13 400 citoyens français résidant en continu depuis au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie.
Nombre de nouveaux inscrits sur la liste
électorale provinciale
en application du projet de révision
constitutionnelle, au 1er janvier 2024
Source : commission des lois du Sénat, d'après les données de l'ISEE
Par ailleurs, corollaire de l'augmentation du nombre d'inscrits sur la liste électorale pour les élections provinciales, le corps électoral pour les provinciales serait, pour la première fois depuis 2018, plus important, en nombre d'inscrits, que celui défini pour les consultations d'accession à la pleine souveraineté.
Évolution du nombre d'inscrits par liste
électorale
en application du projet de révision
constitutionnelle, au 1er janvier 2024
Source : commission des lois du Sénat, d'après les données de l'ISEE
b) Un dispositif pérenne
Différence notable avec les principes actés lors de l'accord de Nouméa et traduit dans le dispositif constitutionnel en vigueur, pour la première fois, il est proposé au Constituant d'adopter un dispositif pérenne - bien que le titre XIII demeure, en l'état du texte proposé par le Gouvernement, intitulé « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie ».
En cela, le dispositif proposé constitue une innovation juridique majeure puisqu'il consacrerait de manière pérenne une dérogation aux principes d'universalité et d'égalité devant le suffrage, et ce, sans lien avec une éventuelle trajectoire institutionnelle évolutive propre à la Nouvelle-Calédonie.
* 29 Voir les courriers précités.
* 30 Étude d'impact sur le projet de loi constitutionnelle, p. 3.
* 31 Ibid.
* 32 Ibidem.
* 33 Ibidem.