EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 7 mai 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport de M. Hervé Maurey sur la proposition de loi n° 374 (2023-2024) visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession.

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin le rapport de M. Hervé Maurey sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession.

M. Hervé Maurey, rapporteur. - Parmi les différents types de frais bancaires, les frais appliqués dans le cadre des opérations de succession se distinguent par leur disparité, leur coût élevé et leur manque de transparence, suscitant incompréhension et défiance de la part d'un grand nombre de consommateurs.

Ces frais représenteraient un montant annuel total estimé entre 125 et 200 millions d'euros, soit environ 1 % de l'ensemble des frais bancaires prélevés en France. Si ce montant peut sembler marginal au regard de l'activité des banques, les sommes prélevées pour une succession donnée peuvent être significatives, notamment pour les successions les plus modestes. Selon une étude récente de l'UFC-Que Choisir, les frais bancaires acquittés par les héritiers pour une succession de 20 000 euros peuvent s'élever jusqu'à 527,50 euros dans certains établissements, contre seulement 80 euros dans d'autres.

Avec une moyenne de 291 euros en 2023, en hausse de 25 % par rapport à 2021, et de 50 % par rapport à 2012, les frais bancaires facturés en France au titre des opérations liées aux successions seraient trois fois supérieurs à ceux qui sont pratiqués en Belgique et en Italie, et même quatre fois plus élevés qu'en Espagne.

Cette question a été très médiatisée par l'émotion créée par le cas de parents qui se sont vu réclamer des frais de 138 euros pour clôturer le livret A de leur enfant de huit ans décédé en mai 2021. Elle a suscité un certain nombre de réactions et d'initiatives parlementaires.

Plusieurs questions écrites ont ainsi interpellé l'exécutif. Dès novembre 2021, j'ai appelé l'attention du ministre Bruno Le Maire sur ce sujet et l'ai interrogé sur les mesures qu'il comptait prendre pour remédier aux difficultés observées. Dans sa réponse de janvier 2022, le ministre indiquait avoir demandé à ses services, en consultation avec les acteurs bancaires, d'examiner des pistes de réforme en la matière. Celui-ci précisait que le Gouvernement était déterminé à ce que « une solution soit rapidement dégagée dans le cadre des instances de concertation de place ».

Face à l'absence de « solution rapidement dégagée », pour reprendre l'expression du ministre, j'ai déposé en janvier 2022 une proposition de loi visant à encadrer les « frais bancaires de succession », afin de prévoir que ces frais soient « en rapport avec les coûts réellement supportés ». En septembre 2022, Bruno Le Maire m'assurait vouloir faire évoluer les pratiques des banques « d'ici au début de l'automne » de la même année.

En l'absence de toute avancée, j'ai déposé, en janvier 2023, un amendement sur la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants. Le dispositif proposé prévoyait la gratuité pour les comptes inférieurs à 5 000 euros bénéficiant de la procédure de clôture simplifiée et instituait, pour les autres cas, un plafonnement à 1 % du montant total des sommes détenues par l'établissement. Cet amendement, tout comme l'amendement identique déposé par notre collègue Mme Vanina Paoli-Gagin, a été adopté par le Sénat, malgré l'avis défavorable donné par le Gouvernement. Lors de l'examen de ces amendements, le ministre M. Jean-Noël Barrot annonçait la conclusion sous un mois d'un accord de place qui, je cite les propos du ministre au banc, devait « engager pleinement les banques ».

Alors que la voie d'un tel accord de place s'est révélée illusoire, je me réjouis que Mme Christine Pires Beaune ait pris l'initiative, avec ses collègues députés socialistes, de porter à nouveau cette question devant le Parlement. Je me réjouis également que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ait finalement jugé, dans un tweet en date du 20 février dernier, qu'il fallait mettre un terme à cette situation, je cite le ministre, « révoltante » et « inacceptable ». J'ajoute que le Gouvernement a longtemps privilégié la solution d'un accord de place entre les acteurs bancaires. Or leurs représentants m'ont indiqué en audition qu'un tel accord n'a jamais été envisagé, car il aurait été manifestement contraire au droit de la concurrence. Celui-ci prohibe en effet les ententes sur les prix, sous peine de sanctions pécuniaires pouvant aller jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires des activités concernées.

Conscient de la qualité des travaux réalisés par Mme la rapporteure à l'Assemblée nationale, en lien avec les services du ministère de l'économie, j'ai donc abordé cette proposition de loi avec la volonté d'aboutir à un vote conforme. En effet, le dispositif proposé m'apparaît tout à fait équilibré dans sa conception, en ce qu'il institue trois cas de gratuité permettant de couvrir les situations les plus problématiques du point de vue des consommateurs.

Néanmoins, à la suite des échanges techniques que j'ai pu avoir avec la direction générale du Trésor et la Banque de France, il m'a semblé nécessaire de conforter l'intelligibilité et la validité juridique de l'encadrement proposé, afin d'assurer sa mise en oeuvre effective. C'est ainsi que je vous présenterai deux amendements concernant l'article 1er et l'article 2 de la proposition de loi.

L'article 1er introduit un nouvel article L. 312-1-4-1 au sein du code monétaire et financier, afin d'encadrer les frais facturés par les établissements de crédit teneurs de comptes au titre des opérations bancaires liées aux successions. Cet article institue en particulier trois cas de gratuité, dans lesquels aucun frais d'aucune nature ne peut être facturé au titre de ces opérations.

En premier lieu, la gratuité s'applique lorsque l'héritier justifie de sa qualité d'héritier auprès de l'établissement de crédit, teneur des comptes, dans les conditions de la procédure de clôture des comptes simplifiée, c'est-à-dire soit par la production d'un acte notarié, soit par la production d'une attestation signée de l'ensemble des héritiers ; sont ainsi visées les successions les plus simples à traiter pour les établissements.

En deuxième lieu, la gratuité est prévue lorsque le montant total des soldes des comptes est inférieur à 5 000 euros ; sont ici couvertes les successions les plus modestes, représentant 30 % de la population.

En troisième et dernier lieu, la gratuité est retenue lorsque le détenteur des comptes était mineur à la date du décès ; ce cas de gratuité répond à des considérations morales évidentes.

Dans les autres cas, les opérations liées à la succession pourraient donner lieu à un prélèvement de frais, dont un décret d'application définirait le barème.

La nouvelle rédaction que je vous propose permet, d'une part, de clarifier la présentation des cas de gratuité et, d'autre part, de préciser le barème relatif au plafonnement des frais pouvant être prélevés dans les autres cas, lequel sera déterminé par le décret d'application.

Pour ce faire, j'ai repris la limite de 1 % du montant total des soldes des comptes du défunt, adoptée par le Sénat en janvier 2023 dans le cadre de l'examen de la proposition de loi de nos collègues MM. Jean François Husson et Albéric de Montgolfier tendant à renforcer la protection des épargnants. De même, concernant le cas de gratuité relatif aux successions modestes, j'ai souhaité substituer au plafond de 5 000 euros une référence au montant fixé par l'arrêté du 7 mai 2015 relatif à la procédure de clôture des comptes simplifiée, lequel prévoit une revalorisation annuelle en fonction de l'inflation, afin d'assurer son adaptation automatique dans le temps. Ce montant était de 5 909,95 euros en avril 2024.

S'agissant du cas de gratuité relatif aux successions les plus simples, les conditions ont été complétées avec une référence à l'absence de « complexité manifeste », introduite à la suite de mes échanges avec le ministère de l'économie. Ces critères devront être détaillés par le décret d'application. Je serai particulièrement attentif à ce qu'en séance le Gouvernement s'engage sur un certain nombre de critères et que les rapporteurs des deux chambres soient associés à l'élaboration du décret. Il vous est loisible, mes chers collègues, de proposer des amendements visant à préciser le champ de ce décret.

Par ailleurs, la rédaction du dispositif a été élargie afin d'inclure les établissements de paiement, tels que Nickel et Revolut, très utilisés par les jeunes.

Enfin, en vue d'assurer la mise en oeuvre effective du dispositif, je propose d'habiliter expressément les agents de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à contrôler le respect des nouvelles règles.

S'agissant des articles 1er bis et 2 de la proposition de loi, ils traitent, respectivement, de l'application de l'encadrement des frais bancaires sur succession à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna, et de la remise d'un rapport destiné à évaluer l'impact des nouvelles règles un an après la publication du décret d'application. Je ne m'attarderai pas sur ces deux articles qui ne soulèvent pas de difficulté particulière, étant précisé que l'article 2 fait l'objet d'un amendement de coordination rédactionnelle.

J'espère que vous soutiendrez la démarche engagée avec ce texte, qui devrait permettre de consacrer - enfin - au niveau législatif un encadrement équilibré des frais bancaires sur succession.

J'ai eu le plaisir de travailler en étroite collaboration avec Mme Pires Beaune, qui a toujours souligné l'importance des travaux du Sénat.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur pour son travail et sa constance. Sa détermination n'a cependant pas réussi à accélérer l'adoption de mesures, malgré l'urgence déclarée par le ministre de l'économie et des finances.

La chronologie n'est pas inintéressante : il y a eu trois ou quatre déclarations officielles, mais non suivies d'effets. Cette proposition de loi ne fait que remédier à la situation. Essayons de profiter de la conjoncture pour avancer. Resteront quelques ajustements à faire avant le passage du texte en séance publique. Je partage les orientations proposées par le rapporteur.

M. Marc Laménie. - Ces 200 millions de frais bancaires liés aux successions représenteraient un peu moins de 1 % des 25 milliards d'euros de frais bancaires acquittés par les clients par an. Pourriez-vous préciser ces chiffres ?

Les disparités entre banques sont grandes. Quel est le rôle de la Fédération bancaire française (FBF) et celui des notaires ? Ne pourraient-ils pas oeuvrer afin d'uniformiser ces frais bancaires ?

Mme Nathalie Goulet. - Je souhaite féliciter le rapporteur pour sa constance : espérons que cela fasse jurisprudence sur d'autres sujets.

Le texte s'appliquera-t-il aux successions en cours non liquidées ?

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je souhaite vous présenter brièvement mes deux amendements.

Par mon premier amendement, je propose une solution alternative, pour revenir à la rédaction sénatoriale de 2023.

Cette proposition de loi ne couvre que les opérations bancaires liées à la succession, alors que le dispositif sénatorial couvrait l'ensemble des sommes détenues sur le compte du défunt, sans préciser leur affectation et leur utilisation.

Par ailleurs, la proposition de loi indique que l'interdiction de prélever les frais intervient au moment de la clôture des comptes de dépôt et des comptes sur livret du défunt, ce qui suppose que des frais pourraient être prélevés entre le décès et la clôture. La rédaction de 2023 est beaucoup plus protectrice.

Mon second amendement supprime, conformément à la doctrine du Sénat, la remise d'un rapport.

M. Hervé Maurey, rapporteur. - Monsieur Laménie, les notaires jouent un rôle important. Ils font l'essentiel du travail, et trouvent les frais bancaires de succession peu justifiés. Les banques diront qu'elles réalisent un travail colossal, mais on peut s'interroger. Il est tout à fait sage d'encadrer ces frais.

Madame Goulet, la constance est peut-être une vertu normande ! Le dispositif entrera en vigueur une fois pris le décret d'application, notamment pour établir le barème des frais. Il ne peut y avoir d'application rétroactive. Pour autant, tel n'est pas le cas de successions en cours non liquidées à la date de publication du décret d'application : le dispositif devrait pouvoir s'appliquer aux opérations de clôture effectuées par les établissements teneurs de comptes à compter de cette date, que les successions aient été ouvertes avant celle-ci ou pas.

Madame Paoli-Gagin, nous proposons une rédaction qui comble des lacunes de la rédaction de l'Assemblée nationale : elle est plus protectrice, conformément à vos souhaits.

Pour ce qui concerne les rapports, nous passons souvent d'un extrême à l'autre. En l'espèce, un tel rapport n'est pas inutile. Le président Raynal nous a signalé la semaine dernière que le taux des rapports présentés par le Gouvernement augmentait, ce qui est de bon augure.

M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, la commission propose que le périmètre indicatif de la proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession comprenne les dispositions relatives aux frais appliqués dans le cadre des opérations liées à la clôture des comptes et des produits d'épargne du défunt par les établissements teneurs desdits comptes et produits.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Hervé Maurey, rapporteur. - L'amendement COM-1 rectifié de Mme Paoli-Gagin a pour objet de rétablir le plafond de 1 % que nous avions adopté en 2023. L'amendement  COM-3 que j'ai déposé intègre la demande de notre collègue. C'est pourquoi je propose le retrait de l'amendement  COM-1 rectifié, sinon j'émettrai un avis défavorable.

L'amendement  COM-1 rectifié est retiré.

M. Hervé Maurey, rapporteur. - L'amendement COM-3 permet de bien identifier les trois cas de gratuité évoqués et de réintroduire la limite de 1 %. Ce plafond reste cependant un sujet de divergence entre Mme la rapporteure de l'Assemblée nationale et le Sénat.

Nous proposons comme à l'Assemblée nationale un seuil de gratuité pour le cas des successions les plus modestes, mais nous renvoyons à un arrêté relatif à la procédure de clôture des comptes simplifiée, clôture qui peut s'effectuer sans l'intervention du notaire. Cet arrêté prévoyant une revalorisation annuelle sur l'inflation, le seuil de gratuité sera réajusté automatiquement chaque année.

S'agissant du cas de gratuité relatif aux successions les plus simples, nous avons, en lien avec le ministère de l'économie, complété ses conditions d'application en prévoyant que la succession ne présente pas de « complexité manifeste ». Un amendement d'appel pourrait engager le Gouvernement à nous donner des informations supplémentaires. Aux yeux des banques, la notion de « complexité manifeste » intervient très rapidement. Nous souhaitons que cette complexité ne soit pas invoquée trop vite ; il faut donc bien cadrer le dispositif. La discussion en séance permettra d'apporter des précisions.

Ensuite, cet amendement intègre les établissements de paiement, très utilisés par les jeunes.

Enfin, il prévoit que l'ACPR et la DGCCRF soient expressément habilités à contrôler la mise en oeuvre du dispositif proposé.

L'amendement  COM-3 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 1er bis (nouveau)

L'article 1er bis est adopté sans modification.

Article 2 (nouveau)

M. Hervé Maurey, rapporteur. - Je me suis déjà exprimé sur l'amendement  COM-2 rectifié, qui supprime une demande de rapport. Je souhaiterais, à titre tout à fait exceptionnel, que nous puissions le conserver. Aussi, je propose le retrait de cet amendement.

L'amendement COM-2 rectifié est retiré.

L'amendement de coordination COM-4 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme PAOLI-GAGIN

1 rect.

Plafonnement des frais sur succession à 1 % du montant total des sommes détenues par l'établissement et gratuité pour les successions inférieures à 5 000 euros bénéficiant de la procédure de clôture simplifiée

Retiré

M. MAUREY, rapporteur

3

Réécriture globale du dispositif en vue de préciser le barème relatif au plafonnement des frais pouvant être prélevés dans les cas non couverts par la gratuité, à clarifier les cas de gratuité, à élargir le champ d'application et à en garantir le contrôle

Adopté

Article 2 (nouveau)

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme PAOLI-GAGIN

2 rect.

Suppression de la demande de rapport d'évaluation du dispositif d'encadrement des frais bancaires sur succession

Retiré

M. MAUREY, rapporteur

4

Amendement de coordination rédactionnelle avec l'article premier

Adopté

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