RÉSEAU DE SANTÉ TRANS « REST »

Questions générales

1. À votre connaissance, dans quelles conditions les mineurs en questionnement de genre sont-ils aujourd'hui pris en charge (en établissement de santé ou en ambulatoire, spécialités médicales consultées, thérapies prescrites, conditions d'accès aux soins, etc.) ?

La prise en charge en santé des mineurs trans en France est très variée, allant des thérapies de conversion, pourtant interdites, aux approches affirmatives de genre, en passant - et c'est le cas le plus général - par le refus de soins. S'agissant plus spécifiquement des mineurs en questionnement de genre, c'est-à-dire de mineurs qui ne s'affirment pas dans un genre particulier mais sont justement en questionnement sur leur genre, ils peuvent, dans le cadre des approches affirmatives de genre, bénéficier de soins pédopsychiatriques ou psychologiques, ainsi que leurs familles, pour les aider à naviguer dans leur compréhension de leur genre, explorer leur rapport au genre au moyen de changements vestimentaires, de coupes de cheveux, de pronoms et de prénom, d'utilisation de cosmétiques, etc. en permettant une certaine souplesse et une totale réversibilité. Lorsque le questionnement de genre s'accompagne d'une souffrance psychique au démarrage de la puberté, des retardateurs de puberté peuvent être prescrits par un endocrinologue, en milieu hospitalier, avec le double accord parental, et pour une durée limitée dans le temps. Le questionnement de genre ne justifie pas la prescription d'hormones sexuelles, puisque celles-ci modifiant le corps dans une apparence genrée particulière, elles ne se destinent qu'aux mineurs adolescents (en moyenne à partir de 16 ans) qui s'affirment dans ce genre particulier, et ne sont donc pas ou plus en questionnement de genre.

La proposition de loi dans son intitulé ne semble pas prendre en compte l'existence de mineurs affirmés dans un genre qui n'est pas celui dans lequel ils ont été élevés (mineurs transgenres), mais seulement de mineurs en questionnement de genre. C'est le produit me semble-t-il davantage d'une dérive idéologique de la part de leurs auteurs refusant obsessionnellement l'existence de mineurs trans que d'une volonté de réduire le périmètre de la loi aux seuls mineurs en questionnement de genre.

2. L'Académie nationale de médecine appelait, en 2022, à une « grande prudence médicale » dans la prise en charge des enfants et adolescents, compte tenu de leur vulnérabilité psychologique et des effets indésirables importants des traitements disponibles.

a. Quel regard portez-vous sur ces recommandations ?

Il s'agit d'une recommandation de prudence, pas d'interdiction, à la différence de ce que préconise cette proposition de loi. À mon sens, la prudence est exigible tant à propos des conditions de prescription des traitements trans-spécifiques qu'à l'endroit des personnes visant leur interdiction.

Par ailleurs, si nul ne conteste que les personnes trans adolescentes sont souvent en situation de vulnérabilité psychologique, notamment en raison du stress minoritaire qui altère leurs conditions de vie et assombrit leurs perspectives de bien-être futur et leurs possibilités d'être, on ne peut pas en dresser une généralité : certains adolescents trans ne sont pas en vulnérabilité psychologique. D'expérience, il s'agit très généralement de jeunes dont les parents et toute la famille sont soutenants de leurs démarches de transition, quelle qu'elle soit (sociale, administrative, médicale), dont l'inclusion à l'école se déroule bien (adoption des nouveaux prénom et pronom par la communauté éducative et les pairs, respect des choix vestimentaires et des lieux non-mixtes). Cette hétérogénéité de la population sur le plan psychologique justifie une place des professionnels de la santé mentale dans les parcours de vie des mineurs trans qui ne soit ni centrale, ni inexistante, mais déployable rapidement sur des points d'appel psychiatriques par des endocrinopédiatres, médecins de premiers recours, infirmières scolaires, etc. En ligne avec la dépsychopathologisation des transidentités depuis le vote, notamment par la France, à l'Assemblée Mondiale de la Santé, en 2019, de la CIM-11, il s'agit de dépsychiatriser l'accès aux soins trans-spécifiques pour tous, sans apsychiatriser cette offre de soins.

Enfin, s'agissant des effets indésirables des traitements, ils doivent être systématiquement mis en balance avec les bienfaits attendus de ceux-ci, en termes d'amélioration de la santé mentale des adolescents, amélioration du bien-être social (considéré comme un déterminant de la santé d'après la constitution de l'OMS de 1948), insertion sociale, scolarisation, etc. Comme les bienfaits attendus sont susceptibles de varier d'un adolescent à l'autre, il s'agit d'être à l'écoute des paroles du jeune quant aux bienfaits qu'il anticipe des traitements, tout en l'informant, dans un langage clair et adapté, des effets potentiellement indésirables, et du caractère potentiellement évolutif de l'identité de genre, afin d'obtenir le consentement réellement éclairé ou l'assentiment de la personne concernée, ainsi que des parents.

b. Les conditions actuelles de prise en charge et de prescription vous paraissent-elles respecter ce principe de prudence ? Pourriez-vous détailler votre réponse ?

Comme indiqué en réponse à la première question, cela dépend de la prise en charge. S'agissant des thérapies de conversion, dont j'insiste à rappeler qu'elles continuent d'être pratiquées en France, y compris dans des consultations publiques, y compris par des médecins, le principe de prudence n'est pas appliqué : ces « thérapies » ne se fondent pas sur les données acquises de la science, n'ont jamais apporté la preuve de leur bienfait, ne sont pas éthiques, et sont mêmes illégales.

S'agissant des approches affirmatives de genre, le principe de prudence est systématique, mais doit être interprété avec discernement selon la situation de l'individu. Il devrait aller de soi par exemple, qu'on agit avec prudence tout autant lorsqu'on s'abstient de prescrire des bloqueurs de puberté à des adolescents trans bien dans leur peau en dépit d'une puberté endogène débutante, que lorsqu'on prescrit ces mêmes bloqueurs de puberté à un adolescent trans auto-agressif ayant fait plusieurs tentatives de suicides et dont la dysphorie de genre en lien avec la puberté aggrave la santé mentale et augmente le risque de suicide.

En d'autres termes, « Primum non nocere » doit s'appliquer tout autant à la décision médicale de prescription, qu'à la décision médicale de non-prescription : le statu quo n'est pas une position neutre médicalement dès lors qu'il a une incidence sur la santé mentale des jeunes trans. Cette proposition de loi, en forçant les professionnels de santé à adopter un statu quo prohibitif sur les traitements trans-spécifiques, va aggraver l'état de santé des jeunes qui en ont besoin. Elle se rapproche ainsi d'une position idéologique sur ces traitements, qui fait l'impasse sur l'apport en santé que peuvent représenter ces traitements pour certains jeunes, ce qui explique l'adoption de législations pareillement prohibitives dans des États fortement imprégnés idéologiquement par les mouvements anti-trans (23 États américains gouvernés par des proches de Donald Trump, ainsi que la Russie de Vladimir Poutine).

En termes de prudence, les dispositifs médicaux ouvrant l'accès aux traitements trans-spécifiques ont publié leurs chiffres et font clairement preuve d'une retenue dans la prescription. Lagrange et collègues (2023) par exemple évoquent les chiffres de la Pitié-Salpêtrière : 11 % seulement des jeunes admis ont bénéficié de bloqueurs de puberté, en moyenne à 14 ans, après en moyenne 10 mois de consultations par l'équipe pluridisciplinaire (professionnels de santé mentale, endocrinopédiatres, biologistes de la reproduction). Les hormones sexuelles ont été prescrites pour moins de la moitié des jeunes trans admis, en moyenne à 17 ans, après 14 mois de consultations par l'équipe pluridisciplinaire. Seuls 30 jeunes transmasculins admis, sur la période 2012-2022, ont bénéficié de torsoplastie, en moyenne à 18 ans et demi.

En outre, il faut rappeler que les adolescents trans bénéficiant de soins trans-spécifiques constituent une infime minorité de la population trans adolescente : 2 % des répondants trans français de 15-17 ans à l'étude de l'Agence européenne des droits fondamentaux (2019) bénéficient ou ont bénéficié de soins trans-spécifiques. J'avais trouvé une estimation plus basse, de 0.8 %, en m'appuyant sur les 294 mineurs bénéficiant d'ALD 31 au titre de la transidentité en 2020. Les soins trans-spécifiques chez les mineurs trans sont rares, très rares, mais de mon humble expérience de terrain, tant les personnes concernées que les parents et le personnel médical les jugent nécessaires. Cette proposition de loi, en souhaitant interdire ces traitements pour tout le monde, y compris pour ceux pour qui ils sont nécessaires, fait preuve d'un flagrant manque de prudence.

3. La place de l'évaluation psychiatrique dans la prise en charge des personnes en questionnement de genre semble soulever des questions. Alors que l'Académie recommande « un accompagnement psychologique aussi long que possible des enfants et adolescents exprimant un désir de transition », la Haute Autorité de santé (HAS) conduit actuellement des travaux destinés à « revoir la place de l'évaluation psychiatrique dans le processus de la réassignation sexuelle hormono-chirurgicale », pour tenir compte de sa « dépsychiatrisation ».

a. Quel regard portez-vous sur ces débats ?

On peut s'interroger sur ce qui motive intellectuellement l'Académie Nationale de Médecine dans cet avis, et ses propres biais idéologiques, en ligne de sa déclaration menaçant la « PMA pour toutes » de provoquer une « rupture anthropologique majeure ».

L'Académie motive ce suivi psychologique obligatoire pour tous (donc y compris en l'absence de détresse psychologique) par une « demande croissante des soins » trans-spécifiques. Or, toutes les données épidémiologiques des unités spécialisées dans le monde montrent un plateau des demandes de soins après une première période de croissance. Les données françaises, tant dans l'admission des soins que dans le nombre de bénéficiaires mineurs d'ALD 31, témoignent du même plateau des demandes de soins depuis 2020, qui ne peut plus être attribué à la séquence Covid.

En outre, dans ces mêmes avis de l'Académie, on peut lire une recommandation pour « la vigilance des parents face aux questions de leurs enfants sur la transidentité ou leur mal-être, en soulignant le caractère addictif de la consultation excessive des réseaux sociaux qui est, à la fois, néfaste au développement psychologique des jeunes et responsable d'une part très importante de la croissance du sentiment d'incongruence de genre. ». Cette recommandation incriminant l'usage des réseaux sociaux dans la croissance du sentiment d'incongruence de genre se fonde sur une seule étude, celle de Lisa Littman (2018), citée par l'Académie. Pourtant, cette étude, réalisée auprès de parents d'adolescents trans sélectionnés sur la base de leur croyance que leur enfant est victime d'une « dysphorie de genre d'apparition rapide », n'a aucune validité, faute d'avoir pu interroger les jeunes concernés et leurs éventuels cliniciens. Lisa Littman affirme elle-même, dans une correction publiée en 2019, que son étude ne valide pas le phénomène suggéré de « dysphorie de genre d'apparition rapide ». De même, elle affirme dans cette correction qu'en raison du design de son étude, descriptif, aucune affirmation sur des associations causales ne peut être faite. Dans une étude de 2022 publiée par Greta Bauer et ses collègues, portant sur un échantillon clinique d'adolescents trans, l'hypothèse de la dysphorie de genre d'apparition rapide a pu être testée : non seulement les réseaux de pairs en ligne favorisaient plus qu'ils ne défavorisaient la santé mentale des jeunes trans, mais ils ne favorisaient pas l'apparition plus rapide d'une identité transgenre à l'adolescence. En somme, l'usage des réseaux sociaux n'est pas, comme le clame sans prudence l'Académie, « responsable d'une part très importante de la croissance du sentiment d'incongruence de genre ». Il apparaît que l'Académie est contrevenue à la règle déontologique de prudence, encadrant l'information au public : « Lorsque ses propos ne sont pas étayés sur des données confirmées et relèvent d'incertitudes ou d'hypothèses, le médecin doit être d'autant plus prudent.

Cette attitude s'impose tout particulièrement en cas de controverse existant dans les milieux scientifiques ou médicaux. Le médecin doit intervenir avec pondération lorsqu'il s'exprime publiquement. » (Commentaire au Code de Déontontologie Médicale)

Le contexte des soins trans-spécifiques des mineurs sont le lieu de nombreuses désinformations, c'est peu de le dire. L'Académie Nationale de Médecine s'est fourvoyée de façon pseudoscientifique dans une recommandation fondée sur une étude unique de niveau de preuve nulle, en raison de ses propres biais idéologiques. La recommandation d'un suivi psychologique obligatoire le plus long possible ne se fonde elle aussi sur aucune étude. Une revue systématique récente (Heathcote et collègues, 2024) des interventions psychologiques sur les enfants et adolescents trans a révélé que la plupart des études étaient de bas niveau de preuve, limitant la portée des recommandations qui peuvent être faites à leur sujet.

La dépsychiatrisation des transidentités quant à elle, s'inscrit dans une évolution du consensus scientifique, entérinée par l'OMS en 2019, appliquée en France depuis janvier 2022. Comme dit précédemment, cette dépsychiatrisation n'est pas synonyme d'apsychiatrisation, en raison notamment de la vulnérabilité psychosociale des populations trans, particulièrement jeunes. Là encore, la Pitié-Salpêtrière a pu révéler les profils cliniques des jeunes admis sur une décennie : « Les co-occurrences de troubles psychiatriques (28 % d'antécédents d'hospitalisation en psychiatrie) sont dominées par la dépression (60 % des jeunes avant leur prise en charge) et les comportements suicidaires (46 % d'antécédents de suicidalité, 24 % de tentatives de suicides avant la prise en charge), sur un terrain social fortement marqué par les discriminations, outrages, harcèlements, violences, et rejet scolaire. Un quart des jeunes étaient déscolarisé·es depuis au moins 3 mois au premier rendez-vous, et la quasi-totalité (97 %) ont pu être rescolarisé·es au cours de la prise en charge. Les troubles de l'attention avec ou sans hyperactivité concernent 6 % des jeunes, les traits autistiques sont observés chez 9 %, et l'anorexie mentale chez 7 %. »

Il s'agit donc d'organiser un système de soins trans-spécifiques où le point d'entrée n'est pas nécessairement pédopsychiatrique, mais où un pédopsychiatre ou a minima un psychologue puisse être déployé rapidement sur un point d'appel psychiatrique qui aurait été détecté par le médecin auquel la famille a recours pour des soins trans-spécifiques. Ceci plaide en faveur d'un travail en réseau pluridisciplinaire, incluant des professionnels de santé mentale sensibilisés aux spécificités de l'accompagnement des mineurs trans ou en questionnement de genre, et fonctionnant sur la base des recommandations internationales de bonnes pratiques (WPATH 2022, Endocrine Society 2017, futures recommandations de la HAS). C'est le modèle de soins trans-spécifiques pour mineurs trans tel qu'il est déployé en Île-de-France dans le cadre de la plateforme Trajectoires Jeunes Trans (Condat, Cohen et TJT, 2022), financée et soutenue par l'ARS Île-de-France, l'AP-HP, la Ville de Paris, la Fondation de France et la DILCRAH.

b. Une évaluation et un suivi psychologiques vous paraissent-ils devoir précéder toute transition médicale ? Leur importance vous semble-t-elle renforcée face à un patient mineur ?

Comme dit précédemment, la dépsychiatrisation sans apsychiatrisation requiert l'organisation d'un système de soins n'imposant pas d'évaluation et de suivi psychologique avant une transition médicale chez un patient majeur. Néanmoins, au vu des vulnérabilités psychosociales souvent associées au fait d'évoluer dans des environnements hostiles à la transidentité, des professionnels de santé mentale fonctionnant selon les recommandations internationales de bonnes pratiques doivent pouvoir être mobilisables par le médecin auquel a fait appel le patient. Ce modèle de soins doit pouvoir être adapté aux patients mineurs.

4. Plusieurs pays occidentaux ont récemment limité l'accès à l'hormonothérapie pour les mineurs, à l'initiative de leurs autorités sanitaires (Finlande, Suède, Royaume-Uni...) ou du législateur (nombreux États américains).

La voie de l'encadrement législatif de la prise en charge de la dysphorie de genre chez les mineurs vous semble-t-elle souhaitable ?

Il y a de très grandes différences entre les cadres législatifs des Etats américains Trumpistes cités ici, qui relèvent tous de la prohibition des traitements trans-spécifiques et de la pénalisation de leurs soignants, auquel il faut rajouter la Russie, des trois pays européens mentionnés (Finlande, Suède, Royaume-Uni), qui suivent un modèle non pas prohibitionniste mais régulationniste.

Comme précisé plus haut, l'interdiction législative répond à une demande idéologique plus qu'à un besoin de santé : elle ignore l'hétérogénéité des niveaux de détresse psychologique des adolescents trans justifiant pour certains (0.8 à 2 %) la prescription de traitements trans-spécifiques et pour d'autres non.

S'agissant des recommandations finlandaises (2020) pour les mineurs, une intervention hormonale éventuelle doit être précédée par la confirmation que l'identification au sexe opposé est permanente et cause une dysphorie sévère. L'évaluation du patient mineur doit éloigner l'hypothèse selon laquelle la variance de genre et la souffrance associée d'un adolescent ne résultent pas d'une recherche transitoire de l'identité propre à l'adolescence mais qu'il s'agit bien de traits stables. La détection de troubles psychiatriques doit donner lieu à un traitement en première intention pour ces troubles s'ils sont constatés. Les recommandations finlandaises n'interdisent pas les soins trans-spécifiques chez les mineurs.

S'agissant des recommandations suédoises (2022) pour les mineurs, elles proposent une évaluation et un soutien psychosocial. L'évaluation doit retracer le parcours de vie du jeune au moyen par exemple de témoignages et détecter des troubles psychiatriques, ainsi que des traits autistiques et TDAH. Les recommandations suédoises n'interdisent pas les soins trans-spécifiques chez les mineurs.

S'agissant du Royaume-Uni, le rapport final d'Hilary Cass (2024) préconise un modèle régulationniste régionalisé conditionnant la prescription de soins trans-spécifiques à une évaluation holistique diagnostique et fonctionnelle, une anamnèse de la dysphorie de genre, ainsi qu'un dépistage de troubles neuro-développementaux (dont traits autistiques). Le rapport Cass n'interdit pas les soins trans-spécifiques chez les mineurs.

La France suit un modèle régulationniste de facto : les transitions des mineurs sont encadrées par des professionnels de soins travaillant en réseau selon des recommandations internationales de bonnes pratiques strictes et fondées sur les données acquises de la science. L'étude précitée de Lagrange et collègues (2023), situant autour d'un an en moyenne le délai entre la première consultation de la famille et la prescription (lorsqu'elle se fait) de bloqueurs de puberté ou hormones témoigne du rythme lent des consultations nécessaires à l'évaluation et l'information la plus complète de la famille.

Par ailleurs, à ce délai d'un an doit se rajouter un délai d'un an en moyenne pour accéder à la première consultation, période pendant laquelle le jeune est out auprès de ses parents (c'est-à-dire leur a informé de sa transidentité ou son questionnement de genre), ce qui plonge de nombreuses familles dans un grand désarroi et rend d'autant plus nécessaire un soutien psychosocial. L'étude Trans PULSE en Ontario a permis d'identifier que la période entourant le coming out (révélation de la transidentité d'une personne) était la plus propice aux risques suicidaires, en raison de l'incompréhension et/ou du rejet que subissent les personnes trans faisant leur coming out de la part de leur entourage. Il est donc d'autant plus nécessaire qu'un soutien psychosocial se mette en place dès le coming out, ce qui est possible en Île-de-France en dépit de délais d'attente d'un an en moyenne avant le premier rendez-vous, par la disponibilité d'espaces de paroles pour les parents et les enfants mis à disposition des associations partenaires de la plateforme Trajectoires Jeunes Trans.

5. L'existence de regrets, de mal-être persistant voire de « détransition » peut poser la question du consentement éclairé des jeunes s'engageant dans le traitement médical d'un changement de genre. Constatez-vous dans vos réseaux une hausse de ces cas ou de ces questionnements parmi les personnes accompagnées et si oui quelles réponses y apportez-vous ?

Conceptuellement, seule l'existence de regrets pourrait a priori poser la question du consentement éclairé des personnes, car la détransition n'est pas forcément un résultat négatif. En effet, comme l'ont démontré les travaux d'Annie Pullen Sansfaçon et collègues (2023), les détransitions peuvent s'accompagner de regrets, mais aussi - ou à la place d'eux - de sentiments positifs tels que la gratitude, ou ambivalents, et peuvent évoluer avec le temps. Les taux de regrets sont mal connus car peu mesurés, on a toutefois plus de recul sur les discontinuités d'identification transgenre. Chez les enfants trans qui ont transitionné socialement, 97.5 % d'entre eux continuaient d'exprimer une identité trans ou non-binaire à l'adolescence, cinq ans plus tard (Olson et collègues, 2022), situant le taux de détransition à 2.5 %.

Une étude néerlandaise ayant 20 ans de recul sur l'accompagnement de 1 766 enfants et adolescents trans a révélé des détransitions « très rares » (van der Loos et collègues, 2023). Sur Paris, avec une décennie de recul, sur 239 jeunes admis à la Pitié-Salpêtrière, seule une situation de cessation de transition a été enregistrée (Lagrange et collègues, 2023). Des taux similaires sont évoqués par les autres unités de soins de Trajectoires Jeunes Trans (CIAPA et Hôpital Robert Debré notamment).

Par le passé, des taux extrêmement importants de détransition chez les jeunes ont pu être publiés, avoisinant les 80 %, voire 100 % chez Colette Chiland (Vandendriessche et Larrieu, 2023). Mais il s'agissait d'études cliniques dont le type de soins de l'unité clinique en question relevait de la thérapie de conversion, comme le rappelle d'ailleurs justement la Défenseure des Droits dans son avis sur cette proposition de loi. Ces taux de détransition ne relèvent donc pas d'une « désistance spontanée », ou « naturelle », comme on peut le lire assez régulièrement dans la presse, mais plus vraisemblablement d'un retour « dans le placard » d'enfants traumatisés par des soignants qui s'ignorent pratiquer une forme de torture.

Ces taux de détransition ont fait l'objet d'une revue critique de littérature par Temple Newhook et collègues (2018) : les études de détransition exploitant les données de la clinique d'identité de genre du CAMH de Toronto dirigée par Kenneth Zucker y sont particulièrement critiquées, cette clinique ayant été fermée par le CAMH pour faits de thérapies de conversion.

Il faut aussi distinguer les discontinuités de transition médicale des détransitions : beaucoup d'adultes trans interrompent, voire cessent complètement, par exemple, de prendre des hormones sexuelles, sitôt qu'ils en ont bénéficié des effets désirés, et qu'ils ne souhaitent plus subir les effets indésirés (ceux-cis peuvent inclure la réduction de la libido pour les femmes trans ; ou l'alopécie pour les hommes trans). Ces situations sont très fréquentes. On estime qu'après 4 ans d'hormones, 30 % des personnes trans interrompent celle-ci (Roberts et collègues, 2023). Cela ne signifie pas qu'elles ne sont plus trans. Juste que, contrairement aux affirmations souvent entendues, les traitements hormonaux ne sont pas des traitements « à vie » (sauf s'il y a eu une gonadectomie), et que les transitions ne sont pas systématiquement linéaires.

Sachant les taux de détransition en réalité extrêmement bas, dès lors qu'on accompagne positivement les jeunes trans, on peut supposer raisonnablement que les taux de regrets le sont aussi. Toutefois, comme le démontrent Florence Ashley et collègues (2023), aucun dispositif d'évaluation, aucun cadre diagnostique n'a pu prouver avoir la capacité de minimiser le regret éventuel d'une personne amenée à bénéficier de soins trans-spécifiques : on ne peut pas prédire le regret futur. Or, celui-ci existe, pour tous types de soins, pas spécialement les soins trans-spécifiques ; on n'interdit pas pour autant ces soins, qui sont prescrits en définitive en dépit du risque de regret mais en connaissance de son éventuelle apparition. Faute d'avoir une justification éthique à l'interdiction de ces soins trans-spécifiques, on retombe nécessairement sur le modèle du consentement éclairé : celui-ci, pour les auteurs précités, dès lors que l'information médicale est complète et honnête, est suffisant pour minimiser le regret futur.

Sur l'interdiction de prescription des bloqueurs de puberté et traitements hormonaux (article 1er)

6. Vous semble-t-il pertinent d'interdire, dans le cadre de la prise en charge de la dysphorie de genre, la prescription aux patients de moins de 18 ans :

a. De bloqueurs de puberté ?

b. Des hormones du sexe opposé ?

C'est une préconisation qui ne fait aucun sens d'un point de vue médical, proposée d'ailleurs par des personnes n'ayant aucune expertise sur le sujet, puisque n'ayant pas l'expérience de l'accompagnement des mineurs trans. Cette proposition de loi, si elle était adoptée, ferait de la France le 2e pays au monde après la Russie à interdire dans la loi les transitions médicales des mineurs trans et à pénaliser leurs soignants. Les conséquences sur la santé publique seraient désastreuses, avec une hausse vertigineuse de la suicidalité des jeunes trans, et des variables associées à l'absence de soutien des transitions : hausse des signes dépressifs / anxieux, de la phobie scolaire et la déscolarisation, des comportements auto-agressifs, etc.

L'étude de l'USTS sur plus de 27.000 personnes trans a permis d'identifier que la catégorie d'âge la plus jeune était la plus à risque suicidaire (42 % de tentatives de suicides chez les 18-25 ans). D'après la même étude, les taux d'idéations suicidaires et de tentatives de suicides sont 600 % de fois plus fréquents chez les jeunes trans que chez les jeunes non-trans. La vague 2022 de cette même étude, sur plus de 92.000 personnes trans, permet d'évaluer que 94% des personnes qui entament une transition de genre sont plus satisfaites de leur vie depuis qu'elles transitionnent. 98 % des personnes trans qui bénéficient d'hormones sont plus satisfaites de leur vie depuis qu'elles en prennent. Que l'on ignore ces faits ne relève plus de la négligence scientifique, c'est du dénialisme.

7. À votre connaissance, dans quelles conditions ces traitements sont-ils prescrits aujourd'hui aux mineurs en questionnement de genre ? Par quels professionnels de santé ?

Ils sont délivrés par des endocrino-pédiatres, très majoritairement, avec double accord parental, sur avis favorable psychologique/psychiatrique, après proposition d'une consultation de préservation de fertilité, et après discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire. Cette organisation des soins ne me paraît pour autant satisfaisante, car pas adaptée aux situations nombreuses où les vulnérabilités psychosociales sont minimes, et la capacité de la personne concernée à consentir aux soins plus marquée, par exemple s'agissant de grands adolescents (16-17 ans), sans troubles psychiatriques co-occurrents, bien insérés socialement et scolairement, soutenus par leurs parents et la communauté éducative.

8. Quels sont les principaux effets indésirables de chacun de ces traitements ? Dans quelle mesure leurs effets sont-ils réversibles ?

Le fait qu'il soit demandé dans ce questionnaire de lister des effets indésirables aux traitements sans mentionner les bienfaits attendus de ceux-ci témoigne d'une incompréhension des fonctionnements éthiques de base de la médecine : la balance bénéfices-risques. Celle-ci doit être discutée avec la personne concernée et les parents, soupesée par eux et le médecin. À ma connaissance, s'agissant des bloqueurs de puberté, le principal effet indésirable concerne la diminution de la densité minérale osseuse, et donc le risque fracturaire. Toutefois, un suivi régulier et une supplémentation en vitamines, ainsi que l'exercice permettent de diminuer voire d'anéantir le risque fracturaire : la littérature et la pratique médicale à Paris ne recense aucune fracture osseuse sous ce traitement.

Par ailleurs, la densité minérale osseuse se restaure peu à peu avec l'arrêt du traitement. S'agissant des hormones sexuelles, le principal risque est la réduction, mal connue, de la fertilité, surtout constatée chez les jeunes transféminines (assignées garçon à la naissance mais ne s'identifiant pas ainsi) que chez les jeunes transmasculins (assignés fille à la naissance mais ne s'identifiant pas ainsi). Cette fertilité diminuée est grandement restaurée à l'arrêt des hormones, pourvu qu'il n'y ait pas eu de gonadectomie (impossible avant 18 ans), l'impact sur la qualité future des gamètes n'étant pas garanti, particulièrement pour les jeunes transféminines.

Il y a donc un intérêt à proposer des consultations de préservation de fertilité dans un CECOS, en amont de la prescription d'hormones, en vue d'une autopréservation de gamètes. Par ailleurs, l'interdiction de ces traitements introduirait une discrimination sur la base de l'identité de genre, discrimination pénalisée par la loi elle-même, puisque les bloqueurs de puberté sont prescrits de façon routinière sur des mineurs ayant souvent moins de 8 ans, dans l'indication de puberté précoce, et engagent les mêmes effets indésirables sur la santé que pour les jeunes trans. Les hormones sexuelles sont également prescrites chez des mineurs non-trans en cas d'insuffisance gonadique.

9. D'autres mesures législatives visant à encadrer la prescription de bloqueurs de puberté et de traitements hormonaux vous paraîtraient-elles souhaitables (âge minimal du patient différent de celui actuellement prévu par la proposition de loi, conditions tenant à l'existence de consultations ou de décisions collégiales préalables, etc.) ?

Le cadre législatif actuel de liberté de prescription du médecin limitée par les données acquises de la science est suffisante pour assurer un cadre régulationniste tel qu'il existe en France. Toutefois, au vu de la confusion actuelle agitée par des idéologues « anti-genre » autour de ces soins trans-spécifiques, une clarification professionnelle de ce que sont les « données acquises de la science » doit avoir lieu. La traduction en français à venir du consensus de la WPATH (2022), la publication prévue en 2024 des recommandations de la société française d'endocrinopédiatrie et de la société européenne d'endocrinopédiatrie, ainsi que la publication à venir des recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé, et d'un nouvel avis plus complet de l'Académie Nationale de Médecine, devraient combler les lacunes existantes.

À noter aussi que le Comité Consultatif National d'Ethique n'a jamais été sollicité sur ces questions, alors même qu'il est mobilisable par le Président du Sénat, lequel a mis à l'agenda cette proposition de loi.

Sur l'interdiction des opérations chirurgicales de réassignation sexuelle (article 1er)

10. L'expression « opérations chirurgicales de réassignation sexuelle » vous paraît-t-elle suffisamment précise ? Selon vous, quelles interventions vise-t-elle ?

Les opérations de réassignation sexuelle désignent communément les opérations génitales, dont aucune n'est pratiquée en France sur les mineurs trans.

11. Vous semble-t-il pertinent d'interdire, dans le cadre de la prise en charge de la dysphorie de genre, les opérations chirurgicales de réassignation sexuelle aux moins de 18 ans ?

En supposant que les auteurs de cette proposition de loi aient eu en tête d'interdire les torsoplasties (seules opérations réalisées en France sur des mineurs trans), celles-ci sont anecdotiques chez les mineurs : la Sécurité Sociale en décomptait 40 sur tout le territoire en 2020 ; la Pitié-Salpêtrière en décomptait 30 sur sa patientèle sur une décennie (2012-2022), à l'âge moyen de 18 ans et demi.

Tout comme pour les bloqueurs de puberté et les hormones, les chirurgies du torse doivent faire l'objet d'une évaluation bénéfices-risques dans le cadre de la décision médicale partagée entre la personne concernée, ses parents et les médecins. Il ne me paraît pas pertinent d'interdire une option de soins dès lors qu'elle peut faire partie d'un outillage thérapeutique ayant pour but d'améliorer la santé d'une personne. Cette préconisation d'interdiction là encore est ancrée dans un rejet des transitions qui relève davantage de l'idéologie que de la médecine.

À noter, comme le rappelle très justement là encore la Défenseure des droits dans son avis (précédemment cité) sur cette proposition de loi, les mineurs non-trans peuvent bénéficier de réduction mammaire voire de mastectomie complète, sur indication médicale. En quoi refuser aux uns ce que l'on accepte pour les autres remplit le principe d'une législation juste ?

12. Dans les faits et à votre connaissance, ces opérations sont-elles aujourd'hui réalisées sur des mineurs en questionnement de genre ? Le cas échéant, dans quelles conditions le sont-elles ?

À nouveau, aucune option de soins ayant des effets partiellement irréversibles ou irréversibles n'est proposée à des mineurs en questionnement de genre. Seuls des jeunes affirmés dans un genre sont susceptibles de se voir proposer des soins, sous indication médicale. Dans le cas des chirurgies de torsoplastie chez les mineurs, avec avis favorable d'un psychologue/psychiatre, du chirurgien, du double accord parental, et après discussion de réunion de concertation pluridisciplinaire.

13. Quels sont les principaux effets indésirables et risques attachés à ces interventions ? Dans quelle mesure sont-elles réversibles ?

À nouveau, l'absence de questions sur les bienfaits attendus d'un traitement, quel qu'il soit, témoigne d'un biais dans la conception de ce questionnaire. On ne peut évaluer médicalement la pertinence d'un traitement sans mis en balance des effets indésirables et risques avec les bienfaits attendus. S'agissant des torsoplasties, l'irréversibilité du geste entraîne la perte de fonctionnalité de lactation, qui est désirée par fort peu de personnes transmasculines. On ne peut donc que rarement parler d'effet à proprement parler « indésirable ». Les cicatrices et la baisse temporaire de sensibilité sont généralement bien supportées par les personnes concernées, qui leurs préfèrent les avantages en termes de bien-être et réduction de la dysphorie de genre.

14. D'autres mesures législatives visant à encadrer les opérations chirurgicales de réassignation sexuelle vous semblent-elles souhaitables (âge minimal du patient différent de celui actuellement prévu par la proposition de loi, conditions tenant à l'existence de consultations ou de décisions collégiales préalables, etc.) ?

Même réponse qu'à la question 9.

Sur le régime de sanction associé à ces interdictions (article 2)

15. Les peines prévues en cas de violation des dispositions encadrant la prise en charge des mineurs s'élèvent à deux ans d'emprisonnement, 30 000 euros d'amende et, le cas échéant, une interdiction d'exercice de dix ans au plus.

Ces peines vous semblent-elles justement proportionnées ?

Il s'agit des mêmes peines que celles prévues par l'interdiction des thérapies de conversion, qui sont des actes de tortures. L'instigatrice principale de cette proposition de loi, Mme Eustache-Brinio, a l'esprit de vengeance, elle qui a voté contre l'interdiction de ces thérapies de conversion.

Pour répondre simplement à votre question, l'interdiction des thérapies de conversion est complètement contradictoire avec la direction de cette proposition de loi. D'ailleurs, aucun pays, aucune région, n'a imposé une interdiction des thérapies de conversion anti-trans et une interdiction des transitions médicales des mineurs. Il y a une cohérence des législations en ce sens, qui prédit à mon avis le destin de cette proposition de loi.

16. L'insertion de ces peines dans le chapitre du code pénal relatif à l'éthique biomédicale vous semble-t-elle pertinente ?

Pas davantage que la proposition de loi en elle-même.

Sur la mise en place d'une stratégie nationale pour la pédopsychiatrie (article 3)

17. Alors que la dernière mise à jour de la classification internationale des maladies (CIM) exclut l'incongruence de genre des troubles mentaux et qu'un récent rapport de l'Igas sur la santé et le parcours des personnes trans préconisait une « dépsychiatrisation » de la prise en charge, l'insertion de cet article au sein de cette proposition de loi vous semble-t-elle pertinente ?

Dans quelle mesure la santé mentale des jeunes atteints de dysphorie de genre vous paraît-elle constituer un enjeu important ?

Non, la référence à la pédopsychiatrie dans le contexte qui est le nôtre n'est effectivement pas pertinente, pour des raisons déjà évoquées plus haut. La santé mentale des jeunes trans est un enjeu important, je l'ai évoqué, qu'il s'agit de saisir dans un parcours de soins à paniers de soins le plus ouvert possible, incluant des soins en santé mentale, pas uniquement circonscrits à la pédopsychiatrie, mobilisables sur points d'appel psychiatriques sans pour autant être obligatoires (cela confinerait à l'obligation de soins).

18. La mise en place d'une « stratégie nationale pour la pédopsychiatrie » vous parait-elle constituer une réponse adéquate dans le suivi des mineurs souffrant de dysphorie de genre ? Quel regard portez-vous aujourd'hui sur l'accompagnement et la prise en charge de ces mineurs ?

Je crois en effet que la pédopsychiatrie a beaucoup à faire pour les jeunes trans, et surtout beaucoup à défaire. Je rappelle que la norme dans les « soins » visant les mineurs trans, dans ce pays, a été la thérapie de conversion (Vandendriessche et Larrieu, 2023), professée par la pédopsychiatre Colette Chiland. L'influence de la psychanalyse française sur le maintien des thérapies de conversion est patente : l'Ecole de la Cause Freudienne, principale école de psychanalyse en France, n'a-t-elle pas distribué à tous les sénateurs un document souhaitant le rejet des protections visant les personnes trans dans la loi interdisant les thérapies de conversion, au motif que cela les empêcherait de travailler ? L'Observatoire de la Petite Sirène, réel auteur du « rapport Eustache-Brinio », dont toutes les associations LGBT dénoncent la proximité avec la Manif pour Tous et l'extrême droite, et la promotion des thérapies de conversion, n'a-t-il pas fait de même ? En France, la plupart des familles que je rencontre me font état des mêmes difficultés de parcours : ici des refus de prise en charge de la part de pédopsychiatres, au motif que « tu es né garçon, tu resteras garçon », là des pédopsychiatres interdisant le port de la jupe à des petites filles trans au motif que cela l'empêcherait d'exprimer sa fluidité de genre, là encore des projets thérapeutiques de pédopsychiatres visant à rétablir l'enfant dans son sexe de naissance, là aussi des ados trans dont la famille a été explosée par des signalements d'inceste par la pédopsychiatre parce qu'il lui semblait inconcevable après avoir parlé 15 minutes au gamin et en dépit de son démenti qu'une transidentité puisse être autre chose que le résultat d'un trauma sexuel, encore là des pédopsychiatres pensant comme Chiland qu'untel ou untelle « se déclare trans » parce que le père n'est pas assez viril, ou parce que la mère est n'est pas assez féminine.

Bien souvent dans cette profession les idées reçues, les théories hasardeuses hors-sol et le manque d'attention aux preuves médicales. Alors oui, je crois qu'une stratégie nationale de la pédopsychiatrie serait nécessaire, et la première chose à exiger de cette profession, s'agissant des mineurs trans, est la condamnation univoque des thérapies de conversion anti-trans.

19. La dysphorie de genre s'accompagne fréquemment de souffrances psychiques qui peuvent être liées à l'environnement social et aux difficultés associées à un processus de transition générateur de stress.

Dans ce cadre, quel accompagnement proposer aux mineurs dans cette situation ?

Un accompagnement psychologique et/ou pédopsychiatrique soutenant de la transidentité du mineur trans, ou soutenant de l'exploration de genre du mineur en questionnement, sont des réponses suffisantes mais pas nécessaires. En l'absence de professionnels de santé mentale qui ne soient pas répressifs de leur transidentité, les communautés trans se sont organisées pour développer l'auto-support.

Le soutien des pairs est ainsi devenu un vecteur indispensable de sociabilisation pour les personnes trans qui craignent, malheureusement souvent à raison, l'environnement social autrement transphobe qui les poursuit au travail, à l'école, à l'université, dans la rue, dans le milieu médical, et tristement, dans le foyer familial : 60 % des jeunes trans sont victimes de violences intrafamiliales (Enquête Virage, Ined, 2020).

20. Le Conseil national de l'ordre des médecins estime que le nombre de pédopsychiatres avait diminué de 34 % entre 2010 et 2022 passant ainsi de 3 113 à 2 039 sur tout le territoire. Dans un rapport de mars 2023, la Cour des comptes alertait sur les difficultés du secteur et les inégalités de prise en charge des mineurs sur le territoire.

Quelles réponses pourraient être, selon vous, apportées pour remédier à ces difficultés ?

Je crains qu'aucune hausse des budgets en pédopsychiatrie dans les hôpitaux ou les CMP ne soit suffisante pour adresser les défis en santé mentale de la population trans sans qu'il y ait un réel aggiornamento de cette profession vis-à-vis de la psychopathologisation des transidentités et de la pratique instituée et rationalisée des thérapies de conversion dans ce pays, qui concourent toutes deux à devoir examiner aujourd'hui cette lamentable proposition de loi.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page