- LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
- I. I. UNE SUR-EXÉCUTION DES CRÉDITS DE
LA MISSION EN 2023 LIÉE À L'ABSENCE REGRETTABLE DE
BUDGÉTISATION INITIALE DES DÉPENSES DÉDIÉES
À L'ACCUEIL DES PERSONNES DÉPLACÉES D'UKRAINE, QUI
APPARAISSENT EN BAISSE
- II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR
SPÉCIAL
- A. DANS UN CONTEXTE DE NIVEAU HISTORIQUE DES
DEMANDES D'ASILE, UNE SURCONSOMMATION DES CRÉDITS
CONCERNÉS
- B. DES CRÉDITS LIÉS À LA LUTTE
CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE QUI RESTENT BEAUCOUP TROP
MODESTES, EN DÉPIT D'UNE LÉGÈRE
SUR-EXÉCUTION
- C. UNE SOUS-EXÉCUTION DES CRÉDITS
D'INTÉGRATION DES ÉTRANGERS PRIMO-ARRIVANTS, QUI DOIT POURTANT
ÊTRE UNE PRIORITÉ
- A. DANS UN CONTEXTE DE NIVEAU HISTORIQUE DES
DEMANDES D'ASILE, UNE SURCONSOMMATION DES CRÉDITS
CONCERNÉS
- I. I. UNE SUR-EXÉCUTION DES CRÉDITS DE
LA MISSION EN 2023 LIÉE À L'ABSENCE REGRETTABLE DE
BUDGÉTISATION INITIALE DES DÉPENSES DÉDIÉES
À L'ACCUEIL DES PERSONNES DÉPLACÉES D'UKRAINE, QUI
APPARAISSENT EN BAISSE
N° 34 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 octobre 2024 |
RAPPORT PRÉSENTÉ au nom de la commission des finances (1) sur le projet
de loi, |
Par M. Jean-François HUSSON, Sénateur |
TOME II ANNEXE N° 16 Rapporteur spécial : Mme Marie-Carole CIUNTU |
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel. |
Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 3, 291 et T.A. 3 Sénat : 32 (2024-2025) |
LES PRINCIPALES
OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
1. L'exercice 2023 est marqué par une sur-exécution par rapport aux crédits votés en loi de finances, à hauteur de 4,3 % (+ 114,9 millions d'euros) en AE et de 12,9 % en CP (+ 259,1 millions d'euros). Le montant des crédits exécutés a ainsi augmenté significativement de 23,2 % en AE (+ 524,5 millions d'euros) et de 2,4 % en CP (+ 53,13 millions d'euros) en un an.
2. Pour la deuxième année consécutive, la mission porte les crédits liés à la mise en oeuvre de la protection temporaire en faveur des personnes déplacées d'Ukraine et accueillies en France. Au total, le coût de cet accueil, dans le périmètre de la mission, aurait été de 321,8 millions d'euros en CP en 2023, en baisse par rapport à 2022 (481,8 millions d'euros). Ces crédits n'avaient malheureusement pas été intégrés à la loi de finances initiale, nuisant tant à la sincérité du budget de la mission qu'à l'efficacité de l'exécution budgétaire. Cette situation explique largement la sur-exécution des crédits en 2023.
3. Le niveau des demandes d'asile s'est établi à un niveau record en 2023, conformément à sa tendance haussière structurelle. Le nombre de demandes d'asile introduites à l'OFPRA1(*) s'est ainsi élevé à 142 496 en 2023, en hausse de près de 9 % par rapport à 2022 et à un niveau nettement supérieur au précédent record historique de 2019 (132 826 demandes).
4. Le dernier exercice avant l'application de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, a de nouveau connu une absence d'équilibre entre les différents types de dépenses, les crédits en faveur de l'intégration (à peine plus d'un cinquième des crédits exécutés en CP) et de la lutte contre l'immigration irrégulière (moins d'un dixième des crédits exécutés) étant trop faibles par rapport aux dépenses en lien avec l'exercice du droit d'asile.
5. Plusieurs objectifs affichés n'ont par ailleurs de nouveau pas été tenus, notamment en termes de création de places d'hébergement pour les demandeurs d'asile, de délai de traitement de leur demande par l'OFPRA, et d'investissement dans l'élargissement du parc de rétention administrative.
I. I. UNE SUR-EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2023 LIÉE À L'ABSENCE REGRETTABLE DE BUDGÉTISATION INITIALE DES DÉPENSES DÉDIÉES À L'ACCUEIL DES PERSONNES DÉPLACÉES D'UKRAINE, QUI APPARAISSENT EN BAISSE
La mission « Immigration, asile et intégration » n'a pas vu, en 2023, son architecture connaître de modification. Elle reste ainsi composée de deux programmes :
- le programme 303 « Immigration et asile », qui regroupe essentiellement les dépenses liées à la garantie du droit d'asile et à la lutte contre l'immigration irrégulière. Il s'agit principalement de dépenses contraintes dont le dynamique est, du fait du niveau élevé de la demande d'asile, en forte hausse ces dernières années ;
- le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française », qui rassemble les crédits en faveur de l'intégration des étrangers en situation régulière, notamment à travers la subvention de l'État à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii).
Le rapporteur spécial rappelle que les crédits de la mission ne regroupent qu'une part très minoritaire du budget de l'État relatif à l'immigration. Les dépenses de l'État induites par l'immigration ne s'y limitent pas. Le coût estimé de la politique française de l'immigration et de l'intégration était ainsi de 6,7 milliards d'euros en 2021, de 6,8 milliards d'euros en 2022 et de 7,5 milliards d'euros en 2023. Il serait de 7,9 milliards d'euros en 20242(*).
Ce coût, auquel contribuent 19 programmes répartis au sein de 13 missions budgétaires, prend en compte les dépenses directes et orientées à titre principal vers les étrangers. Le coût complet des forces de sécurité intérieure, de l'hébergement d'urgence et de l'enseignement scolaire n'est par exemple que partiellement intégré.
Part des crédits de paiement de la mission
« Immigration, asile et intégration »
dans l'ensemble des crédits de la « Politique
française
de l'immigration et de l'intégration »
en 2024
(en %)
Source : commission des finances, d'après le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au projet de loi de finances pour 2024
En 2023, la loi de finances initiale3(*) prévoyait pour la mission un montant de crédits de 2,67 milliards d'euros en AE et de 2,01 milliards d'euros en CP, en hausse respectivement de 34,2 % (+ 681,4 millions d'euros) et de 5,9 % (+ 112,6 millions d'euros) par rapport à 2022. La très forte hausse en AE était largement liée au renouvellement ponctuel en 2023 des conventions pluriannuelles d'hébergement d'urgence (pour 588 millions d'euros).
Comme en 2022, l'année 2023 est marquée par une sur-exécution par rapport aux crédits votés en loi de finances, de l'ordre de 4,3 % en AE (+ 114,9 millions d'euros) et de 12,9 % en CP (+ 259,1 millions d'euros). Le montant des crédits exécutés a ainsi augmenté significativement de 23,2 % en AE (+ 524,5 millions d'euros) et de 2,4 % en CP (+ 53,13 millions d'euros) en un an.
Évolution des crédits de la mission
« Immigration, asile et
intégration »
en 2022 et 2023
(en millions d'euros et en pourcentage)
AE : autorisations d'engagement. CP : crédits de paiement. Prévision : prévision en loi de finances initiale, hors fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP).
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Le programme 303 « Immigration et asile », qui finance notamment les dépenses en lien avec la garantie de l'exercice du droit d'asile, se trouve, comme les années précédentes, à l'exception de 2021 (largement en raison de la crise sanitaire), en sur-exécution en 2023, à hauteur de + 3,8 % en AE et de 18,2 % en CP, soit respectivement + 81,64 millions d'euros et + 266,1 millions d'euros. Le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » se trouve également en sur-exécution en 2023 en AE, à hauteur de 6,1 %, et en légère sous-exécution de - 1,3 % en CP, soit respectivement + 33,3 millions d'euros et - 7,02 millions d'euros.
Écarts entre la loi de finances et
l'exécution en 2022, d'une part,
et en 2023, d'autre
part
(en millions d'euros et en CP)
Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires
Si la sur-consommation des crédits initialement votés en loi de finances initiale est fréquente s'agissant de la présente mission, le niveau d'exécution de l'exercice 2023 doit néanmoins, comme en 2022, être mis en regard avec le contexte particulier dans lequel cette exécution s'est déroulée.
En effet, par une décision d'exécution UE n° 2022/382 du Conseil du 4 mars 20224(*), le Conseil de l'Union européenne a constaté l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées et a introduit, en application d'une directive du 20 juillet 20015(*), la protection temporaire dans l'Union européenne pour la première fois, dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine lancée par les forces armées russes, le 24 février 2022. Dans ce cadre, les personnes déplacées et susceptibles de se voir protégées au titre de la protection temporaire sont libres d'accéder à l'État de l'Union de leur choix. La directive du 20 juillet 2001 ne prévoit pas de « procédure d'octroi » de la protection temporaire. Ce sont ainsi les États qui sont compétents pour déterminer ces règles. En France, elles ont été fixées par une instruction ministérielle6(*), et deux circulaires7(*).
Les bénéficiaires de la protection temporaire se voient remettre une autorisation provisoire de séjour (APS) d'une durée de 6 mois. Cette autorisation est renouvelée de plein droit pendant toute la durée de validité de la décision du Conseil de l'Union européenne actionnant la protection temporaire. Il est demandé aux préfets de veiller à ce que les bénéficiaires de la protection temporaire aient accès à un hébergement s'ils n'en disposent pas à titre personnel. En outre, les bénéficiaires de la protection temporaire peuvent percevoir l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) pendant la durée de leur protection s'ils satisfont à des conditions d'âge et de ressources. Par ailleurs, le bénéfice de la protection temporaire ne préjuge pas la reconnaissance de la qualité de réfugié et ne fait pas obstacle à l'introduction d'une demande d'asile.
Au 31 décembre 2023, environ 70 000 personnes déplacées bénéficient de la protection temporaire en France dans ce cadre. Ce dispositif a engendré un coût financier notable dans le périmètre de la mission, estimé par le rapport annuel de performances pour 2023 à 321,8 millions d'euros en CP. Ce coût se décompose en :
- 173,4 millions d'euros de CP au titre de l'ADA ;
- 145 millions d'euros pour l'hébergement ;
- et 3,4 millions d'euros pour les accueils de jour et les transports.
Le montant de ces dépenses apparaît en baisse nette par rapport à 2022, année durant laquelle elles ont représenté 481,8 millions d'euros. Selon les premières données disponibles, cette évolution pourrait s'expliquer par la réduction progressive du nombre d'APS, d'une part, et par le fait qu'un nombre croissant des ménages ukrainiens qui s'établissent dans la durée sur le territoire accèdent au marché du travail, ce qui induit une baisse du coût de l'ADA notamment (les ressources de leur activité professionnelle étant déduites de l'allocation). Au-delà du périmètre de la mission, d'autres dépenses ont été engendrées par le dispositif mais le rapporteur spécial n'a pas à sa disposition une évaluation du coût global.
Répartition du coût pour la mission
en 2023 de l'accueil des personnes déplacées
en
provenance d'Ukraine bénéficiant de la protection
temporaire
(en CP, en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
Le projet de loi de finances pour 2023 et la loi de finances initiale correspondante n'intégraient aucunement les crédits nécessaires à la prise en charge des personnes concernées, alors même que tout indiquait que la situation perdurerait bien au-delà de 2022.
Le rapporteur spécial constate ainsi que le Parlement n'était pas en situation de procéder à un vote éclairé sur les crédits de la mission, au regard des montants en jeu (il en va malheureusement de même en 2024).
Inévitablement, les crédits ouverts ont été augmentés en loi de finances de fin de gestion8(*), ouvrant 339 millions d'euros en AE et en CP sur le programme 303 « Immigration et asile », pour financer le versement de l'ADA et des solutions d'hébergement en faveur des bénéficiaires de la protection temporaire (elle a par ailleurs annulé 18,8 millions d'euros en AE et 50,5 millions d'euros en CP sur le programme 104, notamment dans un contexte de déploiement lent du programme « Agir »9(*)).
Une telle situation apparaît doublement inopportune : d'une part, elle prive le Parlement d'un droit de regard éclairé au moment du vote du budget ; d'autre part, elle a induit une pression budgétaire indue et perturbatrice sur les gestionnaires de programme, qui ont été obligés de dégager des économies significatives en cours d'année pour financer provisoirement les dépenses en lien avec la protection temporaire, jusqu'à l'ouverture des crédits en loi de finances de fin de gestion.
Au total, la surconsommation des crédits de la mission en 2023 peut, du point de vue des ordres de grandeur et en schématisant, être attribuée aux coûts - non budgétisés initialement - liés à la protection temporaire des personnes déplacées d'Ukraine, en ce que ces derniers représentent un montant supérieur à la surconsommation globale, tant en AE (320,9 millions d'euros contre 114,9 millions d'euros de surconsommation pour la mission) qu'en CP (321,8 millions d'euros contre 259,1 millions d'euros de surconsommation pour la mission).
Exécution budgétaire de la mission en CP pour l'exercice 2023
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, à partir des données de l'annexe au projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023
Par ailleurs, le rapporteur spécial constate que le suivi de l'exécution budgétaire révèle un manque de capacité à bien estimer les besoins en crédits en cours d'année, la loi de fin de gestion - qui intervient pourtant en toute fin d'année - ayant ouvert trop de crédits par rapport aux besoins, comme l'illustre le montant de 187 millions d'euros de CP finalement non consommés.
II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
A. DANS UN CONTEXTE DE NIVEAU HISTORIQUE DES DEMANDES D'ASILE, UNE SURCONSOMMATION DES CRÉDITS CONCERNÉS
En loi de finances initiale pour 2023, comme les années précédentes, l'action n° 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile » concentrait à elle seule près des deux tiers (63 %) des CP de l'ensemble de la mission, soit 1,267 milliard d'euros.
Cette action, qui finance en particulier les dépenses relatives à l'asile, fait ces dernières années l'objet d'une sur-exécution chronique.
Les crédits de l'action n° 02 se répartissent principalement entre l'ADA, d'une part, et l'hébergement des demandeurs d'asile, d'autre part.
Ces deux postes de dépenses sont exposés, en premier lieu, à la tendance haussière du nombre de demandeurs d'asile. Or, après des années 2020 et 2021 marquées par un niveau modéré de demandes d'asile dans le contexte de la crise sanitaire, le niveau des demandes est en augmentation en 2022 et en 2023. Le Gouvernement indique ainsi que le nombre de demandes d'asile introduites à l'OFPRA s'est élevé à 142 496 en 2023, en hausse de 8,6 % par rapport à 2022 et à un niveau nettement supérieur au record historique de 2019 (132 826 demandes).
Ces postes de dépenses sont également exposés depuis mars 2022 aux coûts de l'accueil des personnes déplacées du fait du conflit en Ukraine (bénéficiaires de la protection temporaire), qui ne sont malheureusement pas intégrés à la budgétisation initiale, faussant le bon suivi de l'exécution des crédits de l'action (cf. infra).
Dans ce double contexte, les crédits ont été sur-exécutés par rapport à la loi de finances initiale à hauteur de 250,9 millions d'euros en CP en 2023, soit 19,8 %. Cela représente la quasi-intégralité de la sur-exécution à l'échelle de la mission (259,1 millions d'euros), soulignant encore, s'il en était besoin, le poids prépondérant des dépenses d'asile dans cette dernière.
Il convient de noter que par rapport à l'exécution de 2022, les CP exécutés sont en légère baisse en 2023, d'environ 80 millions d'euros (soit environ 5 %). Néanmoins, une analyse plus détaillée de cette évolution révèle son caractère conjoncturel. En effet, la baisse observée doit en réalité être ventilée en une réduction de 160 millions d'euros en CP des dépenses d'accueil pour l'accueil et l'hébergement des bénéficiaires de la protection temporaire en provenance d'Ukraine (321,8 millions d'euros en 2023 contre 481,8 millions d'euros en 2022), d'une part, et en une hausse de 80 millions d'euros des dépenses liées aux demandeurs d'asile, d'autre part. Or, à moyen terme, ce sont les dépenses liées aux demandeurs d'asile qui présentent le caractère le plus structurant, dans un contexte de forte hausse tendancielle des demandes d'asile.
1. Un budget de l'allocation pour demandeur d'asile qui a été dépassé
Après des années de hausses annuelles successives en lois de finances initiales du budget de l'allocation pour demandeur d'asile, une réduction des dépenses était prévue en 2023. Le budget initial concerné est ainsi passé de 335 millions d'euros en 2019 à 447 millions d'euros en 2020, puis à 454 millions d'euros en 2021 et à 491 millions d'euros en 2022 (en incluant une provision de 20 millions d'euros), pour s'établir enfin en nette baisse, à 314,7 millions d'euros en 2023 (320,7 millions d'euros en intégrant les frais de gestion).
Une telle réduction apparaissait difficilement tenable.
D'une part, elle s'inscrivait dans un contexte de niveau historique des demandes d'asile et d'une amélioration certaine mais encore perfectible en matière de délais de traitement des demandes d'asile par l'OFPRA, étant entendu qu'une réduction des délais de traitement permettent de verser l'ADA sur une moins longue période, induisant ainsi une réduction du coût global de l'allocation. La prévision budgétaire s'appuyait notamment sur une réduction drastique des délais de traitement des demandes d'asile par l'OFPRA, de 159 jours en moyenne en 2022 à 60 à fin 2023. Concrètement, en 2023, l'OFPRA a rendu 136 751 décisions10(*) en légère hausse de 2 %, à un niveau notablement inférieur à l'objectif fixé (160 000 décisions). Le stock de dossiers a quant à lui augmenté, pour atteindre 53 370 dossiers, contre 47 296 en fin d'année 2022. Si le délai moyen de traitement a diminué - ce qui doit être salué - puisqu'il s'établit en moyenne à 127 jours en 2023, c'est dans une ampleur bien moindre que les objectifs exagérément optimistes qui avaient été fixés. Quant à la CNDA11(*), juge d'appel des décisions de l'OFPRA, le nombre de ses décisions a été stable avec 66 358 décisions en 2023, contre 67 142 en 2022.
D'autre part, la prévision n'intégrait pas le coût de l'accueil des personnes déplacées d'Ukraine.
En 2023, l'ADA a été versée, pour ce qui concerne les demandeurs d'asile, à 100 939 personnes par mois en moyenne, et à 74 714 personnes bénéficiaires de la protection temporaire par mois, en moyenne. Au total, en 2023, 175 653 personnes en moyenne ont bénéficié de l'ADA chaque mois.
Pour l'exercice 2023, l'ADA connait une sur-exécution d'environ 35 %, pour s'établir à un coût de 434,2 millions d'euros en CP, dont 173,4 millions d'euros pour les personnes bénéficiant de la protection temporaire (soit 46 millions d'euros de moins qu'en 2022), et 254,4 millions d'euros pour les demandeurs d'asile (contre 270,2 millions d'euros en 2022).
Montants prévus et exécutés
des dépenses afférentes
à l'allocation pour demandeur
d'asile (ADA) en 2023
(en AE/CP, en millions d'euros)
Source : commission des finances, à partir des données budgétaires
2. Si les dépenses d'hébergement d'urgence sont en sur-exécution, les objectifs globaux de création de places d'hébergement pour demandeurs d'asile ne sont pas atteints
En exécution, l'année 2023 est également marquée par une augmentation des dépenses d'hébergement par rapport aux crédits prévus en loi de finances initiale au sein de l'action n° 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile ». En particulier, les crédits de la ligne budgétaire relative à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) sont exécutés à hauteur de 533 millions d'euros en CP, contre 395 millions d'euros prévus en loi de finances initiale.
En effet, ce dispositif a porté budgétairement, outre l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile, une partie significative du coût de l'hébergement des déplacés d'Ukraine bénéficiant de la protection temporaire. Ils ont essentiellement bénéficié d'un hébergement ad hoc, dans l'attente de leur accès à un logement ou à un autre type d'hébergement pérenne.
Au total, la surconsommation des crédits de l'HUDA, à savoir 138 millions d'euros en CP, représente 53 % de l'ensemble des crédits de la mission exécutés au-delà du montant de crédits initialement adoptés en loi de finances initiale (259,1 millions d'euros).
Plus généralement, au-delà de l'hébergement en HUDA, la sur-exécution des crédits liés à l'hébergement des demandeurs d'asile n'a pas suffi à atteindre les objectifs fixés en termes de places d'hébergement ouvertes au profit des demandeurs d'asile, seules 4 922 nouvelles places ayant été ouvertes en 2023 sur les 5 900 annoncées. La part des demandeurs d'asile hébergés s'établit ainsi fin 2023 à 61 %, en très légère hausse par rapport à 2022 (58 %), alors que l'objectif était fixé à 70 %. 21 % des places étaient par ailleurs occupées fin 2023 par des personnes qui ne devraient pas y résider (présence indue). Dans ce contexte, environ 12 000 demandeurs ont dû être intégrés au système d'hébergement d'urgence de droit commun, dépendant du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ».
B. DES CRÉDITS LIÉS À LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE QUI RESTENT BEAUCOUP TROP MODESTES, EN DÉPIT D'UNE LÉGÈRE SUR-EXÉCUTION
L'action n° 03 « Lutte contre l'immigration irrégulière » du programme 303 « Immigration et asile » finance trois principaux postes :
- les dépenses de fonctionnement et d'investissement dans les centres (CRA) et locaux de rétention administrative (LRA) et zones d'attente (ZAPI) ;
- les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière ;
- diverses subventions aux associations chargées du suivi sanitaire, social et juridique des étrangers retenus.
Cette action avait connu en 2022 une sous-exécution de 15,4 % en CP. À l'inverse, en 2023, elle a été sur-exécutée, de façon plus modeste, à hauteur de 5,13 % en CP12(*). Les CP de l'action exécutés représentent ainsi moins de 8 % des crédits exécutés à l'échelle de la mission, ce qui est notablement insuffisant.
Exécution des crédits de l'action 03 « Lutte contre l'immigration irrégulière » en 2022 et en 2023
(en CP, en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat
(d'après les documents budgétaires)
Au sein de l'action n° 03, les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière s'établissent à 42,4 millions d'euros en 2023 en CP en exécution, soit environ 2 millions d'euros de moins que ce qui était prévu en loi de finances initiale (44,1 millions d'euros). Le rapporteur constate que le niveau d'exécution demeure ainsi très faible, alors même que la légère hausse budgétaire constatée depuis 2019 est largement attribuable au coût du transport.
En 2023, les dépenses exécutées directement liées à l'éloignement des migrants en situation irrégulière représentent ainsi seulement 1,9 % des CP exécutés de la mission.
Part des CP exécutés directement dédiés à l'éloignement des migrants en situation irrégulière en 2023 au sein de la mission
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires
Le volume de la dépense affectée aux reconduites à la frontière et sa dynamique apparaissent largement insuffisants dans un contexte de hausse de l'immigration irrégulière et d'une efficacité déclinante de la politique de renvoi.
Les retours forcés exécutés n'ont ainsi augmenté que de 2,7 % en 2023 (pour s'établir à 11 722 retours) par rapport à 2022. Ils restent inférieurs de 38 % au nombre de retours forcés constatés en 2019.
Nombre de retours forcés exécutés
Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur
L'augmentation des frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière prévue pour l'année 2024 est certes bienvenue : ils atteignent 63,8 millions d'euros en CP et en AE. Si l'augmentation affiche un pourcentage de 44,4 % par rapport à 2023, elle reste néanmoins trop faible, d'autant qu'elle répond pour partie, cette année encore, aux conséquences de l'augmentation du prix des carburants sur le coût de l'éloignement.
Par ailleurs, s'agissant des dépenses d'investissement dans les CRA, LRA et ZAPI, le compte n'y est pas. Alors qu'étaient prévues des dépenses de 92,97 millions d'euros en AE et de 26,17 millions d'euros en CP, seuls 60,94 millions d'euros en AE (- 34,5 %) et 17,41 millions d'euros en CP (- 33,5 %) ont été exécutés. Un tel écart interroge notamment quant à la faisabilité du plan de renforcement des capacités de rétention administrative en LRA (fixé à au moins un tiers), d'une part, et de porter le nombre de places en CRA à 3 000 d'ici 2027. Selon les informations disponibles, en 2023, seules 12 places supplémentaires auraient été créées (au sein du CRA de Perpignan), tandis que les AE n'ont notamment pas pu être engagées pour le financement du nouveau CRA de Périchet.
C. UNE SOUS-EXÉCUTION DES CRÉDITS D'INTÉGRATION DES ÉTRANGERS PRIMO-ARRIVANTS, QUI DOIT POURTANT ÊTRE UNE PRIORITÉ
Au sein de la mission, le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » rassemble essentiellement les crédits en faveur de l'intégration des étrangers en situation régulière, via leur accueil, la signature et l'exécution des contrats d'intégration républicaine (CIR), leur formation linguistique et civique, et leur accompagnement dans le logement et l'emploi. Si l'OFII en est l'acteur central, les collectivités territoriales et les acteurs locaux sont également largement impliqués.
En exécution, l'année 2023 a été marquée par une surconsommation des AE du programme (+ 6,1 %, soit + 33,3 millions d'euros) mais une sous-consommation des CP (- 1,3 %, soit - 7 millions d'euros), dans un contexte où le nombre de CIR a pourtant augmenté de 16,2 % par rapport à 2022, pour atteindre 127 876 contrats, et de création de 1 000 places dans les centres provisoires d'hébergement (CPH), qui accueillent des réfugiés vulnérables.
Alors que les CP en faveur de l'accompagnement des réfugiés (action n° 15) sont sur-exécutés à hauteur de 26,1 millions d'euros, ceux de l'action n° 12 (Intégration des étrangers primo-arrivants), sont sous-exécutés à hauteur de 34,2 millions d'euros (- 25,5 %).
En effet, le programme AGIR (accompagnement global et individualisé des réfugiés), piloté par la DGEF et intégré budgétairement à l'action n° 12, qui vise à un accompagnement global local et individualisé vers l'emploi et le logement des bénéficiaires de la protection internationale, devait se déployer via la conclusion de marchés entre départements et acteurs locaux de l'intégration de façon plus rapide. Fin 2023, seuls 52 départements avaient déployé le dispositif. Début 2023, les dépenses prévues pour le programme AGIR s'élevaient à 75,5 millions d'euros en CP ; les dépenses exécutées ne sont élevées qu'à 16,6 millions d'euros, soit une sous-consommation de 59 millions d'euros. La lente mise en oeuvre du programme conduit à s'interroger sur l'efficacité du programme, au moins à ce jour.
En tout état de cause, le rapporteur spécial rappelle qu'une politique d'immigration réussie suppose d'importants efforts d'intégration. Or, les chiffres ne mentent pas : en 2023, seul un cinquième des crédits (21,5 %) ont été dédiés à l'intégration.
* 1 Office français de protection des réfugiés et apatrides.
* 2 Document de politique transversale, Politique française de l'immigration et de l'intégration, annexe au projet de loi de finances pour 2024.
* 3 Les crédits adoptés en loi de finances initiale sont calculés hors fonds de concours et attributions de produits.
* 4 Décision d'exécution UE n° 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE mentionnée ci-dessous, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire.
* 5 Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.
* 6 Instruction NOR: INTV2208085J du 10 mars 2022 du ministre de l'intérieur, du ministre des solidarités et de la santé, de la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement et de la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté.
* 7 Circulaire n° 6355-SG du 22 juin 2022 portant orientations nationales pour l'hébergement et le logement des déplaces en provenance d'Ukraine et circulaire n° 6406-SG du 23 juin 2023 portant orientations pluriannuelles pour l'accueil et l'insertion des personnes déplacées en provenance d'Ukraine.
* 8 Loi n° 2023-1114 du 30 novembre 2023 de finances de fin de gestion pour 2023.
* 9 Programme d'accompagnement global et individualisé des réfugiés, voir infra.
* 10 Données provisoires.
* 11 Cour nationale du droit d'asile.
* 12 La prévision en LFI 2023 est toujours calculée hors fonds de concours et attribution de produits.